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Encore un barrage sur le grand Rhône

Publié en septembre 2023

Ils veulent simplement achever le Rhône. Mais présentons une splendeur qui fut sans égale. Il prend sa source en Suisse, dans un glacier qui lui a donné son nom, le Rhône. Après 290 km de tumulte, il se jette la tête la première dans le lac Léman, sort à Genève, et poursuit en France, sur 545 km. Le delta du Rhône est un miracle appelé Camargue, fait de sable, de roubines – des marais -, de sansouires – des steppes salées – et d’horribles rizières gorgées de pesticides.

Une telle puissance ne pouvait qu’exciter les ingénieurs, les techniciens, les politiciens. En 1937 commencent les travaux du barrage de Génissiat (Ain), qui ne sera inauguré qu’en 1948. On crée pour l’occasion un monstre qui ne cessera de prospérer : la Compagnie nationale du Rhône(CNR), groupe para-public toujours contrôlé par l’ État 90 ans après sa création. L’appétit de ces gens venant en se goinfrant, ce n’était pour eux qu’un modeste apéritif. Aujourd’hui, 80% du cours du Rhône sont artificialisés par le béton et les turbines, et la CNR, très fière de ses triomphes, annonce être le proprio de 19 barrages sur le Rhône et 19 centrales hydro-électriques principales.

Ce qui a été détruit ne reviendra pas. Mais on peut sauver ce que les aménageurs n’ont pas réussi à défigurer. Or la CNR et ses réseaux d’obligés politiciens veulent un nouveau barrage sur la dernière portion de Rhône non encore barrée, sur la commune de Saint-Romain-de-Jalionas, à la frontière entre l’Isère et l’Ain. Et y mènent en ce moment une « étude d’opportunité ». Comprendre que la CNR est une machine. Qui a un besoin vital de nouvelles constructions. Dont les bureaux d’étude passent des semaines et des mois à prospecter, jusqu’à trouver une proie. Une perpétuelle fuite en avant.

Avant d’aller plus loin, un souvenir personnel. Il y a une vingtaine d’années, j’ai conduit un long entretien avec l’écrivain Bernard Clavel. Je m’en souviens comme d’une lumière rasante sur le grand Rhône qui, disait-il, avait décidé de sa vocation. Celui qui avait été pâtissier, bûcheron, ouvrier, lutteur de foire – il fut un bon haltérophile -, relieur, employé, peintre et romancier enfin, me disait à propos des berges de son enfance : «  La vorgine, c’est l’ensemble des plantes sauvages qui poussent au bord du Rhône et jusqu’au coeur des lônes, qui sont ses bras morts. Il y avait à l’époque de ma jeunesse des lônes partout. Quel monde particulier ! Ils étaient remplis d’animaux, j’y ai vu des castors et quantité d’oiseaux qui n’étaient presque pas dérangés ».

Comme de juste, comme à chaque fois désormais, la CNR sort sa propagande lourde, et assure qu’il s’agit « d’accélérer le développement des énergies renouvelables dans les territoires afin d’atteindre 33 % d’énergies renouvelables en 2030 ». Eh oui, la CNR elle aussi est un soldat de l’écologie. Faut-il discuter avec ces gens ? On a le droit, mais on a tort. Le bel exemple nous vient d’un collectif appelé Le peuple des dunes, formé il y a quinze ans pour s’opposer au projet du cimentier Lafarge d’extraire 600 000 tonnes de sable au large de la Bretagne, entre Gâvres et Quiberon. Chaque année, et pendant trente ans.

S’ils ont gagné, c’est qu’ils refusaient la discussion. Extrait de l’appel d’un de leurs animateurs, Jean Gresy : « Sachez qu’il n’y a place pour aucune solution négociée avec les cimentiers, car nous ne transigerons pas sur les valeurs qui sont au cœur de notre action. Il n’y a place ni à l’arbitrage, ni à la conciliation, ni à la médiation ». En Isère, une première réunion a eu lieu le 12 juin, avec des élus, et des associations comme la LPO, France Nature Environnement, Lo Parvi (1), la fédération de pêche, et une autre se prépare pour le 30 septembre. Le maire de Saint-Romain-de-Jalionas, Jérôme Grausi, suivra-t-il le même chemin que celui des dunes ? Pour l’heure, il résiste et refuse. On peut envoyer des messages à la mairie de la part de Charlie : jerome.grausi2026@mairiestromaindejalionas.fr. Passeront-ils malgré nous tous ? En s’y prenant dès maintenant, non, sûrement pas.

