Archives mensuelles : juin 2009

Si tu vas à Copenhague (en passant par Rio*)

Il n’est pas trop tôt pour vous parler de Copenhague. La capitale du Danemark abritera en décembre prochain une conférence sur le climat que ses promoteurs présentent depuis des mois comme décisive. Il y a tant d’acteurs en jeu, dont l’intérêt bien compris est d’exploser d’enthousiasme à la sortie, que je serais bien étonné d’entendre autre chose au moment de la clôture. Le président Obama vient, vous le savez sans doute, d’arracher un vote devant la Chambre des Représentants, qui prévoit de réduire les émissions de gaz à effet de serre américaines de 17 % en 2020 par rapport au niveau de 2005 (ici). Encore faut-il un second vote par le Sénat.

On s’habitue à tout. À Kyoto, en 1997, l’administration Clinton avait accepté pour l’année 2012 une réduction de 7 % des gaz à effet de serre made in America par rapport aux chiffres de 1990. Le Sénat avait refusé de ratifier le traité par 95 voix contre…zéro. Et depuis 1990, sachez-le, l’Amérique augmente ses émissions d’environ 1 % par an. Il est donc manifeste qu’en cette année 2009, les États-Unis, par leur comportement irresponsable, ont aggravé la crise climatique dans des proportions importantes.

Mais voilà Obama-Zorro, enfin, qui propose donc de prendre comme année de référence 2005. Ah le rusé renard – zorro, en espagnol – que voilà ! Je n’ai pas calculé, mais à la louche, je dirais que, si les engagements américains sont tenus, on en reviendrait, vers 2020, à peu près au niveau de 1990 ! Encore bravo. Pour le reste, car il y a beaucoup de restes, je suis navré de vous dire que cela se présente bien mal. Est-ce étonnant ? Les émissions concentrent les contradictions de notre monde malade comme aucune autre question. La machine qui nous tue, qui nous fait mal – et tant plaisir -, cette machine a besoin de cracher au-dessus de nos têtes. Et les parapluies ou parasols ne servent plus de rien.

Une étude on ne peut plus récente (ici), qui a mêlé les efforts de  la Commission européenne, du Centre commun de recherche (CCR) et du Netherlands Environmental Assessment Agency, estime que les émissions mondiales ont augmenté de près de 4 % l’an, en moyenne, depuis 2002. Les émissions mondiales de CO2 seraient passées de 15,3 milliards de tonnes en 1970 à 22,5 milliards de tonnes en 1990 et à 31,5 milliards de tonnes en 2008. Voyez-vous cela ! Plus de 40 % d’augmentation depuis 1990, date retenue par le protocole de Kyoto pour commencer à réduire la voilure. 40 % !

Pour la toute première fois – cela devait bien arriver -, les émissions des pays du Sud dépassent celles du Nord. En pourcentage,  50,3 % contre 46,6 % et 3,2 % représentant les transports internationaux. Cela n’a guère de sens, compte tenu des incertitudes, mais je rappelle que des spécialistes sérieux clament qu’il faudrait réduire de 80 % au moins les émissions du Nord en trois ou quatre décennies. On y va droit, c’est indiscutable.

* Merde, je n’ai plus vingt ans. Le titre de ce papier cache une allusion toute bête à une chanson que j’écoutais lorsque j’avais sept ou huit ans – 1963, donc -, et qui s’appelle Si tu vas à Rio, par Dario Moreno. Le refrain dit : Si tu vas à Rio/N’oublie pas de monter là-haut/Dans un petit village/Caché sous les fleurs sauvages/Sur le versant d’un coteau. Deux petites choses : d’abord, mille excuses aux moins de cinquante ans, j’essaierai de ne pas recommencer. Ensuite, j’affirme haut et fort que Dario Moreno, qui faisait apparemment rire tout le monde, me faisait pleurer secrètement. Je ne dois pas être normal.

