Archives de catégorie : Agriculture(s)

La betterave, le ministre et le « syndicat »

Ce texte a été publié hier le 6 août sur le site https://nousvoulonsdescoquelicots.org

——————————

Nous sommes le 6 août, et il se passe dans la torpeur de cette énième canicule un événement hors du commun : le gouvernement est prêt à remettre en circulation un pesticide interdit, l’un de ces néonicotinoïdes massacreurs d’abeilles et de tant d’autres insectes. Au motif qu’une maladie des plantes, la jaunisse virale, menace le niveau de production de la betterave industrielle. Notons que cet argument, qu’il soit sérieux ou fallacieux, peut être ressorti dans d’innombrables autres occasions. Et constatons qu’il s’agit de modifier la loi de la République pour complaire à des intérêts on ne peut plus particuliers. À ce stade, c’est une déclaration de guerre à ces millions de Français qui ont déjà exprimé, au travers du mouvement des Coquelicots ou par leurs achats quotidiens qu’ils voulaient la fin de ce système criminel.

Inutile ici de trop insister : oui, ce système irresponsable est aussi criminel, car il s’attaque au vivant, à cette chaîne si fragile du vivant, jusques et y compris à la santé des humains. La science, la science vivante – en l’occurrence le CNRS et le Muséum national – documente l’effarante disparition des oiseaux et des insectes. Pas au Penjab ou à Djibouti, en France. Ce désastre repose sur une alliance de longue date entre le ministère de l’Agriculture et ses pseudopodes, les firmes de l’agrochimie et ce si curieux « syndicat » qu’est la FNSEA, dont l’action continue semble être d’accompagner la mort des paysans et le triomphe des grosses machines et de la chimie de synthèse.

Mais revenons aux faits. Ce 6 août, le ministère de l’Agriculture a publié un communiqué par lequel il promet à l’industrie agricole de la betterave un changement de la loi. Celle-ci interdit depuis le 1er septembre 2018 sept pesticides néonicotinoïdes pour la raison certaine qu’ils s’attaquent à l’un des biens communs les plus précieux : les pollinisateurs. Qui a notamment porté cette loi aussi impérieuse que tardive ? Madame Barbara Pompili, alors secrétaire d’État à la biodiversité, aujourd’hui ministre d’État, en charge de la transition écologique. Sur son blog, madame Pompili écrivait en 2018 : « Je suis très fière d’avoir, avec d’autres, obtenu cette grande avancée dans la loi biodiversité‬ en 2016. Une pensée pour celles et ceux qui se sont battus avec moi dans un contexte difficile : Geneviève Gaillard, Jean-Paul Chanteguet, Viviane Le Dissez, Delphine Batho, Ségolène Royal et d’autres que je remercie pour leur courage et leur détermination ».

Il va de soi, dans ces conditions, qu’il n’y a pas de place dans le même gouvernement pour madame Pompili et monsieur Denormandie, le nouveau ministre de l’Agriculture. Ou l’une ou l’autre. Il n’est pas impossible que, sans s’en rendre compte lui-même, Emmanuel Macron se soit mis dans une situation infernale. Nous verrons bien. Mais dès maintenant, il faut essayer de comprendre ce qui se passe. Et la première évidence, c’est que la betterave intensive est, pour le vaste lobby de l’agriculture industrielle, au cœur de cette noble activité.

D’abord parce que c’est la première production agricole française, qui fait de notre pays le deuxième producteur au monde, mais le premier dans le domaine des biocarburants venus de la betterave. Les défenseurs de ce système ne semblent pas gênés, après avoir juré mille fois qu’ils existaient pour nourrir le monde, de distraire des quantités toujours croissantes de plantes alimentaires pour faire rouler des bagnoles. On ne sait pas si la France utilise une autre technique répandue aux États-Unis, mais on n’en serait pas surpris : là-bas, on utilise la betterave comme revêtement routier. Très pratique, paraît-il.