(1)http://cdn2_3.reseaudescommunes.fr/cities/149/documents/p8qffvcf849z9xd.pdf

Mais d’où viennent ces foutues punaises de lit ?

Vous le savez aussi bien que moi : les r’voilà. Elles, les punaises de lit. J’en ai connu chez moi quand j’étais môme, dans ma banlieue. Ainsi que des poux. Ainsi que des puces qui allaient se planquer au matin dans les plinthes après nous avoir dévorés pendant la nuit. Je n’ose repenser aux produits hautement toxiques que nous utilisons gaillardement. Le DDT n’était pas le pire.

Bon. Les punaises. Elles sont sur Terre depuis environ 100 millions d’années. Bien plus que nous. Et elles ont donc pu côtoyer fort longtemps les dinosaures, qu’elles ont dû emmerder, malgré leur taille ridicule, comprise entre 5 et 8 mm. Ce sont des voleurs de sang, ainsi qu’on sait. La nuit, en bande, elles sortent de leur planque, et viennent nous boulotter. Une ponction à travers la peau – compter au moins 10 minutes de succion – suivie d’une longue digestion. Qui peut être démesurément étendue, puisqu’une punaise peut survivre à un jeûne de…20 mois. 20 !

Elles ont été sinon éradiquées, du moins contenues, pendant des décennies après la guerre, « grâce » à la meurtrière chimie de synthèse. Dans les pays riches, les seuls qui comptent à nos yeux égotistes. Et puis elles sont revenues. À partir des années 90. Dans un pays comme l’Australie, sur la période 1999-2006, l’augmentation constatée de leur présence est évaluée à 4500 %.

C’est chiant. Très. On estime que 11 % des foyers, en France, ont été infectés au cours des cinq années passées. Tous ne s’en sont pas débarrassés, et ceux qui y sont parvenus ont dû débourser beaucoup d’argent. Ne demandez par à un Bangladais ou à un paysan malien de faire pareil.

En France, nous avons d’impeccables vigies, comme la députée mélenchoniste Mathilde Panot. Il y a peu de temps, elle a défié à l’Assemblée la Première ministre Élisabeth Borne, dénonçant un monumental scandale de santé publique. Sur un ton aussi triomphal qu’indigné, ici, elle réclamait un plan d’État. Est-elle crédible pour autant ? Faut-il suivre son appel à la croisade ? Polope, comme on disait chez moi dans mon jeune temps.

Les mélenchonistes sont dans la criaillerie et la posture politicienne. Je sais que les électeurs de Mélenchon qui me lisent trouveront cela injuste. J’en suis désolé, mais cela ne retiendra pas ma plume. Car cette nouvelle invasion des punaises serait l’occasion d’une excellente pédagogie sur l’état du monde. Mais il est vrai que la funeste comédie que l’on nous sert chaque matin est strictement franco-française. Franchouillarde. Mathilde Panot elle aussi ? Elle aussi.

Que révèle le retour en force des punaises ? Au moins trois choses presque évidentes. Un, le commerce mondial est une grande folie planétaire. Depuis 1945, il a augmenté deux fois plus vite que le PIB. En moyenne. Selon l’Insee, de 1980 à 2021, le volume du commerce mondial a été multiplié par 7,4, tandis que le volume du PIB mondial a été multiplié par 3,9. Imaginez seulement le bal tragique des bateaux de containers et les milliers d’avions qui atterrissent chaque semaine quelque part. Les punaises se baladent, elles aussi.

Le deuxième phénomène est lié. Il s’agit du tourisme de masse. Selon l’Organisation mondiale du tourisme, 700 millions de touristes ont voyagé à l’étranger entre janvier et juillet 2023. Imagine-t-on ? Non, nul ne peut imaginer de tels déversements de pathogènes et parasites de toute sorte à chaque seconde qui passe et dans le moindre recoin du monde.

