Archives mensuelles : janvier 2012

Musique pour tous (et même pour les vignes)

Attention, une morale est située à la fin de ce papier.

Changement de programme, aujourd’hui du moins. Ni dénonciation ni abomination. Cela paraîtra incroyable aux habitués de Planète sans visa, mais enfin, faut ce qu’il faut. Voici une poignée de jours, j’ai parlé devant une petite assemblée du Gapse (ici) ou Groupe d’analyse des pouvoirs sociétaux et économiques. À la fin des échanges, j’ai bu un verre avec quelques participants, et parlé avec deux d’entre eux, Pedro Ferrandiz et Michel Duhamel. Le premier m’a demandé comment je voyais la biologie actuelle, et j’ai fait ce que j’ai pu : pas grand-chose. J’ai juste évoqué en quelques mots mon sentiment concernant le réductionnisme, cet éternel penchant de l’esprit humain à croire qu’il est parvenu au bout. En l’occurrence, à mes yeux béotiens en tout cas, nous sommes passés d’une situation où la biologie considérait – plus ou moins – l’être vivant en sa globalité à cette biologie moléculaire – passionnante à certains égards – qui croit pouvoir expliquer le tout à partir d’un élément, parmi les plus infimes.

Bon, autant vous dire que je n’ai pas brillé de tous mes feux devant Pedro Ferrandiz. Un tel sujet rend fatalement plus modeste encore qu’on peut l’être. Mais heureusement, nous n’en sommes pas restés là, et bientôt, l’associé de Pedro, Michel Duhamel, s’est joint à nous. C’est alors que j’en ai appris de bien belles sur une société qu’ils ont fondée, et qui s’appelle Genodics (ici). Je vous en préviens : tout ce qui suit sera entaché de mon ignorance. Ce sera approximatif, assurément, mais je pense néanmoins que vous me comprendrez, ce qui n’est pas rien. Au départ de cette aventure, un chercheur hors-normes, Évariste. Qui n’est évidemment pas son véritable nom. Mais Joël Sternheimer, docteur en physique théorique dès l’âge de 23 ans, s’est fait appeler quelques années Évariste – à partir de 1966 -, années pendant lesquelles il chanta.

La suite est sidérante. Car, reprenant ses activités scientifiques, et au long de décennies de réflexion, il met au point une théorie qu’il nomme protéodie. En deux mots, et seulement si j’ai bien compris : les protéines, chez les êtres vivants, émettent en se synthétisant des ondes. Des signaux  sonores que l’on pourrait rapprocher, faute d’une plus grande imagination, de la musique. Précisons que ces ondes se forment au moment même où les acides aminés s’assemblent pour créer les protéines. À chaque protéine correspondrait une mélodie spécifique. Sternheimer a démontré que ces signaux, formulés par ordinateur, pouvaient augmenter de manière significative, chez les plantes, la synthèse de leurs protéines, et ainsi les aider dans de très nombreux domaines de leur existence.

Après la théorie, la pratique, laquelle s’appuie sur certains aspects fondamentaux de la physique quantique dont je serais bien incapable de vous parler. Ce que je retiens, pour ma part en tout cas, c’est que Sternheimer – et quelques autres- est parvenu à mettre au jour une langue nouvelle, radicalement autre, qui parle aux protéines des plantes. Pour en revenir à Ferrandiz et Duhamel, je me dois de dire deux mots d’un procédé tiré de ces découvertes, appliqué à la vigne, qui s’appelle la génodique. Entre autres maladies, la vigne peut être la victime de l’esca, déjà connue des Romains. Très complexe, elle associe trois champignons parasites et lorsqu’elle se développe jusqu’au bout, elle détruit la charpente du bois, tuant le cep. Pendant des décennies, on a utilisé contre ces charmants garçons de l’arséniate de soude. Mais le produit était si toxique qu’il a finalement été interdit en France en 2001, et dans toute l’Europe.

