Shanghaï, les putes, le champagne (et le reste)

Vous ne situez pas nécessairement ??. Shanghaï. Cette ville de la côte Est défie la description. Je ne vais pas vous encombrer l’esprit. Installée au bord de la mer de Chine, elle est la ville la plus peuplée du pays, et comptait, en 2006, 2804 habitants pour chaque km2. C’est évidemment la capitale économique de ce pays en pleine explosion. Avec ses 18 millions d’habitants, elle ne représente que 1,5 % de la population chinoise mais déjà 20 % de son PIB. Combien de gratte-ciel ? Les chiffres varient, mais l’estimation tourne autour de 5 000. Il y aurait 20 000 chantiers permanents en ville.

C’est bon, cela. Pour nos industries, et pour notre niveau de vie, c’est même excellent. Les problèmes en suspens n’empêchent pas nos contructeurs automobiles, Areva, EDF, Alstom et compagnie de se battre au couteau contre les Allemands, les Anglais, les Américains et tous ces vautours qui nous gâchent la vie. Des problèmes ? La Chine officielle reconnaît (1) que Shanghaï s’enfonce sous le poids de ses immeubles et parce que l’on a trop pompé dans les nappes phréatiques sur lesquelles elle a été bâtie. Ces phénomènes de déplétion sont connus de tous les spécialistes depuis des décennies. Vous pompez, vous créez du vide, ce vide aspire et détruit. Au passage, l’eau salée toute proche s’infiltre.

La ville, toujours selon des chiffres officiels, bureaucratiques certes, mais officiels, s’est enfoncée d’environ deux mètres en un siècle. Je retape : deux mètres. Et cela continue au rythme d’1,5 cm chaque année. Faut-il vous parler des problèmes d’approvisionnement en eau potable ? Soit, vous l’aurez voulu (2). L’eau, à Shanghaï, n’est plus potable depuis longtemps. L’essentiel des canalisations en fer datent d’une soixantaine d’années, avant l’arrivée d’un certain Mao au pouvoir. Depuis, on n’a fait que bricoler. Quand l’eau arrive – si elle arrive -, elle est chargée de toutes sortes de particules que personne ne songe à analyser. À quoi bon ?

Et au-dessus, dans le pays des hommes ? Le Parti communiste chinois va réunir dans les prochains jours son congrès, événement important s’il en est. Le sort des mingong en dépend. Les mingong sont des vagabonds, ceux qu’on appelait chez nous, jusqu’au 19ème siècle, des chemineaux. Car ils cheminent. Environ 150 millions de déracinés, chassés de leurs campagnes par l’irruption du marché mondialisé, errent d’un bout à l’autre du pays, campant dans la plus petite gare par centaines et milliers (3). Beaucoup travaillent, à n’importe quel prix, sur n’importe quel chantier dégueulasse, à Shanghaï par exemple. Et beaucoup ne travaillent pas. C’est, de loin, le plus grand exode de toute l’histoire humaine. Franchement, est-ce que vous le saviez ?

Préparant leur congrès, les bureaucrates se sont débarrassés en route d’un personnage longtemps tout-puissant à Shanghaï : Chen Liangyu. Membre du bureau politique du parti, il régnait sans aucune entrave, avant d’être emprisonné à la suite de luttes de clans. Les autres ne sont pas meilleurs, ils ont seulement gagné cette partie-là.

Que reproche-t-on à Chen ? Trois fois rien. Il aimait les putes, le champagne, le tennis, la bagnole et l’Opéra. En conséquence de quoi il avait une douzaine de maîtresses et entretenait bien davantage de prostituées, consommant avec elles et d’autres des quantités étonnantes de champagne français. On peut dire qu’avec lui, le BTP a été servi : un court de tennis géant (300 millions de dollars), et un circuit automobile de F1 (1 milliard dollars). Certains lui reprochent tout de même l’affaire de l’Opéra, dont l’ancien bâtiment était situé trop près d’une autoroute. Au lieu de tout détruire avant que de reconstruire, Chen a simplement déplacé le vieil Opéra après qu’il eut été déposé sur des rails, en bloc. On devine que les pots de vin eussent pu être plus importants si l’on avait rasé.

Pourquoi diable vous ennuyer avec ces histoires lointaines ? Bah. Rappelez-vous, car cela pourra vous servir un jour, que le camarade Chen avait été nommé à Shanhaï en 1992. Les gratte-ciel de la mégapole, c’est lui. Le « miracle économique » chinois dont tant de pompeux imbéciles vous parlent chaque matin, c’est largement lui. Et le krach écologique qui se prépare là-bas lui devra beaucoup, croyez-moi sur parole. Une phrase à double sens est paraît-il beaucoup utilisé par les habitants de Shangai quand ils évoquent le sort de leur cité martyre. La voici : « Il ne faut jamais oublier que Shanghaï est construite sur de la boue ». Pas mal, non ?

(1) http://www.chinadaily.com

(2) http://mcsinfo

(3) http://www.scienceshumaines.com

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