Archives de catégorie : Forêts du monde

Ravage à tous les étages (en attendant pire)

Je n’arrive pas à me souvenir. Ai-je déjà parlé ici du roman de Barjavel appelé Ravage ? Je vais faire comme si de rien n’était. Ravage est un grand livre écrit en 1943 (en poche chez Folio), au milieu de la nuit noire du fascisme. On y sent d’ailleurs quelques effluves qui ramènent à ce temps maudit.

Mais pour le reste, grand livre d’anticipation. Écologiste, aussi, pourrait-on ajouter. Barjavel y décrit la France – et Paris – en 2052. Cela pourrait être grotesque, mais non. Par quelque miracle de la création, Barjavel est parvenu à imaginer un avenir crédible. Certaines pistes évoquées par lui ont bel et bien été suivies par notre monde, et non des moindres.

Chez Barjavel, des TGV mettent Marseille à une heure de Paris. Dans la capitale, des immeubles aux façades en verre, hauts de cent étages, ne disposent plus de fenêtres, car l’air y est conditionné. Des centaines, des milliers d’engins aériens patientent sur les terrasses géantes. L’électricité est la reine de toutes les activités humaines. Les voitures en ont besoin pour rouler, l’alimentation industrielle et artificielle aussi.

Et brutalement, à cause d’un phénomène étrange, tout bascule. L’électricité disparaît. La civilisation suit de peu. On se bat dans les escaliers de secours, on se vole, on s’étripe. Il n’y a plus d’eau, bientôt plus de mouvement, l’incendie réduit à néant l’immense prétention humaine. Il y a une issue, certes, que je vous laisse découvrir si cela vous tente. Le jeune François, qui a perçu immédiatement qu’il n’y avait plus rien à faire avec ce monde-ci, entraîne à sa suite un petit groupe dans un périple à travers une France en flammes.

Et ? Et bien entendu, je songe en cette fin de dimanche à la tempête qui vient de secouer le sud-ouest de la France. Un (fort) coup de vent, et tout est disloqué. Plus d’électricité, parfois plus d’eau, souvent la fin du chauffage hétéronome. Car même le chauffage au gaz, j’en ai fait l’expérience personnelle, a besoin d’électricité pour démarrer. De la même manière, il y a une vingtaine de jours, une chute de neige avait changé des régions entières en lieux (presque) inhabitables.

C’est grotesque, oui. Et cela a été dit et répété des centaines de fois. À mesure de la sophistication croissante des systèmes, nous perdons en liberté, en autonomie, en solidité. Je ne vois pas que cela puisse changer de sitôt. Mais il est de plus en plus évident que cette petite frange consciente des problèmes doit commencer dès aujourd’hui à s’extraire. Nous devons concrètement apprendre à animer des lieux, des espaces, des activités qui ne dépendront plus que de nous.

Difficile ? Je ne prétendrai pas le contraire. Essentiel et probablement vital ? Je ne prétendrai pas le contraire.

PS : Je sais que ce n’est pas charitable un jour comme celui-ci, mais j’ajoute que je déteste la forêt landaise. Vous le savez sans doute, l’essentiel a été planté après 1857, en pins maritimes. Le Second Empire était aussi bête que notre régime actuel. Et les ingénieurs de ce temps, au nom du progrès, de l’hygiène, de l’assainissement général, ont détruit un territoire grandiose qu’on appelait les landes. Car il s’agissait de landes plus ou moins humides. Un pays sans habitants autres que les bergers et une infinité d’animaux, la plupart sauvages. C’était, ce fut le pays des molinies et des fougères, de la bruyère, des ajoncs, de la bourdaine, du mélampyre des prés, du phalangium à feuilles planes, de l’agrostis à soies.

