Archives mensuelles : décembre 2008

Je n’aime pas du tout la réalité

Je viens de rentrer, après une semaine loin de la vie réelle. Il est bien temps que je me confesse à vous : je ne suis pas fait pour la réalité. Le jour de Noël, vers midi, je suis descendu à la rivière. C’est une affaire, par là où coule cette beauté. Il y a un chemin qui sinue entre les châtaigniers, que bien des gens ignorent purement et simplement. Je n’y ai jamais rencontré personne. Sauf une fois, mais c’était il y a des ans.

Le sol était finement gelé. Les feuilles à terre formaient un tissu tressé de lames jointes. Craquantes. Comme un filet blanchi jeté sur le monde entier. Il y avait un silence minéral. L’air était de pierre froide. Je ne croisais que des troncs abattus dans la pente, et du roc. Et puis j’ai entendu monter un petit bruit, qui a fini par s’étendre et tout dominer. Un son gagnait mes  oreilles et celles de tous les êtres vivant alentour. L’eau. Elle.

En bas, les blocs de quartzites, saupoudrés, montaient une garde précaire et provisoire juste au-dessus de la rivière. Erratiques mais statiques. Même eux ne sont que de passage sur cette terre. Sur la grève, le sable avait disparu. Le blanc qui le recouvrait n’était pas de la neige, ce n’était pas une pelisse. Disons un voile. Une poudre. Gelée. Tout était gelé. Le pied butait contre le gel.

Je dois être un idolâtre, car j’ai mis mes mains dedans l’eau au moins sept ou huit fois. En parlant. Je parle à cette rivière, pas de doute. Elle n’était pas comme elle est parfois, nerveuse, pleine de bosses et de cavalcade. Elle était grosse, embarrassée d’elle-même et de sa puissance. Verte. Profonde. Conquérante. Elle occupait les postes où je me mets en mai, en juin ou en juillet. Elle n’était plus le serpent vif d’antan. Elle était une route traçant son chemin dans les gorges. Une force assurée que rien ne l’arrêtera jamais. Souveraine de son grand pays de schiste.

Le nid du rouge-queue, que j’admire à chaque fois, était encore là, plaqué contre une haute pierre levée à la verticale par le temps géologique. Ce nid de mousse, présent depuis trois ans au moins. Et ce socle qui le porte, né il y a peut-être trois millions d’années. Ou trente. Ou trois cents.

Les castors étaient là aussi. Pas loin. Ils avaient brouté d’innombrables bouquets de saules et d’aulnes des berges. Des dizaines, des centaines de tiges s’en trouvaient biseautées. Comme je n’avais pas de couteau sur moi, je n’ai pu prendre en les cassant que trois rameaux qui trônent près de mon feu. Trois rameaux, vingt coups de dents.

Je me suis approché d’un saillant, haut déjà. Comme une avant-scène au-dessus de la pente. Une saillie de pierre, au bord fait de cheveux de mousse. Des stalactites pendaient. Une cinquantaine de cônes en verre, d’une telle beauté que j’aurais pu pleurer. J’en ai cassé un pour en admirer le tour divin. Comment un tel chef d’œuvre est-il possible ? Certains étaient tenus aux deux bouts. Par la mousse en haut. Par la pierre en bas. On aurait dit un pont vertical. J’en ai vu qui retenaient prisonniers des herbes au long de leur cours translucide. Certains étaient annelés. Des anneaux de glace d’une régularité si grande que quelque personnage a fatalement surveillé leur formation. Le plus sublime imitait une harpe transparente. Un film de glace s’était formé au contact d’une branche en forme d’arc. Je suis certain qu’un souffle de vent aurait fait chanter l’instrument.

À un moment, j’ai glissé et je me suis raccroché, une fragile seconde, à une motte de glace qui retenait des feuilles. Une seconde, moins qu’une seconde qui aura suffi pour trouver une prise plus sûre. Je crois pouvoir écrire que j’ai été sauvé par de la glace. Autrement, je serais tombé. Je ne me serais pas tué. Je me serais fait mal. La glace m’a rendu l’équilibre.

Ensuite, j’ai pensé que cette rangée de stalactites était la mâchoire d’un tigre à dents de sabre. Et je le crois toujours. Jadis, avant de mourir à jamais, le tigre à dents de sabre habitait par ici. Et il faut bien que cette splendeur soit allée quelque part, non ? Je pense que c’est là. Je pense que le tigre se rappelle de temps à autre à notre bon souvenir. Je pense que ses dents de glace étaient en faction à l’entrée de la caverne. Car la saillie formait bel et bien un abri sombre, que protégeait une cascade figée par le gel. Ne masquait-elle pas une entrée ? Je ne suis pas Alice, hélas. Mais je m’entraîne, je ne désespère pas encore.

