Archives mensuelles : septembre 2018

Que faites-vous le 5 octobre ?

Vous commencez à le savoir, mais vous commencez seulement. L’association « Nous voulons des coquelicots », dont je suis le président, a lancé le Grand Appel des Coquelicots, qui a dépassé les 200 000 soutiens en deux petites semaines (https://nousvoulonsdescoquelicots.org). C’est formidable, car rappelons-le, l’Appel exige l’interdiction de tous les pesticides de synthèse. C’est magnifique, mais cela reste dérisoire.

Pourquoi ? Mais parce que nous visons cinq millions de soutiens en deux ans. Si la fusée que nous avons lancée a dix étages, alors convenons que le départ s’est fait en fanfare, mais que nous ne faisons qu’entrevoir le deuxième. Il reste donc neuf étages, ou peut-être sept seulement, mais nous nous comprenons : c’est le début d’une grande aventure collective.

Nous ne sommes rien, douze peut-être, et sans un rond en poche. Nous avons créé dans la joie et le grand foutraque un site internet et fait fabriquer des dizaines de milliers de coquelicots en tissu de récup, très jolis, et qu’on peut accrocher à la boutonnière. Non sans les avoir avant cela achetés sur le site, car ils nous coûtent, personnellement je veux dire.

Nous donnons 24 rendez-vous aux amis des coquelicots. Chaque mois, tout le temps que durera l’Appel. Le premier vendredi de chaque mois, à 18h30, on se retrouvera devant la mairie du lieu où l’on habite, le sourire aux lèvres et le coquelicot – on peut aussi le fabriquer soi-même – bien accroché à la poitrine. Ce qui va se passer ? Nul ne sait. Moi, je pense et j’espère que, de mois en mois, nous serons chaque fois plus nombreux. Et heureux d’affirmer la beauté du monde. Il y aura des dizaines, peut-être deux centaines de rassemblements. Il en fleurit chaque matin.

En serez-vous ? Peut-être pas tous, mais franchement, le sens profond de Planète sans visa est bel et bien là. Tout ce que j’ai écrit ici depuis l’été 2007 menait droit au 5 octobre 2018 devant les mairies. Assez pour une fois de sombres pensées. Assez de « Qu’est-ce que j’peux faire, j’sais pas quoi faire ». Car pour cette fois, on sait. Il faut se lever, se compter, agir. Enfin ! ENFIN !

Quand les pesticides tuent massivement

Il me semble bien que voici une réponse – parmi mille autres – à la désinformation sur les pesticides. L’article que je mets ci-dessous est normalement réservé aux abonnés du journal Le Monde, mais je prends sur moi de le publier ici. Vous lirez ou pas. C’est extraordinaire. Certes, les champignons sont de toujours. Tortotubus n’aurait-il pas 440 millions d’années ?

Si la plupart sont inoffensifs pour les hommes – voire délicieux -, quelques-uns sont redoutablement toxiques. Les grandes familles dangereuses de champignons, souvent microscopiques, tueraient autant, à l’échelle planétaire, que la tuberculose ! Et les attaques fongiques contre les cultures de blé font chuter leur rendement de 20 %. La bagarre contre les « mauvais » champignons est une urgence mondiale.

Or l’on assiste à une poussée peut-être irrésistible de ces champignons-là. Les cinq principales cultures vivrières sont de plus en plus menacées. Ainsi que quantité de plantes et d’animaux, dont certains seraient poussés vers l’extinction par des champignons, comme les batraciens.

L’une des causes essentielles de ce phénomène est probablement « l’émergence mondiale de résistance aux antifongiques ». Le dérèglement climatique favorise les champignons et l’agriculture industrielle balance de plus en plus de pesticides sur les cultures, accélérant dans un cercle fou la résistance des champignons dangereux à tous les traitements. Cette année, dans le sud de la France, les vignerons avec pesticides ont traité de 15 à 17 fois leurs parcelles contre 11 en moyenne d’habitude.

