Archives mensuelles : mars 2014

Un remaniement, un réchauffement

Vous connaissez le principe du pâté d’alouette, n’est-ce pas ? Vous prenez un cheval, une alouette, et vous mélangez le tout. Sous le nom (à peine) frauduleux de « pâté d’alouette ». C’est à cette coquecigrue que je songe, en ce lundi après-midi, après avoir écrit quelques lignes, voici trois heures, sur le résultat des élections municipales françaises. Coquecigrue ! Le mot est apparu dans notre langue par la grâce exquise de Rabelais, dans son grandiose Gargantua, où son héros Picrochole « fut avisé par une vieille lourpidon que son royaume lui serait rendu à la venue des coquecigrues ».

La coquecigrue est une absurdité, car elle est le mariage entre un coq, une grue, et de la ciguë, ou une cigogne. Pourquoi avoir pensé à cela ? Toute la France politicienne, qui se compte tout de même en millions d’humains, attend avec fébrilité l’annonce d’un remaniement dans le sinistre gouvernement actuel de notre pauvre République. Et dans le même temps, on apprend la publication d’un nouveau rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Vous vous en doutez certainement, le dérèglement climatique s’aggrave dans des proportions terribles (ici).

Nous allons vers des conflits, des famines, des inondations, des sécheresses, une érosion massive, des extinctions d’espèces par milliers, l’acidification accrue des océans, le malheur pour tous ou presque. Parce que nous avons encore confiance dans des gens comme Hollande ou Sarkozy en France. Ou Merkel en Allemagne. Ou Obama aux États-Unis. Ou Poutine en Russie. Ou Li Keqiang en Chine. Ou Manmohan Singh en Inde. Le monde court de plus en plus vite vers une destinée affreuse, et tant d’entre nous se demandent qui sera ministricule. C’est ridicule. C’est abject. J’ai honte.

Ce que je retiens de ces lamentables élections municipales

Je ne vais pas m’imposer bien longtemps, rassurez-vous. Soit vous vous foutez des élections, soit vous avez eu bien assez de pauvres commentaires. Et donc, rapidement.

Ceux qui gouvernent, ceux qui aspirent à gouverner trouvent fort aisément leurs marques face à l’abstention record. Comme en Amérique, où la moitié des électeurs possibles ne se déplacent pas ? Comme. Nos Excellences de gauche et de droite démontrent, s’il en était besoin, qu’ils se moquent totalement de savoir si leur propre peuple marche un peu, beaucoup, passionnément, et finalement pas du tout. C’est une démonstration impeccable. Je rappelle que près de 40 % des Français ne sont pas allés voter pour une élection locale censée être la plus courue de toutes.

Deuxième point, corollaire du premier : ils ne représentent pas ce qu’ils prétendent. Aux 38 % d’abstentions hier, il faut ajouter les votes blancs ou nuls, qui ne sont opportunément pas comptabilisés de manière nationale, en tout cas pas ce matin. Je note qu’au second tour de la présidentielle de 2012, on en a compté deux millions, qui n’ont pas voulu trancher entre les deux zozos qui se présentaient. Et ne parlons pas de ceux qui, quelles que soient leurs raisons, ne sont pas inscrits sur les listes électorales. Même en s’en tenant aux seules abstentions,  la réalité n’est certes pas ce qu’ils décrivent. Les chiffres donnés par Le Monde, qui doivent bien en valoir d’autres, indiquent : « Au niveau national, la gauche rassemble 40,57 % des suffrages, tandis que le bloc de droite s’élève à 45,91 %, et l’extrême droite à 6,62 % ».

Sortant ma calculette – je pratique peu, et si je me trompe, je rectifierai -, je traduis. 45,91 % pour la droite, cela représente 28,46 % des inscrits, compte non tenu des blancs ou nuls. On doit être en vérité aux alentours de 25 ou 26 %. Pourcentage de la gauche : 40,57 %, qu’il faut ramener à 25,15 %, puis 22 ou 23 % en y incluant blancs et nuls. L’extrême-droite : 6,62 %, soit 4,10 %. So what ? Nous sommes en train de regarder les scènes d’un théâtre d’ombres, qui ne signifient aucunement ce que les acteurs ânonnent. Le texte est si vieux qu’ils pourraient le clamer en dormant. D’ailleurs, ne dorment-ils pas ?

Ayrault va partir, sauf gargantuesque surprise. Oh ! bon débarras, tout de même. Le remplaçant ou la ne vaudront pas mieux, mais ouf ! Mon petit doigt, qui se trompe souvent il faut dire, me glisse que ce pourrait être la fin de Notre-Dame-des-Landes. Foldingue ? Les écolos d’EELV ont fait de bons scores, et Hollande ne pouvait jusque là garder Ayrault et bazarder le projet d’aéroport que celui-ci défendait en grand délirant qu’il est. Je vois mal un gouvernement pareillement affaibli par les droites ouvrir un front sanglant – car une intervention des flics ferait couler le sang – sur sa gauche. Et je vois mal ce triste politicien de Hollande accepter de s’appuyer sur un gouvernement 100 % PS, qui vaudrait l’assurance de plus magistrales défaites dans l’avenir prévisible. Si l’abandon du projet d’aéroport devait se confirmer – et Dieu sait qu’il existe d’autres scénarios -, eh bien ce dimanche électoral resterait pour moi une date heureuse.