La troisième raison de la réapparition, c’est bien sûr la résistance bien connue aux pesticides, en l’occurrence les insecticides. La chimie de synthèse, qui ravage le monde depuis un peu moins d’un siècle, sélectionne. C’est évident. Dans un premier temps, un insecticide va tuer les insectes et d’autres cibles non prévues au programme. Mais les survivants de la tuerie seront les plus résistants. Et, faisant souche, donneront naissance à une progéniture qui se moquera bien des fumigations.

Et voilà pourquoi les punaises de lit se rient de nos folies, et prospèrent, et prospèreront. De vrais écologistes « profiteraient » de l’occasion pour faire une nouvelle fois la démonstration que ce monde nous conduit au gouffre. Mais les politiciens de toute tendance préfèrent les parades médiatiques. Así es la vida.

Le charbon, champion du monde de l’énergie et du mensonge

Le charbon habite le si vaste pays du mensonge. Officiellement, on rasera gratis demain, car on aura éliminé le charbon – gros émetteur de gaz à effet de serre -, par des énergies dites renouvelables. Mais c’est pipeau. En 2022, la puissance installée de toutes les centrales à charbon de la planète a augmenté de 19,5 GW. Elle aurait dû baisser, puisque des centrales à charbon ont été arrêtées – pour un total de 26 GW -, mais dans le même temps, de nombreuses installations ont été ouvertes, pour une puissance installée de 45,5 GW. 59% des centrales nouvelles se trouvent en Chine (1).

La Chine, qui prétend tout ce que les niais – et les corrompus – veulent croire, est une spécialiste de la désinformation, qui a très grossièrement truandé ses chiffres publics. On apprenait ainsi, le 4 novembre 2015, que la consommation de charbon était supérieure de 17% depuis des années à ce qui était annoncé. Pour la seule année 2012, 600 millions de tonnes avaient été dissimulées. Seules les dictatures accomplies sont capables de tels exploits.

L’Inde, au-delà de grandes différences, est sur une pente comparable Sa production a augmenté de 6,3% en 2021 – 805 millions de tonnes -, et même de 11% en 2022, correspondant à 893 millions de tonnes. On devrait atteindre dans deux ans le milliard. Mais ça ne suffit pas, tant la demande est grande. En 2022, la consommation a été de 1,027 milliard de tonnes, obligeant le pays à importer massivement cette arme de destruction massive du climat. Dans ces conditions, qu’attendre ? En 2022, selon l’Agence internationale de l’énergie, la consommation mondiale a encore augmenté de 1,2%, dépassant les huit milliards de tonnes.

Malgré les falbalas des tentures officielles et des Sommets de la Terre, le charbon reste, et de loin, le plus grand producteur d’électricité dans le monde. Ne pas oublier que l’électricité n’est pas un minerai ou un puits dans lequel plonger son tuyau. Pour en obtenir, il faut d’abord cramer une énergie dite primaire. Dont le gaz, le pétrole, l’hydro-électricité, l’uranium, etc. Mais le charbon, en 2022, est le champion incontesté, avec 35,9 % du total.

C’est un peu fâcheux, car selon Global Energy Monitor, un Observatoire américain, « le rythme mondial des arrêts de centrales devrait être quatre fois et demi plus rapide, afin de mettre le monde sur la bonne voie pour éliminer le recours au charbon dans le secteur électrique d’ici 2040, comme requis pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris sur le climat ».

Il est assez douteux que cela s’arrange, car la situation fait penser aux fameuses boucles de rétroaction climatiques. On explique par un exemple : le dérèglement climatique a tendance à faire fondre le permafrost, ce sol gelé des immensités arctiques et sibériennes. Le permafrost relâche ainsi des gaz à effet de serre, dont le terrible méthane. Ce qui augmente le dérèglement global, qui accélère la fonte du permafrost, qui etc. Cette rétroaction dite « positive » – eh oui – est un emballement.