Les pesticides ne sont pas la solution, évidemment. Ils sont le problème. Rejoignez l’Appel des coquelicots (https://nousvoulonsdescoquelicots.org) ! Et le 5 octobre à 18h30, tout le monde se retrouve devant les mairies des villes et des villages. Attention, il y aura quelques exceptions. A Lyon, par exemple, ce sera place Bellecour. Avec coquelicots, instruments de musique, gosses et cracheurs de feu.

 

Aspergillus fumigatus fungus. Coloured scanning electron micrograph (SEM) of fruiting bodies of the fungus Aspergillus fumigatus. This fungus causes aspergillosis in humans. The round structures (conidia) are covered in tiny spores, about to be released into the air. A. fumigatus grows in household dust and decaying vegetable matter. Although harmless to healthy people, the fungus can cause complications in people with respiratory complaints or weakened immune systems. Inhalation of the spores may lead to aspergill- osis, infection of the lungs and bronchi, which can be fatal in some cases. Magnification unknown.

Les champignons, une menace silencieuse sur la santé et l’alimentation humaine

Par Nathaniel Herzberg

Enquête
Publié le 17 Septembre 2018

Les pesticides épandus pour protéger les récoltes des attaques fongiques ont engendré des résistances, y compris chez des souches qui infectent l’homme.

Faites le test : demandez autour de vous quel champignon présente le plus de danger pour l’humain. Neuf personnes sur dix choisiront l’amanite phalloïde. Erreur on ne peut plus funeste. Avec ses quelques dizaines de décès en Europe les pires années, le « calice de la mort » devrait faire figure d’amateur dans la planète mycète. De même que le moustique surpasse de loin tous les animaux réputés féroces, les vrais tueurs, chez les champignons, sont microscopiques, méconnus et autrement plus meurtriers que notre vénéneuse des forêts.

Cryptococcus, pneumocystis, aspergillus et candida : chaque année, chacune de ces grandes familles tue plusieurs centaines de milliers de personnes. Selon les dernières estimations du Gaffi (le Fonds global d’action contre les infections fongiques), les pathologies associées feraient au moins 1,6 million de victimes annuelles, soit presque autant que la tuberculose (1,7 million), la maladie infectieuse la plus meurtrière au monde. « Des estimations basses », précise le professeur David Denning, directeur exécutif du Gaffi et chercheur à l’université de Manchester.

D’autant qu’elles ne prennent nullement en compte le poids des attaques fongiques dans les désordres alimentaires mondiaux. Les deux principales pathologies du blé, la septoriose et la rouille noire, toutes deux provoquées par un champignon, feraient baisser la production mondiale de 20 %. La production ainsi perdue suffirait à nourrir 60 millions de personnes. Etendues à l’ensemble des cultures agricoles, c’est 8,5 % de la population mondiale, soit environ 600 millions de personnes, selon des chiffres publiés en 2012, qui pourraient garnir leurs assiettes si les lointains cousins de la truffe épargnaient les récoltes.

Taches de septoriose sur des feuilles de blé tendre, en France.

Taches de septoriose sur des feuilles de blé tendre, en France. NICOLE CORNEC / ARVALIS

Il faut dire que les champignons sont partout. Sur nos poignées de porte et au bord de nos baignoires, à la surface des aliments que nous ingérons comme dans l’air que nous respirons. Essentiels au cycle du vivant, ils digèrent les déchets et les recyclent en énergie disponible. Sans eux, pas de compost ni d’engrais naturels, pas de roquefort ni de vins doux. Encore moins de pénicilline, ce premier antibiotique né de l’appétit des moisissures penicillium pour les bactéries. Précieux pour l’ordre végétal, donc, et pour la plupart sans danger pour les humains.