Dans bien des cas, on est obligé de brûler purement et simplement les souches contaminées et celles qui sont autour. On imagine les pertes. Ferrandiz et Duhamel proposent une approche qu’on ne peut qualifier que de révolutionnaire. Suivant les conseils de Raffaele Tabacchi, professeur à l’université de Neuchâtel, ils ont retenu deux protéodies. La première séquence de sons vise une protéine de la vigne qui renforce ses parois cellulaires. En « adressant » cette « musique » ciblée à la protéine, on lui permet d’augmenter son taux de synthèse, et du même coup de mieux lutter contre l’envahisseur en limitant la progression des lésions. Mais on peut également inhiber une protéine en diminuant son taux de synthèse, et c’est ce qui se passe avec la seconde protéodie utilisée contre l’esca. Celle-ci permet de limiter la croissance des champignons.

Résultat ? Je n’ai pas enquêté moi-même, vous vous en doutez probablement, mais les deux compères de Genodics ont publié une synthèse de leurs activités comprises entre 2003 et 2011. Soit des « morceaux » « musicaux » d’environ 7 minutes chaque, diffusés aux vignes entre 3 et 14 fois par semaine en fonction de divers paramètres. Depuis 2008, un système d’énergie solaire rend autonome la diffusion de la « musique », programmable à distance. Ces expériences ont eu lieu en Alsace, dans le Val de Loire et en Champagne. Sur les 46 essais in situ, tous ont montré une diminution de l’infection de départ par l’esca. Bien mieux je crois, la diminution du taux d’esca dans les parcelles de vigne enchantées est en moyenne de 67 %, ce qui est tout simplement colossal.

Un biais s’est-il glissé dans ces résultats ? Je n’en crois rien, même si ce n’est pas un argument. Et en tout cas, il me semble que ce travail montre à quel point nous sommes ignorants de ce qu’est la vie. De ce qu’elle réserve de fabuleux mystères, et de nouvelles voies pour avancer sans être écrasés par la machine industrielle. Il y a quelques années, préparant un entretien avec Myriam Sibuet, alors chercheuse à l’Ifremer, j’avais découvert – à ma grande honte, car j’aurais dû le savoir – qu’il existait une autre source de vie que la photosynthèse. En 1977, le sous-marin Alvin rencontrait à 2500 mètres de profondeur dans le Pacifique des sources hydrothermales à la vie foisonnante. Or cette vie ne reposait pas sur la photosynthèse, que l’humanité entière tenait jusque là pour unique dispensateur de la vie, mais sur la chimiosynthèse. En la circonstance, l’association entre des invertébrés et des bactéries. Lesquelles bactéries utilisant directement le méthane ou les sulfures pour se développer et produire ensuite des molécules assimilables par les invertébrés. Génial.

Morale de tout cela selon moi ? Nous ne savons rien, bis repetita. Mais il arrive que nous trouvions. Et dans le cas de Genodics, en approchant le plus possible des règles de base de la vie. Sans avoir recours aux artifices et artefacts, notamment dans le domaine devenu fou à lier de la chimie industrielle. L’une des voies praticables pour affronter cette crise écologique dont je vous rebats ici les oreilles, c’est justement cette redécouverte permanente de ce qui a permis à la nature vive de se maintenir si longtemps. Et de rétablir ses équilibres, fût-ce en plusieurs millions d’années, après des cataclysmes qui eussent dû l’anéantir. Oui, plus j’y pense, plus je crois que nous tenons là quelque chose d’infiniment précieux. Encore faut-il accepter au moins la possibilité de pensées scientifiques dérangeantes, comme celles de Sternheimer-Évariste ou encore de cet homme si mal traité que fut Jacques Benveniste, associé à jamais à la théorie de la mémoire de l’eau. Encore faut-il avoir le courage de combattre avec force les veilles barbes de l’Académie et de l’académisme. Et les sinistres personnages dans le genre de Claude Allègre. De l’imagination, donc. Et de la joie. Et de l’énergie. Bon, je dois reconnaître que ce n’est pas réaliste. Le bonjour.