Or on le sait, la crise climatique provoque des phénomènes extrêmes, dont des sécheresses sans précédent. Comme en Chine l’été passé, où l’hydro-électricité – le tiers de la production mondiale -, s’est effondrée, obligeant à massivement augmenter la consommation de charbon. À une échelle moindre, l’Europe a fait pareil à cause de la guerre en Ukraine et des craintes sur l’approvisionnement en gaz.

Si on veut passer, malgré tout, un bon moment, on peut écouter (2) l’historien Jean-Baptiste Fressoz nous raconter à quel point la « transition énergétique » est un mythe. C’est lumineux. Il montre que dans l’histoire de l’énergie, on ne fait jamais qu’empiler les offres les unes sur les autres. Ainsi du bois-énergie, qui n’a pas été remplacé par le charbon. Ainsi du charbon, qui n’a pas été remplacé par le pétrole. Ainsi du pétrole ou du gaz, dont la consommation mondiale n’a jamais été aussi forte, malgré le solaire et le vent. Ainsi de ce nucléaire dont nous sommes si fiers, et qui ne change rien à l’augmentation sans fin de supposés besoins énergétiques.

(1)https://www.connaissancedesenergies.org/centrales-charbon-un-parc-mondial-qui-se-moque-de-lagenda-climatique-230406

(2)https://www.youtube.com/watch?v=YbebLbnGyoU

Raoni en vitrine publicitaire de Macron-le-petit

Qui est derrière la belle photo ? Le 4 juin, Macron-le-petit reçoit à l’Élysée le chef amérindien du Brésil, Raoni. Embrassades, effusion, énième engagement solennel pour la sauvegarde de l’Amazonie. Et si l’entremetteur Robert Dardanne était à la manœuvre ? C’est ce qu’affirme l’association Maïouri Nature Guyane (1) et disons d’emblée que cela tient la route. Dardanne s’est en effet décerné le titre de président de l’association « Forêt Vierge », et a réussi un coup de maître en approchant Raoni dès 2016, lui faisant faire une tournée européenne en 2019. Il a bel et bien joué son rôle dans la rencontre Macron-Raoni.

Est-il sincère ? Passons à la question suivante, et démêlons les fils. La Guyane dite française – 285 000 habitants – manque d’électricité. Actuellement, pour en produire, il faut compter sur le fioul – la centrale de Cayenne – le barrage du Petit-Saut, divers petits ouvrages. Sans oublier ce dont on va parler, c’est-à-dire les centrales à biomasse. Retenons à l’arrière-plan l’existence de la base de fusées de Kourou, qui consommerait, selon des chiffres officiels, 18% de l’électricité guyanaise. Insistons sur l’adjectif officiel, car tout ce qui concerne Kourou est le plus souvent secret d’État.

Revenons à Dardanne. Il se présente comme un écologiste, mais son itinéraire vrai montre un businessman opportuniste, constamment à la recherche d’un coup. Dans l’immobilier, dans le transport aérien, dans l’informatique, dans le soin aux vieux dans les maisons de retraite. En 2005, il crée avec d’autres la société Voltalia – il en était le P-DG et y reste influent -, qui entend développer la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables (2). Dont en Guyane la biomasse. En deux mots, on crame du bois et des déchets végétaux, dont la combustion chauffe de la vapeur d’eau. Cette dernière, sous pression, actionne une turbine qui fait tourner un alternateur. Chouette, hein ?

Ben non. Les opposants locaux parlent d’une opération qui menace l’équilibre agricole et forestier d’un joyau : la Guyane est couverte à 96 % d’une forêt équatoriale humide. Voltalia possède deux des trois centrales à biomasse de Guyane, et se bat avec des concurrents comme Idex, qui en installe deux nouvelles à…Kourou l’insatiable. Les gens d’Idex présentent leur groupe (3) comme « un acteur indépendant engagé depuis 60 ans dans la décarbonation des territoires ». Soit depuis…1963. Bien inventé.