« Sur les quelque 1,5 million d’espèces estimées, quelques centaines ont la capacité de survivre dans notre organisme, souligne le professeur Stéphane Bretagne, chef du laboratoire de mycologie de l’hôpital Saint-Louis, à Paris, et directeur adjoint du Centre national de référence (CNR) des mycoses invasives de l’Institut Pasteur. En plaçant notre corps à 37 degrés, l’évolution nous a mis à l’abri de la plupart des champignons. Les autres, quand tout va bien, sont éliminés par notre système immunitaire. »

« Plus complexe qu’une bactérie »

En avril 2012, pourtant, un inquiétant « Fear of Fungi » (« La peur des champignons ») barrait la « une » de la prestigieuse revue Nature. Sept scientifiques britanniques et américains y décrivaient l’explosion d’infections virulentes parmi les plantes et les animaux. On croyait, depuis la grande famine irlandaise (1845-1852) et les épidémies d’oïdium (1855) puis de mildiou (1885) qui détruisirent l’essentiel de la vigne française, que les grands périls agricoles étaient derrière nous. Eh bien non, répondaient-ils : la pression fongique sur les cinq principales cultures vivrières ne cesse de s’intensifier. Le blé, donc, mais aussi le riz, assailli dans 85 pays par la pyriculariose, avec des pertes de 10 % à 35 % des récoltes.

Idem pour le soja, le maïs et la pomme de terre. « Si ces cinq céréales subissaient une épidémie simultanée, c’est 39 % de la population mondiale qui verrait sa sécurité alimentaire menacée », explique Sarah Gurr, du département des sciences végétales de l’université d’Oxford, une des signataires de l’article.

Les champignons ne s’en prennent pas qu’à l’agriculture, rappelaient les chercheurs. Reprenant la littérature, ils constataient que 64 % des extinctions locales de plantes et 72 % des disparitions animales avaient été provoquées par des maladies fongiques. Un phénomène amplifié depuis le milieu du XXe siècle : le commerce mondial et le tourisme ont déplacé les pathogènes vers des territoires où leurs hôtes n’ont pas eu le temps d’ériger des défenses. Les Etats-Unis ont ainsi perdu leurs châtaigniers, l’Europe a vu ses ormes décimés. Les frênes sont désormais touchés : arrivée d’Asie il y a quinze ans, la chalarose a ainsi frappé la Pologne, puis toute l’Europe centrale. Elle occupe désormais un tiers du territoire français. Seule chance : Chalara fraxinea ne supporte pas la canicule. La maladie a donc arrêté sa progression et commencerait même à reculer.

Les animaux sont encore plus durement atteints. Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), 40 % des espèces d’amphibiens sont aujourd’hui menacées, des dizaines auraient disparu. Premier responsable : Batrachochytrium dendrobatidis, alias Bd. Depuis vingt ans, le champignon venu de Corée a décimé grenouilles et crapauds en Australie et sur l’ensemble du continent américain. Son cousin Bsal, lui aussi arrivé d’Asie, cible salamandres et tritons européens avec une mortalité proche de 100 %. Aux Etats-Unis, un autre champignon, le bien nommé Geomyces destructans, poursuit son carnage auprès des chauves-souris. La maladie du museau blanc touche près de la moitié du pays et aurait tué plusieurs millions de chiroptères.

Dans le Vermont, aux Etats-Unis, des chauves-souris brunes sont frappées par la maladie du museau blanc.

Dans le Vermont, aux Etats-Unis, des chauves-souris brunes sont frappées par la maladie du museau blanc. RYAN VON LINDEN / US Fisheries and wildlife / SPL/ BIOSPHOTO

Coraux et tortues dans les mers, abeilles, oies et perroquets dans les airs… la liste est longue. « Il ne fait guère de doute que ces pathologies sont de plus en plus nombreuses, affirme, statistiques à l’appui, Matthew Fisher, du département des maladies infectieuses de l’Imperial College de Londres, premier signataire de la publication de 2012. Depuis notre article, il y a eu une prise de conscience, mais la situation s’est détériorée. »