Les biocarburants, la morale et l’élection présidentielle

Que notre monde soit au bout de sa route, l’affaire des biocarburants en apporte une preuve dont je me serais bien passé. Je ne veux surtout pas dire que nos sociétés vont disparaître rapidement. Leur temps et leurs soubresauts se moquent bien de l’échelle qui est la nôtre. Mais elles sont entrées dans un processus de dislocation qui ne peut désormais s’arrêter. En plus de tout le reste, que vous connaissez comme moi, qu’il s’agisse de la crise écologique ou des impasses de « l’économie » officielle, il y a ce que nous appelons communément la morale.

Aucun groupe humain ne se maintient longtemps sans un ciment invisible, omniprésent pourtant, qui permet d’accepter l’obligation sociale. Qui donne aux existences un minimum de sens cohérent, de manière que la vie de chaque jour, le reflet dans le miroir, l’adresse aux enfants demeurent acceptables ou mieux encore désirables. Or tout se dissout. Les voleurs d’en haut s’emplissent les poches, légalement ou non, et profitent du butin, tandis que les Apaches, d’ici ou d’ailleurs, partent aux galères pour avoir vendu du shit ou dérobé un téléphone portable. Mais pour en revenir à la question du jour, les biocarburants éclipsent tout.

Je rappelle l’excellent principe : dans un monde toujours plus dévasté par la faim, des hommes bien nourris – beaucoup au Nord, certains au Sud – ont imaginé la transformation de plantes alimentaires en carburant automobile. Que cela soit un crime complet, et même un assassinat, qui pourrait donc le contester, et avec quels arguments ? Il est possible, il est même probable – mais nullement démontrable – que des centaines de milliers d’hommes ont été achevés sur l’autel de cette nouvelle industrie. Je me refuse à évoquer des données précises, car nous sombrerions alors dans la statistique, dans cet habituel voyeurisme des gavés que nous sommes. La faim. Celle qui tenaille pour de vrai, pendant des semaines et des années. Qui rend fou quand il devient impossible de donner quelque chose au mioche qui réclame. Allons nous plaindre après cela de la cuisson de notre steak quotidien.

Je sais cela, et dans le détail, car j’ai publié en septembre 2007, à l’époque du si lamentable Grenelle de l’Environnement, un livre dont je suis fier : La faim, la bagnole, le blé et nous, Une dénonciation des biocarburants (Fayard). Je crois y avoir révélé l’essentiel. Soit la constitution d’un lobby jusqu’au cœur de l’État, piloté par l’agriculture industrielle, en panne de débouchés pour ses si goûteux produits. Soit la grossière manipulation de l’opinion, à qui l’on a vendu cette idée ridicule que les biocarburants seraient bons pour le climat, quand ils aggravent le dérèglement en cours. Soit la destruction accélérée de milieux naturels prodigieux – par exemple les forêts pluviales d’Indonésie – afin de les remplacer par des plantations, comme des palmiers à huile, matière première des biocarburants. Ou la vente de millions d’hectares d’un tenant dans le bassin du Congo, pour y planter jatropha, manioc ou Dieu sait quoi, aux mêmes fins en tout cas. Soit l’annonce de famines terriblement aggravées par la concurrence entre des terres à vocation agricole et des terres sacrifiées à cette putain de bagnole.

Voilà que la Cour des Comptes française s’en mêle. Longtemps après une poignée de grands scientifiques, qui ont tordu le cou aux légendes commerciales et industrielles au sujet des biocarburants. Et bien loin derrière les institutions, souvent ultralibérales pourtant, comme la FAO, l’OCDE, le FMI, etc. qui toutes se sont attaquées aux mythologies associées au monstre. Il n’empêche : notre Cour des Comptes, donc. Et que dit-elle (ici) ? Un, nos conseillers si bien rémunérés ne savent que ce qu’ils lisent, et ils lisent apparemment peu. Ainsi ne peuvent-ils prendre en compte le désastre écologique global, humain, moral que représente cette invention du diable. Ils se contentent, avec la prudence qui est consubstantielle à leur confortable état, de noter : « Si, en France, le bilan coût / avantages des biocarburants du point de vue de leur effet sur l’environnement donne lieu à certaines critiques, la contestation qui environne cette question dans les autres pays du monde est beaucoup plus forte et va croissant ». Ajoutons que leur (nov)langue est à faire peur, mais c’est une autre histoire.

