Archives mensuelles : octobre 2020

Un bon Français contre les Aborigènes

Je vais te parler d’un bon gars français qui s’appelle Jean-Sébastien Jacques, né en 1971. Connais pas la famille, mais je devine que papa ne bossait pas chez Renault à assembler des 4L. Fiston a fait Louis-Le-Grand, puis l’École Centrale Paris, créée en 1829, où les anciens élèves – André Michelin, Robert Peugeot, Bouygues – s’appellent entre eux « pistons », on se demande pourquoi. L’ancien Premier ministre et comique Raymond Barre y a enseigné, on voit donc le genre.

Jean-Sébastien a fait une carrière de toute beauté avant de devenir en 2016 le CEO – acronyme anglais qui veut dire grand chef – de Rio Tinto. Ce groupe minier multinational emploie 50 000 personnes dans le monde et troue la terre partout à la recherche de cuivre, d’or, de bauxite, de diamants, d’uranium, de charbon, etc.

Attention, ce n’est pas facile, car comme le dit l’entreprise elle-même, « Nous travaillons fort pour laisser un héritage positif et durable là où nous exerçons nos activités » (1). Fort de ce fier engagement, Rio Tinto, est installée depuis des décennies dans la région de Pilbara, dans l’Ouest de l’Australie, où le sous-sol est farci de fer. La boîte a un rang à tenir : elle en est le premier producteur privé au monde. Pilbara, que personne ne connaît, est presque aussi grande que la France, mais avec 40 000 habitants seulement, la plupart rassemblés sur la côte.

Et le fer est au centre, là où vivent les Abos, habitants premiers de l’île-continent. Comme Rio Tinto aime la culture et les peuples autochtones, elle envoie ses missionnaires parler, puis passer des accords dès 1995 avec des représentants aborigènes. Quels accords, quelles contreparties ? On ne peut qu’imaginer. En tout cas, tout cela est « légal ».

De toute façon, Rio Tinto le jure (1), « We recognise the cultural, spiritual and physical connections that Traditional Owners have with the land, water, plants and animals across the Pilbara region of Western Australia ». Rio Tinto reconnaît les liens culturels, spirituels et physiques que les Abos entretiennent avec l’eau, la terre, les plantes, les animaux.

Un jour de mai dernier, Rio Tinto décide qu’elle a marre, des salamalecs de ces tordus. Ça va un peu, le respect. Des grottes très anciennes et des abris sous roche, tenus pour sacrés empêchent qu’on aille chercher le fer planqué au-dessous. Certains de ces vestiges ont 46 000 ans d’âge, il y a un os de kangourou taillé en forme de lame voici 28 000 ans. Et une tresse de cheveux qui pourrait avoir 4000 ans. On a beau savoir depuis le début, on fait sauter le tout.

En Australie, la chose est (presque) courante, et les autorités, qui sont à la botte, l’acceptent. Mais cette fois, ça ne passe pas. Les Aborigènes du coin ont appris par des analyses ADN qu’ils sont les descendants directs de ceux qui habitaient ces cavernes. Et ils hurlent. Et on les entend enfin.

Du coup, on pique dans un premier temps une prime de trois millions d’euros à cette petite frappe distingués appelée Jean-Sébastien Jacques. Mais comme l’incendie se propage, on décide de le lourder. Est-il le seul responsable (humour) ? Convolons, si tu le veux bien, vers l’île de Bougainville, à 3000 km de l’Australie. Ce territoire fait partie de la Papouasie-Nouvelle Guinée, et son sous-sol est rempli de ces bonnes choses à manger qu’on trouve en Australie.

Rio Tinto y a exploité une mine géante de 1972 à 1989. Prétextant des troubles – réels -, la transnationale a tout fermé, mais en laissant des cadeaux derrière elle. Le plus beau est ce milliard – milliard – de tonnes de déchets miniers souvent toxiques. Placés à la va-vite derrière des digues qui ont cédé, ces résidus ont fini par tout contaminer.

Or habitent là-bas 12 000 Papous que leurs voisins appellent en toute simplicité « les maudits ». Theonila Roka Matbob, ministre de l’éducation de Bougainville (2) : « Nos terres sont détruites et nos rivières empoisonnées. Les enfants boivent et se baignent dans une eau polluée et tombent malades. Des terres nouvelles sont encore inondées par les déchets de la mine ». Mais il faut creuser, non ?