Donc, une industrie centrale. Bien entendu, et comme à chaque fois que le poste de ministre de l’Agriculture change de pensionnaire – M.Guillaume est sans doute en vacances au Pays basque, remplacé par M.Denormandie -, le lobby teste le petit nouveau. Sera-t-il aussi flexible que tant d’autres prédécesseurs ? Jusqu’où pourra-t-on pousser ces multiples avantages accordés à l’industrie de l’agriculture depuis désormais 75 années ?

Mais ce test habituel, ô combien réel, ne doit pas masquer une autre réalité : M.Denormandie et son cabinet étaient au point de départ (très) favorables au lobby agro-industriel, et c’est d’ailleurs pour cela et rien d’autre qu’ils sont en place. Voyons d’un peu plus près, ce sera éclairant. Qui est M.Denormandie ? Un ingénieur du génie rural et des eaux et forêts, grand corps technique d’ingénieurs d’État qui a fusionné avec celui des Ponts et Chaussées. Et que trouve-t-on dans son cabinet ? Des ingénieurs du génie rural et des eaux et forêt, comme Carole Ly ou Pierre Marie, et même un ancien employé du plus vaste lobby agro-industriel de la planète appelé ILSI – Bayer-Monsanto, BASF, Syngenta, DuPont, Dow -, Pierre Dussort. En charge au cabinet de la…souveraineté alimentaire.

Ces gens-là ne possèdent qu’une vision, quelles que soient leurs éventuelles qualités personnelles. Le corps du génie rural et des eaux et forêts truste depuis des décennies tous les postes de responsabilité publique dans le domaine de l’agriculture, et il est le grand responsable technique de l’industrialisation des campagnes et de la mort des paysans. Tout a été entrepris sous son contrôle, et souvent à son initiative : le drainage des zones humides, le remembrement et donc la disparition des bocages et des talus boisés, le « recalibrage » des rus et ruisseaux, l’usage massif des gros engins et de la chimie de synthèse. Il serait vain de demander à de telles personnes de miser sur le chant de l’alouette et le bonheur de l’agro-écologie.

Une anecdote pour finir. Nous sommes en 1970 et Jean-Claude Lefeuvre – il deviendra l’un de nos plus grands écologues – emmène ses étudiants dans le haut-bassin de la Vilaine. Ils constatent la présence dans l’eau de 10 mg de nitrates par litre d’eau. C’est tout nouveau, et cela intervient – tiens – après une opération de remembrement. Génial précurseur, Lefeuvre comprend que l’élevage industriel qui déferle et l’agriculture intensive qui s’étend vont fatalement farcir les eaux de Bretagne de ce poison. Il alerte. En 1970. Et le directeur régional de l’Agriculture, ingénieur du génie rural comme M.Denormandie, lui rétorque : « Monsieur, vous ne devriez pas affoler les populations avec des problèmes qui n’en sont pas. Il n’y a aucune raison de s’inquiéter pour les nitrates ».

En 1976, la situation est déjà dégradée, et Lefeuvre récidive devant les quatre directeurs départementaux de l’Agriculture de Bretagne, tous ingénieurs du génie rural comme M.Denormandie. Le directeur régional de l’Agriculture qui les commande – un autre que celui de 1970, mais tout autant ingénieur du génie rural – lui lance cette fois : « Monsieur Lefeuvre, s’il y a un problème, nos ingénieurs sont là pour s’en occuper ».

Ce projet de modification de la loi française en faveur des betteraviers est une pure et simple infamie

À ceux qui croient au père Noël vert

Publié par Charlie

On me demande de tous côtés – hélas, rien de moins vrai -, ce que je pense de cette fameuse « poussée verte » qui a conduit à l’élection de maires « écologistes » à la tête de quelques grandes villes. Eh bien, commençons par dire du bien de quelques-uns et unes d’entre eux. Les mairesses de Strasbourg et de Marseille – que je ne connais nullement – me paraissent être d’excellentes personnes, et ma foi, tant mieux pour les locaux. Je dois, par ailleurs, avouer ma (bonne) surprise à propos du nouveau maire de Bordeaux, Pierre Hurmic, que je n’ai jamais vu. Le voilà qui parle de décréter « l’état d’urgence climatique » et de s’attaquer pour de vrai à la bagnole, cette monstruosité sociale, économique, psychologique, écologique enfin. On verra.

