Archives mensuelles : avril 2017

La nature regagne ses droits (La Nouvelle-Zélande au Panthéon)

Ceci est un article que j’ai écrit pour Charlie, publié dans le numéro 1288. J’en suis spécialement heureux.

La fin du monde pour les adeptes de la raison courte. En Nouvelle-Zélande, un fleuve considéré comme sacré par les Maoris, vient de se voir accorder des droits réservés aux humains. Probablement le début d’une remise en cause planétaire de la toute-puissance d’Homo sapiens. Demain les animaux ? Demain les arbres ?

 

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C’est la révolution, et c’est pas tous les jours dimanche. Sur décision du Parlement, le fleuve néo-zélandais Whanganui – Te Awa Tupua en langue maori – est désormais une entité vivante, dont les droits sont les mêmes que ceux d’un humain. Deux avocats veilleront sur ses intérêts et pourront les défendre en tant que tels devant les tribunaux.

Le Whanganui et ses rives, jusqu’au Mont Tongariro, sont tenus pour sacrés par les Maoris, premiers habitants connus de l’île. Jacinta Ruru, professeur de droit, Maori elle-même, résume ainsi l’importance de l’affaire : « La manière dont interagissons avec le monde change, d’autant plus avec le changement climatique. Et cette idée de personnalité légale du fleuve place l’environnement à la fois devant, et au centre ».

On trouvera facilement des critiques de cette décision, des ricaneurs et même des indignés. Serait-on plongé dans une horrible régression animiste ? En ce cas, la tendance est lourde, car la Cour suprême de l’état de l’Uttarakhand, au nord de l’Inde, vient elle aussi d’accorder des droits, jusqu’ici réservés aux hommes, à un fleuve sacré, le Gange et à l’un de ses affluents, la Yamuna. De la même manière qu’en Nouvelle-Zélande, les juges ont désigné des responsables légaux, qui pourront défendre le droit à la vie de ces deux cours d’eau, parmi les plus pollués au monde. 500 millions d’Indiens vivent dans le bassin du Gange.

Où va-t-on ? Fort loin à coup sûr, vers un territoire encore inconnu. Verra-t-on naître, parallèlement à ces fracassantes nouveautés, une Déclaration universelle des devoirs de l’homme ? Dans tous les domaines de la vie, la science (re)met en cause ce qu’on croyait acquis pour l’éternité : l’irréductible singularité du genre humain. Et c’est particulièrement vrai en éthologie, qui démontre chaque jour un peu plus à quel point les animaux nous ressemblent.

Un Pascal Picq, paléoanthropologue réputé, s’interroge depuis plus de vingt ans sur ce que serait le « propre de l’homme », n’hésitant pas, depuis cette époque, à envisager d’accorder des droits humains aux grands singes, présentés comme des frères. Plus près de nous, l’éthologue néerlandais Frans de Waal se pose les mêmes questions, et y répond avec plus d’audace encore. Dans son dernier livre en Français, Sommes-nous trop « bêtes » pour comprendre l’intelligence des animaux ? (Les liens qui libèrent, 2016), il constate la consternante pauvreté du regard que nous portons sur les bêtes.

Ce qui saute aux yeux de grands savants comme Waal, c’est que ces dernières sont intelligentes. L’animal est capable d’utiliser des outils, d’apprendre le langage des signes, de lire des symboles, de distinguer les couleurs et les matières. Mieux encore, il éprouve des sentiments qu’on pensait exclusivement humains, comme l’empathie, et peut mobiliser parfois une mémoire plus puissante que celle du mieux doté des hommes. On ne parle pas là de tous les animaux, évidemment. Mais ces merveilles ne sont pas réservées aux seuls Chimpanzés ou Bonobos. Même si ces derniers ont démontré de prodigieuses capacités à pacifier les relations entre individus par le sexe.

Ainsi, la pie se reconnaît dans un miroir. Le poulpe déplace des coquilles de noix de coco pour se cacher au-dedans. Le crocodile assemble des branchages pour mieux piéger des proies. Le corbeau utilise une branchette pour s’emparer de chenilles coincées dans l’écorce d’un arbre.

Et justement, l’arbre. De nouvelles connaissances sont en train de bouleverser une relation qu’on croyait immobile entre eux et nous. Le livre du forestier Peter Wohleben, La vie secrète des arbres (publié en France par Les Arènes), fait un tabac en Allemagne, où il se rapproche du million d’exemplaires vendus. Et il est d’ores et déjà traduit en 32 langues. Or que nous raconte-t-il, sur la base d’études scientifiques concordantes ? Que les arbres parlent, à leur manière bien sûr. Qu’ils ont des échanges chimiques avec ceux qui les entourent. Qu’ils souffrent, qu’ils se soignent et se chérissent. Qu’ils préfèrent une vie familiale à l’horrible solitude que leurs imposent les forestiers productivistes. Mais avant tout, ils sont lents. Et comme nous vouons un culte imbécile et suicidaire à la vitesse, comment pourrions-nous comprendre leur être ? Demain, des droits pour les arbres et les forêts ?

Mais revenons-en aux rivières. Les Grecs anciens, qui n’étaient pas nécessairement plus cons que nous, avaient fait des fleuves et des rivières des dieux, les Potamoi. Hésiode, dans sa Théogonie d’il y a 2700 ans, en dénombre 3 000, enfantés par Téthys et Océan, dont le Strymôn, le Méandre et l’Istros. Peut-être est-ce la bonne direction. Car si l’on considère comme sacrée une rivière, il devient criminel d’y jeter sa merde. La solution est là, sous nos yeux : il ne s’agit plus de dépolluer, mais de ne plus jamais polluer. Ce qui obligerait à penser des process industriels, commerciaux, domestiques nouveaux, dont les principes de base interdiraient tout rejet toxique dans un cours d’eau. Mais que diraient Veolia et Suez ? Et leurs si nombreux amis de la politique ?