On en a fait une merde de plus. Alors, mille excuses, mais ces arbres-là, tombés au champ d’infamie de l’industrie, ne me font pas pleurer. Au contraire. Ces millions de cadavres nourriront dans les années qui viennent un nombre incommensurable d’êtres vivants de toute sorte. Car personne n’ira tous les ramasser. Le marché, leur marché n’a que faire d’un tel afflux de bois de basse qualité. En revanche, imaginez tous les territoire nouveaux, nouveaux et impénétrables, que la tempête aura créés. Je ne serais pas étonné que le loup, retour d’Italie depuis 1992, plante sa tente dans les environs. On en reparlera peut-être.

Isto é o Brasil ! (Lula en plein délire)

Ce qui se joue au Brésil nous concerne tous, vous vous en doutez. Parce que ce pays est une immensité grande comme 16 fois la France. Parce qu’il est très riche, malgré l’atroce misère de tant des siens. Parce qu’il abrite la plus grande part de la forêt amazonienne, attaquée de toutes parts par le développement, nom policé de la destruction généralisée.

Or le Brésil est dirigé par une gauche proche, mutatis mutandis, des social-démocraties d’Europe. Lula, fondateur du Parti des travailleurs (ici, en portugais), a fait suivre à son mouvement, depuis qu’il a été élu en 2002, le même chemin que celui du parti socialiste français du temps de Mitterrand. Il prétendait changer le monde, mais c’est le monde qui l’aura plié à ses lois, jusqu’à la caricature.

Car Lula est une caricature, hélas. Quatre exemples l’illustrent aisément. Le premier concerne le nouveau plan de défense brésilien. On n’en connaît pas tous les détails, mais la France de Sarkozy a gagné au Brésil des marchés inespérés. Les trois grands corps de l’armée de Brasilia – la marine, l’aviation, l’armée de terre – « nous » achèteront des équipements pour un montant inconnu, mais qui pourrait dépasser les dix milliards d’euros. Un pays du Sud, inflexible avec ses paysans sans terre, s’apprête à engraisser nos industries de la mort. La France vendra à Lula, dans les prochaines années, des sous-marins, des hélicoptères, probablement des avions Rafale.

Deuxième exemple : les biocarburants. Je n’y reviens pas longuement, car j’en ai tant parlé que j’en ai la voix enrouée. Si vous voulez savoir jusqu’où s’abaisse Lula en ce domaine, je vous laisse une adresse, en français (ici). Les exportations de biocarburants tirés de la canne à sucre et du soja transgénique sont devenues au Brésil une cause nationale sacrée. On comprend que Lula soit dans le pur et simple déni quant aux conséquences écologiques et humaines de ce déferlement. Car à la vérité, moralement comme politiquement, sa position est indéfendable. Je vous ai parlé il y a très peu d’un rapport sans appel des Amis de la terre (ici, en anglais). Lula est un triste menteur.

Troisième exemple : le Brésil veut bâtir 60 centrales nucléaires au cours des cinquante prochaines années (ici). Le petit monsieur qui est là-bas ministre des Mines et de l’Énergie, Edson Lobao, l’a annoncé à la télévision au moment où il visitait le chantier de la centrale Angra III, lancée avant le nouveau plan énergétique géant. Menue question que je vous pose : où iront les montagnes de déchets nucléaires inévitablement produits ? Je suggère avec respect à M. Lobao l’Amazonie, qui est grande, qui est vide, qui ne sert à rien. Autre interrogation secondaire : est-il raisonnable de consacrer des centaines de milliards de dollars à cette belle aventure dans un pays incapable de réussir une véritable réforme agraire ? Incapable de sauver ce joyau amazonien qui appartient à tous les peuples de la terre et à leur avenir ?  Angra III, hors corruption, devrait coûter à elle seule 3,7 milliards de dollars.

Le dernier exemple concerne le pétrole, qu’il ne faudrait pas oublier. À la fin de 2007, le Brésil a annoncé la découverte de somptueux gisements au large de ses côtes, sous une couche de sel. Il est désormais possible que le Brésil devienne à terme un grand producteur, et l’Iran vient d’ailleurs de lui proposer d’entrer dans l’OPEP, qui réunit les principaux exportateurs.

