Nos chasseurs oseront-ils en profiter ? (Appel à la trêve)

Les animaux sont morts. Beaucoup sont morts, carbonisés par la sécheresse démoniaque que nous avons déclenchée pour quelques portables de plus. Il ne faut pas rêver : quand un chevreuil, un cerf, un sanglier ne trouvent plus d’eau, ils meurent. Et ce qui vaut pour eux vaut pour tous les animaux, du blaireau à la mante religieuse, de la martre au ver de terre, du hérisson au sublime machaon. Et ceux qui n’en meurent pas tout à fait sortent de cette saison en enfer affaiblis, meurtris, parfois mourants.

Nul ne décrira jamais ce qui leur est arrivé. Cette gigantesque guerre de tous contre tous, dans laquelle la canicule faisait si peu de prisonniers. Nous ne savons pas parler d’eux. Nous ne savons pas nous lever en leur nom, pauvres humains que nous sommes. Je me demande tout de même ce qui va se passer pour eux le mois prochain. Car septembre, c’est l’ouverture de la chasse, et des millions de morts en plus dans des populations déjà fracassées par le cataclysme. Sauf si.

M.Schraen, président de la Fédération nationale des chasseurs (FNC) osera-t-il lâcher ses hordes sur les survivants ? Le président Emmanuel Macron donnera-t-il une fois de plus priorité à ses grands amis de la chasse industrielle ? Tout reste possible, car nous avons une arme (pacifique, elle) entre nos mains : la société. Je lance ici un appel à mes amis de l’Association pour la protection des animaux sauvages, à ceux de Ferus, de Mille Traces et à tant d’autres. Il faut arracher un moratoire. Il faut empêcher l’ouverture de la chasse en septembre, de manière à épargner nos frères animaux dans la détresse.

Unissons nos forces ! Lançons un mouvement irrésistible ! Que pas un animal ne soit tué par un chasseur dans les conditions horribles où nous sommes.

Le nucléaire, l’Ukraine et les sales cons

Vous le savez sans doute, sauf si vous avez coupé tous les fils : ça craint. Les Russes de Poutine accusent les Ukrainiens de Zelensky – et réciproquement – de tirer à l’arme lourde sur la centrale nucléaire de Zaporijjia, la plus grande de toute l’Europe. On commence à se demander si tout cela ne va pas se transformer en un nouveau Tchernobyl, en pire peut-être. Pas seulement les opposants de toujours et de chaque minute, comme moi, mais également les nucléocrates, y compris Français, qui ont lancé ce minable défi à l’aventure humaine il y a quelques décennies.

Les cons. Désolé, je ne vois d’autre mot pour désigner ces truffes. Les grands ingénieurs des Mines ? Des cons. Les anciens patrons d’EDF depuis les années soixante ? Des cons. Pierre Messmer, qui lança en 1974 – il était Premier ministre – le “grand” programme électronucléaire français ? Un con. Giscard d’Estaing, alors président de la République, promettant en 1980 que grâce à Superphénix, la France deviendrait l’Arabie saoudite de l’électricité nucléaire ? Un con.

Ils ont tous contribué à créer une industrie qui nie sans détour l’homme et ses petitesses, l’histoire, les sociétés. La centrale nucléaire de Zaporijjia – six réacteurs – a été bâtie entre 1985 et 1995, et se retrouve déjà sous le feu d’une guerre sans merci. En France, l’usine de retraitement de La Hague a été mise en service en 1966, après une opération-mensonge qui fit croire aux habitants qu’on construisait non pas un monstre, mais une usine de casseroles. La Hague produit surtout des déchets, promis à une durée de vie qui nous rapproche de l’idée d’immortalité.

La France, en seulement 25O ans. La révolution française et ses guerres, Napoléon premier et ses guerres, Napoléon III et ses guerres, la boucherie de 14-18, le désastre absolu de juin 1940. Et ils ont construit dans notre dos des cibles derrière lesquelles nous sommes. Ah ! les cons.

Ce n’est rien, tu le sais bien, le temps passe, ce n’est rien (air connu)

Je viens d’aller voir l’état d’une mare que j’aime, je ne sais le dire autrement. La sécheresse l’a torturée, presque à mort. Où sont les tritons ? Ou est la couleuvre vipérine dont j’observais avec passion l’immobilité ? N’allons pas plus loin : je suis malheureux.

