Mort aux tulipes (et aux jacinthes) !

Marie-Hélène et Marie-Josée, chacune de leur côté, m’envoient une nouvelle que je qualifierai prudemment d’intéressante. Je les en remercie, bien sûr, car c’est la première fois – leur procès a finalement été reporté – que des bulbiculteurs sont déférés devant un tribunal correctionnel pour usage de pesticides. Quelques commentaires. Un, la zone concernée, autour de la pointe de la Torche  (Finistère) est l’une des plus belles que je connaisse au bord de nos mers. J’ai eu l’extrême bonheur d’y voir Bruno Bargain, l’un de nos grands ornithologues, y baguer des phragmites aquatiques avant leur grand départ vers l’Afrique. Je le revois souffler sur le poitrail de ces puces de l’azur et dévoiler ainsi de minuscules boules de graisse affleurant sous la peau, entre les plumes. Chacune pesait un gramme, et chacune permettait au phragmite de parcourir un millier de kilomètres pendant sa migration.

Les étangs de Trunvel, où j’ai vu cette merveille, sont un peu au nord de la pointe de la Torche. Au total, 320 espèces d’oiseaux ont été vus sur place, ce qui est beau, ce qui est grand. En regard, l’activité humaine, outre qu’elle est en l’occurrence criminelle, est d’une petitesse à faire douter de nous tous. Depuis  1965, mais surtout depuis les années 80 (ici), la bulbiculture se développe. On fait pousser en baie d’Audierne, sur des centaines d’hectares, des bulbes de jacinthes et surtout de tulipes. Le compost ? Il vient droit des ordures ménagères, sans tri préalable. On trouve donc, entre les rangs de ces si « jolies » tulipes qui font tant penser à la si « mignonne » Hollande, des stylos, des seringues, des plastiques divers. Très beau, face à l’océan.

Bien entendu, on pulvérise au printemps, et plusieurs fois par jour, des pesticides. Qui connaît le vent de ces terres océanes comprend d’emblée que tout le monde en profite. Apparemment, les trois de Quimper sont poursuivis pour avoir utilisé des produits non homologués en France, mais légaux en Hollande. Pour avoir sommairement regardé ce qui se cache derrière des marques – citées dans l’article ci-dessous – comme Goltix, je peux vous confirmer ce que vous imaginez déjà : ces merdes sont très toxiques pour les organismes vivants et, je cite scrupuleusement, peuvent « entraîner des effets néfastes à long terme pour l’environnement aquatique ». Tout partira à la benne, qui s’appelle ici la mer. Et personne ne se plaindra jamais, car ses habitants parlent une langue que nous ne comprenons pas.

Pour quel profit ? On en jugera au visionnage d’un petit film de trois minutes qui montre l’un des bulbiculteurs de la Torche. Écoutez ses explications, qui donnent envie de pleurer (ici). Le pire est, que dans ce monde-ci, elles se tiennent. Elles sont logiques, elles en paraîtraient presque imparables. Heureusement, la colère monte visiblement. Et je ne parle pas de vagues pétitions signées depuis un ordinateur. Non. Mes amis d’Alerte à l’Ouest – Marie-Hélène, Gérard, je vous embrasse – font monter la pression sur le terrain, et repoussent même (ici), dans la gaieté, de pauvres flics employés à protéger le crime. Si ça continue, il faudra que ça cesse ? Je crois bien. Mais c’est long ? J’en suis sûr.

Pesticides. Trois bulbiculteurs renvoyés devant le tribunal (Le Télégramme)

18 octobre 2012

Trois bulbiculteurs installés à la pointe de La Torche, à Plomeur, devront répondre, cet après-midi, d’utilisation de pesticides non homologués.

Pointée du doigt depuis de nombreuses années, l’utilisation des produits phytosanitaires par la bulbiculture va conduire le tribunal correctionnel de Quimper à instruire le premier procès du genre, cet après-midi. Au terme d’une enquête de la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt, les trois exploitations installées sur les terres proches de la pointe de La Torche sont renvoyées devant le tribunal pour utilisation de produits phytosanitaires sans respecter les limitations et conditions d’utilisation déterminées par l’autorité administrative. Des faits qui auraient valu de nombreux rappels à l’ordre. Jusqu’à une série de contrôles effectuée par les agents de la Draaf, au printemps 2010. Leurs procès-verbaux avaient conduit le parquet à décider de poursuivre les exploitations devant le tribunal correctionnel.