Pour Pascal Wick, berger nomade (un livre magnifique)

Il y a des jours de bonheur. Oh que oui ! Malgré cette satanée crise de la vie, j’adore être sur terre. Et voir. Et entendre. Et parler. Et le reste, ô combien ! Il y a des jours où une lettre, à elle seule, vous fait sauter de joie. Comme celle que je viens de recevoir. Comme celle de Pascal Wick, berger et nomade. Je vous en livre des extraits : « Déjà bien des lunes que nous nous sommes croisés. J’espère que tu vas bien et que la vie te traite avec tout le respect qui t’est dû. De mon côté, je n’ai aucune raison de me plaindre. L’Ancien est toujours nomade et se lève de bonheur (…) Au cours de ma vie j’ai vendu, en dehors de ma force de travail, des agneaux, des fromages, des légumes, du bois de chauffage, et j’en passe (…) Pour l’instant, je suis en douce Drôme, où je m’occupe pas mal de potagers pour les amis. J’ai aussi un mulet avec qui je fais des tours. L’année dernière, nous avons traversé une bonne partie de l’Espagne ensemble ».

Pascal Wick. Je l’ai rencontré il y a dix ans, au printemps 1999. Il ne fallait pas être grand clerc pour comprendre que cet homme grand de taille et de front était aussi doté d’esprit, et de cœur. Il vivait dans une camionnette aménagée, en compagnie de Clark, un beau border-collie. Quelqu’un m’avait signalé son existence, car il éduquait dans les Pyrénées des chiens appelés à défendre les troupeaux contre les (très) rares attaques d’ours. Pascal était, d’après ce « découvreur », exceptionnel. Eh bien, je confirme : exceptionnel.

Sa vie était restée accrochée au chalet de son enfance dans les Alpes. Gosse, il vivait là, isolé pendant des mois par la neige, entouré de chiens, de chats, de brebis et même de lagopèdes et de tétras-lyres. Même à la belle saison, on n’y parvenait qu’à pied ou à cheval. Pour la raison inepte qu’il ne fichait rien à l’école, il fut envoyé en pensionnat, à Annecy si ma mémoire ne défaille pas. Et ce fut la fin du monde. De ce monde réel, idéel, imaginaire.

Que fit-il ? Je ne sais plus très bien. Il obtint un doctorat en économie, travailla en Algérie, découvrit les États-Unis et ses universités, passa des temps considérables à écouter du jazz dans des boîtes comme il existe là-bas, rencontra en Tunisie un poète analphabète qui lui apprit combien la vie est courte, magnifique, incertaine et précieuse. Après quelques détours, malgré une proposition de l’université canadienne McGill – de celles qu’on ne refuse pas -, il devint berger itinérant entre Drôme et Méditerranée, avec femme et bientôt enfant. Vers 1973.

Berger itinérant, c’est-à-dire avec troupeau perpétuellement transhumant de la mer à la montagne et retour. Toute l’année. Ne cherchez pas, cela n’existe pas. Mais cela existe. Je n’ai plus eu aucun contact avec Pascal depuis dix ans, depuis que ne m’arrive cette lettre qui me fait tant plaisir. Que devient-il ? Si vous avez envie de le savoir, lisez donc le livre unique qu’il vient de publier au Seuil : Journal d’un berger nomade. Et si vous êtes déçu, n’hésitez pas à me secouer les puces en retour. Mais vous ne le serez pas.

Ce que raconte Pascal, sous la forme donc d’un éphéméride, c’est sa vie de berger. Il a la langue précise, heureuse, directe en même temps qu’imagée. Disons qu’il nous aide à voyager, à cheminer avec lui par mille détails et anecdotes. Ses tribulations commencent le 11 avril 1996, par un matin sans nuages, tandis qu’une petite brise descend de la sierra Nevada, en Espagne andalouse. Pascal écrit : « Nous allons bientôt prendre la route du nord, quitter Yegen… ». Yegen ! Croyez-vous au hasard, gens de peu de foi ? Ce nom-là a fait vibrer des cordes jusqu’au plus profond de moi. Yegen ! L’écrivain britannique Gerald Brenan a écrit un livre inoubliable sur les années qu’il passa à Yegen, dans les années 20 du siècle passé. Al sur de Granada – je l’ai lu en espagnol, faute de traduction française – veut dire Au sud de Grenade. C’est un chef-d’œuvre qui raconte cette région des Alpujarras, tout imprégnée encore de la présence arabe, jusque dans la conception de ces villages blancs accrochés à la pente, face à la Méditerranée. J’y suis allé. À Yegen. J’y reviendrai, car je ne peux faire autrement.