Et furieux pour la millième fois contre ceux qui se réclament comme moi de l’écologie. Pour la millième fois, je me dis qu’il (me) faut trouver un autre mot pour se reconnaître. Car décidément, je n’ai rien à voir avec eux. Rien. Je pense bien entendu à ce Mélenchon, incapable d’écourter ses voyages en avion – il est ou était parti pour l’Amérique du Sud – pour nous parler du drame biblique que nous vivons. On le sait, il souhaite organiser en septembre une marche contre la vie chère. Car il veut que les pauvres puissent consommer davantage. Et donc contribuer plus efficacement à l’aggravation du dérèglement climatique (1).

Quant à Europe-Écologie-les-Verts, que dire qui ne m’accable davantage ? Julien Bayou et ses petits amis sont en vacances, et préparent leurs journées d’été qui prépareront les cantonales, les sénatoriales, les Européennes, les municipales, la présidentielle qui sait ? La France entière brûle, et ils jouent au volley-ball sur la plage. Beuark.

(1) Inutile d’envoyer un commentaire sur mon indifférence aux pauvres. J’ai de nombreuses fois, et ici même il y a bien peu, envisagé des mesures qui réintégreraient les smicards dans la société des nantis, mais sans émission supplémentaire de gaz à effet de serre. Mais qu’importe aux aveugles volontaires ?

Jean-François Kahn, hélas

Je suis en train de finir le tome 2 des souvenirs d’un certain Jean-François Kahn. Titre : Mémoires d’outre-vies (Malgré tout, on l’a fait, on l’a dit). Il est publié aux éditions de l’Observatoire et coûte 24 euros pour environ 600 pages. Il couvre la période qui va de 1983 au quinquennat Sarkozy – 2007-2012. Je n’ai pas, pas encore en tout cas, lu le tome 1. Il y aura certainement un tome 3.

[Je rappelle que Planète sans visa a été créé par moi, Fabrice Nicolino, à l’été 2007, et qu’il offre environ 1500 articles en accès libre, écrits spécifiquement pour ce lieu. Deux centaines peut-être ont été publiés ailleurs. La quasi-totalité sont consacrés à l’infernale crise écologique dans laquelle nous sommes, et ce papier, malgré les apparences, ne fait pas exception. Mais pour s’en rendre compte, il faudra aller jusqu’au bout de la lecture. Ou se rendre sans plus attendre dans les derniers paragraphes. Il fait chaud, ou j’exagère ?]

Qui est Kahn ? Ce qu’on doit appeler un grand journaliste. Né en 1938, il a travaillé pour les titres les plus prestigieux, du Monde à L’Express première manière, a déterré de grosses affaires, comme l’assassinat à Paris de l’opposant Medhi Ben Barka. Il a ensuite écumé les radios et télés, à commencer par Europe 1, tout en écrivant une flopée de livres, que je dois reconnaître ne pas avoir lus. Ajoutons un point important : il a créé en 1984 l’hebdo L’Événement du jeudi, puis en 1997 Marianne. Dans les deux cas, comme il l’avait annoncé – c’est assez rare pour être souligné -, il a quitté la direction de ces titres au bout de dix années.

Bon, et alors ? Alors, j’ai lu. Je dois dire avoir admiré celui qui a lancé contre le monde entier, sous les sarcasmes des confrères, sans un rond, un grand hebdomadaire, L’Événement du jeudi. En imposant un prix qui à l’époque semblait délirant : 20 francs, quand ses concurrents directs comme l’Express ou le Nouvel Obs se vendaient entre 10 et 12 francs. Moi-même en ce temps, répétant bêtement ce que tout le monde disait, je n’y ai pas cru une seconde. J’avais donc tort. Le journal ne m’a pas intéressé, qui tentait un dépassement de la droite et de la gauche par un centre « révolutionnaire » qui aurait eu de l’énergie, et défendu envers et contre tout et tous ce qui lui paraîtrait bon pour le pays. Pas pour ses élites médiatiques et politiques.