Maintenant, l’essentiel. Un lobby informel d’une rare intensité travaille depuis des années, qui réunit notamment, côté public, l’Ademe, l’Agence française de développement (AFD), la Direction de l’alimentation, de l’agriculture et de la Forêt (DDAF). Soutenant comme de juste l’industrie par des subventions, il a obtenu l’incroyable : l’Europe a accepté le maintien d’une dérogation scélérate (4). Résumé incomplet : on pourra, en Guyane, utiliser 15% de la surface agricole pour « faire » de la biomasse, contre 3% en France métropolitaine. Ce que ne disent pas les lobbyistes, c’est qu’on produira massivement des biocarburants, en détournant du marché alimentaire des plantes comestibles. En Guyane, les « plantations à vocation énergétique » pèsent 70 000 tonnes, mais pourraient atteindre 160 000 tonnes en 2030.

Qui va morfler ? D’évidence, la forêt. Tous les gens intéressés à cette belle aventure le nient, mais l’engrenage finira par emporter le bras, et le reste. La Guyane dispose de politiciens de classe, comme ce monsieur Thibault Lechat-Vega, qui se prétendait l’an passé proche de la France insoumise. Devenu vice-président de la Communauté territoriale de Guyane (CGT), il soutient à fond l’usage de la biomasse. Citation : « Quand est-ce que l’on va arrêter de nous mettre sous cloche alors qu’un quart des Guyanais n’a pas accès à l’électricité ? ».

Il y aurait bien une solution ou plutôt deux. Le soleil, omniprésent – à quand des chauffe-eau solaires pour tous les habitants ? – et le vent, fort et stable, au moins sur le littoral. Ne manque que le courage politique.

(1)https://blogs.mediapart.fr/maiouri-nature-guyane/blog/040623/les-pyromanes-de-lamazonie-guyanaise-profitent-de-limage-du-leader-raoni

(2)https://www.voltalia.com/fr

(3)https://www.idex.fr/

(4)https://www.euractiv.fr/section/energie/news/biomasse-en-europe-l-exception-guyanaise-qui-fait-grincer-des-dents/

Sornettes coutumières au sujet du plastique

Je tempête tant, intérieurement, que j’hésite à poursuivre ce texte. On verra. Vous le savez certainement, un pompeux sommet mondial commence ce 29 mai 2023 à Paris, censé préparer le terrain à un éventuel traité sur l’usage du plastique. On parle de 175 États représentés. On parle d’un agenda. On parle de 2040, et je gage ici qu’on parlera plus tard de 2050. Mais ce n’est pas même un problème de date.

Qui reçoit en notre nom ? Christophe Béchu, ancien président du conseil départemental du Maine-et-Loire, ancien sénateur, ancien maire d’Angers. Pourquoi est-il là ? Parce qu’il a tapé dans l’œil de Macron pour une raison qu’on ignore. Il n’a jamais, jamais, jamais montré le moindre intérêt pour la nature et l’écologie, ce qui le désignait probablement pour cette tâche.

J’ai déjà dit du bien, c’est-à-dire du mal de ce monsieur ailleurs, et je vous en fais part immédiatement : « L’examen non exhaustif du cabinet de Béchu n’incite pas au compliment. Directeur de cabinet : Marc Papinutti, ingénieur des Ponts, des Eaux et des Forêts. Directeur adjoint  : Alexis Vuillemin, ingénieur des Ponts, des Eaux et des Forêts. Directrice adjointe : Amélie Coantic, ingénieure des Ponts, des Eaux et des Forêts. Qui s’occupera de la nature, dans ce vaste conglomérat ? Guillaume Mangin, « conseiller prévention des risques, santé, environnement, urbanisme et aménagement ». Notons l’encerclement du mot environnement par la santé et l’urbanisme. Pas l’écologie, l’environnement. L’écologie oblige à considérer l’homme en relation avec d’autres existants. Pas l’environnement, qui comme son nom l’indique, s’en tient à ce qui environne l’homme, placé de facto au centre. Mais ce n’est pas le pire : Mangin est lui aussi ingénieur des Ponts, des Eaux et des Forêts.