Aussi en mai, Matthew Fisher et Sarah Gurr ont récidivé, cette fois dans Science, en s’adjoignant les services du Suisse Dominique Sanglard. Biologiste à l’université de Lausanne, il traque « l’émergence mondiale de résistance aux antifongiques » en incluant dans le tableau les pathologies humaines. Des maladies « longtemps négligées, souligne-t-il. D’abord, elles étaient moins fréquentes que les pathologies bactériennes ou virales. Ensuite, elles frappent des patients immunodéprimés dont les défenses ne sont plus capables de contenir les champignons , pas des sujets sains. Enfin, un champignon, c’est beaucoup plus complexe qu’une bactérie, beaucoup plus proche de nous aussi, donc plus difficile à combattre sans attaquer nos propres cellules. »

L’épidémie de sida, dans les années 1980, a commencé à modifier la donne. « Les patients immunodéprimés se sont mis à mourir massivement de pneumocystoses ou de cryptococcoses », se souvient Olivier Lortholary, chef du service des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Necker et directeur adjoint du CNR mycoses invasives à l’Institut Pasteur. Si l’accès aux trithérapies a permis de limiter l’hécatombe dans les pays occidentaux, il n’en va pas de même ailleurs dans le monde. Selon les dernières statistiques du Gaffi, plus de 535 000 malades du sida meurent encore chaque année, victimes d’une infection fongique associée. « C’est sans doute plus, insiste David Denning. Certaines pathologies fongiques pulmonaires sont prises pour des tuberculoses. »

Mycologue au CHR de Cayenne, Antoine Adenis en sait quelque chose. La forte présence de la leishmaniose dans le département avait conduit le service de dermatologie à analyser toutes les plaies des patients séropositifs. « Nous avons découvert la présence de l’histoplasmose un peu par hasard », raconte-t-il. Les médecins ont alors systématiquement recherché le champignon histoplasma et découvert qu’il constituait la première cause de décès des malades du sida en Guyane. Au Suriname voisin, réputé vierge de champignons, il a découvert que « 25 % des hospitalisés VIH étaient touchés ». Le médecin a ensuite étendu son étude à toute l’Amérique latine. Le résultat a stupéfié la communauté : selon un article publié en août, dans The Lancet, le champignon y tuerait quelque 6 800 personnes par an, plus que la tuberculose, réputée première cause de mortalité associée au sida.

Les champignons et leurs spores ne se contentent pas d’attaquer les porteurs du VIH. « Ils compliquent toutes les pathologies respiratoires quand ils ne les provoquent pas », explique David Denning. Asthme sévère, aspergilloses broncho-pulmonaires allergiques ou chroniques… « Cela représente plus de 14 millions de personnes dans le monde et au moins 700 000 décès par an », assure le médecin britannique.

Un adolescent anglais atteint par une teigne résistante aux antifongiques.

Un adolescent anglais atteint par une teigne résistante aux antifongiques. D.DENNING/LIFE

Enfin, il y a les pathologies dites « hospitalières ». « Chimiothérapies, greffes de moelle, transplantations d’organes, biothérapies… La médecine moderne, comme l’augmentation de la durée de la vie, multiplie la quantité de malades immunodéprimés dans les hôpitaux, analyse Tom Chiller, chef de la branche mycoses du Centre de contrôle des maladies américain (CDC). Beaucoup ont déjà en eux des champignons qui trouvent là l’occasion de prospérer, ou ils les rencontrent à l’hôpital. Tous représentent des cibles idéales. »

Une fois les pathogènes dans le sang, le pronostic devient effrayant. A l’échelle mondiale, le taux de mortalité parmi le million de malades traités avoisinerait les 50 %. « En France, depuis quinze ans, le taux reste entre 30 % et 40 % pour les candidoses, entre 40 % et 50 % pour les aspergilloses, indique Stéphane Bretagne. Désespérément stable. » « Et l’incidence des candidoses systémiques augmente de 7 % chaque année, renchérit son collègue Olivier Lortholary. Même si c’est en partie dû à l’augmentation de la survie des patients de réanimation aux attaques bactériennes, c’est une vraie préoccupation, ma principale inquiétude avec les champignons émergents souvent multirésistants. »