Lula est donc comme ces lamentables politiciens que nous connaissons tous. Son rêve de bas étage consiste à changer le destin du pays qui l’a élu. De le faire entrer dans le club des cinq ou six pays les plus puissants de la planète. Et d’entrer du même coup dans les livres d’histoire. Sans se demander s’il y aura encore, à l’avenir, des livres d’histoire. Sans se demander s’il y aura encore une histoire.

Vous m’excuserez je l’espère, mais comme dirait l’autre, la bandaison, papa, ça n’se commande pas. Lula bande à l’idée de doter son pays de sous-marins nucléaires et d’avions de chasse. Lula est un con. Je sais qu’il s’agit d’une injure à chef de l’État, mais je ne sais pas quoi dire d’autre. Au passage, cette affreuse régression rappelle une évidence : l’écologie est une rupture mentale, un cadre neuf de la pensée, une culture différente, au sens fort de l’anthropologie. Un paradigme qui oblige à se séparer des peaux anciennes que nous aimions tant.

L’écologie, celle qui est la mienne, renvoie dos à dos les frères siamois de notre histoire politique. D’une part le capitalisme, ce système régnant d’un bout à l’autre de la planète, et qui l’épuise un peu plus chaque jour. D’autre part tous ces socialismes – stalinisme compris – qui ont prétendu le combattre sans jamais mettre en cause l’essentiel. C’est-à-dire l’économie, l’objet, la production matérielle sans autre but qu’elle-même et les profits qui l’accompagnent.

Quand vous entendrez parler tout à l’heure de Hollande, Royal, Buffet ou même Besancenot, pensez une seconde à Lula. Car ils appartiennent à la même famille.

Oiseaux cherchent arbres (désespérément)

Est-ce bien raisonnable ? Le dérèglement climatique en cours pousse « conservationnistes » et chercheurs à réfléchir à l’avenir. C’est bien le moins, et le problème n’est pas là. Mais je me demande. Prenez l’exemple de l’arbre. En France, il ne fait pas de doute que nous allons vers une révolution des paysages. En quelques décennies. Nul ne sait jusqu’où ira le réchauffement, mais les instituts, qui ont besoin d’un plancher sous leurs pieds, font comme si. Comme si les projections – du GIEC, essentiellement – prédisaient le futur.

Admettons. Retenant le scénario optimiste d’une augmentation de 2,5 % de la température moyenne française en 2100, l’Inra (Institut national de la recherche agronomique) a tenté de voir ce que cela donnerait pour cinq espèces d’arbres (ici). Et, mazette, cela fait son effet. Ainsi le chêne vert – on peut y ajouter le pin d’Alep, l’olivier, le cyprès – ferait un bond spectaculaire. Il est pour l’heure l’hôte du sud-est méditerranéen, et de quelques stations de la façade atlantique. En 2100, il atteindrait la Normandie !

Le hêtre ? Présent à peu près partout dans notre pays, cet arbre de mon coeur – oh ! quand ce tronc gris s’élance de pierres grises et moussues – ne ne maintiendrait que dans le quart nord-est. Et notre chêne national, cet arbre des arbres, vénéré par tant de peuples qui ont habité notre territoire ? Il y a 10 000 ans, après la dernière période glaciaire, le chêne a commencé de recoloniser ce que nous appelons la France. Au rythme lent de la chaleur revenue. Eh bien, il lui aura fallu environ 2 000 ans pour monter du sud au nord, pour notre plus grand bonheur d’humains.

Seulement voilà : le bouleversement en cours exige de lui un miracle. Qu’en l’espace d’un temps qui ne représente pas même la durée de vie d’un arbre, il fasse son baluchon, et se mette en route, vers des contrées meilleures. Le chêne, ce nouveau réfugié écologique. Un programme européen tente de son côté d’y voir plus clair, qui s’appelle Evoltree (ici).

