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M.Mélenchon, la Chine et la Russie

Il est certain que je n’aime guère le parcours de ce monsieur Mélenchon, que suivent néanmoins tant d’excellentes personnes. Je n’aime pas ses années dans le groupe nommé OCI, pour Organisation communiste internationaliste, car on y pratiquait le sexisme le plus bas, la triche aux élections universitaires, la violence contre tous ceux jugés gênants, et jusqu’au refus dédaigneux de participer au mouvement de mai 1968. Je n’aime pas davantage ses 31 ans passés au parti socialiste, où il aura pu exercer les pratiques apprises plus tôt. Avant de devenir ce qu’il a toujours été : un politicien professionnel.

Mais baste ! Il est écologiste, n’est-ce pas ? Eh bien non. Il est écologiste comme Mitterrand – son héros, je le rappelle – prétendait terrasser le capitalisme. Je ne doute pas qu’une partie de lui est sincère, mais laquelle, et jusqu’où ? J’ai été une nouvelle fois frappé par ses déclarations au sujet de la Chine, et de la Russie. En octobre 2012 – neuf ans déjà -, il estimait ceci : « Je considère que le développement de la Chine est une chance pour l’humanité ». Et le voilà maintenant qui se livre à de surprenants développements « géostratégiques ».

D’abord le 20 octobre dernier, face au journaliste Jean-Jacques Bourdin, il assure que « les Chinois n’ont pas l’intention d’envahir Taïwan, mais si Taïwan se déclare indépendant, alors il est possible que la Chine, à juste titre, trouve qu’une ligne rouge a été franchie ». C’est déjà très extraordinaire, car j’ai un peu honte de rappeler que la Chine est un État totalitaire. Taïwan, par ailleurs, a une histoire fort complexe, au cours de laquelle des peuples aborigènes ont été envahis par des Chinois venus du continent. L’île a aussi été vendue au Japon en 1895 avant de redevenir « chinoise ». Dans ces conditions, pourquoi M.Mélenchon, qui ne connaît rien à la situation, prend-il le parti de la dictature en justifiant à l’avance une invasion ?

Le 11 novembre, M.Mélenchon accorde un entretien au Figaro, et déclare : «Je ne crois pas à une attitude agressive de la Russie ni de la Chine. Je connais ces pays, je connais leur stratégie internationale et leur manière de se poser les problèmes. Seul le monde anglo-saxon a une vision des relations internationales fondée sur l’agression. Les autres peuples ne raisonnent pas tous comme ça ». De nouveau, c’est très singulier. La Chine, en effet, est l’histoire même d’agressions contre les autres peuples et de conquête de territoires.

L’origine de l’expansion chinoise se situe dans le bassin intérieur du fleuve Jaune, et pendant des siècles, les guerriers chinois n’ont fait qu’avancer, ajoutant à l’Empire des provinces comme la Mongolie intérieure, la Mandchourie, le Xinjiang, le Tibet. Quant à la Russie, n’a-t-elle pas conquis l’Asie centrale, la Sibérie, le Caucase, pratiquement annexé les pays baltes ? Et ne parlons pas des pays de l’est de l’Europe après 1945, privés de liberté par la seule présence de l’Armée rouge, ou l’Afghanistan. Dans ces conditions, est-il vrai que M.Mélenchon connaît bien ces pays ?

Reposons la question : est-il écologiste ? S’il le croit, franchement, c’est qu’il est mal informé sur lui-même. Car la Chine est le plus terrible ennemi existant des écosystèmes. Bien entendu, le capitalisme, les transnationales, notre hyperconsommation de biens matériels, Macron, Biden et tous autres participent aussi à la destruction du monde. Mais la Chine pose des problèmes immédiats d’une autre nature. Une partie notable de son 1,4 milliard d’habitants veut consommer comme chez nous. Aussi stupidement. Aussi irresponsablement.

Car ce n’est possible qu’au prix d’une accélération mondiale vers le collapsus écologique. La Chine, pour commencer, ne dispose que de 9% des terres arables de la planète et doit nourrir 22% de la population mondiale. Avec de plus en plus de viande, ce qui impose des surfaces colossales de pâturages et de cultures pour nourrir les animaux. Qui n’existent pas en Chine. Telle est l’une des raisons, avec le pétrole et le gaz, qui a poussé la Chine totalitaire à s’imposer en Afrique, du nord au sud et de l’ouest à l’est, à y accaparer des terres par millions d’hectares, à y vendre massivement ses colifichets, à y construire routes, ports et chemins de fer, à câliner des élites qui connaissent de longue date le délice des comptes secrets. La Chine en Afrique ? C’est notre Françafrique des années 60, à la puissance dix.