Question d’homologation ??Goltix, Camix, Banko 500, Prowl 400… Les produits visés par la procédure sont des herbicides ou des fongicides. Des produits classés nocifs et dangereux pour l’environnement. Des produits autorisés pour une série de cultures. Mais visiblement pas homologués pour la bulbiculture. Du moins en France. Soutenant que ces produits sont autorisés en Hollande, ils sollicitent une harmonisation européenne de la législation. Faute de pouvoir investir dans une demande d’homologation. Le dossier, lui, ne se résume pourtant pas à cette question administrative. Il vise également les conditions d’utilisation des produits interdits. ??Tensions ??Sans préjuger de la décision du tribunal, le renvoi des bulbiculteurs est une première victoire pour les associations mobilisées depuis de nombreuses années. Cet après-midi, l’association Eau et Rivières de Bretagne se constituera partie civile. Un conflit qui cristallise les tensions entre les deux parties. Notamment depuis l’organisation des marches du collectif «Alerte à l’ouest». En mars dernier, la dernière manifestation avait réuni quelque 500 personnes. Son parcours avait été modifié à la dernière minute par les autorités pour éviter le face à face avec les agriculteurs. Aujourd’hui, il reviendra à la justice de trancher.
•    Jean Le Borgne

trois-bulbiculteurs-renvoyes-devant-le-tribunal.pdf

Ajout le 23 octobre: Arnaud Clugery – salut, Arno ! -, a envoyé ce commentaire : « Salut Fabrice,

Je profite de cette actualité qui me concerne en partie (j’ai potassé le dossier pour la constitution de partie civile d’Eau et Rivières) pour te faire mes amitiés et t’informer que les 3 bulbi ne passeront finalement pas en correctionnel mais par une procédure de Comparution en Reconnaissance Préalable de Culpabilité (CRPC le plaidé coupable de Sarko)… La bonne nouvelle c’est qu’ils admettent leurs fautes, la mauvaise c’est que cette procédure n’a absolument pas la même portée éducative, puisqu’au lieu de devoir se défendre dans une audience publique et contradictoire, ils iront dans un bureau du tribunal négocier leur peine avec un procureur qui pourrait être plus sensible au paysage de carte postal qu’au nuisance à long terme des pesticides. Ils traverseront alors le couloir du Tribunal de Quimper pour voir un juge qui validera le deal (trop content de se débarrasser d’un dossier).

Nous essaierons malgré tout de nous glisser à ce moment là dans la procédure, histoire de rappeler au juge que, non content d’utiliser des produits non homologués, ils se sont fait toper ce jour là pour d’autres irrégularités (traitement de fossé, non respect de la ZNT au bord des étangs, cuve qui déborde au remplissage…) bref de vrais professionnels en qui on peut avoir toute confiance. Prochaine échéance début décembre. J’te raconterai ! ».

18 réflexions sur « Mort aux tulipes (et aux jacinthes) ! »

  1. Finalement, maintenant que les écologistes (officiels…) sont amis avec tout le monde, ils sont bien entourés mais… ne parviennent plus à rien !
    Par exemple, à force de croire benoîtement que les paysans et/ou les agriculteurs sont nécessairement des amis de la nature, voilà où nous en sommes (merci @biodiversité, je remets ton lien très riche d’enseignement même si bien triste…) :
    http://lozere.alepe.over-blog.com/pages/Livre_noir_de_lenvironnement-4195977.html
    Il faut arrêter dans ce pays de croire que la ruralité c’est l’écologie !
    Résultat : même le parc national des Cévennes (après le Régional d’Ardèche) vire le loup de sa zone centrale, le « coeur de parc ».
    Nous vivons vraiment le monde à l’envers : les animaux sauvages (ours dans les Pyrénées, loup dans les Cévennes) hors des parcs nationaux, et les moutons, en parfaite liberté en coeur de parc !
    Question : que ce soit au ministère de l’écologie ou ailleurs, y a -t-il un pilote dans l’avion ?
    Non, ça réagit seulement au gré des pressions des lobbys… Plus ça chahute, plus on est entendu. A bon entendeur, justement !
    Las… mais toujours debout !