Ce que je pourrais demander à Hollande

Un mot pour ceux, innombrables, qui ne me connaissent pas. Je considère la crise écologique planétaire, qui est déjà un drame pour les plus pauvres, ceux qu’on ne trouve pas en Europe, je considère cet événement comme le plus important de tous. De si loin, d’ailleurs, que tout le reste me semble parfois dérisoire. Ainsi des élections municipales françaises, qui donnent le spectacle grotesque de pauvres gens se battant pour des confetti, qui disparaîtront demain dans le caniveau.

J’ai déjà dit que je ne vote pratiquement pas, et je n’ai pas, on s’en doute, fait exception cette fois. Pour autant, je ne pousse pas le ridicule jusqu’à demander à un François Hollande de me ressembler si peu que ce soit. Nous sommes définitivement dans des mondes qui s’éloignent l’un de l’autre à grande vitesse, mais je n’hésiterais pourtant pas à voter pour lui ou tout autre – à l’exception des fascistes ou de quiconque se réclamerait du stalinisme – si. Si au moins un Hollande paraissait avoir conscience qu’il faut préparer le petit pays qu’il conduit si mal.

Il suffirait de bien peu de mots. Il suffirait par exemple qu’il évoque le dérèglement climatique. Qu’il dise que ce bouleversement, sans précédent à l’échelle du temps historique, nous oblige à penser autrement, et à agir différemment. Il pourrait garder en ce cas les lilliputiennes références politiques et morales qui sont les siennes, qui me font rire quand je suis d’excellente humeur. Oui, il pourrait être ce benêt social-démocrate d’un temps où n’existe plus la social-démocratie – faute des moyens matériels et des pouvoirs dont elle a pu disposer ailleurs – et je voterais pour lui s’il daignait au moins ne pas rester dans ce consternant déni.

En ce sens, je ne suis certes pas un extrémiste. La situation l’est, pas moi. L’horreur de la politique en cours, du champ politique actuel, toutes tendances confondues, c’est qu’ils empêchent de rassembler les esprits devant les grandes épreuves qui nous attendent. Alors, et sans joie particulière, attendant fébrilement les signes d’un changement culturel, annonciateur du reste, je leur dis à tous : allez vous faire foutre.

Pas grand-chose à dire (sur les municipales)

Je suis sûr que beaucoup d’entre vous sont de bons citoyens, ce qui n’est pas mon cas. Je ne vote presque jamais, tant ces gens me semblent habiter un autre monde que le mien. Je ne commenterai pas, qu’on se rassure. Juste un point : leur indifférence réelle – à tous, je dis bien : à tous – à la grande marée de l’abstention. Ils parlent d’autre chose, toujours d’autre chose. D’élection en élection, cette marée monte, mais ils s’en foutent. Il ne faudra donc pas s’étonner le jour où ils seront emportés comme les fétus de paille qu’ils sont.

En attendant, leurs criailleries m’empêchent de bien entendre les oiseaux, ces merveilleux messagers du printemps. Je tâche de ne pas écouter les bruits parasites.

EDF et Areva dans un bateau, tous les deux tombent à l’eau

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 12  mars 2014

C’est un vrai naufrage, mais il ne faut pas le dire, car le nucléaire, c’est la France. Du côté d’Areva, les chantiers apocalyptiques du réacteur EPR. Du côté d’EDF, 300 milliards d’euros à trouver. Il va falloir qu’on paie.

Grande, grande mais grande folie. Areva, notre si beau champion du nucléaire est dans une telle panade que si l’État n’obligeait pas la société française à garantir son avenir, elle fermerait ses portes. Comme on ne trouvera pas cela dans les journaux sérieux – ceux qui croquent les 50 millions de pub annuelle d’Areva -, Charlie se dévoue une fois encore.

Premier point, Areva perd du fric, le nôtre, car la boîte est censée nous appartenir. En 2011, coulage net de 2,5 milliards d’euros. Pas grave, dit l’autre, ça va s’arranger. En 2012, de nouveau, une perte de 99 millions d’euros. Pas grave, dit l’autre, qui est le patron en titre, Luc Oursel, ça va s’arranger. Le directeur financier Pierre Aubouin, avance l’hypothèse d’un bénéfice en 2013. Pas mal tenté, mais gravement foiré : les chiffres viennent de tomber, et la perte est de 494 millions d’euros l’an passé.

Que se passe-t-il ? Rappelons qu’Areva la bâtisseuse ne se contente pas de faire suer le burnous dans les mines d’uranium du Niger. Elle conçoit, fabrique et livre des réacteurs tout neufs. Et la période est pour elle cruciale, car son seul avenir concevable s’appelle EPR, pour Evolutionary Power Reactor. Finies les vieilleries, l’EPR va bouffer tous les marchés. Il est plus puissant, plus sûr, produit 22 % d’électricité en plus qu’un réacteur classique pour la même quantité de combustible nucléaire, et tout cela est normal, car l’EPR exprime le génie technique français.