Si vous avez le moindre doute, et si vous comprenez un peu l’anglais, je vous en prie, lisez ceci. Je n’ai pas le temps de plus détailler. Mais la Chine est partout où il est question de saloper le monde. Les forêts du Cambodge et du Laos, si uniques, sont dévastées par ses bûcherons, et tant d’autres par le monde, jusqu’en Sibérie, jusqu’au Guyana, jusqu’en France, d’où l’on expédie nos plus beaux hêtres. Le fleuve Mékong, l’une des grandes merveilles du monde, est en train de mourir, barbelé de quantité de barrages hydro-électriques dont l’énergie est aussitôt envoyée en Chine. Même l’Arctique, le fond de l’océan Arctique, avec son pétrole et son gaz, est devenu une cible.

Et cela ne suffit pas. Et cela ne suffira jamais. En dehors de la dévastation de la Grande Prairie américaine par les pionniers – et ses suites -, je ne vois guère d’équivalent dans l’histoire des hommes. Pour en revenir à M.Mélenchon, écologiste, vraiment ? Qui est incapable de comprendre le rôle si majeur de la Chine mérite-t-il le qualificatif ? Hum.

600 000 caméras sur le visage

Pour Laurent Fournier

Hyderabad, au sud de l’Inde. Une ville d’environ 10 millions d’habitants, que les autorités sont en train de transformer en un laboratoire de l’horreur. En effet, autour de 600 000 caméras auraient été installées partout, de manière à surveiller le moindre mouvement bien sûr. Mais aussi pour servir d’étalon à un plan cohérent de reconnaissance faciale de la population générale.

Oui, il s’agit de créer hors de tout contrôle une base de données gigantesque où, à terme, la police disposerait du visage numérisé de tous les habitants. D’ores et déjà, des policiers demandent à des passants qui n’ont strictement rien fait d’abaisser leur masque s’ils en portent un, pour qu’ils puissent prendre un cliché de leurs yeux, de leur bouche, de leur nez. Ça servira plus tard. En théorie, on n’a pas le droit. En réalité, on le fait.

Ainsi donc, la Chine n’est pas le seul pays à se lancer dans l’aventure totalitaire du contrôle facial. Il est à craindre que les politiciens de là-bas, et bientôt d’ailleurs, ont parfaitement compris que la situation échappe aux méthodes habituelles. Le dérèglement climatique notamment, si lourd de menaces de dislocation sociale, place les États dans une situation très difficile. Comme ils n’entendent rien faire dans ce domaine, il leur faut préparer des moyens de coercition susceptibles de maintenir le pouvoir de leurs élites dans un monde qui basculerait.

Cela n’épuise pas le sujet. Cela n’est pas la seule explication. Mais c’en est une. Et maintenant, ci-dessous, l’extraordinaire communiqué d’Amnesty International.