(1) riotinto.com/can/sustainability.

(2) rnz.co.nz/international/pacific-news/413260/rio-tinto-remains-responsible-for-panguna-mine-damage-says-report

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Daddy, foutage de gueule sucrée

Je découvre une campagne de pub qui devrait bientôt tout recouvrir. Signée Daddy, elle vante le sucre de betterave. Nul doute qu’elle aurait eu lieu de toute façon, mais évidemment, le contexte joue son rôle. Je rappelle que l’Assemblée nationale a validé une dérogation pour que les betteraviers industriels puissent épandre des néonicotinoïdes sur leurs saines monocultures. Des néonicotinoïdes massacreurs d’abeilles dont une loi interdisait l’usage depuis septembre 2018.

Daddy, donc. Les premières affiches montrent toutes des feuilles de betteraves, agrémentées de phrases comme « Au commencement, Daddy est végétal », ou bien « Daddy vous rappelle que le sucre est une plante ». Daddy. Le nom sent déjà l’arnaque. Il s’agit d’une filiale du groupe industriel Cristal Union, lui-même né de l’univers glauque de grosses coopératives agricoles, qui ont versé depuis longtemps dans l’intensif et le pesticide.

Or Cristal Union va très mal, et additionne de lourdes pertes qui peuvent atteindre 10% du chiffre d’affaires. Une seule solution : la fuite en avant, et la promotion d’un sucre blanc addictif dont on sait tout le bien qu’il procure à la santé des humains.

En attendant, la pub. Ce que Cristal Union ne dira jamais, c’est que le groupe crame dans ses distilleries des milliers de tonnes de ses si bonnes betteraves pour les transformer en un bio nécrocarburants. Ces gens, qui prétendaient nourrir le monde, ne se gênent pas pour détourner du marché de la faim des plantes alimentaires.

Globalement – les chiffres ne les distinguent pas – le blé et la betterave permettent de produire 12 millions d’hectolitres de bioéthanol, que l’on retrouve à la pompe sous le nom SP95-E10 et E85. Soit des centaines de milliers de tonnes de carburant, dont le tiers est exporté.

Cristal Union a commencé la chose en 2007 dans sa distillerie de Bazancourt, près de Reims et ne peut plus s’arrêter. Vous ai-je dit qu’en 2007, j’ai écrit La faim, la bagnole, le blé et nous ? Ce petit livre racontait la constitution du lobby des bio nécrocarburants, et son infamie. Personne n’a moufté, y compris chez les zécologistes officiels. C’est trop tard.

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Bertrand Piccard pour tout plein d’aéroports

Bertrand Piccard, vous voyez ? Ce sympathique Géo Trouvetou a réalisé des exploits avec son avion solaire et préside la Fondation Solar Impulse. Le 4 octobre, il signe une tribune dans le Journal du Dimanche (1) avec une championne de voltige aérienne, Catherine Maunoury. Et ils sont pas contents.

En résumé, ils en ont marre de ce qu’ils appellent l’« avion-bashing ». Extrait : « L’aviation subit des attaques sans commune mesure avec son impact réel sur le climat. Elle est devenue l’otage d’une idéologie qui prône la décroissance ».
La réponse est venue d’un mouvement dont j’ignorais l’existence, Notre Choix, et me paraît à moi digne d’intérêt (2). Piccard et Maunoury insistent sur la diminution de la pollution par km parcouru en avion, et c’est vrai. C’est même spectaculaire. Mais ils oublient audacieusement que l’augmentation du trafic aérien est telle – il devrait encore doubler d’’ici quinze ans – que la pollution globale du secteur explose. D’après des chiffres sérieux, elle aurait été multipliée par deux au moins en 20 ans.

Le reste du texte me paraît moins convaincant, empreint qu’il est d’excuses et d’embarras. Je suis très étonné que ne soit pas évoqué l’exemple magnifique de Notre-Dame-des-Landes. Car derrières les avions, il y a bien entendu une vision du monde. Une façon de vitre, de se déplacer, de ruiner par le tourisme de masse la plupart des pays du monde. Et des centaines, et des milliers d’aéroports nouveaux que cette folie oblige à concevoir. Piccard, n’importe quoi.