Un suspect : les horticulteurs

Résistances et émergences : l’hôpital de Nimègue, aux Pays-Bas, et son équipe de recherche en mycologie, en sont devenus les références mondiales. En 1999, le centre y a enregistré le premier cas de résistance d’une souche d’Aspergillus fumigatus aux azoles, la principale classe d’antifongiques. Puis les cas se sont multipliés. « Et ça ne cesse de croître, souligne Jacques Meis, chercheur au centre néerlandais. Dans tous les hôpitaux des Pays-Bas, la résistance dépasse les 10 %, et atteint jusqu’à 23 %. » Avec pour 85 % des patients infectés la mort dans les trois mois.

L’inhalation des spores d’« Aspergillus fumigatus » peut entraîner une infection invasive des poumons et des bronches, souvent fatale.

L’inhalation des spores d’« Aspergillus fumigatus » peut entraîner une infection invasive des poumons et des bronches, souvent fatale. JUERGEN BERGER / SPL/ COSMOS

Les scientifiques n’ont pas mis longtemps à désigner un suspect : les horticulteurs. Aux Pays-Bas, champions de l’agriculture intensive, le traitement standard des tulipes consiste à en plonger les bulbes dans un bain d’azoles. Longtemps, les organisations agricoles ont plaidé non coupables. Mais à travers le monde, les preuves se sont multipliées. A Besançon, où ont été mis en évidence les deux premiers cas français d’aspergilloses résistantes chez un agriculteur et un employé de la filière bois, les mêmes souches mutantes ont été trouvées dans les champs du malade et dans plusieurs scieries de la région.

« Les agriculteurs ne visent pas les mêmes champignons, mais les fongicides qu’ils emploient ne font pas la différence, ils rendent résistants les pathogènes humains », explique Laurence Millon, chef du service de parasitologie-mycologie du centre hospitalier de Besançon. « L’histoire se répète, soupire Matthew Fisher. L’usage massif des antibiotiques par les éleveurs a développé les résistances des bactéries humaines. L’emploi à outrance des fongicides par les cultivateurs fait de même avec les champignons. »

Le monde agricole se trouve pris entre deux menaces. D’un côté, la résistance toujours plus importante de champignons dopés par le changement climatique conduit à multiplier les traitements phytosanitaires. « Cette année, dans les vignes du sud de la France, la pression fongique était telle qu’au lieu des onze traitements annuels moyens ce qui est déjà beaucoup , les vignerons en ont délivré entre quinze et dix-sept », constate Christian Huyghe, directeur scientifique agriculture de l’Institut national de la recherche en agronomie (INRA). La faute à un printemps exceptionnellement pluvieux et un été particulièrement sec. Mais aussi à l’adaptation des champignons à tout ce que le génie humain invente de produits phytosanitaires.

Depuis les années 1960, l’industrie s’en est pris successivement à la membrane des cellules du champignon, à leur paroi, à leur ARN ou à leur respiration… Cinq classes d’antifongiques ont ainsi été mises au point. « Trois étaient vraiment efficaces, résume Sabine Fillinger, généticienne à l’INRA. Les strobilurines rencontrent des résistances généralisées. De plus en plus de produits azolés connaissent le même sort. Il reste les SDHI [inhibiteur de la succinate déshydrogénase], mais ils commencent à y être confrontés et ça va s’aggraver. »

De plus en plus impuissants face aux pathogènes, les fongicides agricoles se voient aussi accusés de menacer la santé humaine. Des chercheurs de l’INRA et de l’Inserm ont ainsi lancé un appel dans Libération, le 16 avril, afin de suspendre l’usage des SDHI. Le dernier-né des traitements n’entraverait pas seulement la respiration des cellules de champignons ; par la même action sur les cellules animales et humaines, il provoquerait des « encéphalopathies sévères » et des « tumeurs du système nerveux ».

