Archives de catégorie : Morale

Comment assassiner beaucoup d’araignées

C’est difficile à croire, mais les araignées aussi se font la malle. Ce monde n’est plus fait pour elles, ni pour nous. Une liste rouge – scientifique – montre que 170 espèces, sur 1622 recensées en France métropolitaine, sont menacées (1). Plus de 10%. 101 autres n’en sont pas loin. Et pour comble, il n’y a pas assez de données sur toutes. Une bien belle catastrophe.

Des exemples ? La Larinia de Jeskov est en « danger critique », selon le sinistre classement. Elle vit dans des milieux humides, tels certains marais ou les prairies inondées. Mais crotte, on draine tout, on assèche, on détourne de l’eau pour l’irrigation. La dolomède des roseaux a, elle aussi, besoin de zones humides et de marais, de tourbières et de queues d’étang. Sans eau, elle meurt en quelques jours. Et ce n’est pas dans les mégabassines qu’elle trouvera le moyen de survivre. La Coelotes catalane, sublime dondon noire à pattes rouges, habite les anciennes hêtraies de montagne, dans les Pyrénées orientales. Et quand les incendies ne crament pas ces dernières, l’exploitation forestière réduit en sciure le territoire de la coelotes. L’Érèse sandalion n’aime rien tant que les sols sableux, arides et secs. Difficile de louper le mâle, qui balade en avant un gros bide orangé ponctué de points noirs, façon coccinelle. Chez les Anglais, on appelle d’ailleurs l’espèce ladybug spider, c’est-à-dire l’araignée coccinelle. Pour l’érèse, cela sent la fin du monde. À cause des pesticides, de l’urbanisation et du surdéveloppement des parcs photovoltaïques, l’une des dernières trouvailles des partisans de la destruction.

Oui, les causes sont parfaitement identifiées. La fragmentation et la disparition des habitats. La disparition des vieux arbres sous l’action vigoureuse des tronçonneuses, la pollution chimique, le comblement des zones humides, et bien sûr le dérèglement climatique. Entre autres. Est-ce qu’on s’en fout ? Oui, on s’en tape royalement, et pour le prouver sans peine, allons faire un tour chez les exterminateurs. Une courte balade sur le net montre qu’il y a moyen de gagner sa vie en trucidant les araignées. Fantaisiste, la société ASD-Protect (2) présente d’emblée les « insectes nuisibles : les araignées ». Ces professionnels ne semblent pas au courant que l’araignée, qui dispose de huit pattes, n’est pas un insecte, qui lui n’en a que six. L’araignée est un arachnide, tout comme les scorpions, les acariens, les opilions.

Mais passons. Que faut-il faire contre ces bestioles ? Elles « possèdent des glandes qui sécrètent un venin. Le canal extérieur débouche près de l’extrémité du crochet. Le venin permet à l’araignée d’immobiliser sa proie ». Que faire ? Il faut « exterminer les araignées ». Mais seuls les spécialistes savent faire, car « l’araignée peut faire sa toile partout et peut se trouver là où on ne l’attend pas. En règle générale, l’araignée tisse sa toile dans les caves, les garages, les greniers, mais un endroit sombre (…) lui ira très bien ».

Une autre société, Logissain, présentée sur son site (2) comme « leader français depuis 90 ans », commence par un petit coup de flip bienvenu : « Vous avez forcément chez vous une araignée sur un plafond. En majorité, les araignées sont bénéfiques ou inoffensives, et seulement quelques-unes sont dangereuses ». Ça a l’air sérieux, mais c’est du pipeau. Car le texte laisse entendre que des araignées des maisons peuvent être dangereuses. Or c’est totalement faux, et dans le pire des cas – au dehors -, rougeurs et démangeaisons au programme. Pour Logissain, il n’est qu’une solution : l’insecticide OCCI 330 pour les araignées vivant au sol, et l’OCCI insectes duo pour celles du plafond. C’est pratique et surtout toxique.

Ce que ne veulent pas savoir les éradicateurs, c’est que les araignées débarrassent les maisons des acariens – ils piquent, eux – des mouches, moustiques et moucherons. Sans jamais attaquer qui que ce soit. D’ailleurs, leurs crochets ne sont pas assez puissants pour traverser notre peau. Mais qui veut noyer son chien l’accuse d’être une araignée.

