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Combien ça coûte (sans M. Jean-Pierre Pernaut)

Patric Nottret m’envoie – merci ! – la copie d’une dépêche de l’AFP consacrée aux vers de terre. Oui, ils existent. Et ils rapportent, dans ce monde où tout doit rapporter quelque chose. Mais combien ? Dans une étude financée par le gouvernement irlandais – « Coûts et bénéfices de la biodiversité en Irlande » – leur valeur économique annuelle est estimée à 700 millions d’euros par an. Versés sans plainte à l’Irlande, depuis un temps infini.

Les vers recyclent sans relâche la décomposition de la planète, libérant, dispersant et du même coup offrant de la nourriture aux sols et aux récoltes. Cette nouvelle qui n’en est pas une m’a fait réfléchir à d’autres considérations, que je mets à votre disposition. Il y a une dizaine d’années, j’ai découvert les travaux de Robert Costanza, un Américain spécialiste d’une économie incluant la question écologique. Je vous avouerai que je ne sais pas grand chose de lui en dehors d’une étude publiée en 1997 sous son nom (et celui de quelques autres) dans la grande revue Nature.

Si vous lisez l’anglais, regardez donc ce résumé. Et pour tous les autres, voici en quelques mots. Costanza et ses collègues avaient étudié une série de services à nous rendus – gratuitement – par les écosystèmes de notre planète. L’eau par exemple, ou le bois, ou les sols, pour ne prendre que des exemples évidents, sont à notre disposition depuis que l’homme est l’homme. Sans eux, rien. Or, combien coûtent-ils ? Quelle « valeur » économique leur accorder ?

L’équipe de Costanza, après avoir défini 17 services essentiels offerts par la nature, plaçait leur prix, en 1997, dans une fourchette comprise entre 16 et 54 000 milliards de dollars. L’unité est le millier de milliards de dollars. Finalement, le chiffre astronomique de 33 000 milliards de dollars fut retenu. Cela ne dira rien à personne, et c’est pourquoi il vaut mieux le comparer au Produit intérieur brut (PIB) mondial de la même année : 27 000 milliards de dollars. Le PIB, je le rappelle, est la valeur des biens et services produits sur un territoire donné. Pour obtenir le PIB mondial, il faut et il suffit d’additionner le PIB de tous les pays du monde.

Mais, comme on sait, il y a problème. Prenons l’exemple du tremblement de terre japonais de Kobé, survenu au Japon en 1995, peu de temps avant la parution de l’étude de Costanza. On peut parler d’une tragédie : 5 500 morts, des dizaines de milliers de blessés, des destructions estimées à 110 milliards de dollars de l’époque. Pour le PIB japonais, en revanche, une bonne affaire. Car des calculs savants ont montré que les opérations de secours et de nettoyage ont été si coûteuses qu’au total, elles auront dépassé les pertes économiques et monétaires. En somme, ce tremblement de terre a augmenté la « richesse » du Japon. En sera-t-il de même en Chine, frappée par une autre horreur ces derniers jours ? Peut-être. Le PIB est un puits sans fonds.

Et de même, les biocarburants et la déforestation massive qu’ils provoquent, la disparition de la biodiversité, la pollution des eaux, la chasse aux défenses d’ivoire des éléphants sont autant de marqueurs « positifs » de l’activité économique des hommes. Pour en revenir à Costanza, l’étude de 1997 montre grossièrement que la nature offre à l’humanité des « richesses » bien plus grandes que celles que nous pouvons produire. Pas de malentendu : je considère cette manière de considérer le réel comme une maladie mentale.

Penser la beauté, l’harmonie, l’équilibre sous la forme d’une valeur monétaire me donne envie de ruer, et d’hurler. Il faut que nous soyons tombés très bas pour jauger de la sorte le mystère absolu de la vie. Mais comme ce monde n’est pas le mien, mais le leur, je souhaite toutefois dire à quel point je les trouve sots. Car quoi ? Si l’on devait admettre ces mesures et le désastre qu’elles révèlent, il va de soi qu’il faudrait arrêter de détruire, sur-le-champ ! Or pas un ne bouge. Ni Jean-Marc Sylvestre, journaliste de TF1 – et France-Inter – bien connu, dont on sait l’amour pour le capitalisme réellement existant. Ni M. Strauss-Kahn, patron du Fonds Monétaire International (FMI) et socialiste à la manière dont l’ont été Gustav Noske et Alexandre Millerand. Ni l’illustre Jean-Pierre Pernaut, qu’il est difficile de présenter. J’ai vu dans un passé qui s’éloigne certains de ces journaux télévisés qu’il présente depuis 1988. Et j’ai même regardé une heure peut-être de ce chef d’oeuvre franchouillard et beauf qu’on appelle « Combien ça coûte ».