L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses) a décidé d’examiner l’alerte. Elle s’est d’autre part autosaisie afin de vérifier l’éventuelle toxicité humaine de l’époxiconazole. « Cet azole est l’une des dernières substances actives sur le marché, nous en utilisons 200 tonnes par an en France, mais c’est également un reprotoxique de catégorie 1 [affecte la fertilité], la plus préoccupante, et un cancérigène de catégorie 2 », indique Françoise Weber, directrice générale déléguée au pôle produits réglementés de l’Anses. Un avis négatif de la France pourrait peser en vue de la réévaluation du produit au niveau européen, prévue en avril 2019.

Hécatombe mondiale

A l’INRA comme à l’Anses, on jure avoir comme nouvel horizon une agriculture sans pesticide. Développement de nouvelles variétés, diversification des cultures, morcellement des paysages et « anticipation des pathologies nouvelles que le changement climatique fait remonter vers le nord et que le commerce mondial apporte d’Asie », insiste Christian Huyghe. Du blé tendre aux laitues ou aux bananes, nombre de cultures font face à des pathogènes émergents. Des champignons nouveaux frappent également les humains. Dans les services hospitaliers, le dernier diable s’habille en or. Découvert au Japon en 2009 et intrinsèquement résistant à tous les traitements, Candida auris flambe particulièrement dans les hôpitaux indiens, pakistanais, kényans et sud-africains. La France semble jusqu’ici épargnée. Mais cinq autres champignons à « résistance primaire » y ont fait leur nid, totalisant 7 % des infections invasives à Paris, là encore chez les immunodéprimés.

Plants de banane attaqués par la fusariose au Cameroun.

Plants de banane attaqués par la fusariose au Cameroun. T. LESCOT / CIRAD

Plus inquiétant peut-être, de nouvelles infections invasives touchent des patients dits immunocompétents. Aux Etats-Unis, la « fièvre de la vallée » ne cesse de progresser. Pour la seule Californie, les coccidioïdes cachés dans la terre, relâchés à la faveur de travaux d’aménagement ou agricoles, ont contaminé 7 466 personnes en 2017. Au CDC d’Atlanta, on ne dispose d’aucune statistique nationale mais on parle de « centaines » de morts.

Moins meurtrière mais terriblement handicapante, une nouvelle forme de sporotrichose touche des dizaines de milliers de Brésiliens. Partie de Rio, elle a conquis le sud du pays et gagne le nord, essentiellement transmise par les chats. « L’épidémie est hors de contrôle », assure Jacques Meis. Et que dire de ces ouvriers de Saint-Domingue qui nettoyaient une conduite d’usine remplie de guano de chauves-souris ? « Ils étaient 35, jeunes, aucun n’était immunodéprimé, raconte Tom Chiller, qui a publié le cas en 2017 dans Clinical Infectious Diseases. Trente sont tombés malades, 28 ont été hospitalisés. » Le diagnostic d’histoplasmose n’a pas tardé. Neuf ont été admis en soins intensifs. Trois sont morts.

Cette hécatombe mondiale n’a rien d’une fatalité, assurent les scientifiques. « La médecine moderne augmente les populations à risque, admet David Denning. Mais en améliorant le diagnostic et l’accès aux traitements, en développant la recherche, en réservant à la santé humaine les nouvelles molécules qui finiront par apparaître, on doit pouvoir réduire considérablement la mortalité des infections. »

Doux rêve, répond Antoine Adenis. « La mycologie reste le parent pauvre de la microbiologie », regrette-t-il. Ainsi, pour la première fois cette année, Laurence Millon n’aura pas d’interne dans son service de Besançon. Et David Denning, qui gère son Gaffi avec des bouts de ficelle, de soupirer :

« Quand un malade leucémique meurt d’une infection fongique, tout le monde parle du cancer à l’enterrement, personne des champignons. Et à qui pensez-vous que l’on fait les dons ? »
Nathaniel Herzberg

Les lobbyistes sont là

Amis et lecteurs de Planète sans visa, il me semble qu’il faut serrer les dents et se concentrer sur ce qui compte vraiment. Le Grand Appel des Coquelicots est d’ores et déjà un magnifique succès (https://nousvoulonsdescoquelicots.org), mais il se heurte comme de juste au lobby des pesticides. Dans le nouveau livre (Nous voulons des coquelicots, LLL) que nous consacrons aux pesticides, François Veillerette et moi-même montrons à quel point il est organisé, et dangereux. D’autant plus dangereux qu’il est blessé, et sur la défensive. Je vous conjure de faire face, sans surenchère, mais sans faiblir un instant. Lisez donc la suite.