Se préoccupant avant toute chose de pognon, la Cour note avec une tranquille désapprobation (ici) que les exonérations fiscales en faveur des biocarburants ont coûté 3 milliards d’euros au budget commun entre 2005 et 2010. Au seul profit du lobby de l’agriculture industrielle. Rappelez-vous, si vous l’avez oublié, que le président en titre du « syndicat » agricole FNSEA, Xavier Beulin, est le patron de Sofiproteol, holding pesant plus de 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2010, et dont le cœur de métier est la prolifération des biocarburants.

Moi, lorsque j’ai publié mon livre – je l’ai déjà écrit ici, mais je me dois de le marteler -, j’ai alerté tous les responsables de l’écologie en France. Quand je dis tous, j’exagère bien sûr. Mais pour les autres, il y avait tout de même mon livre. J’ai alerté, comme on dit, et suggéré quantité d’actions concrètes, auxquelles j’aurais volontiers participé au premier rang. Elles n’étaient pas toutes légales, non pas. Mais il me semble que face à une offensive planétaire du crime organisé, il faut accepter de risquer. Ses biens et sa liberté, pour commencer. Ne croyez pas que je verse avec facilité dans la grandiloquence. J’exprime ce que je pense. Et si même je devais reculer en telle ou telle circonstance, cela ne déconsidérerait que ma personne. Ni ma cause, ni les moyens proposés.

Une conclusion ? Les mouvements écologistes officiels et tous ces braillards de gauche ou d’extrême-gauche qui donnent des leçons à l’univers et prétendent incarner le bien, toutes ces excellentes personnes acceptent sans seulement moufter l’une des agressions les plus totales contre la vie et la morale élémentaire qu’on puisse imaginer. Et quand la barbarie montrera le bout de son groin, quel que soit ce groin, les mêmes, avant de s’enfuir, trouveront encore le moyen de justifier leur lâcheté et leur petitesse. Ils auront encore raison, car telle est la définition qu’ils se sont octroyé : toujours retomber sur ses pattes. Mais moi, je les exècre.

PS : Allez donc voter, je crois que j’ai autre chose à faire.

Le lac Poyang et l’élection présidentielle française

Rajout le 26 janvier, suite à un petit mot de mon ami Hacène. Il me reproche d’évoquer un avenir pulvérulent pour le lac Poyang, constatant à juste titre qu’il pleut encore 1 000 mm d’eau sur la région chaque année. Je ne change rien, et il le comprendra je pense, car j’ai déjà évoqué la grande distance – incommensurable – qui existe entre notre temps si chichement compté et celui des écosystèmes. Mon propos était une image.

Un événement domine tous les autres, qui réduit nos débats picrocholins à leur triste condition : l’état du lac Poyang, situé dans la province de Jiangxi (Chine). Avant de vous en dire plus, et je suis navré de devoir enfoncer ce clou empoisonné : l’élection présidentielle française, Son Excellence Jean-Luc Mélenchon comprise, est un comice agricole franchouillard, où les prétendants se filent des torgnoles pour rire, tout en arborant leur air avantageux et leurs plumes dans le derrière. J’ai honte. Je ne devrais pas, car tous ces candidats me sont bien peu, mais j’ai honte pourtant.

La France, dans ma mémoire profonde, est un pays de révoltés. Je ne dresserai pas la liste de toutes ses barricades, qui m’ont tant fait rêver. Je dois rappeler tout de même qu’il fut un moment de l’histoire où notre pays se pensait universel. Où il trouvait les mots – et les actes – pour parler bien au-delà de ses pauvres frontières géographiques et mentales. Tel n’est plus le cas. Gavé, perdu dans sa goinfrerie perpétuelle, il se contente de radoter. Sarkozy est un Rastignac de troisième division, Hollande un Mitterrand de pacotille, Mélenchon un Robespierre de banlieue. Ce n’est même pas drôle.