Pour le reste, quoi ? Rien. Je rouvre devant toi, ma lectrice de choc, mon lecteur d’acier, un numéro de mars 1989 de l’hebdo Politis. On y lit sur la couverture, en deuxième titre : « Municipales, la percée verte ». Où veux-je en venir ? Pas loin. Tout passe, tout lasse, tout revient et disparaît. Waechter fait 3,78% à la présidentielle de 1988, Voynet 3,32 % en 1995, 1,57% en 2007, Eva Joly 2,31% en 2012. Aux régionales de 1992, les Verts et Génération Écologie obtiennent 14% des voix. Aux Européennes, Waechter arrache en 1989 la bagatelle de 10,59% quand Cohn-Bendit n’atteint que 9,72% en 1999, déclenchant pourtant des cris d’extase, surtout parmi ses nombreux amoureux transis des médias. En 2009, le même gagne 16,28%, et quand Jadot fait 13,49% en 2019, à nouveau, la presse s’enflamme et le proclame roi de France, ou peu s’en faut.

Ce n’est pas agréable à lire, mais tout cela est une bouffonnerie. D’un côté, les écolos – un mot honni sous ma plume – vont répétant que la planète est en danger, qu’il ne reste que dix ans, trois, six mois, trois jours ou quatre heures pour éviter la fin du monde, et de l’autre, ils misent tout sur l’élection suivante, qui ne change ni ne changera jamais rien.

La raison en est (presque) simple : le vote s’inscrit dans une réalité qui n’existe plus. Celle des nations, celle d’une histoire finalement immobile ou invariante, celle d’avant la crise écologique planétaire. Par chance, on peut encore se moquer. Ainsi, dans les mois qui viennent, va-t-on assister à une bagarre au couteau entre les deux prétendants pour la présidentielle de 2022 : Yannick Jadot contre Eric Piolle.

Le premier est exécré par le micro-appareil vert et son secrétaire national, Julien Bayou. Incapable d’avoir beaucoup d’amis et de soutiens, il part avec un handicap sévère. Le maire de Grenoble Piolle, en revanche, soutenu par Bayou, se voit déjà investi. Les deux n’ont aucun différend politique, mais veulent la même place. Un choc d’ambitions, un conflit entre Lilliputiens.

Une mention pour Cécile Duflot, qui a abandonné le navire en perdition en 2017. Bananée à la primaire écologiste d’octobre 2016, qui consacre son ennemi « mortel » Jadot, elle se tire chez Oxfam-France, dont elle devient directrice générale. Sans un mot d’explication sur le désastre du mouvement qu’elle a dirigé, dont le fleuron est un certain Jean-Vincent Placé, fier amoureux – authentique – de l’armée française et de Napoléon. À Oxfam, elle s’emmerde d’autant plus qu’elle a le sentiment d’avoir loupé une occase, et continue à tirer les ficelles en faveur de Piolle. Tout plutôt que Jadot.

C’est donc à pleurer, car cette pantomime condamne à l’impuissance totale ceux qui continuent à croire à ces jeux de maternelle. Et selon moi, il n’y a rien à faire. Rien à faire d’autre que de clamer cette évidence : la crise de la vie sur terre, sans aucun précédent dans l’histoire des hommes, exige une rupture mentale complète. Il faut inventer des formes neuves, envoyer au compost les anciennes, assembler toutes les énergies encore disponibles dans un vaste programme contre la destruction du monde. Peu importe que nous soyons dix, ou cinquante, ou cent au point de départ. Il n’y a pas d’autre solution que de penser. Et d’agir. Pour de vrai. Pour de bon. Y a-t-il des volontaires ?