Non, nul ne s’avise de rien. Je vous le dis : nous sommes gouvernés par des imbéciles. Par des idiots violemment imbéciles.

PS : On m’excusera de ne citer que trois noms, quand trois mille auraient été nécessaires. Ceux-là sont les premiers à être sortis du chapeau. Vous compléterez à loisir.

Faire ce qu’on peut faire (sur ce foutu aéroport)

En décembre dernier, ici, j’ai parlé du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes. Avant de passer la parole à des opposants vivant sur place, et qui ont décidé de résister, je souhaite vous dire mon point de vue d’aujourd’hui. Une bagarre commence, qui peut se révéler très importante. Peut : je ne suis pas devin. Mais il est clair que dans cette histoire s’affronteront deux visions du monde. D’un côté, ceux qui veulent continuer leur fuite en avant, nous traînant de force avec eux. Et de l’autre, les inconscients qui ont décidé de sortir des rangs, et d’emprunter quoi qu’il en coûte un autre chemin. Nous.

Je vous invite à regarder cette affaire avec les yeux du premier jour. Je vous invite à entrer dans la danse au plus vite, de la manière qui vous sera possible. Ce peut être un coup de fil, une visite, la participation aux premiers rendez-vous sur le terrain, le 1er mai, puis le 29 juin. Ce que vous voulez, mais faites-le ! Il faut selon moi transformer ce projet insupportable en un enjeu national et européen. Si nous gagnons, ce sera une date. Et si nous perdons, une autre.

Ultime précision. À ma connaissance, il existe plusieurs structures de résistance, et je vous renvoie à deux sites sur Internet : celui de l’Acipa et celui de Solidarités Écologie. Des associations comme Greenpeace Loire-Atlantique, la LPO, Bretagne Vivante (dont je suis membre), des syndicats comme la Confédération paysanne en sont.

Mais tout cela ne serait rien sans les habitants du lieu, qui se bougent. Et cela change tout. Ils sont décidés, déterminés, ils ont quelque chose à dire. Et nous devons les écouter. Ce qui suit est l’appel qu’ils lanceront le 1er mai, après un rassemblement organisé au lieu-dit Le Limimbout. Appelons cela, entre nous et pour rire, un scoop. Si vous avez le temps, faites partie de la fête. Et sinon, voici une adresse électronique : christiane.andre625@orange.fr. Et un téléphone : le 02 40 57 21 22. Un message de soutien serait déjà un geste. Tous ensemble ! Oui, tous ensemble !

L’aéroport de Nantes, c’est NON

Le monde s’enfonce dans une crise climatique angoissante, mais notre classe politique continue de parler une langue morte. Les gens qui défendent le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes pensent l’avenir avec les mots d’un passé qui ne reviendra pas. Ils sont les héritiers de ceux qui attendaient l’armée allemande derrière la ligne Maginot, et qui se trouvèrent débordés en une nuit de mai 1940 par les blindés du général Guderian. Comme eux, ils se trompent d’époque.

Nous pourrions rire, si ce n’était aussi grave, du discours des promoteurs du nouvel aéroport. Comme la Toinette du Malade imaginaire, qui répond « le poumon » à toutes les questions posées sur la santé d’Argan, ils répètent, hébétés par eux-mêmes : la croissance, la croissance, la croissance.

Ils ne savent pas, parce qu’ils ne le sauront jamais, que notre planète atteint déjà ses limites physiques dans des domaines vitaux. Le transport en fait partie. Dans un monde fini, ceux qui poussent encore à la destruction des espaces et des espèces sont de redoutables aveugles.

La question de l’aéroport n’est pas de droite ou de gauche. Elle est une affaire humaine, et pour cette raison, nous nous en emparons. Ailleurs dans le monde, comme autour de l’aéroport londonien d’Heathrow, les mêmes que nous ont décidé d’agir : nous sommes l’espoir en mouvement, quand ils n’incarnent que le renoncement. Tous : le maire de Nantes Jean-Marc Ayrault comme le Premier ministre actuel François Fillon.