(1) lejdd.fr/Societe/tribune-cesser-lavion-bashing-et-la-tentation-du-bouc-emissaire-pour-construire-laviation-de-demain-3995946

(2) lareleveetlapeste.fr/non-lutter-pour-la-reduction-du-transport-aerien-ne-releve-pas-du-fanatisme/

Ce téléphone est (insup)portable

Publié sur Charlie

Essayons de prendre cela avec bonne humeur, mais ça va chier. Vraiment navré. Des petits salopiauds allemands viennent de réaliser une méta-analyse – analyse d’analyses – portant sur 190 études publiées. Sur le total, 83 ont été jugées scientifiquement relevant – pertinentes – et 72 de ces dernières montrent que les ondes des téléphones portables ont des effets négatifs sur les abeilles, les guêpes, les mouches.

Les effets décrits sont nombreux : désorientation des bestioles, ce qui peut conduire au drame, atteintes au « matériel » génétique et à la santé des larves, dégradation des champs magnétiques, vitaux pourtant. Est-ce possible ? Apparemment, ça l’est. Le rayonnement des portables et des réseaux sans fil, type WIFI, pourrait provoquer, chez les insectes exposés, une ouverture de leurs canaux calciques. Qu’est-ce donc, ami de la science ? D’abord un canal ionique, présent dans la membrane de toute cellule, qui permet le passage au travers d’un ou plusieurs ions à très grande vitesse. Des ions de sodium, de potassium, de calcium dans le cas qui nous intéresse. Leur rôle, dont tu n’as jamais entendu parler, mon ami lecteur de Mickey Parade, est essentiel.

Si une petite main anonyme – le portable, simple exemple – entrouvre les canaux calciques d’une abeille, celle-ci laisse passer dans un grand désordre des ions calciques qui sèmeront leur merde dans le maintien des insectes et leur reproduction. Car la prolifération d’ions calcium provoque ce qu’on nomme un stress cellulaire. Bien entendu, il ne s’agit que d’un facteur aggravant. La cause centrale de la mort accélérée des insectes – probablement, et en moyenne, la biomasse des arthropodes des prairies a diminué des deux tiers en dix ans -, c’est bien sûr les pesticides. Et la perte des habitats favorables qui lui est associée.

Il n’empêche, mon bel ami. Le portable, dont on savait déjà qu’il est une bouse, renforçant l’individualisme délirant de l’époque, menace donc les insectes de ses ondes. Ne surtout pas croire que cette étude est unique en son genre. En vérité, d’autres travaux scientifiques, depuis au moins dix ans, rapportent les mêmes conclusions que personne ne veut voir.

J’extrais pour ta complète information cet extrait du journal Daily Telegraph du13 mai 2011 : « Signals from mobile phones could be partly to blame for the mysterious deaths of honeybees, new research shows ». De Nouvelles études montrent que le portable pourrait être en partie responsable de la « mystérieuse mort des abeilles ». Et il y en a plein de la sorte, tout au long de chaque année, comme cette conférence en anglais, que je recommande, et qui date, elle, de 2013 (2).

Nous ne sommes pas, j’en conviens, dans le champ si restreint de la preuve scientifique parfaite et définitive. Les démonstrations de cette sorte sont rarissimes, même pour des poisons aussi évidents que l’amiante. Le tabac n’a-t-il pas fait l’objet de polémiques télécommandées par l’industrie pour mieux tromper les sociétés humaines ?

À ce stade, un peuple adulte aurait l’obligation de mettre le sujet des portables sur la table, et de ne plus lâcher. Mais ce n’est pas du tout ce qui se passe. Ayant interrogé quelques écologistes estampillés, je constate que l’affaire n’a pas pénétré leur esprit. Ah ! si l’on pouvait incriminer une transnationale, il en irait tout autrement. Mais en la circonstance, il suffit d’un examen de conscience, et c’est déjà trop.

Ce que révèle après bien d’autres prises de tête l’affaire des portables, c’est que la guerre en cours est d’une nature inédite. Oui, assurément, il s’agit d’une guerre d’extermination de tant de merveilleuses formes vivantes. Mais à la différence des conflits passés, il n’y a pas eux et nous. Il n’y a pas cette ligne capable de désigner les bons et les méchants. Le front passe à l’intérieur de nous-mêmes, qui ne cessons d’envoyer nos obus personnels, dessinés, décorés et contresignés de nos propres mains. Tant que nous n’aurons pas reconnu l’aliénation par les objets, nous ne ferons plus un pas en avant.