—————————————

De la taule pour les forbans du lac de Caussade

Lac de Caussade, 77ème épisode. Le Lot-et-Garonne, où se passe l’intrigue, est un champion parmi d’autres de l’agriculture irriguée. La Coordination rurale, syndicat qui ferait passer la FNSEA pour une antenne du NPA, tient la chambre d’agriculture. Et ses charmants chefaillons décident en octobre 2018 de commencer la construction d’un lac de retenue de 20 hectares, qui sera rempli par le ruisseau de Caussade. 920 000 m3 seront ainsi mis à la disposition d’une poignée d’irrigants, 20 ou 30.

Les travaux sont entrepris sous le contrôle de la chambre d’Agriculture, illégalement. Pas très grave, car tous les officiels se sont couchés les uns après les autres. La préfète, les ministères – De Rugy, encore bravo -, les gendarmes.

Le 7 juillet encore, les charmants bambins de la Coordination rurale faisaient bénir à l’encensoir la retenue par un diacre en aube blanche, René Stuyk (1). Sans l’endurance d’Anne Roques, de France Nature Environnement (FNE), on aurait concocté dans les coulisses un arrangement, mais voilà : il existe encore des braves. Et le 10 juillet, le tribunal correctionnel d’Agen a condamné les deux matamores – président et vice-président de la chambre d’agriculture – à la taule.

Serge Bousquet-Cassagne a pris neuf mois fermes, avec révocation d’un sursis de quatre mois, et Patrick Franken huit, avec levée d’un sursis de quatorze mois. Iront-ils rejoindre les 70 000 prisonniers français ? Malgré ce qu’on pense d’eux, on ne leur souhaite pas. Et de toute façon, il y a appel. On ne sait pas encore si le barrage sera vidangé, comme le réclame FNE, mais plusieurs rapports montrent qu’il n’a pas été construit dans les règles de l’art. Et qu’il menace de se rompre.

Reste la grande leçon de cette misérable affaire : même en France, le partage de l’eau devient une question politique et morale. À qui appartient-elle ? Au plus gueulard de la bande ? Aux écosystèmes, qui rendront au centuple ce qu’on leur aura laissé ? Le lac de Caussade a des allures de guerre. Pour l’heure, picrocholine.

(1) ladepeche.fr/2020/07/07/les-batisseurs-ont-fait-benir-le-lac-de-caussade-8968314.php

——————————————–

Un Darmanin sympa au Cambodge

Dans l’histoire récente, à part le Rwanda, on ne voit pas d’équivalent. Le Kampuchéa – Cambodge – était jadis une simple contrée paysanne – nullement idyllique, seulement paisible -, avant d’être entraîné en 1970 dans la guerre au Vietnam sur décision américaine. La Chine s’en mêle, en partie responsable de l’apparition des Khmers rouges, puis le Vietnam, qui y place ses marionnettes après son invasion de 1979.

Quoi de neuf ? Eh bien Sar Kheng. Ce ministre de l’Intérieur d’un gouvernement pourtant corrompu à l’os, fait des siennes (1). Le ministre vient en effet de lancer une campagne détonante contre l’accaparement des terres. Notamment au cours d’un discours prononcé devant des cadres du régime (2).

Depuis quinze ans, le phénomène s’est accentué : le Premier ministre Hun Sen – son clan aurait planqué entre 500 millions et un milliard de dollars – vend par dizaines de milliers d’hectares à chaque fois des terres à des boîtes chinoises ou coréennes. Surtout pour les transformer en plantations industrielles.

Les conflits pour la terre, dont on parle peu dans la presse officielle, se multiplient et l’intervention de Sar Kheng vient donner raison aux milliers de petits paysans spoliés. Le ministre s’en prend sans le nommer à l’un des vice-premiers ministres, et attribue l’aggravation de la situation à des cadres de très haut rang, qui se battent entre eux pour s’emparer des terres, comme dans la province de Mondol Kiri. La solution de Sar Kheng : donner enfin des titres de propriété aux paysans. Pas mal.