Sur le papier. Dans la réalité, le bordel est complet. Il existe pour l’heure deux prototypes d’EPR en vitrine européenne, que l’on essaie tant bien que mal de terminer pour convaincre les gogos d’en acheter pour chez eux. Le premier, en Finlande, devait être livré en 2009, après une première pierre posée en 2005. On ne peut pas raconter le feuilleton, mais les dernières nouvelles ne peuvent que remplir d’allégresse un cœur antinucléaire.

Après l’annonce de multiples retards, la compagnie d’électricité finlandaise Teollisuuden Voima (TVO) vient d’avouer, début mars, qu’elle ne pouvait plus espérer d’Areva une date d’ouverture. 2018 ? Possible, pas certain. Les presque dix ans de retard ne sont pas perdus pour tout le monde, car l’EPR finlandais, qui devait coûter 3,2 milliards d’euros, pourrait atteindre, voire dépasser 9 milliards à l’arrivée. Tête des petits génies d’Areva.

Le deuxième EPR européen est en construction à Flamanville, dans notre belle Normandie. Les malfaçons y sont si nombreuses et massives que le chantier, lancé en 2007, a pris quatre années de retard, passant de 3,3 milliards d’euros à 8 milliards et plus. Le réacteur fonctionnera-t-il en 2016, comme promis, ou en 2017, comme l’assurent certains, ou encore plus tard ? En décembre dernier, Mediapart a révélé une énième mise en garde de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), pointant de « nombreuses non-conformités » qui devraient exploser un peu plus les délais.

Reste l’EPR chinois, commencé le dernier, mais qui devrait, sur le papier encore, ouvrir cette année. Il a connu son lot de problèmes, mais mystérieusement, tout irait bien. Le Figaro (7 octobre 2010), qui ne dit jamais du mal du nucléaire, se demande si les autorités de contrôle chinoises – la NNSA – ne seraient pas beaucoup plus coulantes qu’en Europe.
Résumons : tout va bien. Areva dilapide notre bas de laine en Finlande et en Normandie, et mise tout ce qui reste sur la corruption des bureaucrates chinois. Si ça ne marche pas, il n’y a plus rien. Plus de fric, plus aucun projet, et des concurrents attirés par l’odeur du sang : les Coréens de Kepco, les Amerloques de Westinghouse Electric Corporation, les Japs d’Hitachi alliés à General Electric.

Comme si tout cela ne suffisait pas, on commence à craindre un « peak uranium », sur le modèle du fameux pic du pétrole. Une étude parue dans Science of The Total Environment (The end of cheap uranium) inquiète pour de vrai les nucléocrates. L’auteur, Michael Dittmar, est un physicien, qui travaille à l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (Cern), à Genève. Son propos est simple : pour de multiples raisons, le temps de l’uranium (relativement) bon marché, c’est fini. Dès 2015, des tensions pourraient préparer des « sorties du nucléaire involontaires et peut-être chaotiques, avec des baisses de tension, des pannes d’électricité, voire pire encore ».

Areva, qui sait à quoi s’en tenir, prospecte loin de ses terres impériales du Niger, et tente en ce moment d’ouvrir des mines d’uranium au Nunavut, près de Baker Lake, en plein territoire des Inuit de l’Arctique américain. Une grande bagarre a commencé là-bas, dont on reparlera. Une certitude : sans Hollande et Ayrault, Areva serait dans le coma.

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Les 300 milliards d’EDF

S’il vous plait, ne pas confondre EDF et Areva. Les deux sont des entreprises nationales, mais la première distribue une électricité fabriquée – pour l’essentiel – dans des centrales nucléaires fabriquées par la seconde ou ses prédécesseurs. Vu ? Donc, comme raconté à côté, Areva coule. Eh ben, EDF aussi, mais d’une autre façon.

La boîte se retrouve avec un parc vieillissant de centrales prévues, au départ, pour durer trente ans. Or la moyenne de leur âge est de 29 ans, et bien que la durée légale soit désormais de quarante ans, cela ne suffit pas. Idéalement, il faudrait passer au nouveau réacteur EPR, mais vu ses retards colossaux, EDF préfère miser sur un lobbying qui permettrait de rafistoler et maintenir les vieilleries jusqu’à cinquante ou même soixante ans.

Seulement, la remise à niveau de la sécurité de telles installations, de manière à gagner dix ans, coûterait 100 milliards d’euros. Pour la reconstruction des 19 centrales actuelles, il faut rajouter 200 milliards, répartis sur 50 ans, ce qui est pure démence.

Qui le dit ? Un document interne d’EDF, publié par le Journal du Dimanche. L’addition est loin d’être complète, car nul ne sait combien coûterait la déconstruction des centrales débranchées. Pour mémoire, le démantèlement du surgénérateur de Creys-Malville – Superphénix -, arrêté en 1997, n’est toujours pas terminé, et pourrait coûter entre deux et trois milliards d’euros à l’arrivée, si arrivée il y a. Flipper sa race n’a pas de prix.