(1)Un travail commun de l’UICN, de l’OFB et du Muséum : https://inpn.mnhn.fr/docs/LR_FCE/Liste_rouge_araignees_metropole_2023_fascicule.pdf

(2)https://www.asd-protect.fr/nuisibles/araignees/

(3)https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/les-araignees-ne-piquent-pas-elles-mordent-5788757

Au Venezuela, on achève bien les ONG (et les forêts)

Le Venezuela, son héros bolivarien Nicolás Maduro, et son bel ami, le Grand Insoumis Mélenchon 1er. Quoi de neuf au paradis ? Presque rien. Entre 6 et 7 millions d’exilés – selon les sources -, une inflation de 234% en 2022, en grand progrès par rapport à 2021, où elle approchait des 700%. Les pauvres mendient, leurs filles vendent leur cul, c’est la révolution.

Le régime essaie en ce moment de faire voter une loi sur les ONG. Avec son parlement croupion, cela ne devrait pas être trop compliqué. Une simple formalité. Mais pour les ONG, cela change tout, car le but en est clair : museler, réprimer, encabaner. Toute ONG devra donner la liste de ses membres, de ses mouvements financiers, de ses donateurs. Au risque d’une interdiction définitive en cas d’infraction. Ou pire. Passons sur le détail. Le fond de l’affaire est limpide : Maduro veut mettre au pas ce qui reste de société indépendante de lui (1).

Les ONG de défense de la nature, du droit des peuples autochtones, de la bagarre climatique sont dans le viseur. Le pétrole, qui a connu bien des soubresauts depuis dix ans – les infrastructures sont en ruine -, ne suffit plus aux appétits d’une clique à la dérive. Mais il y a l’or, El Dorado de toujours. Le grand désastre des mines de l’Arco Minero del Orinoco est dénoncé depuis que Maduro, en 2016, en a fait une « Zona de Desarrollo Estratégico Nacional ». Une zone de développement stratégique. L’académie des Sciences physiques, mathématiques et naturelles, la Société vénézuélienne d’écologie, l’Association des archéologues alertent depuis des années, en vain, sur une situation infernale.

Au total, la région concernée couvre 111 843,70 km2, soit le cinquième de la France, même si, pour l’heure, 5% de la surface est directement touchée par l’exploration ou l’exploitation. Le sous-sol est un trésor immense, qui contient de l’or, des diamants, du coltan – essentiel dans l’électronique -, du cuivre, des terres rares utilisées pour les missiles, les écrans, les téléphones portables, les éoliennes, les bagnoles électriques. Certaines estimations des réserves présentes sont folles. Miam.

Où est-ce ? En Amazonie vénézuélienne, au sud de l’Orénoque, haut-lieu de la richesse écologique planétaire. La zone abrite cinq parcs nationaux et des animaux aussi menacés que le tatou géant, l’ours à lunettes, le jaguar, le fourmilier, le caïman de l’Orénoque. Et n’ajoutons pas à cette liste sans fin les oiseaux, les fleurs, les arbres. Maduro s’en fout, qui a confié la « gestion » de l’ensemble à la soldatesque, à cette armée qui reste son seul authentique soutien. Toute la zone est militarisée, en relation étroite – et profitable – avec les restes de groupes armés colombiens refusant d’abandonner les armes (2). Dans une opacité totale, des transnationales sont sur place, et l’on sait que Citigroup, immense groupe bancaire et financier américain – 12ème entreprise mondiale, plus de 200 000 salariés – vendra l’or de l’Arco Minero.

On revient aux ONG ? On y revient. D’abord un salut fraternel à Cristina Burelli, fondatrice de SOS Orinoco (3). Elle dénonce sans relâche ce qu’elle nomme un écocide, décrit le sort terrible réservé aux peuples indiens par les soudards (4), dénonce l’illégalité de mines qui ne respectent pas les lois sur les aires protégées, clame que le saccage s’en prend désormais au Parque Nacional Canaima, inscrit au patrimoine mondiale de l’humanité depuis 1994. Plus de 60 mines seraient en activité, entraînant déforestation, destruction de savanes uniques, contamination des rivières par le mercure destiné à amalgamer l’or.