(1) phnompenhpost.com/national/sar-kheng-addresses-land-rows-kingdom

(2) rfa.org/english/news/cambodia/land-07072020145521.html

Le grand Nil devient une guerre

Publié sur Charlie

La guerre ? Peut-être. Probablement. Tôt ou tard. Pour commencer, entre l’Égypte et l’Éthiopie. Après, on verra. Or, il s’agit de deux colosses, dont l’influence est à la mesure de leurs dimensions respectives. L’Éthiopie, oubliée du côté de la corne africaine, sans accès à la mer : 110 millions d’habitants. L’Égypte, pièce maîtresse de la question israélo-palestinienne : 100 millions. Entre eux, un poison liquide autant qu’une bénédiction : le Nil.

Le gouvernement d’Addis-Abeba vient de décider le remplissage d’un barrage géant sur le Nil bleu, ce bras essentiel du fleuve qui s’élance depuis le territoire éthiopien. Cela durera des années, car il s’agit d’un monstre capable d’emprisonner 75 milliards de mètres cubes d’eau. Inutile d’essayer, la représentation est impossible : 175 mètres de haut, 1,8 km de long, avec un lac de retenue de 1561 km2. Le barrage de la Renaissance devrait être le plus important barrage hydro-électrique de toute l’Afrique.

Et du coup, l’Égypte mobilise son armée, sans que l’on sache s’il s’agit d’un énième bluff. Son aviation pourrait, en théorie, bombarder le barrage. À qui appartient l’eau du Nil ? Bonne et désastreuse question. D’abord trois mots sur lui. Il a deux branches principales, dont l’une part du lac Victoria au sud, le Nil blanc. Et l’autre des hauts-plateaux d’Éthiopie, le Nil bleu. Au total, il traverse le Rwanda, le Burundi, la Tanzanie, l’Ouganda, l’Éthiopie, le Soudan et l’Égypte. Mais il longe également, par les lacs Victoria et Albert, le Kenya et la République démocratique du Congo, c’est-à-dire l’ancien Zaïre. À quoi il n’est pas absurde d’ajouter l’Érythrée, dont la puissante rivière Tekezé se jette dans le Nil Bleu.

À qui appartient le Nil ? Du temps qu’ils étaient soumis à l’Angleterre, le Soudan et l’Égypte ont tout piqué à la suite d’un traité inique signé 1929. En 1959 encore, l’Égypte signe avec le Soudan nouvellement indépendant un autre traité, pire si c’est possible : l’Égypte se réserve 55,5 milliards de mètres cubes sur les 84 milliards du débit annuel moyen du Nil, et octroie à son compère le Soudan 18,5 milliards au Soudan. Il reste 10 milliards pour tous les autres, à un moment où l’Égypte ne compte que 20 millions d’habitants. Aussi baroque que cela paraisse, il existe un principe juridique qui s’appelle « de première appropriation ».

Depuis 1959, la demande n’a cessé d’exploser, on s’en doute. Et l’Éthiopie, aussi conne que l’Égypte, a décidé de se « développer » de la même façon : usines à gogo – ici, avec capitaux chinois – villes délirantes, irrigation massive, etc. Dans ces conditions, elle n’a pas le choix : il lui faut l’eau du Nil Bleu.

Le grand malheur est que les deux pays considèrent que la question du Nil est existentielle pour chacun d’entre eux. Ce qui est vrai. L’Égypte dépend à plus de 90% des eaux du Nil, ruban d’eau au milieu d’un désert, et ne peut s’en passer. Le seul progrès envisageable serait de limiter l’évaporation du lac de barrage d’Assouan, cette merde construite par les Soviétiques, qui envoie dans l’éther, chaque année, 10 milliards de mètres cubes.

Côté éthiopien, on assure être le « possesseur originel » des eaux du Nil, ce qui confèrerait des « droits naturels ». Ajoutons au pastis que ce gros imbécile de Trump essaie en ce moment de tordre le bras de l’Éthiopie, car l’Égypte lui est précieuse dans son pathétique jeu proche-oriental.