 

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Un lecteur vient de m’envoyer ceci :

de Sylvain,

coucou Fabrice.

Bravo pour ton appel que je signe et partage autour de moi.

En parallèle je discute (sur FB) avec des personnes qui remettent en cause la pertinence de cette appel, en particulier sur 3 points :
1/ Ton appel visent uniquement les pesticides de synthèse. Quid des pesticides “bio” qui semblent eux aussi être dangereux pour l’environnement.
2/ Beaucoup me ressorte l’argument que tout est poison et que c’est la dose qui fait que quelque chose n’est pas poison.
3/ Pas de pesticide ? OK mais alors comment va t-on nourrir la planète ? Sur ce point, je leurs sors les arguments de Marc Dufumier, mais ça n’a pas l’air de les convaincre.

Ainsi, je me retrouve le cul entre 2 chaises :
_D’abord l’envie de défendre mordicus le contenu de cet appel mais avec un manque cruel d’arguments pour le faire n’étant pas spécialiste du sujet.
_et le sentiment un peu coupable de penser que parmi les arguments brandis par les détracteurs de l’appel il y a peut être de choses vraies.

3 exemples d’articles que j’ai reçu, et qui, j’avoue, peuvent un peu faire vaciller les convictions que j’ai et qui sont porté par ton appel :
http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2613

https://www.agriculture-environnement.fr/2014/01/23/jardinage-bio-et-pesticides915

http://www.forumphyto.fr/2016/11/30/alimentation-10-000-fois-plus-de-pesticides-naturels-que-de-residus-de-pesticides-de-synthese/

Salut à toi 🙂


Ma réponse,

Cher Sylvain,

Tu perds hélas ton temps et ton énergie, car ces arguments circulent en boucle à l’initiative directe ou indirecte du lobby. Il faut comprendre comment cela fonctionne. Ce lobby dispose de fonds sans limite ou presque et appointe un nombre x de faux débatteurs – à mon sens et pour l’heure entre 15 et 20 personnes – qui écument les réseaux sociaux et organisent des « dialogues » à la manière dont une araignée – dieu que j’aime pourtant cet animal – dialogue avec ses proies. Le tout est fortement documenté, ainsi qu’on a pu voir en septembre 2017 dans le journal Le Monde, qui décrivait les coulisses des Monsanto Papers.

Cette firme agrochimique entretient un authentique cabinet noir qui organise la ruine de la réputation des scientifiques – et des journalistes – qui lui déplaisent. Et fait endosser par des scientifiques corrompus – oui, cela existe aussi – des articles rédigés en fait par ses services commerciaux. Il est temps d’ouvrir les yeux en grand. On ne peut dire abstraitement que l’industrie des pesticides est devenue criminelle. Il faut aussi apprendre ensemble à considérer ses manœuvres concrètes.

Je vais vous donner un exemple concret. Un certain Emmanuel Grenier tweete sans jamais s’arrêter des messages comme : « Article hallucinant de #Nicolino dans @Charlie_hebdo Il demande carrément de mettre fin à l’indépendance des scientifiques de l’Anses_fr. Il veut que les scientifiques obéissent à Macron. C’est plus Nicolino, c’est Nicolyssenko ».