Et retour à Pascal. En ce printemps 1996, il part avec deux chiennes. D’abord Maïza, « la rapidité, la vivacité », ensuite Brook, « le calme et le sérieux ». Il les aime. Il est presque incroyable de voir une telle intensité dans le regard d’un humain pour une bête. Si, je sais ce que j’écris. Presque. Les étapes se succèdent. Draguignan. Les Juges. Ambel. On retrouve des amis, on se prépare pour la grande traversée. Le 12 mai, notre homme et ses chiennes sont à Paris. Le 13, il débarque à Detroit, satisfait d’entrer aux États-Unis par la file des « Non Citizens Aliens ». Avec les Aliens. Avec les autres et les étranges étrangers, toujours. Il retrouve ses animaux et poursuit sa route.

Mais je dois bientôt arrêter, car je ne vais pas refaire tout le voyage. Pascal se rend à Billings, dans le Montana, où un propriétaire, Teddy Thompson, lui donne 1200 dollars par mois pour garder son troupeau. Le lieu se situe dans les Rocheuses, une zone sauvage appelée du nom indien d’Absaroka. Il y entend chanter le loup, il y aperçoit le puma, il y croise d’innombrables coyotes. Mais surtout, surtout, il doit composer avec la présence d’ours, dont le fameux grizzli. Je vous laisse découvrir ses jugements, que je ne partage pas nécessairement. C’est en tout cas passionnant. Il est passionnant qu’un berger amoureux du Grand Dehors comme l’est Pascal Wick nous parle de la coexistence si difficile entre l’homme et tout ce qui n’est pas lui.

Bon. Vous ferez ce que vous voulez. Pour qui n’a pas d’argent, 19 euros représente une somme, je le sais. Il n’y a pas le feu, pas au point de dévaliser la banque du coin. Le livre de Pascal Wick est là pour un moment, qui durera. Au-delà, j’ai ressenti en lisant, et je ressens encore en écrivant que la vie ne peut être la soumission aux conditions qui nous sont faites. Je prendrai volontiers le livre de Pascal pour un doux appel caché à la révolte la plus radicale qui soit. Jeunesses, n’avouez jamais vos rêves, et vivez-les ! Jeunesses, n’acceptez rien de ce qu’on attend de vous ! Jeunesses, attrapez la queue du lion de montagne à pleines mains, aussi courte soit-elle, aussi difficile que cela soit ! Jeunesses, marchez ! Et vieillesses de même.

Nanotechnologies et macrodélires

Les Amis de la Terre. Franchement, la classe. Au point de départ de cette association mondiale, un Américain, David Brower. Il avait soupé des flonflons, qu’on n’appelait pas encore des Grenelle de l’Environnement. Président du très prestigieux Sierra Club, il avait décidé en 1969 de quitter cette vieille dame hélas grabataire, et de créer du neuf. Friends of the Earth venait de naître. En France, le navigateur et écrivain Alain Hervé embrayait l’année suivante, réussissant à place dans le comité de parrainage des Amis de la Terre des personnalités aussi microscopiques que Claude Lévi-Strauss, Pierre Fournier (de Charlie-Hebdo, du seul et vrai Charlie-Hebdo), Jean Rostand, Théodore Monod, Jean Dorst.

On voit bien, à l’évocation de ce seul exemple, comme les choses ont avancé depuis. Passons. Si je parle aujourd’hui de cette association, c’est qu’elle vient de publier un communiqué qui fait réfléchir. Oh oui ! Vous pouvez le lire directement (ici) ou bien me faire confiance. Ou encore les deux. Soit une étude scientifique menée par une e?quipe de l’universite? de Clemson (États-Unis) sur l’usage des nanoparticules. Ces petites beautés nées des dernières technologies (1) ont la particularité d’assembler entre quelques centaines et quelques milliers d’atomes. N’essayez pas de les voir, donc. Elles se situent entre la matière dite macroscopique et l’univers des atomes et des molécules. Sans le moindre débat – pensez -, elles sont déjà utilisées dans les cosmétiques, les vêtements, les emballages, les peintures. Vous n’étiez pas au courant ? Oh !

L’étude américaine semble bien prouver que l’usage de nanoparticules appliqué à une plante comme le riz peut avoir sur ce dernier de très fâcheuses conséquences. Par exemple, les fullérènes C70 – une structure faite d’atomes de carbone – peuvent retarder la floraison d’un mois. D’une façon générale, les nanoparticules paraissent capables de boucher plus ou moins complètement le système vasculaire des plantes. Ne cherchez pas, c’est de la folie concentrée.

