Je vous signale rapidement deux livres récents, avant que d’oublier. Bien entendu, ils sont en rapport avec l’objet essentiel de Planète sans visa, c’est-à-dire la crise écologique planétaire qui dévaste notre avenir commun. Je ne vous ennuie pas avec les romans et les essais qui remplissent aussi ma vie.
Et tout d’abord un livre gai, on ne peut plus plaisant, écrit par un homme que je dois désigner comme un copain : Jean-François Noblet. Jean-François, Grenoblois, a participé au lancement de la Frapna (Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature) dans l’Isère, il y a des lustres, puis il a créé et longtemps dirigé le service Environnement du conseil général de l’Isère. C’est un amoureux profond, enthousiaste, définitif de la nature et des bêtes. Voici un petit paquet d’années, il a publié un livre épatant, La nature sous son toit, consacré à la cohabitation entre eux et nous, sous le même toit. Et Jean-François ne se contente pas de donner des conseils, il pratique ce qu’il prêche. J’ai eu la chance d’aller le visiter, et j’ai vu comment les animaux communs, dans sa demeure comme dans son jardin, étaient traités. Comme des hôtes, comme des invités permanents. Je vous le dis comme je le pense : c’est beau.
Bon, le livre. La nature au Café du Commerce (Plume de Carotte, 156 pages, 15 euros). Une trentaine de chapitres, dont le titre annonce le propos : Les animaux sauvages sont méchants, Les chasseurs régulent la faune, Les écolos lâchent des vipères dans la nature, Les chauves-souris s’accrochent aux cheveux, etc. On aura reconnu les lieux
communs qui traînent chez tant de gens rencontrés ici ou là. Noblet a choisi le ton qu’il fallait pour tordre le coup à ces increvables inventions. Plutôt, les tons. Celui de l’humour, celui du pédagogue, parfois celui du grand frère compréhensif. Intervenant à la première personne, distillant les anecdotes, jamais agressif, il livre au fond un livre de sage, qui en a beaucoup vu, et qui en est revenu. Je ne suis pas d’accord avec tout ce qu’il écrit. Je pense par exemple qu’il aurait mieux fait de lire les ouvrages de Moriceau au sujet des attaques de loups sur les hommes avant d’envoyer son travail aux pelotes. Mais cela fait un moment que je n’avais pas lu avec autant de plaisir des histoires d’animaux. En France. Aujourd’hui.
Autre genre, Dieu sait ! Je connais et j’apprécie également André Cicolella, lanceur d’alerte bien connu dans certains cercles. Cico, comme on l’appelle familièrement, est chercheur et toxicologue. Il a été chassé de son emploi à l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), en 1994, parce qu’il avait organisé une conférence scientifique sur les éthers de glycol, danger toxique extrême. La justice lui a donné raison six ans plus tard, et entre-temps, il était devenu une figure publique. Responsable de la commission Santé d’Europe-Écologie-les-Verts – qui est parfait ? -, il a présidé la Fondation Sciences Citoyennes avant de diriger l’excellent Réseau Environnement Santé (RES, http://reseau-environnement-sante.fr).
Dans Toxique Planète ( le scandale invisible des maladies chroniques), paru au Seuil (316 pages, 19 euros), Cico détaille la folle expansion mondiale de maladies comme le cancer, le diabète, l’obésité, les affections cardio-vasculaires, les allergies. Et il démontre avec clarté que nombre de systèmes de santé n’y résisteront pas, ployant et même cassant sous la charge. Il convainc de même que le sempiternel déficit de notre Sécurité sociale n’a rien d’une crise financière, mais tout d’un désastre sanitaire. Il faudrait évidemment remonter aux causes de ces authentiques épidémies. Savez-vous bien que le tiers des Français souffrent aujourd’hui d’une allergie au moins, qu’elle soit respiratoire, alimentaire, cutanée ? Mettant en cause l’alimentation et l’agriculture productiviste, les produits de l’industrie chimique, le tabac bien sûr, il en appelle à une révolution paradigmatique dans la santé publique.
Et ? Le livre fourmille de données impeccables, d’études, d’inquiétudes fortement documentées. À ce titre, il est davantage que précieux. Il faut non seulement le lire, mais aussi le conserver non loin de soi. Reste qu’il y manque selon moi un examen des responsabilités. Celles de l’industrie. Celles de la publicité, reine du mensonge. Celles des autorités publiques. Celles des forces politiques. Celles, même, des habitants de ce pays, que nous sommes tous. Je vois bien que Cico a voulu montrer que la critique écologiste était sérieuse, argumentée, solide puisqu’étayée. Mais le constat me paraît manquer de mise en perspective. Le livre refermé, on a un peu le sentiment d’un grand malheur fatal, lié au développement d’une méta-machine incontrôlable, qu’on ne pourrait contenir qu’à ses marges. Cela ne change rien à l’intérêt évident du livre, mais cela devait être dit.