Bon, c’est grotesque, mais le sieur s’adresse à son camp rétréci et entend mobiliser ses maigres troupes. Il ne s’agit jamais que de disqualifier. Ainsi, ce n’est pas Nicolino qui signe le papier sur l’Anses de cette semaine, mais Charlie tout entier. L’article ne vise pas « les scientifiques », fussent-ils de l’Anses, mais son directeur Roger Genet, accusé d’être un militant propesticides. Quant à obéir à Macron, hum ?

C’est grotesque, mais éclairant. Car Grenier – et tous ses compères, comme Rivière-Weckstein – appartient à un groupe très identifié de lobbyistes professionnels. Admirateurs sans complexe des nitrates, du nucléaire, des pesticides, négateurs jusques et y compris du trou dans la couche d’ozone. Grenier a été l’une des chevilles ouvrières de l’« Institut de l’Environnement », créé en 1999 pour réhabiliter les nitrates. À l’initiative de très gros de l’agro-industrie bretonne, comme Doux, Gourvennec ou Bernard Salaison. Cet « Institut » a même organisé au Sénat un colloque – les 13 et 14 novembre 2000 – pour réhabiliter les pauvres nitrates. Parmi les contributeurs, Emmanuel Grenier, qui signait une intervention mêlant l’interdiction du DDT, le plomb, la couche d’ozone, l’arrêt de Superphénix, et un sombre complot. Et Grenier était, aux dernières nouvelles, le trésorier de l’Association des journalistes de l’environnement (http://aje-environnement.org/presentation-2). Pas mal, non ?

Si vous voulez en savoir plus et diffuser, lisez donc cela

et vous m’en direz des nouvelles. Et voyez plutôt d’où viennent ces si graves gens : La préhistoire de messieurs Grenier et Rivière-Weckstein.

Cherche volontaires

 

Amis, ainsi que vous avez peut-être vu, l’Appel des coquelicots, lancé hier matin (https://nousvoulonsdescoquelicots.org/) a déjà recueilli 60 000 signatures. Si vous ne l’avez pas fait, franchement, c’est maintenant.

Mais je dois vous parler d’autre chose. Le vendredi 5 octobre à 18h30, les signataires du Grand Appel se retrouvent sur les places des villes et villages. Un jour de fête nationale, avec joie, champagne ou orangeade, musique et chorales, casseroles et sonnettes de vélo, grande rigolade.

Il faut de toute urgence des volontaires, des correspondants locaux et régionaux pour organiser la fête. Ne donnez pas de contacts ici, car je suis pas qu’un peu débordé, mais directement sur le site de l’Appel. Beaucoup, ici, en avaient marre de prendre des coups. Eh bien, cette fois, pas d’excuse : c’est l’heure et elle ne repassera pas. Autrement dit, la priorité des priorités est de répandre l’Appel dans le moindre recoin de la société. On sort définitivement du ghetto et on s’adresse à tous. A tous ? A tous, car il s’agit d’un appel au secours d’humains à d’autres humains.

Vous savez quoi ? Si je me lance là-dedans, c’est que je veux être fier de moi. Si le mensonge règne sur le monde, ce ne sera pas par moi. Et pas par vous, hein ?

Se lever enfin

Planète sans visa est l’objet d’une attaque informatique en passe de rendre l’accès si difficile qu’il en sera impossible. Qui est derrière ? Je n’en sais rien, mais ça tombe très mal.

Ce que je veux vous dire est simple : c’est l’heure. Dieu sait que nous avons des raisons de pleurer sur le sort de la vie. Mais de vous à moi, je ne supporte plus notre inaction, et depuis longtemps. Rendez-vous sur www.nousvoulonsdescoquelicots.org pour signer un Appel que nous voulons historique. Nous ? Notre association, qui est aussi la vôtre : Nous voulons des coquelicots. Que personne ne se défile ! Car cette fois, on peut agir.

Sachez que nous cherchons dès maintenant des correspondants locaux et régionaux de l’Appel, qui seront chargés de penser des actions jusqu’au coeur de la société française, dans son moindre recoin. Et ça va durer deux ans. Deux ans ! C’est parti, nous visons cinq millions de soutiens.