  2. Salut Fabrice,
    Je profite de cette actualité qui me concerne en partie (j’ai potassé le dossier pour la constitution de partie civile d’Eau et Rivières) pour te faire mes amitiés et t’informer que les 3 bulbi ne passeront finalement pas en correctionnel mais par une procédure de Comparution en Reconnaissance Préalable de Culpabilité (CRPC le plaidé coupable de Sarko)… La bonne nouvelle c’est qu’ils admettent leurs fautes, la mauvaise c’est que cette procédure n’a absolument pas la même portée éducative, puisqu’au lieu de devoir se défendre dans une audience publique et contradictoire, ils iront dans un bureau du tribunal négocier leur peine avec un procureur qui pourrait être plus sensible au paysage de carte postal qu’au nuisance à long terme des pesticides. Ils traverseront alors le couloir du Tribunal de Quimper pour voir un juge qui validera le deal (trop content de se débarrasser d’un dossier). Nous essaierons malgré tout de nous glisser à ce moment là dans la procédure, histoire de rappeler au juge que, non content d’utiliser des produits non homologués, ils se sont fait toper ce jour là pour d’autres irrégularités (traitement de fossé, non respect de la ZNT au bord des étangs, cuve qui déborde au remplissage…) bref de vrais professionnels en qui on peut avoir toute confiance. Prochaine échéance début décembre. J’te raconterai !

  3. Et mort aux fleurs coupées !

    A chaque Saint-Valentin, on vend 50 millions de roses de par le monde. Mais derrière le marché des fleurs coupées, il y a la triste réalité de leur production, dans les pays du sud :

    – exposés en permanence et sans protection à un cocktail de pesticides, les ouvriers (les esclaves) développent des maladies chroniques dangereuses et invalidantes. Les femmes deviennent stériles, les nourrissons naissent avec des malformations, il y a un nombre élevé d´avortements spontanés. Cette main-d´oeuvre taillable et corvéable à merci, adultes et enfants, se tue au travail dans les serres, pour un salaire de 2 € par jour. On constate régulièrement des délits très graves sur les travailleurs comme des viols, des tests illégaux de grossesse.

    – l´industrie de la fleur, de par l´usage de pesticides en quantité abusive est extrêmement polluante et dangereuse. Ces substances généreusement répandues sur les champs de fleurs se retrouvent bien entendu dans les nappes phréatiques, cochonnant ainsi les réserves d´eau et l´environnement naturel des populations. Cette industrie mortifère est extrêmement consommatrice en eau et elle investit des terres au détriment de l´agriculture locale. Tout plein de roses mais de moins en moins de nourriture pour les gens.

    – les fleurs coupées viennent en majorité d´Amérique du Sud ou de l´Afrique subsaharienne, leur transport génère des émissions de gaz à effet de serre.

    Vous comprendrez pourquoi je préfère un bouquet de fleurs de pissenlits !

  4. Merci de l’info Cher Fabrice ! Je connais La Torche et ton info sur ces oiseaux me fait rêver pour la journée… Pour le reste, à pleurer…
    Tiens as tu suivi l’aventure de l’escargot de quimper face aux footeux ?

    http://www.letelegramme.com/local/finistere-nord/brest/ville/football-un-escargot-qui-fait-baver-25-09-2012-1849908.php

    http://www.letelegramme.com/ig/generales/regions/cotesarmor/stade-brestois-freine-par-un-escargot-27-09-2012-1852838.php

    les commentaires sont à vomir…. Et je n’ai pas eu de nouvelles de la manifestation des footeux prévue le week end dernier qui prévoyait que ces abrutis détruisent tous les escargots sur place !

    ah si ici : http://www.ouest-france.fr/region/bretagne-video_-Stade-brestois-350-personnes-manifestent-a-Plougastel-Daoulas_40779-2120051——–42539_actu.Htm