PS : Les jours suivants, il y a eu de la neige. Plusieurs fois de la neige. Je me suis promené seul au pays neuf. Le monde mérite d’être beau.

On the road again (en attendant la neige)

Je passe mon tour, je laisse la place pour une semaine. Ya me voy. Vado a casa mia. Je vais donc chez moi, où les connexions avec le monde extérieur sont abolies par décret princier, avec cette précision que le prince, c’est moi.

Je vais là où je dois être, entre les Causses et les Cévennes. Une maison, un vallon, le troupeau de Jean, la grange à René, Patrick juste au-dessus, Lili à côté. Je sais que la neige a tenté vaillamment de résister, mais qu’elle a fini par céder contre l’assaut de cet imbécile de redoux. Je pense que Patrick va m’aider à installer son vieux poële dans la pièce du haut de la petite maison. Ce sera donc la révolution, quand même. Et comme je me rapproche à petits pas de l’achat d’un potager, je dois ajouter que la vie n’est pas si affreuse qu’elle en a l’air.

Voici mes questions du jour, telles qu’elles m’occupent. La neige va-t-elle revenir ? Le ruisseau a-t-il gélé et verrai-je ou non des stalagmites pointer de ses berges ? La buse splendide qui erre dans les chataîgniers me montrera-t-elle une fois encore son ramage ? Que font les blaireaux ? Irai-je vérifier si des castors montés de la rivière ont installé un avant-poste au confluent du ruisseau et du flot de la grande combe ? Ce n’est pas une mince affaire. Il y a des indices. Enfin, aurai-je assez de bois, tout bien considéré, si le froid devait revenir ?

Bon, je quitte sans déplaisir la crise écologique globale et planétaire, mon ennemie jurée et probablement mortelle. Je n’ai aucun conseil à donner, mais un avis peut être écouté, et même entendu. Oubliez tout. Bon Noël.

Gloire immortelle aux animaux de la ferme (une bonne nouvelle) !

Génial, génial, génial ! La « Ferme des animaux » a enfin été trouvée par l’association Protection mondiale des animaux de ferme (PMAF). J’avais moqué ce printemps, gentiment cela va sans dire, le sigle foutraque de ce groupe voué à la défense des bêtes (ici). Mais là, sans seulement réfléchir, je les salue, je les embrasse, tous.

Je les embrasse, car ils sont enfin parvenus à acheter une ferme de 44 hectares de prairies dans la Meuse. Des centaines de dons – des milliers ? – ont permis ce qui paraissait hors de portée. À quoi servira ce lieu unique ? À accueillir les éclopés, les édentés, les martyrisés, les paumés de l’élevage industriel. Bienvenue aux vieilles biques et rosses. Aux canassons et haridelles. Aux vaches de réforme, aux vaches enragées.

Pour le moment, on y creuse des mares pour les canards, on y aménage des parcours pour les cochons. La ferme (ici) pourrait ouvrir à l’été 2009, mais doit déjà faire face à une liste d’attente interminable. Elle ne pourra évidemment pas recueillir tous les rescapés du grand massacre. Mais elle est un fabuleux message. Le signe qu’il est possible de changer l’ordre inhumain des choses animales. Il existera donc bientôt un territoire libéré où les veaux, vaches et cochons seront regardés et aimés pour ce qu’ils sont. Si je ne me retenais pas, je danserais. En hurlant de joie. Si.

Aimez-vous (encore) Obama ?

Que ferait-on sans les amis ? David Rosane m’envoie un lien américain que j’invite les connaisseurs de l’anglais à visiter (ici). Ce n’est pas triste, et c’est encore moins gai que ce que j’imaginais (ici-même). Le nouveau président Barack Obama devrait incessamment nommer secrétaire à l’Agriculture – un poste ministériel d’une rare puissance – l’ancien gouverneur de l’Iowa Tom Vilsack. Si cela devait se confirmer dans les prochaines heures, ce serait une nouvelle exécrable pour le monde entier, et surtout pour ses innombrables gueux.

Vilsack, qui copine avec Monsanto, est tout ce que j’exècre. Il milite – mais réellement ! – pour la viande clonée, l’agriculture industrielle et ses élevages concentrationnaires du MidWest, les OGM, les biotechnologies en général, les biocarburants bien entendu. En septembre 2001, il a même reçu le prix honteux de la Biotechnology Industry Organization (BIO) pour sa vaillance à défendre les intérêts industriels dans ce qu’ils ont de plus extrémiste (ici).