Rose Frayssinet, des Amis de la Terre, ose un commentaire que je trouve pour ma part exagérément mesuré : « Tant que nous ne comprendrons pas mieux les interactions entre ces particules et le monde vivant, nous exigeons l’arrêt de la commercialisation de tout produit contenant des nanoparticules, en particulier dans l’alimentation et l’agriculture. Le laisser-faire actuel ne peut plus durer ». Bon, au moins, les choses sont dites. Mais il y faut ajouter un commentaire plus général, qui ne vous étonnera guère si vous venez ici régulièrement.

Les ONG écologistes officielles – je mets à part Les Amis de la Terre – font joujou avec le pouvoir. Elles pensent, maintenant qu’elles ont leur rond de serviette chez l’ancien avocat de Tapie Jean-Louis Borloo, elles pensent qu’entre petits gars de bonne volonté, tout finira par s’arranger. Qu’on finira bien par mettre moins de pesticides dans le velouté servi en entrée. Qu’on évitera ici ou là un circuit de formule 1 ou un bout d’autoroute. Que des primes d’État seront distribuées à ceux qui acceptent de mieux isoler leurs logements.

Je me moque, c’est un fait. Au Grenelle de l’Environnement de septembre 2007, des problèmes cruciaux ont été oubliés sur la demande expresse du Prince et de ses nombreux obligés. La question de l’eau, par exemple. Celle des biocarburants. Celle de l’industrie de la viande et du sort des animaux d’élevage. Et bien entendu cette décisive affaire du nucléaire. En fait et en vérité, rien n’a été touché sur le fond. Mais chut ! il ne faut pas gêner ces messieurs-dames en plein travail. Le comble est, bien entendu, que la machine avance à toute allure sans se préoccuper le moins du monde des petits deals entre amis. L’exemple est frappant de ces nanotechnologies extraordinairement hasardeuses, qui sont en train de changer notre vie à tous, sans seulement nous prévenir.

Souvenez-vous ! En septembre 2007, la pantomime autour des OGM a conduit à l’embrouillamini le plus total qui soit. Et tandis que l’opinion, y compris critique, était polarisée sur des événements secondaires, le grand futur continuait sa marche en avant triomphale. À Grenoble, le pôle Minatec – créé par le CEA et l’Institut national polytechnique de Grenoble (INPG) – a probablement reçu entre 1 milliard et un milliard et demi d’euros de subventions, pour permettre dans notre dos le grand essor de la nanoélectronique. Où allons-nous ? Mais nous le savons très bien : droit devant, droit dedans.

Je mets au défi quelque écologiste officiel que ce soit de justifier cette pantalonnade. Et je suis sûr de gagner, ce qui n’est pas juste. Mais vrai en tout cas.

(1) Les nanotechnologies, qui utilisent des nanoparticules, peuvent travailler aux dimensions du nanomètre, soit un milliardième de mètre. C’est-à-dire aux alentours de la taille d’une molécule.

Un bien beau ministre de l’Agriculture (Bruno Le Maire)

 J’ai parfois l’impression qu’ils font ça pour me faire plaisir. Je sais, cela ressemble fort à un accès de mégalomanie. Mais non, car je dois ajouter que, quand je pense cela, je ris. D’eux comme de moi. Ce n’est donc pas si grave que cela en a l’air. Bon, les faits. Les faits se réduisent en l’occurrence à une tribune publiée dans le quotidien Libération le 22 juin. Il y a donc deux jours. Signataires : Serge Orru, Yann Arthus-Bertrand, Allain Bougrain-Dubourg, Didier Lorioux (président de la Fédération Nationale des Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural), Dominique Marion (président de la Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique), Jacques Morineau (président du Réseau Agriculture Durable), Cécile Ostria (directrice générale de la Fondation Nicolas Hulot) et enfin François Veillerette, mon complice du livre Pesticides, révélations sur un scandale français.

Une véritable dream team, l’authentique reconstitution du groupe informel ayant siégé au Grenelle de l’Environnement. Pas tout à fait, d’ailleurs : il manque dans le lot un représentant de France Nature Environnement (FNE), qui aura probablement trouvé l’initiative extrémiste. FNE, je le radote, est financée essentiellement par les services d’État et se montre en conséquence très reconnaissante. Une tribune, donc, dans Libération (ici), adressée au monarque qui nous gouverne si bien. Pour lui demander de nommer au ministère de l’Agriculture une personnalité marquant un changement de cap. Je cite : « Nous appelons avec la plus grande force le Président de la République à initier une révolution écologique au Ministère de l’Agriculture et de la Pêche en choisissant une personnalité capable de relever ce défi et en inscrivant explicitement la préservation des ressources naturelles dans la lettre de mission du futur ministre ».