Sur les arbres, il arrive parfois qu’il y ait des oiseaux. Un pic noir tambourine un tronc, et y creuse une loge qui servira – qui peut savoir ? – à une chouette de Tengmalm. La sittelle torchepot, corps en fuseau, dos gris-bleu, gorge blanche, descend d’un autre, la tête en bas. Vous saviez que la sittelle sait descendre la tête en bas ? Vous saviez qu’elle raconte des choses comme tuituittuittuit … tuffit …?

Je m’égare. Lisez, si cela vous intéresse, le dossier du journal Le Monde 2 de cette semaine (ici). Il est consacré aux oiseaux, en tant qu’indicateurs du changement climatique en France. Et j’ai été frappé par ces quelques mots d’un (vaillant) chercheur du Muséum, Romain Julliard : « Alors que le soir envahit le Jardin des plantes, et que les pas des visiteurs s’allongent pour rejoindre les grilles du parc, les moineaux prennent possession des lieux. Romain Julliard ajuste ses lunettes avec l’index :  « Nous avons été formés à une écologie de la restauration. Image d’un idéal perdu qu’on essaye de conserver, de maintenir. Ce n’est plus pertinent. Il est bien plus judicieux de penser à préserver la biodiversité du futur que de s’accrocher à celle du passé. Aujourd’hui l’enjeu est de trouver les outils qui nous permettront de vivre demain, quand il fera plus chaud ! Et certaines espèces d’oiseaux y jouent un rôle essentiel. Ne serait-ce que dans la pollinisation des plantes… Face aux mouvements extrêmes de la nature, les êtres vivants résistent en s’adaptant : à nous de nous assurer que nous leur avons bien laissé les moyens et l’espace de le faire ».

Pourquoi en ai-je été interloqué ? Parce que je me demande si certains, avec les meilleures intentions du monde au départ – pour les forêts comme pour les oiseaux, en attendant le reste – ne sont pas en fait des gestionnaires de la catastrophe. Au milieu des ruines, ne servent-ils pas d’amortisseurs ? Et même de « facilitateurs » ? Ne permettent-ils pas à la coalition des barbares de continuer leur oeuvre tranquillement, en banalisant l’extraordinaire métamorphose en cours ? C’est une question.

PS : l’ami Jean-Paul Brodier me signale deux problèmes que j’ai négligés. Un, la taille de mes papiers ici. Et leur rythme quasi-quotidien. Je vais y réfléchir d’autant plus que je vais être absent la plus grande part de juillet. J’essaierai de me manifester de loin en loin, mais rien n’est sûr.

Le peuple des dunes contre Lafarge

Je vous ai parlé il y a seulement une paire de jours de madame Laurence Tubiana (fabrice-nicolino.com), dont je pense tant de bien. L’Iddri, l’institut qu’elle dirige, compte parmi les membres de son conseil d’administration la noble et vertueuse entreprise Lafarge. Une transnationale d’origine française, leader mondial de la construction, dont le coeur de métier est le ciment. Lafarge a fait du « développement durable » l’un des points forts de son discours publicitaire. Ce qui est bien son droit : qui hésiterait, de nos jours ?

Lafarge va plus loin que certains de ses petits camarades et maintient depuis des années un partenariat de taille avec le WWF, association écologiste mondiale. Argent contre image (des détails ici). Je vous conseille vivement, en complément, l’un des livres les plus drôles de ces dernières années : « Développement durable, 21 patrons s’engagent ». Paru au Cherche-Midi en 2002, il contient, au milieu de bien d’autres, un entretien avec Bertrand Collomb, alors patron de Lafarge. La totalité du propos relève du grand comique involontaire – parfois le meilleur -, mais je me dois de citer un morceau choisi. Quand on demande à Collomb pourquoi il a décidé de s’associer avec le WWF, il répond : « Il s’agit d’une organisation mondiale avec une image de marque très connue dans le monde et axée, entre autres, sur la reforestation ».