  5. Le bulbiculteur nous explique finalement qu’il appartient au consommateur de réguler le marché : il n’a qu’à choisir du bio, accepter de payer un peu plus cher et l’on n’entendra plus parler de pesticides.
    Cet argument procède du catéchisme libéral classique : le marché décide de tout et c’est très bien ainsi.
    Le seul souci dans ce raisonnement, c’est qu’il ne résiste pas une seconde à l’analyse.
    L’agriculture est une activité fortement subventionnée, ce qui, en soi, est déjà une entorse à la règle du tout-marché. L’exploitant agricole, rebaptisé agri-manager est devenu un commis des grandes firmes industrielles, un fonctionnaire rémunéré par l’Etat. On est bien loin du paysan qui travaille en autonomie au pays.
    Non seulement l’activité agro-toxique vit de subventions publiques versées sans contrepartie (ou si peu), mais en plus, elle externalise ses pollutions sur l’air, l’eau, la faune et la flore, les forêts massacrées pour cultiver du soja, le réchauffement climatique, les humains qui souffrent de la faim… Le coût de ces préjudices est reporté sur la Sécurité Sociale, le contribuable, les vies humaines et non-humaines, les générations qui viennent…
    En bonne logique libérale, il conviendrait d’attribuer un prix à tous ces dégâts et de les réincorporer dans le prix final des productions agricoles. Les produits bios deviendraient alors cent fois moins chers.
    L’argument des entrepreneurs consistant à tout renvoyer sur le marché est malhonnête, ou alors ils devraient accepter de ne plus toucher un seul centime d’aides publiques et d’intégrer les coûts induits par leur activité dans le prix final de leurs marchandises.
    Arrêtons de penser que le marché choisit tel produit agro-toxique moins cher. C’est précisément le politique qui a fait certains choix (subventions, externalisations…) pour que ce produit soit moins cher. Le politique guidé par la main bien visible des industriels, certes.
    Loin de moi l’idée de préconiser un système où l’on fixerait un prix à chaque élément de la nature. Ce serait cautionner une logique du tout-économique cauchemardesque, vers laquelle nous allons, du reste. Nous y sommes même, ce qu’explique Arno 29, d’une certaine façon, avec le deal à venir : on négocie sa peine avec le tribunal en fixant un prix aux conséquences de ses actes illégaux. En sachant que lorsque l’on agit légalement, rien à craindre, quand bien même on participerait au crime contre le vivant.
    Quelle agriculture voulons-nous ? Celle de la vie (bio) ou celle de la mort (ide, comme pesticides) ? Pour moi, ce choix ne relève pas du marché mais bel et bien de la politique.
    Avant d’en arriver là, le chemin sera long, en effet. Eau et Rivières, Alerte à l’Ouest et d’autres aident à avancer dans cette voie.
    Frédéric

  6. Hors-sujet, mais en lien avec un article précédent.
    Pierre-Emmanuel Neurohr vient de commencer une grève de la faim. Emprisonné depuis un mois et demi, sans pouvoir voir ni son amie ni personne. Son crime : avoir empêché un avion de décoller pour alerter sur le crime en cours contre le climat et contre la vie. Il envoie cette lettre au Garde des Sceaux :
    http://parti-de-la-resistance.fr/?p=1438
    Deux extraits :
    « Une juge d’instruction qui sachant que je ne suis accusé d’aucune violence, a commencé à évoquer en face de moi et de mon avocat, éberlués, les attentats du 11 septembre 2011 et le terrorisme irlandais. »
    « Une juge d’instruction qui a décidé de me faire subir une expertise psychiatrique… »
    Valérie écrivait que « les limites, les frontières entre terrorisme et résistance, désobéissance et folie, terrorisme et folie, désobéissance et résistance, vont aller en s’effaçant, en se confondant. »
    Nous y sommes.
    Frédéric

  7. Mauvaise manip, une phrase a disparu de mon envoi. La voici :
    Valérie écrivait, dans un commentaire précédent, que « les limites, les frontières entre terrorisme et résistance, désobéissance et folie, terrorisme et folie, désobéissance et résistance, vont aller en s’effaçant, en se confondant. »
    On ne saurait mieux dire.

  8. Est-ce qu’en 2020 cette industrie de fleurs à bulbes c’est elle amélioré au niveau de l’usage des pesticides? Quelqu’un saurait me répondre?

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