Le régime orwellien en place à Caracas raconte une tout autre histoire : Arco Minero serait « un modelo de minería responsable ». Et rappelle tout ce que ce pillage doit au grand homme Hugo Chávez Frías, qui dès 2012, « présenta au pays sa vision de faire de l’Arco del Orinoco un grand axe de transformation économique dans les domaines agricole, industriel, minier, pétrolier et de la pêche » (5).
Comment Cristina Burelli pourra-t-elle faire face ?

(1)en français : https://amnistie.ca/participer/2023/venezuela/les-ong-du-venezuela-sont-en-danger

(2)Dissidents des FARC et de l’ELN

(3)en espagnol : https://sosorinoco.org/es/quienes-somos/

(4)en français : https://www.gitpa.org/web/VENEZUELA%20en%202021.pdf

(5)http://www.desarrollominero.gob.ve/zona-de-desarrollo-estrategico-nacional-arco-minero-del-orinoco/

André Picot, preux chevalier d’une science humaine

Je connaissais un peu André Picot, grand monsieur de la science humaine. Une science qui n’oublie pas ses liens avec la société et ses besoins. Je connaissais assez André pour le pleurer, car il vient de mourir d’un infarctus, à l’âge de 85 ans.

Je ne sais plus quand je l’ai rencontré. Il y a vingt ans ? Sans doute plus. Il gravitait dans les mêmes cercles vaillants que mon si cher Henri Pézerat. Comme lui, il avait mis son immense savoir – de chimiste, en l’occurrence – au service des éternels sacrifiés de la Bête qui nous dévore tous. Il était sur tous les fronts, ne négligeait aucune bataille, jusqu’aux plus petites. Il ne refusait jamais. Et son sourire éternel paraissait d’une autre planète.

Je laisse ci-dessous la parole à ma grande amie Annie-Thébaud-Mony, qui l’a si constamment fréquenté. Annie est directrice de recherches honoraire de l’INSERM, et se bat chaque jour, comme le firent André Picot et Henri Pézerat, qui était son compagnon, contre les crimes industriels. Si nombreux. In memoriam.

La lettre d’Annie

André,
Ce 18 janvier 2023, tu as quitté ceux que tu aimais, ta famille, tes amis, l’Association Toxicologie – Chimie, nous tous qui nous appuyions sur toi. Je veux dire combien ont compté pour moi, ton accueil chaleureux, ton sourire et ton ouverture, ton immense connaissance des risques industriels qui ne cessent d’accroître ce que j’appelle la « chimisation toxique » du travail et de l’environnement.
Pour moi, André, tu es et resteras l’ami, le frère d’Henri, Henri Pézerat, mon compagnon. A vous deux, vous vous partagiez les champs de la toxico-chimie, organique pour toi, inorganique pour Henri.
Je t’ai connu un jour d’hiver 1985, quand Henri t’avait invité au Collectif Risques et Maladies Professionnels, sur le campus de Jussieu, dans les pré-fabriqués (sans doute amiantés) où les syndicats avaient leurs locaux, un lieu improbable d’où était partie la lutte contre l’amiante des années 1970. Le Collectif y avait son local, encombré des
archives, comme autant de traces des mobilisations engagées pour la prévention des risques professionnels, contre l’impunité des industriels et du patronat, contre l’inertie des pouvoirs publics et des institutions.
Tu as, dès cette époque, été présent à mon histoire, par ton partage continu avec Henri, dans vos échanges, souvent téléphoniques, sur ce qui étaient au coeur de notre travail scientifique et de nos préoccupations : comment partager le savoir accumulé et en faire un outil pour contribuer à l’élimination des substances toxiques du travail et de l’environnement, pour contribuer à la réduction des inégalités face aux dangers ?