Tiens donc. La reforestation. Au Bangladesh (infosdelaplanete.org), Lafarge construit une cimenterie géante, approvisionnée par un tapis roulant de calcaire de 17 km de long. La carrière est en Inde, l’usine au Bangladesh. En avril 2007, le ministère indien de l’Environnement enjoint Lafarge de tout stopper, car le cimentier ne dispose pas des autorisations pour faire passer le tapis roulant au travers d’une forêt primaire. Lafarge conteste aussitôt, clame qu’on ne lui a rien demandé. Que la forêt, au reste, n’est pas primaire. Etc. En novembre, par un miracle comme cette Asie-là les aime, la Cour Suprême de l’Inde donne à Lafarge le droit de continuer.

L’histoire, bien que d’une navrante banalité, est plaisante, ne trouvez-vous pas ? Elle se double d’une autre affaire, française celle-là. Le Peuple des dunes est en colère contre notre grand cimentier. Le Peuple des dunes, pour ce que je peux juger, est une merveille. Il s’agit d’un collectif de plus de 100 associations locales qui refuse tout net un autre projet de Lafarge (allié en l’occurrence à Italcementi). Les deux veulent extraire la bagatelle de 600 000 tonnes de sable au large de la Bretagne, entre Gâvres et Quiberon. Chaque année, et pendant trente ans. Et quand j’écris « au large », ce n’est que formule, car l’extraction se ferait à trois milles marins du plus grand massif dunaire de Bretagne, site en partie protégé par Natura 2000 s’il vous plaît.

Je passe sur les conséquences écologiques probables d’une telle entreprise, si par malheur elle devait voir le jour, car tout est sur ce site. Comme les opposants parlent d’une manière admirable, je vous offre toutefois quelques mots du géographe Yves Lebahy. « Lorsque j’ai eu connaissance de ce projet, il y a quelques mois seulement, et des premiers documents qui circulaient à son sujet, j’ai tout de suite été en alerte pour trois types de raisons au moins. La première, mettait en jeu des documents scientifiques expliquant que l’opération serait sans effets sur le littoral. C’est ignorer que toute action humaine quelle qu’elle soit, où qu’elle soit, génère un déséquilibre des milieux et je suis trop attaché au principe de géosophie cher à certains géographes, c’est-à-dire un rapport profond de sagesse et d’humilité que doit entretenir l’homme à l’égard de la terre qui nous porte et nous nourrit, pour n’avoir pas été immédiatement en alerte, surtout sur un milieu aussi complexe et ignoré que le milieu marin au contact des côtes ».

Et puis, car je ne peux résister non plus, cet extrait d’un magnifique appel de Jean Gresy : « Sachez qu’il n’y a place pour aucune solution négociée avec les cimentiers, car nous ne transigerons pas sur les valeurs qui sont au cœur de notre action. Il n’y a place ni à l’arbitrage, ni à la conciliation, ni à la médiation. Comme on ne peut gagner contre la volonté souveraine du peuple dans une démocratie, il est facile d’anticiper le fait que les cimentiers ont déjà perdu la partie ».

Je peux me tromper, mais je crois qu’il a raison. Lafarge ne réussira pas ici. Heureusement pour lui, il reste madame Tubiana.

Vive les écoguerriers ! Evviva !

Des fois, et de plus en plus souvent, je craque, je bous ! On n’a pas toujours envie de discuter, cela se saurait. Non, il arrive aussi qu’on brûle du désir d’agir. Là et maintenant. Maintenant ou jamais. Autant vous dire que j’applaudis de toutes mes forces les bandits océaniques de Sea Shepherd. Oh oui ! Je ne sais si vous êtes au courant de leurs aventures, et dans le doute, je résume.

Paul Watson, un ancien de Greenpeace né en 1950, a créé la Sea Shepherd Conservation Society (site). Le berger des mers. C’est un très brave, cité par Time, en 2 000, dans sa courte liste des Héros de l’Environnement du 20ème siècle. Je sais, Time n’est pas une référence. C’est pour vous dire qu’il est connu.