COMMUNIQUÉ DE PRESSE
 
Mercredi 10 novembre 2021
 
Inde. Hyderabad est « sur le point de devenir une ville sous surveillance totale » – Nouvelle phase de la campagne Ban The Scan
La surveillance généralisée dans la ville d’Hyderabad, en Inde, est une menace pour les droits humains, a déclaré Amnesty International mercredi 10 novembre 2021 dans le cadre d’une nouvelle phase de sa campagne Ban The Scan, qui vise à faire interdire les technologies intrusives de reconnaissance faciale.
La capitale de l’État du Télangana – l’une des villes les plus surveillées au monde – a commencé la construction d’un « centre de commande et de contrôle » qui ne présage rien de bon, dans l’objectif de connecter en temps réel l’immense réseau de caméras de surveillance à reconnaissance faciale de l’État. Par ailleurs, selon une étude menée par l’Internet Freedom Foundation, l’État du Télangana est l’État indien qui compte le plus grand nombre de projets liés aux technologies de reconnaissance faciale.
« Hyderabad est sur le point de devenir une ville sous surveillance totale. Il est presque impossible d’y marcher dans la rue sans risquer de s’exposer à la reconnaissance faciale », a déclaré Matt Mahmoudi, chercheur sur l’intelligence artificielle et les mégadonnées à Amnesty International.
« Outre les caméras de surveillance, nous craignons que la pratique des forces de l’ordre consistant à utiliser des tablettes numériques pour arrêter, rechercher et photographier des personnes civiles sans aucune inculpation ne serve à des fins de reconnaissance faciale. »
« Les technologies de reconnaissance faciale peuvent déterminer qui vous êtes, où vous allez, ce que vous faites et qui vous connaissez. Elles menacent les droits humains, notamment le droit au respect de la vie privée, et mettent en danger certaines personnes parmi les plus vulnérables de la société. La construction du centre de commande et de contrôle est particulièrement préoccupante pour les droits à la liberté d’expression et de réunion », a déclaré Quinn McKew, directrice d’ARTICLE 19.
« Il n’existe actuellement aucune législation pour protéger la vie privée des citoyens et des citoyennes – la reconnaissance faciale est une technologie préjudiciable et invasive, et il est impératif que les autorités indiennes mettent immédiatement un terme à son utilisation », a déclaré Anushka Jain, avocate-conseil spécialisée dans la surveillance et la transparence au sein de l’Internet Freedom Foundation.
En Inde, les autorités utilisent depuis longtemps des technologie de reconnaissance faciale dans des contextes où les droits humains sont en jeu, notamment, parmi les exemples récents, pour faire appliquer les mesures de confinement liées au COVID-19, pour identifier les électeurs et électrices lors des élections municipales, et pour maintenir l’ordre pendant des manifestations. Les droits des musulmans, des dalits (opprimés), des adivasis (aborigènes), des personnes transgenres et de toutes les catégories de la société historiquement défavorisées sont particulièrement menacés par la surveillance de masse.
Ces recherches sur l’Inde marquent une nouvelle phase de la campagne Ban The Scan d’Amnesty International, après des recherches sur la surveillance dans la ville de New York parues début 2021. Les recherches sur Hyderabad sont menées en partenariat avec l’Internet Freedom Foundation et ARTICLE 19.
Amnesty International demande une interdiction totale de l’utilisation, du développement, de la production, de la vente et de l’exportation, tant par le secteur public que privé, des technologies de reconnaissance faciale à des fins de surveillance de masse.
Le harcèlement automatique à Hyderabad
Depuis quelques années, l’État du Télangana expérimente le renforcement de l’usage des technologies dangereuses de reconnaissance faciale contre la population civile.
Situé dans les collines de Banjara, à Hyderabad, le centre de commande et de contrôle devrait permettre le traitement simultané des données issues de jusqu’à 600 000 caméras, avec la possibilité d’élargir encore sa portée dans la région. Ces caméras peuvent être utilisées en combinaison avec le logiciel actuel de reconnaissance faciale de la police d’Hyderabad afin de localiser des personnes.
Avec l’aide de bénévoles locaux, Amnesty International, l’Internet Freedom Foundation et ARTICLE 19 ont cartographié les emplacements des caméras de surveillance extérieures visibles dans deux quartiers d’Hyderabad – Kala Pathar et Kishan Bagh. À partir d’analyses géospatiales, il a été estimé que, dans ces quartiers, au moins 530 864 et 513 683 mètres carrés, respectivement, étaient couverts par des caméras de surveillance – soit un total respectif impressionnant de 53,7 % et de 62,7 % de la superficie totale.
Amnesty International a découvert, sur des images vidéo partagées sur les réseaux sociaux entre novembre 2019 et juillet 2021, des dizaines de situations dans lesquelles des policiers d’Hyderabad ont demandé à des passant·e·s d’enlever leur masque pour les photographier, sans leur fournir aucune explication. Sur d’autres images, on voit des policiers prendre de façon aléatoire les empreintes digitales et une photo du visage de personnes civiles.
En vertu de la Loi indienne de 1920 sur l’identification des prisonniers, la police n’a le droit de photographier que des personnes arrêtées ou inculpées, et n’est pas autorisée à partager ces photos avec d’autres organes chargés de l’application des lois.
Le contrôle des technologies de reconnaissance faciale en Inde
En juillet 2021, Amnesty International a contacté cinq entreprises (IDEMIA, NEC India, Staqu, Vision-Box et INNEFU Labs) pour leur demander des informations complémentaires sur leurs activités liées à la reconnaissance faciale en Inde et sur leurs éventuelles lignes de conduite relatives aux droits humains.
Elle n’a reçu qu’une réponse d’INNEFU Labs, affirmant que « l’utilisateur n’a aucune obligation de respecter de quelconques conditions d’emploi imposées par le vendeur ». L’entreprise n’a en revanche pas répondu aux 14 autres questions posées par Amnesty International. Dans une autre lettre en réponse à une précédente enquête d’Amnesty International, INNEFU Labs avait déclaré ne pas avoir « de ligne de conduite officielle sur les droits humains », mais « respecte[r] le droit indien et les lignes directrices du pays ».
En vertu des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, toute entreprise doit disposer d’une ligne de conduite relative aux droits humains et prendre des mesures pour identifier, prévenir et atténuer toutes les menaces que ses activités peuvent faire peser sur les droits humains et tous les risques auxquels elle est liée du fait de ses relations commerciales, de ses produits ou de ses services, et rendre des comptes à ce sujet.
Les technologies de reconnaissance faciale constituent par nature une menace pour les droits humains, or ces cinq vendeurs n’ont pas démontré qu’ils prenaient les mesures nécessaires pour traiter ou atténuer les risques liés à la fourniture de telles technologies à des agences gouvernementales.