(1) baden-wuerttemberg.nabu.de/imperia/md/nabu/images/regional/bw/einmaligeverwendung/thill_2020_review_insekten_komplette_studie_mit_zusammenfassung.pdf

(2)researchgate.net/publication/246044829_The_Effect_of_Cell_Phone_Radiations_on_the_Life_Cycle_of_Honeybees

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Regain zadiste sur les rives de la Loire

Pas de cris, pas de désespoir : on y reviendra. Et même, on ira sur place. Mais en attendant mieux, et vous savez le peut-être, une nouvelle Zone à défendre (ZAD pour les heureux intimes) s’est installée tout contre notre Loire. C’est à 35 km en aval de Nantes. Le Carnet, c’est un territoire naturel de près de 400 hectares, que les aménageurs, qui aménageraient aussi sur Mars, avaient placé en réserve foncière, pour le cas où.

Et le cas est. Le Grand port maritime de Nantes Saint-Nazaire (autrefois appelé le port autonome) est un tout-puissant Établissement public, qui a salopé depuis des décennies notre plus bel estuaire, celui de la Loire. À coups de terminaux pétroliers ou à soja, et d’installations pétrochimiques. Mais le géant n’a jamais assez d’espace et veut maintenant choper 110 des 400 hectares évoqués, dont 51 sont une zone humide, officiellement intouchable. On parle là de 116 espèces animales et végétales protégées.

Côté zadistes, l’ambiance est combative. Extrait de leur site (https://stopcarnet.fr) : « La Zad du Carnet s’est implantée le 31 août aux entrées du site du Carnet que le gouvernement et les industriels veulent convertir en zone industrielle. Nous ne quitterons pas les lieux tant que le projet ne sera pas abandonné».

Côté massacreurs, il y a de la drôlerie et de la novlangue dans l’air. Ils avancent que les 110 hectares serviront à un « parc technologique » plus vert tu meurs. La distrayante présidente – Les Républicains – de la région pays de la Loire, Christelle Morançais : «Le site du Carnet, qui à terme pourrait générer 1200 emplois directs, portera l’écologie de demain. C’est ici que va s’inventer un avenir plus vert et plus écoresponsable ».

Ce qui commence ne sera pas simple, car les écolos endimanchés ont déjà accepté le projet, avec réserves, au moment de l’enquête d’utilité publique de 2017. La LPO – amie de Charlie -, France Nature Environnement (FNE), Bretagne Vivante – dont je suis membre – sont salement coincées. Mais changer d’avis n’a jamais fait de mal à personne.

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Les blaireaux ne sont pas ceux qu’on croit

Parlons-nous tous la même langue ? Partageons-nous assez d’idées et d’émotions pour habiter la même terre ? Lectrice et lecteur, envoyez-moi vos réponses, car la question m’angoisse.

Un ami lointain mais vrai, Pierre Rigaux, m’adresse une vidéo de trois minutes sur un massacre coutumier de ces blaireaux qui ressemblent tant, parfois, à des petits ours. J’en ai vu bien des fois sur le chemin d’un hameau où je suis allé vingt années, entre Causses et Cévennes.

Que voit-on ? Des humains qui d’abord élargissent la piste d’entrée d’un terrier de blaireau. À la pelle. L’un d’eux fourre ensuite à coups de pompes un chien – un jack russel, je crois – au fond du trou. Le chien et ses dents horribles sont là pour choper l’animal au museau. Quand il a harponné la bête, il tente de sortir du trou en reculant. Dans une variante qui n’est pas dans la vidéo, un mec à casquette et combinaison verte de travail tire les pattes arrière du chien.

Quand le blaireau apparaît, les rires des tueurs fusent. Deux armes différentes servent au massacre. De longues pinces en acier, qui permettent de le saisir par le nez en l’écrasant. Et des bêches, avec lesquelles on lui détruit le cerveau. On entend : « Vas-y ! Prends ça ! Il faut un bon coup ! ». Et en effet, ça cogne.

Si on veut en savoir plus, on peut se renseigner auprès de One Voice (2) ou de l’ASPAS. Commentaire des premiers : « Combien de milliers de cadavres et d’images ignobles faudra-t-il pour rallier le public et les politiques à la cause de ces animaux martyrs ? ». Pas mieux à dire.