Le lac Poyang, donc. Allons à l’essentiel : il est crucial, il est vital pour les hommes et les animaux. Nous parlons d’un géant de 160 kilomètres de long et de 16 de large en moyenne. Soit le plus grand lac d’eau douce de ce pays d’1 milliard 400 millions d’habitants. Je ne sais pas, et je ne crois pas d’ailleurs qu’on sache bien, en Chine, combien d’humains sont abreuvés par ses eaux. Disons beaucoup, et je suis certain de ne pas me tromper. Disons des millions, et je suis bien sûr de ne pas exagérer. La province du Jiangxi, peu connue, se trouve au sud-ouest de Shanghai, et compte environ 45 millions d’habitants. Pour les oiseaux migrateurs, les chiffres sont raisonnablement plus précis : l’hiver, 500 000 d’entre eux et de 52 espèces différentes se gorgent de nourriture et de graisse sur ses rives et son imposante surface. Dont la merveilleuse et si menacée grue de Sibérie. Regardez ci-dessous cette beauté.

 Grus leucogeranus

Le Poyang abrite également 140 espèces de poissons et supporte la vie de 600 autres espèces animales (ici, en anglais). Que se passe-t-il là-bas ? Une catastrophe dont aucun mot humain ne peut s’approcher. Au printemps 2011, une sécheresse historique a frappé la région, asséchant 90 % de la superficie du lac. 90 % d’un lac de 160 kilomètres de long, je le rappelle. Je dois être en veine de photographies : regardez celles-ci, piquées à un site officiel chinois. Elles datent du 28 mai 2011 pour la première, et du 27 juin 2010 pour la seconde (ici), bien entendu prises au même endroit. Le lac est simplement devenu une prairie, avant peut-être de se changer en désert pulvérulent.

En haut : le 28 mai 2011, un photographe marche sur le lit exposé du lac Poyang à Jiujiang. En bas : le 27 juin 2010, le lac Poyang au même endroit.

Cela, c’était donc au printemps dernier. Et maintenant, c’est pire. Jamais le lac n’avait été aussi désespérément sec un mois de janvier. Les pêcheurs n’ont pas eu à sortir leurs barques, car l’eau n’y est plus (voir le reportage photo). La sécheresse n’est pas la seule explication, de loin. Le barrage des Trois-Gorges, l’insupportable barrage des Trois-Gorges (ici) joue un rôle-clé dans cette tragédie. Or ce barrage, c’est nous aussi. Car Alstom, l’entreprise franchouille dont Chevènement s’est fait le héraut a vendu aux canailles de la bureaucratie chinoise 12 des 26 turbines géantes des Trois-Gorges. Avis aux crapules de gauche et de droite qui défendent le travail « français ».

Pourquoi les Trois-Gorges sont-ils en cause ? Mais parce que le lac Poyang se situe à l’aval du lac de barrage, long de centaines de kilomètres ! Tout l’équilibre de ce qui fut un grandiose écosystème est rompu. À jamais, du moins à vue humaine. Une considérable partie des eaux est désormais retenue, au lieu d’irriguer les terres, et d’alimenter nappes et lacs. Même la Chine officielle s’en émeut, c’est dire ! Jetez un regard à cet article estampillé par Pékin, mais en langue française (ici), et notamment à ces mots terribles : « Le projet du barrage des Trois-Gorges n’a pas pris la mesure complète de son impact sur l’environnement durant sa phase de conception, a admis un fonctionnaire hier. Il a ajouté que cet impact pourrait néanmoins être minimisé par des rejets d’eau du réservoir appropriés dans le fleuve Yangtsé. Le plus grand projet hydroélectrique du monde a contribué à la diminution du niveau d’eau dans le lac Dongting du Hunan et dans le lac Poyang du Jiangxi, a déclaré Wang Jingquan, inspecteur adjoint du Bureau de prévention des inondations et de la sécheresse affilié au Comité des ressources hydrauliques du Yangtsé ».