Une réponse à Greg sur la bagnole électrique

Ce qui suit est une réponse à un lecteur de Planète sans visa, dont on trouvera le texte dans les commentaires. Deux autres lecteurs lui ont déjà adressé des remarques fort intéressantes, mais j’y joins les miennes, car le sujet, Dieu sait, importe.

Cher Greg,

J’étais occupé ailleurs, sinon j’aurais répondu plus tôt. D’abord et avant tout, ton « progressisme » me laisse un peu pantois. J’y vois la marque, et ce n’est pas péjoratif, d’une pensée magique qui s’insinue tôt ou tard dans tous les esprits. La science a toujours trouvé des alternatives, dis-tu ? Quelle science ? Celle qui s’est mise au service des intérêts industriels et militaires, dont il serait douteux de dire qu’elle sert des intérêts humains ? Des alternatives à quoi ? Chaque « avancée » technologique enchaîne davantage les hommes et repousse à plus loin les solutions. Pensons ensemble au transhumanisme et à la promesse de l’intelligence artificielle

Nous vivons l’heure de la numérisation du monde, révolution s’il en est, qu’il est visiblement interdit de critiquer sur le fond, et déjà on veut nous entraîner plus loin. N’est-il pourtant pas évident que c’est ce chemin technologique-là, fait de nouveautés incessantes, qui nous a plongés dans cette gigantesque impasse ? Greg, tu te contenterais donc de faire de nouveau confiance à ces gens-là ?

Autre question fort importante : la bagnole électrique. Enfin, voyons. Ne vois-tu pas qu’il s’agit d’un gigantesque plan de relance planétaire d’une industrie en panne historique ? Les marchés du Nord sont saturés – on imagine mal cinq bagnoles par foyer – et ceux du Sud, de loin, bien moins rentables. Toute industrie est programmée pour avancer vaille que vaille, sans autre considération. Il fallait trouver quelque chose pour sauver ce qui est, dans un pays comme la France, le centre de l’économie réelle. Bien sûr, on affirme que cela sera bon pour le climat. Comme les biocarburants, qui affament un peu plus les gueux. Comme le nucléaire qui menace de grands espaces de vitrification et diffuse des techniques qui seront tôt ou tard militarisées. Les communicants de ce monde en faillite on trouvé dans la crise climatique un argument en or massif pour pouvoir continuer leur route mortifère.

Je ne veux pas même discuter en détail du cycle de vie de la bagnole électrique. Peut-être est-il (un peu) meilleur que celui de la bagnole thermique, bien que je ne le croie pas. Mais ce n’est pas exactement le problème. Le problème est qu’on va émettre des quantités formidables de gaz à effet de serre pour leur construction – l’acier, par exemple -, au moment même où il faudrait réduire de 80% nos émissions. La bagnole électrique est le symbole évident que rien ne sera fait. Et c’est pourquoi il faut l’attaquer frontalement.