(1) https://vimeo.com/454047065

(2) https://one-voice.fr/fr/blog/chasse-des-blaireaux-lenfer-sous-terre.html

Tours et détours infinis de la chimie

Publié sur Charlie

C’est une histoire américaine tellement française. La semaine passée, le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie, aux ordres de la FNSEA et de l’agrochimie, a donc obtenu le retour des tueurs d’abeilles – ces fameux néonicotinoïdes – sur la betterave industrielle. Seulement sur elle. Pour le moment. Les députés, qui ne savent rien et ne veulent rien savoir, ont avalisé le fabliau selon lequel tout cela est provisoire.

Aux États-Unis, la revue scientifique Science (1) a publié en juin une étude qui montre une pollution des sols du New-Jersey par un redoutable produit chimique, l’Acide perfluorononanoïque (PFNA en anglais). Les PFNA appartiennent à un groupe de plus de 5000 composés appelés perfluorés (PFAS en anglais).

Le film Dark Waters, sorti en 2019, raconte justement le combat d’un avocat contre le géant de la chimie DuPont qui déverse des déchets bourrés d’un PFAS, qui décime pour commencer les vaches d’une ferme.

Les PFAS se retrouvent – mon poussin de lecteur, accroche-toi à ton siège – dans les textiles et tapis, mousses anti-incendie, cornets à popcorn, emballages pour pâtisseries, pesticides bien sûr, fils électriques, cire à parquets, chaussures et vêtements, vernis et peintures, produits de nettoyage. Sans immense surprise, ils atterrissent tôt ou tard dans l’air, la poussière domestique, l’eau potable. Comme ils sont fort stables, chimiquement parlant, ils font partie de ce qu’en Amérique on appelle les forever chemicals. Des produits chimiques éternels. Beaucoup sont cancérogènes, la plupart sont des perturbateurs endocriniens, certains s’attaquent en plus à la reproduction et au fœtus.

Dans ces conditions, la publication de Science évoquée plus haut ne pouvait manquer d’intéresser. Des PFAS dans les sols ? Les scientifiques signataires appartiennent à des institutions comme l’agence fédérale EPA ou le Department of Environmental Protection (DEP), toutes deux surveillées de près par l’administration Trump. L’étude conduit malgré tout à un coupable hautement probable, l’usine de West Deptford, propriété de la transnationale belge Solvay. J’y vois que la pollution « is consistent with Solvay being the source of these compounds ».

Dans le passé, cette boîte avait déjà pollué alentour en relâchant des PFAS, mais cette fois, elle nie toute responsabilité. Selon ses braves communicants, elle prétend que la nouvelle pollution peut très bien provenir d’un autre site, aujourd’hui fermé, qui fabriquait entre autres des mousses anti-incendie. Mais une association pugnace comme j’adore, Consumer Reports (3) a gratté le sujet pour nous, et obtenu sur décision judiciaire communication d’échanges entre Solvay et le DEP, c’est-à-dire l’administration.

La vérité est épouvantable. En fait, Solvay a bel et bien blousé tout le monde. Comme l’usine avait été épinglée une première fois, elle a simplement changé de PFAS. Sur les 5000 existants, très proches chimiquement, il n’était pas très difficile de trouver un ou des substituts. Et c’est ce que Solvay a fait, utilisant des produits qui ne sont pas recherchés dans les analyses ordinaires. Ils ne sont pas même soumis à réglementation ! Consumer Reports réclame évidemment que les PFAS, tous très proches, soient considérés comme un bloc et soumis de ce fait aux mêmes normes de contrôle. Mais Solvay a aussitôt reçu le soutien du lobby American Chemistry Council, jurant que chaque PFAS est différent et que chacun doit être réglementé individuellement. Soit 5000 fois une tâche qui prend des années.

Concluons dans la gaieté avec Erik Olson, directeur au Natural Resources Defense Council (NRDC), ONG écolo : « We don’t want to continue on this toxic treadmill ». Non, le gars veut pas continuer sur ce tapis roulant toxique, ce qui n’est pas bête. Il ajoute : « Un PFAS est progressivement éliminé, mais remplacé l’un des milliers d’autres qui ont des structures chimiques similaires, et dont on peut attendre qu’ils posent des problèmes identiques à la santé et à l’environnement ». On en est là. Là-bas, ici, partout.