Autrement dit, les communistes au pouvoir reconnaissent à demi-mots, mais vingt ans après les courageux qui osèrent l’écrire au risque de leur liberté et même de leur vie, que les Trois-Gorges sont un crime de masse. Je ne les déteste pas, je les hais. Je sais que dans une société (faussement) pacifiée comme la nôtre, il ne fait pas bon assumer un tel sentiment. C’est barbare. Pis, c’est vulgaire. Mais moi, pour être franc, je m’en fous. Je n’aurai pas vécu pour faire plaisir au monde des bien-nés et des bien-élevés.

Et je continue. La situation est si grave que, sans état d’âme apparent, les divines autorités de la province de Jianxi envisagent désormais…un barrage pour que le lac Poyang ne verse plus ce qui lui reste d’eau dans le Yangtsé, le fleuve martyrisé par les Trois-Gorges. Un barrage contre le barrage ! Nous sommes bel et bien dans le monde des Shadoks (ici, en anglais). Au total, si l’on en croit la presse officielle du régime, 243 lacs d’une surface de plus d’un kilomètre carré chaque ont disparu en Chine depuis cinquante ans (ici, en français).

Je vous le dis bien calmement : la Chine est en train de vivre un krach écologique au regard duquel nos angoisses ne pèsent rien. La crise financière dont tant de gens discutent chaque matin chez nous n’est absolument rien en face du grand désastre planétaire dont nous sommes coresponsables, au premier plan. Je vois, comme vous j’espère, que pas un candidat à notre funeste élection présidentielle ne s’intéresse si peu que ce soit à ce qui commande pourtant notre avenir commun. Autant dire que je les envoie tous au diable, du premier – de la première – au dernier – à la dernière. Je ne sais plus bien qui a dit cette phrase limpide, que je fais mienne : « Si le mensonge règne sur le monde, qu’au moins cela ne soit pas par moi ». Et en effet, au moins cela.

Anémone, Depardieu et les élections

Commençons par un bœuf bien de chez nous. Depardieu. Gégé Depardieu. Ce mec-là me dégoûte depuis beau temps, mais après tout, chacun ses préférences. Le monsieur a en tout cas de superbes références. Par exemple, ce copinage étroit avec le vieux caudillo de Cuba, Castro soi-même, sur fond de pétrole. Comment, vous ne saviez pas ? Admettez en ce cas que je précise. En 1996, Depardieu, copain comme cochon avec le volailler industriel Gérard Bourgoin, investit avec lui dans la recherche de pétrole à Cuba, et au Congo. Il m’est épouvantablement pénible de parler de gens qui, ayant été pauvres – les parents de Depardieu, Lilette et Dédé, étaient bel et bien des prolétaires – ont franchi le Rubicon du fric en poussant des cris d’orgasme. Je ne supporte pas. Physiquement. Psychiquement. Que tous ces salauds aillent au diable.

Mais où en étais-je ? Donc Depardieu est un homme de droite. Assoiffé de pognon. En 1998, je vous dis cela pour le cas où vous l’ignoreriez, il a osé s’afficher avec l’ultranationaliste slovaque Vladimir Meciar, en échange d’une somme que personne ne connaît. Meciar préparait alors des élections difficiles, et avoir comme soutien un type comme Depardieu, passant en boucle sur la télé locale, était de bonne et sinistre politique. Faut-il dès lors s’étonner de ses choix politiques en France même ? En 2007, il soutenait logiquement Sarkozy. En 2012, il s’apprête à remettre le couvert. Notre si merveilleux artiste a en effet déclaré au Journal du dimanche, fin décembre : « Je n’ai pas vraiment décidé… Tout le monde sait que les erreurs faites par Sarkozy les trois premières années de son quinquennat sont rattrapées. Ce sera sans doute vers lui que j’irai ».