Scientifiques non alignés l’un et l’autre, malmenés par les institutions, vous avez su, toi et Henri, partager cet immense savoir qui était le vôtre, pour aider des citoyens, un syndicat, une association, des militants, à résister à la mise en danger. Puis, vous avez, toi, Henri et quelques autres, fondé l’association Toxicologie – chimie (ATC) et ceux qui reprennent aujourd’hui le flambeau sauront mieux que moi dire ce qu’elle est et tout ce qu’elle te doit (https://www.atctoxicologie.fr/).
C’est grâce à ce partage entre Henri et toi que j’ai été amenée à te solliciter de plus en plus souvent dans mon propre travail scientifique, sur les cancers professionnels en particulier. En 2009, Henri nous as quittés et je me souviendrai toujours de tes mots en hommage à ce que vous aviez partagé (https://www.asso-henripezerat.
org/henri-pezerat/hommages/andre-picot-et-lassociation-toxicologie-chimie/
)

Dans cette période, ensemble, nous avons poursuivi le travail que vous aviez commencé, toi et Henri, pour soutenir le combat de Paul François contre Monsanto dans le procès qu’il a gagné contre la firme. Je me souviens de ton appel au soir d’une expertise médicale où tu avais accompagné Paul. Tu étais atterré de l’ignorance et de l’inhumanité du médecin-expert auquel Paul avait été confronté.
Au fil des années, j’ai pu alors continuer à faire appel à toi non pas seulement dans le travail scientifique, mais aussi dans le développement des luttes portées par l’association qui porte le nom d’Henri. Son but ? Le soutien aux luttes pour la santé en rapport avec le travail et l’environnement. Combien de fois t’ai-je appelé, à mon tour, pour que tu me fasses partager ton expérience et tes connaissances, depuis la dioxine ou les hydrocarbures jusqu’aux multiples pollutions chimiques et radioactives qui empoisonnent la vie. Je pense aux désastres industriels tels Lubrizol ou la contamination au plomb lors de l’incendie de Notre-Dame de Paris. Mais aussi «l’après-mine », que je ne peux évoquer sans penser à toi : Salsigne, Saint Felix-de-Pallières, la mine de Salau en Ariège…
C’est d’ailleurs la lutte contre les pollutions monstrueuses laissées par les exploitants miniers, avec la complicité de l’Etat, qui a été l’occasion de notre dernière rencontre, grâce à l’association SysText (https://www.systext.org/). En septembre 2022, celle-ci a organisé un « forum citoyen sur l’après-mine ». Nous avons été heureux de cette
occasion de nous revoir et d’échanger autrement qu’au téléphone. Tu étais présent à tous et chacun.e, même si tu ressentais douloureusement la mort brutale de Bruno Van Peteghem, qui a tant fait à tes côtés dans l’activité et le rayonnement de l’ATC.
J’ai su que tu t’en étais allé par ton fils qui as décroché le téléphone lorsque je t’ai appelé hier. Nouée par l’émotion, je n’ai pas su lui dire combien tu avais compté pour moi, pour nous, depuis des décennies. Mais je ne le remercierai jamais assez de ne pas avoir laissé mon appel sans réponse. Tu répondais toujours…
Vendredi, étant à l’étranger, je ne pourrai pas venir pour la célébration de tes obsèques à Chevreuse. Mais ce message sera mon moyen de partager avec tous les tiens ce moment d’adieu. Je voudrais leur dire combien je partage leur peine, combien tu nous manques et nous manqueras dans les combats qui étaient les tiens, qui sont les nôtres. Adieu, André, et merci pour ces décennies d’échange fraternel et de savoir partagé.
Annie Thébaud-Mony, 22 janvier 2023

J’ai tant aimé Pierre Rabhi

Ce petit mot est à propos d’un livre d’entretiens croisés entre Pierre Rabhi, Bernard Chevilliat et moi-même, paru aux éditions Le Passeur avant les fêtes. Je n’étais pas en état de vous en parler avant, et maintenant que je peux, je cale. Heureusement, comme vous verrez, il y a Jacques Faule.

En introduction, je souhaite vous dire le sentiment fraternel qui m’unissait à Rabhi. Il m’appelait d’ailleurs « petit frère ». Il sentait, il savait que nous étions liés, dans cette famille branlante qui réunit tous ceux qui rêvent vraiment – oui, on y trouve beaucoup de fausse monnaie -, d’un autre monde.