Le sûr, c’est que le barrage – il n’est pas achevé – est là, et qu’on voit mal l’Éthiopie le détruire. Le sûr, c’est que l’Égypte menace celle-ci depuis des années d’une guerre ouverte. Le sûr, c’est qu’il n’y a en fait qu’une voie encore ouverte : changer radicalement de modèle, et adapter les besoins à ce que les écosystèmes peuvent offrir. Pour l’heure, les militaires égyptiens et Abiy Ahmed, Premier ministre éthiopien – sans rire, il est prix Nobel de la paix – préfèrent miser sur la magie. Où l’on voit que l’écologie est la seule manière humaine de s’attaquer à des conflits qui n’ont plus aucune solution dans le cadre habituel. L’écologie ou la guerre.

—————————

Denormandie, ministre attendu au tournant

Un beau petit jeune homme nous est né : Julien Denormandie. Le nouveau ministre de l’Agriculture est de formation ingénieur du génie rural (corps d’État devenu Ingénieurs des Ponts, des Eaux et des Forêts). C’est à noter, car bien qu’il soit trop jeune pour avoir agi, ses aînés sont les grands responsables techniques de la destruction des campagnes et du bocage, des haies et des talus boisés, au travers d’un procédé productiviste appelé remembrement.

Mais chacun a le droit de changer, surtout quand on n’a pas quarante ans. Attendons donc, sans trop d’illusions. La carrière du ministre précédent, Didier Guillaume, s’achève dans un pur et simple déshonneur. L’élu de la Drôme qu’il était a bataillé en faveur de la bio, mais arrivé rue de Varenne, siège du ministère, Guillaume s’est aussitôt couché dans un grand lit où l’attendait tout l’état-major de la FNSEA. Et il n’aura jamais été qu’un porte-voix de ce si étrange « syndicat ».

L’une de ses dernières interventions donne le ton : le 26 juin, alors que la promesse officielle était l’interdiction du glyphosate, Guillaume lâchait à la radio cette énormité : « On n’y arrivera pas, au “zéro glyphosate”, il faut dire la vérité. (…) Parce que si on dit “zéro glyphosate”, on arrêtera de produire de l’alimentation. »

Denormandie fera-t-il mieux ? Ce ne sera pas difficile, mais la question du glyphosate reste centrale. Les braves gens qui nous gouvernent se souviennent-ils que l’agriculture a 10 000 ans d’âge et le glyphosate – en tant qu’herbicide – 46 ans ?

Aux États-Unis, Bayer-Monsanto avait promis d’allonger 9 milliards d’euros pour indemniser 100 000 plaignants qui attribuent leur cancer à l’épandage de glyphosate, avant de retirer son offre. Mais en France, on a le temps, sauf peut-être Denormandie. Dès le premier jour, le grand lobby industriel appelé l‘Association nationale des industriels de l’agroalimentaire (ANIA), lui a envoyé un petit mot. En résumé, « l’ANIA se tient prête à participer activement au dialogue que le ministre instaurera avec tous les acteurs de la chaîne alimentaire ». Derrière les mots, les crocs.

————————

Au Mexique, un train fou déferle en pays maya

Des nouvelles du Mexique, sans les sombreros, sans les mariacheros – les adeptes du mariachi -, mais avec de vrais Indiens mayas. Rappel des faits : El tren maya (trenmaya.gob.mx, site de propagande) est un projet de voie ferrée de 1525 kilomètres, qui traverserait les États de Tabasco, de Campeche, de Quintana Roo et du Chiapas. En somme, le prodigieux Yucatan serait coupé en deux.

Officiellement « para mejorar la calidad de vida de las personas, cuidar el ambiente » Améliorer la qualité de vie et soigner l’environnement. Telle est l’obsession d’AMLO, le président « de gauche » élu en décembre 2018. Pas question d’avouer qu’on veut ainsi favoriser l’accès des touristes aux sites archéologiques de Cancún, Tulum, Calakmul, Palenque et Chichen Itzá.