Assez souffert, quoique. Parlons maintenant d’Anémone, l’actrice dont beaucoup savent qu’elle se proclame écologiste depuis des lustres. V’là t’y pas qu’elle a décidé de lâcher la candidate d’Europe-Écologie, Eva Joly. Je dois avouer que je m’en fous totalement, étant entendu que je ne compte pas voter au premier tour (au deuxième, moi le contempteur affiché des élections, je verrai, tant est grande ma détestation de Sarkozy). Je me fous donc qu’une voix s’éloigne d’Eva Joly, mais en revanche, la suite m’intéresse. Car Anémone a décidé de voter Mélenchon. Parce que c’est un homme de gauche, affirme-t-elle. Et parce que, ajoute-t-elle, il a « intégré l’écologie à son logiciel » (voir ici). Ma fois, c’est très con, et je vais essayer de vous le montrer, prévoyant comme à l’habitude, quand je m’attaque au Líder mínimo de la vraie gauche, de nombreuses réactions indignées et quelques insultes.

Mélenchon est écologiste tout comme son maître revendiqué, Mitterrand, était socialiste. C’est-à-dire qu’il ne l’est pas. Je rappelle en coup de vent que Mitterrand a commencé en politique chez les petites frappes fascistes des années Trente du siècle passé, qu’il a été vichyste, qu’il a défendu toute sa vie la canaille René Bousquet, policier en chef de Pétain et organisateur de la rafle du Vélodrome d’Hiver (16 et 17 juillet 1942), qu’il propulsa en politique un certain Robert Hersant – qui fut député de la FGDS mitterrandienne en 1967 – alors même que ce sale type avait été un fasciste activiste pendant la guerre, qu’il fut un atlantiste fervent pendant toute la Quatrième République, que 45 indépendantistes algériens furent guillotinés quand il était – jusqu’en mai 1957 – Garde des Sceaux. Et je pourrais aisément continuer.

Le certain, comme cela a été rappelé tant et tant de fois sans que cela ne change rien au lamentable culte dont il fait l’objet, c’est que Mitterrand a appris sur le tard, et pour des raisons d’opportunité, à parler socialiste. Avec force moulinets et attaques en règle contre l’argent-roi et le capitalisme fou. Juste avant de réhabiliter les patrons, via les sérénades de Tapie, qui fut son cher ministre, et d’attirer comme autant de mouches agioteurs, initiés et coquins associés. Faut-il souligner pour la millième fois que Mélenchon considère Mitterrand comme un modèle ? Je le crains. Et je crains fort qu’Anémone ne soit une imbécile de plus au pays des idiots. C’est dur ? Oui, ce l’est, mais j’assume.

Voyez-vous, j’ai eu la curiosité de regarder de près le blog de monsieur Mélenchon (ici). C’est édifiant, croyez-moi, ou vérifiez par vous-même. Oh, le mot écologie est certes écrit quelquefois. Moins, je vous le certifie, bien moins que l’expression « rupture avec le capitalisme » dans la bouche de Mitterrand lorsqu’il s’agissait de galvaniser les foules. Mais enfin, oui, le mot est utilisé. Seulement, je vous le demande : que signifie un mot quand il ne s’inscrit pas dans une réflexion, et s’il ne fait pas partie d’une culture ? La réponse coule de source : cela n’est rien, et pourra être balayé au premier détour du chemin. Au reste, que signifient, d’ores et déjà, ces appels à augmenter la consommation de biens matériels ? Où est la critique de la bagnole, des objets matériels inutiles, du téléphone portable, où est la réflexion sur l’aliénation, où est la critique radicale de la Chine, funeste mais éclatant symbole des impasses de tous les modèles existants ? Nulle part, et pour cause. Ce pauvre Mélenchon, en plus d’être ce qu’il est, doit se coltiner le si lourd héritage industrialiste, productiviste, nucléariste de ses bons amis du parti communiste.