(1) https://science.sciencemag.org/content/368/6495/1103

(2) https://theintercept.com/2020/06/04/pfas-chemicals-new-jersey-solvay/

(3) consumerreports.org/water-quality/new-forever-chemicals-are-contaminating-environment-regulators-say/

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La loi nouvelle qui bousillera tout

Est-ce une découverte ? Non, ces gens sont des voyous. Dans un autre contexte, à une autre époque, sous d’autres cieux, Macron et ses amis seraient traités comme tels. Le vote – en première lecture -, mardi 6 octobre, de la loi ASAP n’est jamais qu’une bassesse de plus. Comme ces gens ont de l’humour – noir -, ils jouent sur l’acronyme anglais ASAP, qui veut dire As soon as possible. Aussitôt que possible. Il s’agit sur le papier de simplifier et d’accélérer les procédures pour les futures installations industrielles. Au détriment des écosystèmes, des animaux, de la beauté ? Pardi.

Cette loi est un capharnaüm de 50 articles qui mêlent savamment – c’est voulu – tout et n’importe quoi. On y parle de permis de conduire, de réforme du statut des agents de l’Office national des forêts, des squatteurs, de l’installation en mer des éoliennes, de la vente des médicaments en ligne, des résidents des Ehpad.

Mais le dur de l’affaire est dans les articles 21, 23, 24 et 26.

23 malabars du droit de l’environnement, dont Christian Huglo, Corinne Lepage, Dominique Bourg, Alexandre Faro y voient une volonté à peine déguisée d’abattre d’un coup les acquis de toutes les lois passées dans ce domaine.

Impossible d’entrer dans tous les détails (1), mais un point mérite développement. L’article 23 donne au préfet le droit exorbitant d’autoriser le début des travaux d’un projet avant toute Autorisation environnementale, aujourd’hui obligatoire. Certes, celle-ci resterait nécessaire, mais sous certaines conditions, ne pourrait bloquer le début d’un chantier : une aubaine pour les promoteurs.

D’une façon générale, les pouvoirs du préfet, créature à la merci du pouvoir politique parisien, seront démultipliés, au moment même où Macron renvoie au néant les propositions pourtant acceptées par lui de sa « Convention citoyenne pour le climat ».

Détail qui ne trompe guère : le seuil des marchés publics sans publicité ni concurrence devrait passer à 100 000 euros pour des travaux. En une année, il est passé de 25 000 à 40 000 euros, puis 70 000 euros en juillet. Miam-miam. 

(1) Voir cet excellent article : lemoniteur.fr/article/projet-de-loi-asap-le-cri-d-alarme-des-experts-du-droit-de-l-environnement.2080081

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Comment vivent les amoureux de la bidoche

J’avoue savourer, de temps à autre, la lecture de Porc Magazine, la revue du porc industriel. C’est alors une échappée onirique dans un monde qui ne peut être qu’imaginaire. J’espère, en tout cas. Trois extraits retenus au pif.

Le premier : « Deux spécialistes de la chimie, Evonik et BASF, ont investi dans une startup technologique chinoise, SmartAHC. Celle-ci (…) a développé des dispositifs de surveillance et des logiciels qui utilisent l’intelligence artificielle et l’Internet des objets ».

Le deuxième : « Une maternité de deux salles de 32 cases liberté chacune a ainsi été construite. “Et pourtant le plan initial du bâtiment comportait des cases standard de 2 m de large. J’hésitais même à mettre des cases balance à l’époque. Mais, aujourd’hui, je suis convaincu que cela aurait été une erreur” », détaille Nicolas L. Aucun regret donc, mais, d’après l’éleveur, certains principes doivent être respectés pour que ce système fonctionne. Le premier : la solidité du matériel, le deuxième : l’ergonomie de la case, mais aussi dans la salle, et le troisième : pas de stress ! ». Le même éleveur : « Il ne faut jamais sous-estimer le pouvoir des truies à tout casser ou bien leur ingéniosité pour ouvrir un verrou qui serait un peu trop facile à manipuler ! »

Le troisième : « En conceptualisant son nouveau bloc naissage de 240 truies dans son élevage de multiplication, Jean-Baptiste B. n’a pas hésité à investir dans des équipements de gestion d’ambiance pour éviter que le mercure s’affole dans les salles ». On est bien, hein ?