Quand l’ai-je rencontré ? Je ne sais vraiment plus. Il y a entre vingt-cinq et trente ans. Il n’était pas l’homme connu qu’il deviendrait. Il était très petit, brun de peau, ses yeux brillaient d’une véritable lumière. Je crois pouvoir dire que nous nous sommes reconnus. Je l’ai d’emblée soutenu dans les milieux de gauche qui étaient encore – de moins en moins – les miens, y compris dans le journal Politis, où j’ai travaillé, où l’on n’aimait guère, sans évidemment le comprendre, un tel personnage.

Au fil de ces années, j’ai eu la sottise d’espacer nos rendez-vous. J’aurais pu faire mieux. J’aurais dû, c’est ainsi. Mais je l’ai toujours aimé, et défendu lorsque des dégueulasses s’attaquaient bassement à lui dans l’un des pauvres grands journaux d’une gauche moralement morte. Et puis un jour, Bernard Chevilliat m’a proposé un livre d’entretiens croisés entre Pierre, lui et moi. Je ne savais qu’une chose de Bernard : qu’il dirigeait le « Fonds de dotation » Pierre Rabhi, et qu’il accompagnait ce dernier dans des voyages initiatiques sur fond d’agroécologie. Au Niger, au Maroc, en Mauritanie.

J’ai découvert un homme exquis, érudit, accueillant. Il vivait en Ardèche, avec son épouse Nüriel, très beau personnage de film, qui y soignait des chevaux. Je n’ai pas tardé à dire oui. Et à l’automne 2021, je suis allé chez Pierre en sa compagnie, pour y échanger nos points de vue sur la marche désastreuse du monde. Je précise, mais le faut-il réellement ? que j’ai toujours eu de solides désaccords avec Pierre. Comme il arrive si souvent et que l’on s’aime pourtant. Inutile ici d’en parler davantage.

Je ne peux présenter moi-même ce livre, car j’en suis le co-auteur. Je n’ai pas la distance nécessaire. Et je ne sais pas ce que j’aurais fait sans la providentielle intervention de Jacques Faule. Je ne connais cet homme que par ses lettres adressées à Planète sans visa. Elles sont louangeuses, mais cela n’aurait pas suffi. Cet homme-là sait ce qu’écrire veut dire, j’en ai eu la preuve. Ce serait mensonge d’affirmer que je n’aime pas les compliments, mais les aurais-je cherchés dans ma vie ? Je ne crois pas. En tout cas, voici les mots qu’a utilisés Jacques Paule il y a quelques jours, et après tout, si vous lisez ce livre, vous vous formerez votre propre avis, peut-être fort différent. Vous ai-je souhaité une belle année 2023 ? Je ne le crois pas. Or ce rite a un sens : espérer. Esperar comme on dit en castillan, c’est-à-dire attendre et espérer. Attendre quelque chose, espérer qu’elle se produira. À bientôt.


Le texte de Jacques Faule

Oui cher Fabrice Nicolino, nous sommes nombreux à nous réjouir de votre retour. Mais nous ne vous avions pas perdu de vue grâce à votre passionnant livre à trois voix paru chez « Le Passeur Editeur » en novembre dernier. Mon voeu ce 6 janvier 2023 est que « Vivant », sous-titré « Entretiens à contre-temps », par Pierre Rabhi, Fabrice Nicolino et Bernard Chevilliat, connaisse le plus grand succès : vous y trouverez l’histoire, la grande et la petite, les portraits de héros familiaux, les événements personnels et publics, la géographie, la réflexion, tant d’autres choses tendres et virulentes, une discussion fraternelle menée sur un ton vif à la Jules Vallès.

On y apprend même page 33 la signification du mot « barkane » qu’une opération militaire a rendu célèbre : « …la barkane (autrement dit la dune en forme de croissant) ». A tous paix, force et joie (comme disait Lanza). Do pobachennya (à bientôt en ukrainien).

Un certain Thierry Lentz

Qui est-ce ? Thierry Lentz est un historien catho, grand amoureux transi de Napoléon : il est d’ailleurs directeur de la fondation Napoléon depuis l’an 2000. Laquelle fondation, sans grande surprise, existe pour faire briller la mémoire du serial killer appelé Bonaparte. Avouons de suite que je ne sais rien de plus de Lentz, mais une chronique parue dans l’hebdomadaire Le Point a attiré mon œil quelques courtes secondes. Elle est consacrée au dérèglement climatique et s’interroge sur les libertés individuelles.