Revenons donc au blog du petit maestro. Dans le moteur de recherche interne, j’ai tapé « crise écologique ». Ne s’agit-il pas d’une notion clé ? D’un authentique paradigme ? D’un cadre réellement nouveau de la pensée politique ? Et même, selon moi, d’un horizon indépassable ? Eh bien, pas pour Mélenchon. On ne trouve qu’une occurrence de cette expression dans ce blog né en 2004, et qui renvoie à un article du 16 octobre 2006. Encore ne s’agit-il que d’une courte allusion, sans aucune mise en perspective. Autre recherche qui ouvre en vérité sur des abîmes : « réchauffement climatique ». Je gage pour ma part qu’aucune autre question n’est aujourd’hui plus cruciale. Qui fait de la politique sans placer au premier rang ce sujet est un pur charlatan. Je constate avec un vrai malaise que le réchauffement n’apparaît qu’une seule fois, le 11 août 2007, et dans un cadre humoristique. And so what ? Eh bien, la messe n’est-elle pas dite ? Mutatis mutandis, la génération des amoureux de Mélenchon reproduit la malsaine relation qui existait entre Mitterrand et ce fameux « peuple de gauche », cocufié avec tant de facilité par ce vieux renard revenu de tout.

Je pourrais et devrais peut-être m’arrêter là, mais tenant à ce qui me sert de réputation, je souhaite ajouter un mot. Je ne sais évidemment pas ce qu’il y avait dans la tête de Mitterrand quand il enivrait les foules des années soixante-dix à l’aide de slogans quasi-insurrectionnels. Peut-être s’enivrait-il lui-même. C’est au reste la meilleure manière d’entraîner. Mélenchon a probablement sa part de sincérité. Mais cela ne l’empêche pas d’être lié, relié, emprisonné. Le cadre de sa pensée est définitivement éloigné de celui d’une écologie de rupture. Je dois concéder que, compte tenu de la confusion atroce du vocabulaire d’aujourd’hui, je serai bien soulagé quand un autre mot que celui d’écologiste aura fait son apparition. Cela viendra. Mais quand ?

Michelin se fout du monde et de l’Inde (suite sans fin)

Je vous parlais hier d’un article du Parisien et d’un reportage de France 3 consacrés à la construction de cette maudite usine Michelin en Inde. Eh bien, ce n’est pas terminé. Ce matin, au journal de 7 heures de France-Inter, il y avait un reportage à Clermont-Ferrand sur le même sujet. Le quotidien 20 Minutes publié de même un (bon) article (ici) et un journal local a également porté la voix des Intouchables du Tamil Nadu (ici).

Ce n’est pas un triomphe, non pas, et je ne peux hélas vous faire part des rebuffades subies auprès d’autres journaux, très connus. Néanmoins, mettez-vous à la place des villageois de Thervoy Kandigai. Lorsqu’ils sauront, bientôt, que des inconnus d’un autre monde les soutiennent, que pensez-vous qu’ils éprouveront ? J’en profite pour dire un mot à ceux qui tenaient et tiennent la pétition pour chose négligeable. Ils ont raison, mais surtout tort. Car si la pétition n’est rien, elle peut servir de levier de vitesse, permettant d’accélérer le mouvement. C’est exactement ce qui s’est passé. On appelait cela jadis de la dialectique, cet art antique de casser des briques.

Au fait, faisons les comptes. La pétition se décompose en trois parties, qui au total a réuni au moins 35 000 signatures. Celle que vous avez lue ici. Celle proposée par Cyberacteurs (ici) et surtout celle portée à bout de bras par Sylvain Harmat, responsable à Hambourg de la belle association allemande Rettet den Regenwald e.V.  (Sauvons la forêt, en français). Je tiens à chaleureusement remercier Sylvain, qui a mis tout son savoir-faire dans cette histoire, avant de mettre en ligne et en français une pétition qui a recueilli près de 30 000 signatures en quelques jours (ici). Ça c’est l’Europe, la vraie !

Je vous remercie tous, sincèrement, intensément, de votre engagement.