Cela, les garçons et les filles, s’appelle du lobbying. On tente d’influer, d’influencer, en pratiquant le sous-entendu, l’implicite. L’implicite, c’est que Sarkozy doit envoyer un signe. Ben oui, quoi. On appelle cela une stratégie win-win, où tout le monde gagne. Les écologistes officiels siègent au Grenelle et crédibilisent Sarko-l’écolo, mais en échange, celui-ci leur accorde réceptions fleuries, (petits) honneurs entre amis, discussions et respectabilité. Cela, c’est le schéma idéal. D’où la tribune publiée dans Libération.

À ce moment précis, Sarkozy doit montrer sa bonne volonté. Mais hélas, point. Rien de rien. Au lieu de nommer au ministère de l’Agriculture un révolutionnaire antiproductiviste, le voilà qui se moque. Car ne craignons pas de le révéler, Sarkozy est un moqueur. La preuve par Bruno Le Maire, notre nouveau ministre de l’Agriculture. S’il est une chose certaine, c’est que Le Maire ne connaît strictement rien au sujet. Que dalle. Énarque, agrégé de lettres, pote avec Villepin, homme de cabinet, il ne sait aucun des enjeux de l’agriculture française. Il lui faudra un an pour comprendre trois bricoles, et pendant cette année, les lobbies qui tiennent la rue de Varenne – siège du ministère – lui auront fait comprendre qui commande. Et ce ne sera pas lui.

J’ajoute, sans forfanterie, que j’ai lu un livre de Le Maire, Des hommes d’État (Grasset). Il y raconte, sous forme d’un éphéméride, son passage au cabinet de Villepin entre 2005 et 2007, quand ce grand personnage était Premier ministre. Que vous dire ? Le Maire écrit mieux que la presque totalité de la classe politique, ce qui ne veut pas dire grand chose. Il n’y a pas de quoi se relever la nuit, mais au moins, il n’y a pas de faute, et l’on peut se laisser bercer par le ronron. Sur le fond, c’est aussi creux que l’aura été le pouvoir chancelant des dernières années Chirac. Je n’ai noté pour ma part qu’un seul passage digne d’un véritable intérêt. Je vous l’offre aussitôt : nous sommes le 17 janvier 2006 à l’hôtel Matignon, où plusieurs Excellences sont réunies. Il y a Villepin, bien sûr, Sarkozy -il est alors ministre des flics – et Jean-Louis Debré, le président de l’Assemblée nationale.

Ces précieuses personnalités papotent autour d’une vague proposition d’obliger les services secrets à rendre des comptes au Parlement. Sarkozy : « C’est une très bonne idée. Au moins, on apprendra peut-être quelque chose sur ce qu’ils font. Parce que je ne sais pas, vous, Dominique, Jean-Louis, vous avez été ministres de l’Intérieur, on ne sait jamais trop ce qu’ils fabriquent, c’est un mystère ». Debré : « Et c’est peut-être mieux comme cela, Nicolas ». Beau comme l’antique, vous ne trouvez pas ? Ceux qui nous gouvernent avouent sans fard leur ignorance de pans entiers de la réalité qu’ils sont censés incarner.

Où veux-je en venir ? Nulle part. J’ai divagué, mais sans oublier néanmoins mon point de départ. Les écologistes officiels ont envoyé un message public au Prince, qui les a envoyés promener, probablement parce qu’il n’éprouve aucune crainte d’eux. Je crois qu’il a raison. Si les écologistes officiels étaient plus écologistes et moins officiels, ils publieraient une nouvelle tribune pour dire cette évidence que Sarkozy les a joliment blousés en nommant à l’Agriculture – poste décisif s’il en est – un politicien à peine différent des autres, et qui ne s’attaquera bien sûr à aucune des causes structurelles du productivisme. J’ai le sentiment qu’il n’y aura pas de seconde tribune. Mais il est vrai qu’il s’agit d’un affreux procès d’intention. J’ai honte.

Cette eau qui n’est plus de l’eau

Vous êtes peut-être au courant ? David Servan-Schreiber frappe une nouvelle fois, en compagnie du WWF et d’un comité scientifique sérieux, qui compte en son sein des gens comme Lucien Israël, Jean-Claude Lefeuvre, Gilles-Éric Séralini, Jean-Marie Pelt, Philippe Desbrosses. Je constate que j’en connais personnellement plusieurs, que j’estime au plus haut point.