Et si on libérait les mers ?

Ci-dessous, des articles publiés sur Charlie.

Pourquoi suis-je monté à bord de cette nouvelle galère ? Parce que. Pendant des centaines de siècles, des centaines de millénaires même, le poisson et ses nombreux commensaux ont été les rois de la mer. De toutes les mers. Et puis sont arrivées les longues lignes, vers 1815, qui sur des kilomètres de fils alignaient des milliers de hameçons. Et puis est venu – 1892 – le chalut-poche. Et puis s’est répandu le moteur. L’industrie de la pêche commençait, et comme l’industrie de l’agriculture, elle aura tout ravagé. Les côtes et les hauts fonds pour commencer, avant de s’attaquer aux monts sous-marins et à ces poissons très singuliers qui vivent à 1000 mètres de profondeur, et plus.

Le plus grand chalutier au monde, un ancien pétrolier, mesure 228 mètres de long et peut stocker dans ses cales jusqu’à 14 000 tonnes. Devenu Chinois sous le nom de Damanzaihao, il a failli faire disparaître le chinchard au large du Chili. La France semble n’avoir, en comparaison, que de tout petits bras, mais elle se bat, la valeureuse. Le 25 septembre dernier, à Concarneau, on a inauguré sous haute protection policière un nouveau navire, le Scombrus, long de 81 mètres. En un passage de ses chaluts, il peut ramasser entre 50 et 120 tonnes de poissons, et de tout le reste. Des chalutiers de cette sorte, il n’en existe chez nous qu’une dizaine, qui pillent allègrement ce qui reste en vie sous la ligne de flottaison. Un tiers des prises mondiales servent à fabriquer de la farine, essentiellement destinée à nourrir les porcs, poulets et bovins de l’élevage concentrationnaire.

En face de ces monstres, la pêche artisanale, qui fait vivre des familles et fait tourner l’économie des ports. 85% des chalutiers battant pavillon français ont moins de 12 mètres et devraient en bonne logique avoir la priorité dans toutes les politiques publiques. Mais on connaît la chanson, qui fait pleurer strophe après strophe. Est-ce que cela peut changer ? Pardi, oui.

Le 25 septembre, je devais être à Concarneau, et seul un pépin de dernière minute m’en a empêché. Mes amis de l’association Pleine Mer – l’épatant Charles Braine – et ceux de Bloom – Claire Nouvian je t’embrasse, Sabine et Frédéric, bonjour – ont sur place mis les pieds dans le filet dérivant. Organisant tant bien que mal – malgré les flics – les « funérailles de la pêche artisanale ».

Qu’ont-ils dit ? L’évidence. Le groupe France Pélagique, qui arme le Scombrus, « est une filiale française du géant néerlandais Cornelis Vrolijk, dont l’empire tentaculaire étend son emprise bien au-delà de l’Europe, de la France, au Nigéria, en passant par le Royaume-Uni ». Des responsables de chair et d’os, il en est, comme « l’ancien directeur général de France Pélagique, Antoine Dhellemmes (…), vice-président du Comité national des pêches ». Enfin, « les tendances à l’œuvre au niveau mondial, que ce soit la crise climatique, plus intense et rapide que dans les pires scénarios, ou encore l’effondrement de la biodiversité, appellent à des prises de position fortes de la part de nos décideurs politiques. L’industrialisation de la pêche appartient au passé ».

Et c’est là que je réapparais. Depuis longtemps, je pense que seule une interdiction mondiale de la pêche industrielle – couplée dans mon esprit à celle du plastique, peut encore sauver une part de nos océans. À la suite de discussions, nous sommes tombés d’accord pour une campagne grandiose et planétaire, exigeant que cet infernal outil de destruction soit enfin détruit. Un collectif est sur les rails, et on peut bien entendu, sous une forme ou une autre, le rejoindre (1).

Ce que j’ai dans la tête, c’est une alliance entre le Nord et le Sud. Entre les petits pêcheurs d’ici et ceux du Sénégal, désespérés de voir le poisson d’antan happé par les machines de guerre russes, chinoises, coréennes, européennes. Et ceux de Sri Lanka. Et ceux de l’inde. Et ceux de l’Amérique latine. Bref. Je rêve comme jamais d’un sursaut historique, qui mettrait au premier plan de toutes les sociétés humaines l’extrême bonheur des mers. Qui est contre ?