Puis, Greg, pardonne-moi, mais tu acceptes de devoir le confort d’une bagnole électrique à des esclaves et à la dévastation écologique loin de nos yeux ? Dis-moi que je me trompe.

Dernière chose enfin. Par quoi remplacer la bagnole ? En préambule, je tiens à redire pour la centième fois que certaines situations sont sans issue. On appelle cela le tragique, que tant, surtout s’ils sont « progressistes », ont du mal à considérer. Mais en l’occurrence, ce n’est pas le cas. On peut parfaitement imaginer un plan de rénovation massive des bagnoles thermiques, en IMPOSANT aux constructeurs l’installation de moteurs ne dépassant as 1 à 2 litres pour 100 kilomètres, en libérant ces derniers de l’électronique qui ne sert que les marchands, de manière à rendre leur liberté d’auto-réparation à ces centaines de milliers de bricoleurs émérites que compte ce pays. Une voiture est susceptible de durer une vie entière dès lors que ses pièces peuvent facilement être changées ou réparées. Et bien sûr, parallèlement, il faut prévoir des plans de circulation incluant au maximum les transports publics, qui limitent sans bien sûr les interdire, les déplacements. En somme, on économise tout, drastiquement, en attendant de trouver mieux. Ce qu’on appelle une économie de guerre. Ne sommes-nous pas en guerre ?

Dernier, dernier point. Un choix décisif a été fait dans les années vingt du siècle passé. La bagnole individuelle aura joué un rôle très sous-estimé dans le développement accéléré de l’individualisme, cette maladie mentale qui nous tue. La prolifération des objets matériels, seul fondement véritable du capitalisme vieillissant, modifie inéluctablement la psyché des humains, en repoussant toujours plus loin des solutions collectives qui sont les seules efficaces. Je te conseille, Greg, et à tous d’ailleurs, d’aller regarder la carte du réseau ferré en 1921 en France, ce qu’on appelle le Grand Chaix (c’est ici et c’est spectaculaire). N’est-ce pas admirable ? Il y avait des bouts de ligne dans la moindre vallée, jusqu’en moyenne montagne. Je dis, j’écris, j’affirme que sur cette base, on pouvait bâtir une autre civilisation des transports. Avec l’intelligence technique des humains, que je juge grande, on eût pu trouver un système souple, mixte, mêlant train et engins collectifs, répondant parfaitement aux besoins. C’est la politique, et le génie des communicants de Michelin qui en auront décidé autrement.

Alors non, cher Greg, non et cent fois non.

Fabrice Nicolino

La Cop26 comme si j’y étais

Je ne lis pas une ligne, ou alors par hasard, sur cette maudite vingt-sixième édition de la COP, ou Conférence des Parties à la CCNUCC, qui signifie Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Le seul vocabulaire employé est d’une langue inconnue, qui ne parle qu’à quelques centaines de gens embedded, comme on dit des journalistes embarqués par quelque institution, militaire au départ, pour raconter le terrain. Je défie quiconque ne fait pas partie de cette si vilaine tribu d’y comprendre quoi que ce soit.

Bien sûr, cela ne servira à rien. Je l’ai écrit tant de fois depuis trente ans – trente ans ! – que les doigts en tremblent un peu. Je ne vais pas tout reprendre, soyez rassurés. Contentons d’un point, évident et crucial : l’aliénation par la possession d’objets matériels. Elle est flagrante et peut se résumer ainsi : vers 1965 – j’avais dix ans -, une famille (très) pauvre comme la mienne n’avait à peu près rien. Une machine à laver Zanussi, qui bien que brave, tombait en panne sans que nous eussions de quoi la faire réparer. Une table branlante, quelques chaises dépareillées, des sommiers qui rendaient l’âme. Dans notre immeuble HLM de Seine-Saint-Denis, nous étions certainement au bas de l’échelle sociale, qui pourtant ne menait pas très haut.

Et alors ? Nous ne connaissions pas la faim, juste la gêne d’acheter sa bouffe à crédit, ni le froid, et la Sécu était là pour les coups durs. Loyer, dont j’ai retrouvé un bordereau : 11 000 anciens francs par mois. 110 francs, donc, car les nouveaux francs avaient fait disparaître les vieux. Soit le pouvoir d’achat, d’après les tableaux de conversion de l’INSEE de 150 euros en 2020. Nous vivions. Comme des pauvres.