Watson est un vrai combattant, cela ne se discute pas. Et Sea Shepherd est devenu le symbole de l’action, bien davantage que Greenpeace, du moins dans le monde anglosaxon. J’en arrive à leur dernière fantaisie. Le 2 mars, un bateau de la noble association a pratiquement abordé dans l’Antarctique (afp) le baleinier japonais Nisshin-maru. À dix mètres seulement – il faut imaginer ce que sont 10 mètres dans un océan comme celui-là -, les écologistes ont balancé sur le pont des bouteilles d’acide butyrique, tiré donc du…beurre. Regardez plutôt cette belle photo ! Moi, cela me fait envie, je dois le reconnaître.

Vous l’imaginez, la bande à Watson voulait empêcher ces salopards d’encore prélever des baleines destinées aux restaurants de Tokyo. Le Japon a violemment protesté, affirmant que trois marins auraient été brûlés aux yeux, ce que démentent les écologistes, qui disent avoir tout filmé. Pour eux, l’acide ne sert qu’à rendre le pont glissant et impraticable pendant des jours, tout en emplissant l’air d’une odeur insupportable. Bon, je vais vous dire : dans le pire des cas, je doute que les effluves de beurre provoquent autant de mal que les harpons à tête explosive lancés sur le corps magnifique des rorquals.

Les ecowarriors – les écoguerriers – sont des frères. Ni plus ni surtout moins. Aux États-Unis, ces activistes sont traqués par le FBI d’une façon qui surprendrait encore un peu en France. Au dernier congrès de l’Association américaine pour l’avancement des sciences, un sociologue visiblement ami des flics a mis en garde contre « l’écoterrorisme ». Lequel serait pire aux États-Unis que la violence d’extrême droite. Ces sociologues-là sont plaisants. Je rappelle pour mémoire l’attentat fasciste perpétré le 19 avril 1995 dans le centre d’Oklahoma City par Timothy McVeigh : 168 morts, dont 19 enfants et un secouriste. Une (courte) paille.

Il n’empêche que le FBI flippe, car les écoguerriers seraient des « gens instruits » – je cite -, ce qui compliquerait leur tâche. Après avoir beaucoup défendu l’usage de la violence en mes jeunes années, je confesse que j’ai changé de point de vue. Je suis devenu un non-violent actif. Ce qui veut dire ? Ce qui veut dire que, tant qu’on ne s’en prend pas aux hommes et à tout ce qui vit, l’opposition à ce monde doit conserver un espace, dût-il déplaire aux policiers des âmes et des corps.

Il y aura bientôt quatorze ans, j’ai rencontré à Fontainebleau un certain Samuel Baunée, qui avait créé là-bas un groupe clandestin appelé Bleau-Combat. Il était un écoguerrier, décidé à bien des actes pour sauver la forêt de Fontainebleau d’une exploitation industrielle. Comme je ne sais pas ce que je peux révéler ici, disons seulement qu’il a combattu, avec une poignée d’autres. Contre les engins. Contre les coupes. Contre les résineux. Contre une vision déchaînée de l’exploitation des arbres, qui forment à mes yeux, avant tout autre considération, une communauté hautement respectable. Je n’espère qu’une chose : que le récit de ce qu’il faut bien appeler du sabotage soit un jour publié. Moi, j’en ai pleuré de rire.

Je me suis constamment amusé avec Samuel, qui est un garçon de grande élévation. Et je lui garde, il le sait, une amitié vive. Son action on ne peut plus illégale a fini par le conduire en prison – mais oui, c’est vrai -, sans qu’il ne renie rien de ce qui fut. Et moi, je continue de m’interroger. Jusqu’où peut-on aller pour défendre une cause aussi essentielle que la vie sur terre ? Jusqu’où ?

PS : Je signale à toutes fins utiles que l’éditeur Gallmeister entreprend d’éditer ou rééditer les livres d’Ed Abbey, l’auteur de l’admirable Désert solitaire (Payot). Abbey fut un vaillant écoguerrier, et son roman Le gang de la clé à molette rapporte en partie des événements réels.