(1) Pleine mer : https://associationpleinemer.com. Bloom : bloomassociation.org

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Quand la science devient la leur

Ah ! je n’ai pas encore tout lu, j’avoue. Mais la durée de vie des livres est désormais un éclair dans le ciel, et je serais navré que celui-là ne trouve pas les lecteurs qu’il mérite. Dans Les gardiens de la raison (La Découverte) – titre un peu bizarre -, Stéphane Foucart, Stéphane Horel et Sylvain Laurent sortent un projecteur. Il s’agit pour eux de raconter ce qu’est devenue la science. Ce qu’est devenu certain usage d’une certaine science à l’heure où les transnationales ne respectent plus aucune frontière.

D’emblée, on est plongé dans le grand bain de la désinformation. Nous sommes dans un quartier chic de Paris, au sous-sol d’un petit palais de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture. On y tient colloque, et la maîtresse de cérémonie n’est autre que Delphine Grey, directrice générale de l’Union des industries pour la protection des plantes (UIPP), le lobby des pesticides.

On retrouve dans la même salle tous les acteurs français d’une vaste entreprise « d’information » : outre Guey, des gens de Bayer et autres philanthropes, des journalistes comme les enragés Géraldine Woessner (Le Point), Emmanuelle Ducros (L’Opinion), Marc Menessier (Le Figaro), la FNSEA, le lobbyiste professionnel Serge Michels, le larouchiste Rivière-Wekstein, les « scientifiques » de l’Association française pour l’information scientifique (AFIS), l’ANIA – lobby de l’agro-alimentaire -, ses think-tanks, comme l’institut Sapiens ou Fondapol.

Tout défile, jusqu’au sociologue Gerald Bronner, aimé du Point et de nombreuses autres gazettes, qui est savamment remis en cause dans ce qu’il affectionne le plus : l’objectivité, la raison, la science. Ne loupez pas l’histoire édifiante de l’AFIS, créée, mais oui, par un militant communiste, Michel Rouzé.

Ce qu’on ne trouve pas dans le livre, et ce n’est pas un reproche, c’est l’explication. Qu’y a-t-il dans la tête de tous ces gens ? Certains, sans nul doute, profitent sans aucun doute d’une manne. On ne peut rien exclure. Rien. Mais bien d’autres, visiblement, croient ce qu’ils disent. Disons que ça fait réfléchir.

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Ce que nous devons tous au Pakistan

Saisissant papier dans le New York Times (1) du 27 septembre. Son auteure, l’écrivaine et journaliste Fatima Bhutto, y parle de Karachi, la plus grande cité du Pakistan. Sa ville, qui a résisté à tout : les affrontements sectaires, le terrorisme, les gangs armés de lance-roquettes, sa police, plus redoutée que ses voleurs les plus retors.

Mais d’évidence, ce n’était encore à peu près rien. Karachi et ses 20 millions d’habitants sont face à un monstre autrement redoutable : le dérèglement climatique. Le 27 août, la ville a reçu d’un coup 230 mm de pluie. Dévastatrice, on s’en doute. Des milliers de maisons pauvres ont été emportées, car il n’existe aucun système de drainage ou de récupération des eaux de pluie. Ça tombe, point.

Les pertes économiques, en fait inchiffrables compte tenu de l’économie informelle, se chiffrent en centaines de millions de dollars. La Banque mondiale, cette amie des peuples, estime que 15% du PIB pakistanais disparaissent déjà, chaque année, à cause du dérèglement climatique et des dégâts écologiques.

Fatima Bhutto : « La liste des désastres climatiques qui affectent mon pays n’a pas de fin. Les glaciers de l’Hindu Kush, de l’Himalaya et du Karakoram au nord du Pakistan fondent à une vitesse accélérée (…) Après la fonte, la sécheresse et la famine suivront. À l’avenir, la terreur viendra de la chaleur, du feu et de la glace ».

Et de rappeler que le Pakistan est en toute première ligne, lui qui émet si peu de gaz à effet de serre. Combien de terroristes naîtront-ils de cette si totale injustice ?

(1) nytimes.com/2020/09/27/opinion/pakistan-climate-change.html