En voici les premières lignes : « Cet hiver, nous avons eu quelques jours de grand froid, moins que d’habitude, il est vrai. Cet été a été particulièrement chaud et sec. Ne remettant en cause ni le dérèglement climatique ni la nécessité de s’en préoccuper, nous ne pouvons qu’être surpris que, concernant l’impact de l’homme sur le réchauffement et la relation entre climat et météo, la peur et la culpabilisation remplacent la raison ».

Cela n’a l’air de rien, mais c’est un chef-d’œuvre, que je ne peux décortiquer en totalité, faute de temps. Notons vite l’essentiel. D’abord, la température. Monsieur Lentz aime visiblement les figures de rhétorique, car il en use et abuse. Je laisse à plus avisé le soin de dire ce qu’il préfère de la litote, de l’euphémisme ou de l’antiphrase. Mais quand il écrit à propos du froid de ce faux hiver qu’on l’aura vu « moins que d’habitude, il est vrai », il utilise une forme d’atténuation du réel qui n’est pas à son honneur. De même, l’été aurait été « particulièrement chaud et sec ». Eh non ! Nous avons connu en Europe la sécheresse la pire depuis au moins 500 ans. Donc, non.

Le reste est à l’avenant. Il faudrait se « préoccuper » du dérèglement, 40 ans après les premiers rapports indiscutés sur le sujet. On a vu plus alarmé. Et surtout, air connu chez les libéraux de son espèce, « la peur et la culpabilisation remplacent la raison ». Mais où diable veut-il en venir ? Sans souci polémique, je crois pouvoir écrire que monsieur Lentz entend relativiser. Il ne le dit pas explicitement, mais le suggère de mille manières : on a déjà vu ça ! S’appuyant sur l’historien Leroy-Ladurie – dont j’ai lu plus d’un livre -, il rappelle que sécheresses et canicules n’ont pas manqué au programme. La belle affaire ! Tout homme sérieusement informé – et j’en suis – sait bien que la stabilité du climat a toujours été relative. Et qu’au cours des 10 000 années passées, bien des épisodes climatiques extrêmes ont eu lieu.

Très visiblement, monsieur Lentz ne sait rien des innombrables études scientifiques parues depuis disons 1979. Lui ne veut entendre parler que d’un livre paru en 2006, et voilà tout. Sa trouvaille, si on peut appeler ainsi pareille couillonnerie, c’est qu’avec le « dérèglement climatique, on a trouvé la peur par excellence, la peur de long terme, la peur vitale pour des générations entières. C’est une peur en or qui permet tout et qui, un jour ou l’autre, aura des conséquences sur les libertés individuelles ». Si je comprends bien, les pouvoirs en place joueraient donc d’un phénomène déjà vu pour museler les libertés. M.Macron en manipulateur suprême, vraiment ? Est-on si loin d’une forme dérivée de complotisme ?

Inutile de se gêner plus avant. Selon lui, « pour certains, comme les Verts et les ONG les plus diverses, c’est même devenu une obligation, quitte à sacrifier tous les progrès humains (et les humains avec) ». Bien sûr, monsieur Lentz serait bien en peine, si on le lui demandait, de nous prouver que les écologistes souhaitent « sacrifier tous les progrès humains (et les humains avec) ». Mais qui le lui demanderait ? Le journal Le Point a été dans les années 80 et 90 le navire-amiral du climatoscepticisme. Dans son édition du 8 mai 1995, Claude Allègre, chroniqueur comme l’est aujourd’hui Lentz, y publia un texte sous le titre : « Effet de serre : fausse alerte ». Le dérèglement climatique aurait été inventé par des « lobbys d’origine scientifique qui défendent avec acharnement leur source de crédits ».

Le Point, qui se pique si souvent de défendre la science – une science en vérité imaginaire – aura contribué plus que d’autres à désorienter la société par une désinformation constante sur la question la plus importante de toutes. Et il continue. Certes d’une manière plus empruntée, car nul n’ose plus nier le drame en cours. Mais il continue de désarmer, car comme le scorpion de la fable, c’est dans sa nature. On attend toujours, et on attendra encore, les excuses du Point pour ses innombrables mensonges sur la question climatique.