Ce récit, très intéressant, est tout à l’honneur de Kahn. Cela donne une vision assez complète, me semble-t-il, des baronnies incestueuses et autres petits marquisats qui règnent sur la politique, la presse, l’édition. Kahn, qui ne mange pas de ce pain-là, est donc courageux. Jusqu’à un certain point. Bien souvent, il ne cite pas de noms, mais oriente. Bon, d’accord, soit. Pour le reste, ma déception est grande.

Visiblement, il ne se rend pas compte qu’il aura fait partie du système dénoncé. Certes, en ses marges, mais néanmoins. Pour une raison évidente : il a accepté le cadre de cette grande misère médiatico-politique. On ne regarde qu’une facette d’une réalité mouvante et complexe, avant de décréter que le réel est là, et qu’il n’y en a qu’un. Kahn regarde par le tout petit bout de la lorgnette, et ayant critiqué la qualité de l’optique, prétend lui y voir plus clair. Mais la lunette est centrée sur de dérisoires embrouilles entre Mitterrand et Rocard, Balladur- Pasqua-Sarkozy et Chirac, etc. Son drame, c’est qu’il veut avoir raison de ceux qu’il aligne, pas changer l’angle de vision.

D’un bout à l’autre, et c’est triste – je jure que je suis sincère -, Kahn se montre un fervent franchouillard. Le monde n’existe, fugitivement, que dans le reflet d’une France qu’il aime. Et quand il se hasarde ailleurs, madonna, c’est la cata. Ainsi de l’horrible guerre civile qui a tué au moins 150 000 Algériens après 1991. Je rappelle que l’armée a empêché là-bas la tenue d’un second tour de législatives qui aurait sûrement donné le pouvoir au Front islamique du salut (FIS). Après avoir tant hésité, je me résolus à accepter cette irruption militaire sur la terre sacrée de la démocratie. On ne saura jamais ce qui se serait passé, mais l’on voit ce qu’il est advenu de l’Iran de Khomeini – quarante ans d’une sinistre dictature – et d’autres expériences sous toutes les latitudes. Confier le pouvoir à une structure totalitaire pose des problèmes très particuliers.

En tout cas, s’ensuivirent des années d’horreur, après le putsch de janvier 1992, avec la création du Groupe islamique armé (GIA). Kahn s’en prend à un supposé laxisme d’une bonne part des élites, surtout à gauche, qui auraient exonéré le GIA, contre l’évidence, de tant de massacres. Et c’est là qu’il dévore lui-même son image d’extralucide, incapable qu’il est de penser l’extrême complexité de cette situation. À l’époque, une question terrible s’est imposée, en Algérie d’abord : « Qui tue qui ? ». L’armée algérienne, aux mains d’une mafia, était accusée de manipuler le GIA, qu’elle aurait peut-être créé, et d’organiser en sous-main de nombreux massacres, de manière à détourner le peuple algérien des islamistes. Et de se rendre indispensable aux yeux de la France, de l’Europe, des États-Unis.

Je cède à mon péché habituel : la longueur. Je laisse donc tomber, ajoutant que j’ai beaucoup travaillé sur le sujet, et que j’ai par exemple longtemps rencontré Habib Souaïdia, capitaine déserteur de l’armée algérienne, et Nesroulah Yous, témoin direct du grand massacre de Bentalha. Kahn, qui n’y connaît visiblement rien, juge pourtant, aussi péremptoirement que ceux qu’il critique. Ma foi, c’est comme cela. Je sais pertinemment – je fus massacré pour le savoir – qu’il existe des islamistes fous. À profusion. Mais la guerre d’après 1991 a des zones d’ombre terrifiantes, et pour ma part, je crois que les militaires ont largement utilisé à leur profit les supposés fous d’Allah. On n’a encore jamais vu une guérilla, fût-elle islamiste, massacrer jusqu’à 150 000 personnes qui formaient pourtant sa seule base sociale. Je renvoie Kahn, qui ne se repentira jamais de ses billevesées, aux procès qui ont eu lieu à Paris, où des faits, qu’il ignorera toujours, ont pourtant été versés à ce si lourd dossier.