Les opposants gueulent, et de plus en plus fort, tant les dégâts écologiques et culturels seraient monstrueux. Un nouveau document vient montrer que ce train fou accélèrerait l’exode rural dans toute la région traversée (1). Sans grande surprise, explique le texte, le projet entraînerait « la incorporación de las tierras y bienes naturales al desarrollo de actividades extractivistas y al mercado inmobiliario ». Autrement dit, la terre et les biens naturels seraient mis au service des activités minières et du marché immobilier.

En somme, on sait très bien que le train provoquera des expulsions massives dans des communautés installées depuis des siècles et la prolétarisation de nombreux paysans. On sait tout. Et la gauche européenne, y compris radicale, se tait.

(1) ccmss.org.mx/ccmss-tren-maya-nuevo-impulso-a-la-desruralizacion-de-la-peninsula-de-yucatan/

Une seule sauterelle bondissante

Les amis, presque rien. Où j’habite, la sécheresse pointe son nez sous un soleil radieux, après tant de mois de pluie intense. Nous allons vers les beaux jours du dérèglement climatique. Et néanmoins, hier, quelques heures d’un petit bonheur que je partage volontiers avec vous.

Une maraîchère vaillante et jeune, qui reprend la ferme de ses parents. Nous avions rendez-vous chez elle, pour un sérieux coup de mains. Nous, une douzaine de voisins et d’amis. Il s’agissait de monter en cadence les arceaux de deux serres – 900 m2 au total – et de les placer dans des poteaux métalliques préalablement fixés au sol. C’est un boulot intense, qu’il faut coordonner, et bien sûr ne pas louper. Je parle là de près de trente arceaux géants à chaque fois, à lever au signal, à maintenir par miracle dans l’air chaud, puis à les faire descendre à coups de talon puissants dans leur réceptacle, plus d’une fois légèrement tordu.

Ce fut joyeux. Heureux, même, avec des pauses où coulait la bière fraîche, et selon moi, rien ne vaut une bière fraîche au milieu d’un boulot qu’on aime. Ce travail-là, bénévole, coopératif et solidaire, je dois dire que je l’ai adoré. Il m’a semblé en rentrant que nous offrions ensemble le spectacle d’un monde encore possible. Où tout redeviendrait comme avant. Comme au temps des sauterelles, par exemple.

Le père de la maraîchère, un type solide, capable de toutes les torsions, de toutes les trouvailles techniques, menait le chantier. J’ai parlé avec lui, lui demandant si je ne (me) racontais pas des sornettes. Je lui ai dit à peu près : « Dis-moi franchement, j’ai rêvé, ou quoi ? Dans ton jeune temps, ici même, est-ce qu’il y avait des sauterelles par millions dans les champs ? ». Et il m’a répondu à peu près cela : « Tu vois le champ derrière la haie ? C’était une prairie naturelle. On ne la retournait pas, on ne la semait pas de ray-grass, et il y avait de tout. Des sauterelles, des criquets, des grillons, des vipères, des papillons. Et puis sont arrivés les pesticides. Moi, tu vois, j’en ai mis, comme tout le monde. On passait un désherbant le long de la clôture, pour que les plantes ne finissent pas par arrêter l’électricité dans le fil. Ça faisait une ligne impeccable. Et puis on a vu que les châtaigniers crevaient. Et on a arrêté. J’ai arrêté en 2006, mais je suis le seul, dans le coin, et si j’en parle avec des collègues, ils deviennent fous ».

Sa fille, vaillante, entreprenante, intelligente, charmante, est bien entendu en agriculture biologique. Mais pour le moment, amis, les sauterelles ne sont pas revenues. Comme Pasolini jadis à propos de la luciole, j’échangerais volontiers une sauterelle bondissante contre la totalité de leur système de mort.

Faut-il arrêter les épandages de pesticides ?

Ce qui suit est, à nouveau, un communiqué du mouvement des Coquelicots, dont je suis le président.