Que dit cette fois Servan-Schreiber (ici) ? Le mieux est de citer le texte qu’il a cosigné : « En France, la qualité de l’eau varie selon les régions et selon les périodes de l’année, en raison de l’activité agricole. De fait, des personnes fragilisées peuvent être exposées sans le savoir à des taux de nitrates et de pesticides supérieurs aux normes.
De plus, les normes de qualité n’ont pas évolué malgré les nouvelles connaissances sur des polluants à effet hormonal (certains pesticides, certaines hormones, le bisphénol A…) ou sur la présence de dérivés médicamenteux. Il convient donc de prendre des précautions. Nous conseillons aux personnes malades du cancer ou qui sont passées par la maladie de ne boire quotidiennement de l’eau du robinet que si elles sont sûres de sa qualité, et sinon de s’équiper d’un filtre de qualité ou de boire de l’eau en bouteille. Ce sont des solutions de court terme qui demandent à être appliquées de façon précise : il faut respecter le mode d’emploi pour les filtres et recycler les bouteilles »
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Enfin ! Je dois vous dire que j’attendais ce sursaut depuis des années. Des années. Car je ne crois plus à la propagande – j’essaie, en tout cas – depuis beau temps. Et il n’y a malheureusement aucun doute que les marchands d’eau tentent désespérément de nous faire croire que l’eau du robinet est excellente, bien meilleure même que celle embouteillée. On a même vu des collectivités prestigieuses – Paris, en l’occurrence – croiser le fer avec des eaux de source comme Cristaline, prétendant que l’eau distribuée dans la capitale (ici) est « écologique, économique et équilibrée à consommer par tous dès le plus jeune âge ».

La vérité approximative de notre temps est que l’eau a disparu. Pour l’essentiel, l’eau de jadis, formidable concentré de vie – un embryon humain de 3 jours contient 94 % d’eau -, a été changée en produit industriel parmi d’autres. Cette métamorphose totale s’est faite sous nos yeux, sans que nous y prenions garde, et maintenant, le processus est presque achevé. Des milliers de polluants de toute sorte et de toute gravité rejoignent des eaux dites « brutes », que des « usines de fabrication » – expression consacrée – transforment en quelque chose de légal. Légal peut-être, mais en tout cas plus potable. Je rappelle à tout hasard qu’est potable ce qui peut être bu sans mettre en danger la santé.

Les filtres, aussi puissants soient-ils, laissent passer des poisons. Les procédés de transformation chimique, eux, cassent sans problème des molécules toxiques, les faisant ainsi disparaître du tableau. Mais chacun oublie aussitôt que cette manipulation de l’eau crée d’autres composés, d’autres résidus qui ne sont pas retrouvés pour la raison qu’ils ne sont pas recherchés. À quoi il faut ajouter des molécules médicamenteuses, de plus en plus présentes, certains pesticides, et une infinité de micropolluants dont personne ne sait les dégâts qu’ils occasionnent.

La face la plus noire de cette situation est l’ignorance complète des techniciens et technocrates de l’eau. Car nul, je dis bien nul n’a la moindre idée des effets de synergie des cocktails toxiques qui infestent l’eau du robinet. La seule certitude qui nous reste, c’est qu’en règle générale, elle ne provoque pas de diarrhées. Grâce au chlore qu’on y ajoute. Et c’est tout. La seule voie d’avenir serait d’empêcher par tous les moyens à notre portée la pollution de l’eau, avant qu’elle ne se produise. Tout le reste nous condamne à subir.

Comment arriver à ce royaume des rêves enfin réalisés ? Par des électrochocs de la pensée. Par une révolution de nos valeurs. Par une hiérarchie toute nouvelle qui ferait de l’eau un bien universel sacré, au service de la vie et des écosystèmes. Je renvoie, pour ceux qui aiment les grandes histoires, aux deux premiers tomes du fabuleux roman de Frank Herbert, Dune. On y voit comme les Fremen, patiemment, interminablement, tout au long des siècles, font revenir l’eau sur leur planète dévastée. Dans un tel monde, toute atteinte à ce joyau commun qu’est l’eau serait immédiatement considéré comme un crime parmi les plus graves. Nous en sommes assez loin, peut-être, mais le chemin est là. La pollution de l’eau, c’est la négation radicale. Notre négation radicale.