Je vous le dis, et j’en suis désolé pour nous tous : mauvais présage, immense nuage.

PS : Ci-dessous, l’argumentaire du groupe Organic Consumers Association, c’est-à-dire l’Association des consommateurs bio. Même quelqu’un qui ne lit pas l’anglais peut comprendre au moins dans les grandes lignes, et c’est pourquoi je le mets en ligne sans traduire.

Il ne FAUT PAS choisir ce mec, pour au moins les six raisons que voici :

* Former Iowa Governor Tom Vilsack’s support of genetically engineered pharmaceutical crops, especially pharmaceutical corn : http://www.gene.ch/genet/2002/Oct/msg00057.html


http://www.organicconsumers.org/gefood/drugsincorn102302.cfm

* The biggest biotechnology industry group, the Biotechnology Industry Organization, named Vilsack Governor of the Year. He was also the founder and former chair of the Governor’s Biotechnology Partnership.

http://www.bio.org/news/pressreleases/newsitem.asp?id=200…



* When Vilsack created the Iowa Values Fund, his first poster child of economic development potential was Trans Ova and their pursuit of cloning dairy cows.

* Vilsack was the origin of the seed pre-emption bill in 2005, which many people here in Iowa fought because it took away local government’s possibility of ever having a regulation on seeds- where GE would be grown, having GE-free buffers, banning pharma corn locally, etc. Representative Sandy Greiner, the Republican sponsor of the bill, bragged on the House Floor that Vilsack put her up to it right after his state of the state address.

* Vilsack has a glowing reputation as being a schill for agribusiness biotech giants like Monsanto. Sustainable ag advocated across the country were spreading the word of Vilsack’s history as he was attempting to appeal to voters in his presidential bid. An activist from the west coast even made this youtube animation about Vilsack

http://www.youtube.com/watch?v=Hmoc4Qgcm4s

The airplane in this animation is a referral to the controversy that Vilsack often traveled in Monsanto’s jet.

*Vilsack is an ardent support of corn and soy based biofuels, which use as much or more fossil energy to produce them as they generate, while driving up world food prices and literally starving the poor.

Contre les barbares du Rizzanese

On ne refuse pas un coup de main quand il est demandé par Patrick Pappola. Surtout celui-là, qui consiste à transmettre une information. Les gars et les filles, je sais que je suis saoulant, mais une bassesse de plus est en cours en Corse. Là-bas, oui, de l’autre côté de la mer. Je dois vous dire que cette île m’a toujours ému. J’y ai eu des amis, j’ai failli y mourir noyé dans un torrent, je m’y suis baigné en février et en mars. Cette île conserve des restes authentiques de ce que fut la Méditerranée des merveilles, au temps des civilisations humaines.

La Corse appartient à tous ceux qui rêvent encore. Dont je suis. Dont j’espère que vous êtes. Et voilà l’information de Patrick. EDF et l’une de ses habituelles coalitions d’intérêts veulent détruire à jamais l’un des fleuves les plus beaux de notre pays. Le Rizzanese ne fait que 44 km de long, mais quels kilomètres ! Je ne m’étends pas, car tout est expliqué ici. Des élus locaux, emmenés au départ par l’ancien ministre José Rossi, ont réussi à convaincre de l’intérêt d’un barrage. Coût prévu : 200 millions d’euros. Pour produire 4 % de l’électricité consommée en Corse. C’est grotesque, c’est évidemment criminel. C’est.

Les opposants organisent une protestation le 20 décembre en Corse, de 15 heures à la nuit. Je ne connais pas ces gens, mais je les sens valeureux. Leur appel a un ton que j’aime. On y parle de l’érection d’un muchju, c’est-à-dire d’un amas de pierres ou de branches. Dans la tradition, un muchju marque le lieu où quelqu’un est mort violemment. Et c’est bien de cela qu’il s’agit. On entend tuer le Rizzanese.

Si le cœur vous en dit, relayez l’action du 20. Ou mieux encore, tentez au moins symboliquement d’imaginer une forme quelconque de réplique. Tout est bien indiqué sur le site internet de l’association. Vous savez ce que je crois ? Un jour naîtra un mouvement inouï, neuf, bouleversant. Sans prévenir. À la suite d’une énième attaque contre la vie et la nature. Je ne dis pas que ce sera cette fois, mais faisons ensemble comme si. Le Rizzanese est à nous ! Et que plient les barbares, au moins cette fois. Au moins une fois.

http://www.rizzanese.fr/actions.html