Et venons-en à l’essentiel. Je sais, c’est gonflé. Parler de l’essentiel après un si long article, ce n’est pas très glorieux. Mais j’ai l’habitude de moi-même, et je me tolère, bien obligé. La folie complète, chez Kahn, c’est qu’il ne consacre pas une ligne à l’événement le plus grand – de très, très loin – de l’histoire humaine. La crise de la vie, désignée par les biologistes comme celle de la sixième extinction – des espèces – n’existe pas. Ni le dérèglement climatique. Ni, un cran au-dessous, la dégradation évidente de la santé publique, pour cause – très probable – d’empoisonnement universel par les millions de molécules distinctes de la chimie de synthèse.

C’est drôle et sinistre. Kahn pense avoir la dent dure contre une caste médiatique qui traque la moindre dissidence, à commencer par la sienne. Et ne se rend pas compte, le malheureux, qu’il aura passé sa vie à ne pas considérer ce qui crevait pourtant les yeux. Comme dans La Lettre volée, de Poe, qu’on ne trouve pas pour la raison qu’elle est en boule, salie, sur un coin de bureau, comme si l’on s’apprêtait à la mettre à la poubelle. Kahn, l’histoire d’une vie aveugle.

Grave moquerie sur le dérèglement climatique (et madame Tubiana)

On connaît (presque ) tous le mot de Lampedusa dans Le Guépard : « Se vogliamo che tutto rimanga com’è, bisogna che tutto cambi ». Autrement dit, si nous voulons que tout reste comme c’est, il faut que tout change. La phrase – c’est en tout cas mon interprétation – signifie qu’on peut et qu’on doit faire des concessions de forme pour sauvegarder ce fond auquel on tient tant.

Dans le domaine du dérèglement climatique, cela s’applique merveilleusement. Je viens de tomber sur une page entière du journal Le Monde – édition de cet après-midi – qui donne la parole, avec photo, à une certaine Laurence Tubiana. J’ai souvent eu l’occasion de la critiquer ici, dès 2008 (et aussi ici, ici, encore ici, et même ). C’est une femme à mes yeux détestable, qui aura représenté le faux engagement des élites médiatiques et politiques contre le dérèglement climatique. Comme elle a fait croire à des gogos qui ne demandaient que cela qu’on agissait, eh bien, elle nous a fait perdre un temps fou, qui ne reviendra pas.

De gauche comme le sont François Hollande ou Manuel Valls, elle a mené la délégation française à la première conférence sur le climat à Kyoto, en 1997, puis est devenue membre du staff de Lionel Jospin, quand celui-ci était Premier ministre de cette même année 1997 à 2002. Notez la date, c’est précieux. Il était encore temps d’agir pour de vrai. Mais Jospin, sans l’avouer, cornaqué par son ministre et ami, le faussaire Claude Allègre, était un climatosceptique. Et rien n’a été fait. Rien. Dans le même temps, Tubiana régnait sur l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), qui accueillait parmi ses membres fondateurs des industriels aussi sympathiques que EDF, Entreprises pour l’environnement (EpE), GDF Suez, Lafarge, Saint-Gobain, Veolia Environnement. Et dans EpE, Bayer, BASF, Vinci, Total, Solvay, Thales.

Elle fut bien entendu au centre de cette COP 21 à Paris, en décembre 2015, où tant de chefs à plumes du monde entier – chez nous, les insupportables Royal, Hollande, Fabius – firent semblant d’avoir sauvé le monde du désastre, à la manière dont les Accords de Munich, à l’automne 1938, nous préservèrent de la guerre. J’arrête ici, mais madame Tubiana persévère dans son être, car c’est ainsi, nul n’y pourra rien changer. Elle est directrice d’un énième machin, la Fondation européenne pour le climat. Et c’est à cette femme que Le Monde, qui prétend être sérieux et vouloir engager le fer contre le dérèglement climatique, choisit pour lui faire dire, et je cite : « On voit d’abord que le plan actuel [le plan Biden sur la santé et le climat] est beaucoup plus ambitieux. Plus de 360 milliards de dollars [352 milliards d’euros] sur dix ans, c’est considérable ! ».

Soyez sans illusion : comme ils ne veulent pas toucher au moteur du dérèglement, qui s’appelle commerce mondial et prolifération des objets matériels, il ne se passera rien d’essentiel. Et la situation réelle du monde réel s’aggravera en conséquence. Madame Tubiana ? Dieu du ciel : elle représente le changement.