Voici venue la minute pédagogique. Les Ponts et le Génie rural, les Eaux et Forêts ont fusionné en 2009. Les premiers, dont le corps a été fondé en…1716, sont à peu près derrière toutes nos si belles constructions. Les routes et autoroutes, les cités de banlieue et leur urbanisme guilleret, les villes nouvelles, de nombreux centres commerciaux géants – Rosny 2 -, et jusqu’aux châteaux d’eau hier et les ronds-points inutiles aujourd’hui. Ils bâtissent, et gagnent de l’argent en coulant du béton. Les Eaux et Forêts aiment à faire remonter leur origine à un édit de Philippe-Auguste, en…1219. On leur doit, depuis la guerre, la atteintes les plus graves à la biodiversité qu’a connues ce pays. À la tête du ministère de l’Agriculture et des anciennes et surpuissantes directions départementales de l’agriculture et de la forêts (DDAF), ils ont tout remodelé.

Ils nous auront tout fait : les plantations de résineux en monoculture, le remembrement et l’arasement des talus boisés – 400 000 km pour la seule Bretagne -, le recalibrage à la hache de milliers de cours d’eau, consistant en des travaux lourds destinés à augmenter la productivité. Et bien sûr, soutenu de toutes leurs forces l’usage massif de pesticides et d’engrais industriels. Les deux Corps qui ne font plus qu’un sont en tout cas nés sous l’ancien régime, et ont résisté aux guerres et aux tumultes. Sont-ils au service de la République ? Ils le disent. Sont-ils au service de leur Corps qui, de manière féodale, maintient des liens de suzerain à vassal ? Ils le nient férocement. Notons un dernier point, décisif : ce corps de la « noblesse d’État » (Bourdieu) détient, avec celui des Mines, un monopole de l’expertise technique. Tout projet public d’importance passe entre leurs mains avisées. Qu’on ne peut contester ».

Revenons à la farce du sommet sur le plastique. On est fort loin d’un traité – compter dix ans, ou vingt -, mais s’il était signé, il ne servirait à rien, car il n’est pas question de s’attaquer vraiment à cette plaie universelle, mais de réduire. Un peu, on ne sait combien. C’est très engageant, car les centaines de millions de tonnes de plastique déjà répandus sur les sols et les mers, dans l’eau des lacs et des rivières, dans notre alimentation et notre eau de boisson, ont une espérance de vie qui se compte en siècles.

Diminuer, donc. Pour juger le sérieux d’un Béchu, notons qu’il propose, très décidé, qu’on n’utilise pas de plastique au moment des JO de Paris de 2024. En tribunes, précisons, c’est-à-dire sous le regard des caméras. Ailleurs business as usual. Autre proposition baroque : le ministre veut un GIEC du plastique. Ça ne mange pas de pain, mais ça reste grotesque, car de vous à moi, depuis 1988 – date de sa naissance – le GIEC n’aura servi à rien d’autre qu’à remettre des rapports, aussitôt digérés, car la machine aime manger. Or, et bien que les chiffres soient incertains, la production mondiale de plastique approche les 500 millions de tonnes, et pourrait au rythme divin de la plasturgie, tripler encore d’ici 2060. En 1950, selon les sources, elle oscillait entre 1 million et 1,5 million de tonnes.

Visiblement, Béchu commence à s’y croire. Ses communicants ne doivent pas être si mauvais, puisque les journaux le placent pour un instant dans la lumière. On trouve même dans l’article d’une gazette ces quelques mots d’ouverture, qui ressemblent – sans en être – à un publireportage : « Plastic Béchu. Le ministre de la Transition écologique part en guerre contre le plastique ». Nul ne part, nul ne partira en guerre. Le plastique, on l’oublie le plus souvent, est tiré du pétrole, et sera donc défendu par des intérêts colossaux, les mêmes qui interdisent tout combat véritable contre le dérèglement climatique. C’est piteux ? Pire encore.

Si nous disposions des géants qui nous manquent tant, au pays des nains de jardin, il y aurait déjà une coalition mondiale pour l’interdiction du plastique, dont les humains se sont agréablement passés pendant deux millions d’années, disons depuis Homo habilis. Et une considérable flottille – elle existe – serait en ce moment en Méditerranée et dans le Pacifique à ramasser ce plastique qui tue massivement les écosystèmes marins. Rien ne résume davantage la misère de la politique. Elle est incapable de poser le problème dans sa vérité. Quant à imaginer le régler, je pense qu’on peut avoir toute confiance dans Plastic Béchu, l’as des as. Non ?