—————————————————

Redisons-le encore une fois. Le mouvement des coquelicots n’a jamais attaqué et n’attaquera jamais les paysans. Nous refusons, radicalement, une pratique agricole détestable, qui empoisonne par les pesticides tous les êtres vivants, dont nous, toutes les formes vivantes. Mais nous voulons ardemment de nombreux paysans dans les campagnes. Sans la présence de millions d’entre eux en France, redevenus agronomes, attentifs à la terre, attentionnés, la France ne fera pas face aux terribles menaces de l’avenir, dont le dérèglement climatique.

Cette position de principe nous permet de parler sans crainte de ce qui se passe aujourd’hui. Une grande opération de com est en cours, à l’initiative de la FNSEA. Elle consiste à présenter l’agriculture industrielle comme la sauveuse de la société française, en s’appuyant sur l’éternelle courroie de transmission qu’est le ministère de l’agriculture. L’épidémie de coronavirus est utilisée pour effacer des dizaines d’années de critiques fondées d’un modèle qui a, au passage, fait disparaître la paysannerie, peu à peu transformée en machine de guerre exportatrice au service de quelques-uns.

Nous apprenons en cette fin mars 2020 que de nombreux confinés découvrent ce que sont les épandages de pesticides. Enfermés avec leurs gosses, il leur faut supporter à quelques mètres de leurs fenêtres la vaporisation de produits souvent très toxiques. On se protège donc d’un virus en rapprochant ses cibles d’un poison? C’est irresponsable.

Une étude scientifique toute récente, que certains contestent, établit des liens puissants entre la pollution de l’air et la circulation du coronavirus. Les particules fines pourraient servir d’accélérateur de la contamination. Au-delà, rappelons que la pollution de l’air tue chaque année dans l’Union européenne 659.000 personnes qui ne demandaient qu’à vivre. Et nul doute que cette pollution affaiblit les corps et en créant des pathologies respiratoires et cardiaques, prédispose ses victimes à des formes plus graves d’infection par le coronavirus. L’affaissement constaté de la circulation automobile et des activités industrielles est, de ce point de vue, une excellente nouvelle, ou pourrait l’être.

Mais les constatations d’organismes officiels comme Airparif sont extrêmement préoccupantes. Dans bien des villes, la qualité de l’air ne s’améliore pas ou peu, et parfois même se dégrade en ce qui concerne les particules fines de l’air. Une question légitime se pose: les épandages d’engrais et de pesticides, qui redémarrent partout en France, peuvent-ils être une source de pollution de l’air, et jouer en ce cas un rôle néfaste dans la propagation du virus?

Un groupe de scientifiques de Strasbourg s’interroge publiquement: «Tous les ans, à la même période, les épandages agricoles sont responsables de pics de pollution printaniers durant les mois de mars à mai. Ces particules printanières sont, de par leur composition, moins toxiques que des particules de combustion issues par exemple du trafic routier néanmoins elles vont également servir de vecteur de transmission au virus. Ces particules peuvent voyager sur plusieurs kilomètres et donc transporter également le virus sur de longues distances!». En conséquence, ils appellent les préfets «à prendre des mesures urgentes visant à limiter drastiquement les émissions liées aux épandages agricoles».

La FNSEA, par la voix de sa section départementale du Finistère a déjà répondu non. Selon elle, il serait «difficilement acceptable, au vu (…) du contexte particulier Covid 19, que les agriculteurs plébiscités par l’ensemble de la population pour assurer leur approvisionnement alimentaire, soient ainsi montrés du doigt et empêchés de réaliser les travaux agricoles nécessaires à leur acte de production».

Une manière comme une autre de détourner l’opinion d’une évidence: les pratiques agricoles industrielles sont massivement refusées par la société. Ce n’est pas en niant les faits que l’on pourra lutter efficacement contre le coronavirus. Face au drame actuel, nul n’est intouchable. Nous avons le droit et le devoir de continuer à parler haut et clair. Bien sûr, il faut préparer les récoltes et nourrir le pays. Mais on peut le faire sans se mettre la tête dans le sable. Oui, il va falloir changer. Ensemble.