55 ans plus tard, la mégamachine – appelons cela par commodité le capitalisme – a transformé chacun d’entre nous en machine secondaire, dans laquelle il faut enfourner en permanence, faute de quoi tout s’arrête, tout. Ce système fou, qui repose sur l’usage de plus en plus hystérique d’objets jetables, n’a certes pas créé l’individualisme ambiant, qui est l’une des sources principales du désastre en cours. Le phénomène est ancien, et fort complexe. Mais d’un autre côté, la prolifération d’objets matériels individualisés – pensons à la bagnole – a profondément accéléré la dislocation des vieilles relations, des anciens manières de coopérer, de s’entraider. L’objet finit par modifier la psyché.

Le téléphone portable est pour le moment l’acmé de cette transe collective. J’ai toujours pensé et maintiendrai que c’est une merde, qui a ajouté à notre incapacité à affronter le réel ensemble. Et je vous en prie, épargnez-vous les commentaires sur son utilité, car je connais. Et je maintiens mon propos. Or aucune force politique, même “écologiste”, même mélenchoniste, ne s’est seulement posé la question de ce déferlement perpétuel. Je vous le dis : quand va-t-on poser les bonnes questions ? Sans mise en cause radicale de ce qui fonctionne comme le réacteur nucléaire du dérèglement climatique, nous resterons dans l’incantation.

Vous savez tous, dans les grandes lignes, le cauchemar écologique qu’est la numérisation totale du monde. Mais osez donc cette question : pourquoi aucune force politique ne pose la question des objets ? Et pendant que j’y suis, notez avec moi qu’aucun mouvement français ne remet en question l’arrivée de la bagnole électrique. Aucun, j’ai vérifié. Pourquoi ? Probablement parce que nos représentants ont trop peur d’affronter une opinion qu’ils jugent impossible à convaincre. Et sûrement parce qu’au fond d’eux-mêmes, ils pensent que c’est un “progrès”. Progressisme quand tu nous tiens.

Malgré les surpuissantes campagne de désinformation commerciale, plusieurs faits certains demeurent. D’abord, si l’on considère la cycle de vie global de la bagnole électrique, il n’y a pas de différence significative avec la bagnole thermique. En termes d’émissions de gaz à effet de serre. Lisez donc le formidable Guillaume Pitron (La guerre des métaux rares, L’Enfer numérique, LLL), qui nous prédit un electricgate d’ici quelques années. L’industrie automobile, qui était dans une panne historique, liée notamment à la saturation des marchés, repart pour 50 ans. Sur fonds publics alléluia !

Ensuite, et chacun le sait tout en s’en moquant éperdument, les éléments qui composent les bagnoles électriques imposent l’existence de mines en Chine, en Afrique, en Bolivie, au Mexique, où des milliers d’esclaves, dont des gosses, cracheront leurs poumons pour que nous puissions consommer leur extrême malheur. Et je ne parle pas des désastres écologiques que sont ces dizaines, ces centaines de mines dans les pays du Sud, à côté desquelles nos histoires de pollution sont des bluettes.

Bref. Je commencerai à croire que quelque chose change lorsqu’une vaste coalition aura prononcé les mots décisifs : À BAS LA BAGNOLE ÉLECTRIQUE ! Tout le reste n’est que propos de branlotin.

Vite, un cadeau

Il y a dix ans, en 2011, j’ai écrit tout seul un vaste ensemble d’une quarantaine d’articles sur le nucléaire. Avec plein de dessins – qui ne sont pas de moi – et une couverture avec un dos cartonné. Je l’ai rouvert, mais je ne l’ai pas relu. Je sais juste que j’en reste encore fier. Attention ! Je ne crois pas être du genre de coq qui se place en haut du tas de fumier pour dominer son petit monde. La fierté, ce n’est pas le rejet de l’autre, c’est le sentiment du devoir accompli. Il y a dans ces textes, car je m’en souviens un peu, quantité d’infos qui ne circulent pas. Y compris sur la faillite financière du monstre. Il y a dix ans. Ou sur les conditions effarantes de la constitution d’un empire français de l’atome.

Comme je dispose d’un PDF de ce machin-truc-chouette, je me suis dit que cela pourrait plaire à quelques-uns d’entre vous d’y jeter un oeil. ¡ A galopar ! Hasta enterrarlos en el mar.