Le pouvoir ne cesse de nous rabâcher que nous vivons bien au-dessus de nos moyens, que nous avons mangé notre pain blanc. Avoir un hôpital de proximité serait devenu un luxe intolérable : on en supprimera donc 250. Redon, Châteaubriant, Ancenis font partie de la liste ; mais un aéroport pour aller rejoindre les plages méditerranéennes, est une inéluctable nécessité, un intérêt public. L’économie marche sur la tête. Il est grand temps que les hommes reprennent en main leur destin.

Nous savons que ce combat, commencé il y a 35 ans, sera encore long et difficile. Et c’est pour cette raison que nous lançons ce 1er mai 2008 un appel à toute la France, à toute l’Europe. Il faut soutenir le mouvement contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes avec toutes les forces disponibles. Et par des moyens rarement utilisés à l’échelle que nous envisageons : l’occupation du territoire, la désobéissance civile, le refus complet et définitif.

Le compromis n’est pas possible, car ce combat qui continue, et qui concerne chacun, est entre une vie possible et un cauchemar certain. Nous vaincrons, non parce que nous sommes les plus forts, mais parce qu’il n’y a pas d’autre solution.

Les habitants qui résistent

Laurent Cabrol dans le rôle de Zeus (et de Don PaTillo)

Je sais qu’il y a plus drôle, mais je suis bien certain qu’il faudrait chercher longtemps. Car les adieux de Laurent Cabrol aux téléspectateurs de TF1 relèvent d’un burlesque total, prodigieux, hilarant. Quel as !

Je n’ai pas la télé et ne la regarde donc pas, mais j’ai beaucoup, beaucoup donné, inutile de mentir. J’y ai vu les pires absurdités, et je situe parfaitement Cabrol, ci-devant monsieur Météo de la grande chaîne privée. Je le situe, mais je l’avais comme qui dirait perdu de vue, et le retrouve tout décati, vieillard tremblotant essayant de fourguer encore quelques friteuses aux Alzheimer qui ont oublié qu’ils et elles en ont déjà cinq. À ce qu’il semble, l’émission Téléshopping, qu’il animait depuis quinze ans, ne marchait plus assez bien au goût immodéré de Martin Bouygues pour le béton et le blé réunis.

Exit donc le pauvre Cabrol, lourdé et tôt remplacé par une Marie-Ange Nardy que je connais aussi, hélas. En tout cas, je vois très bien la tête qu’elle a(vait) et me souviens même qu’un jour, et en direct, un lion s’est jeté sur elle et lui a mordu sévèrement le bras. Je jure que c’est vrai.

Donc, combat de titans. Le vieux Cabrol rejoint le cimetière des éléphants d’opérette. La (plus) jeune dompteuse entre en piste, tout cela est déjà bien distrayant. Mais il y a encore mieux. J’ai dit ici à de nombreuses reprises l’admiration que je voue à Claude Allègre, ce grand révisionniste que nul ne nous envie.

Eh bien, Laurent Cabrol suit la voie. Par un livre. Sur le climat, bien sûr. Paru au Cherche-Midi, une maison que je vous recommande chaudement, d’autant qu’elle a édité le grand ami d’Allègre, le Danois Lomborg qui dit que tout va mieux et de mieux en mieux.

Je n’ai pas lu le livre de Cabrol, non, je ne compte pas rire aux éclats plus d’une heure aujourd’hui. Mais j’ai regardé pour voir ce que je trouvais sur le net. Quel observateur, ce Laurent ! Dans un entretien avec le grand Morandini, compère d’Europe 1, il dit notamment, et c’est du mot à mot : « J’ai été le premier à parler du réchauffement climatique il y a vingt ans, mais j’ai décidé de prendre du recul. En gros, on nous dit que le réchauffement, c’est le C02 des voitures. En emmenant nos enfants à l’école le matin, nous réchaufferions la planète. Mais moi, en lisant tous les auteurs, je me suis rendu compte qu’y avait pas que le CO2. Y a le rôle du soleil, dont on ne sait que peu de chose. Y avait le rôle des nuages, dont on ne sait rien. Y avait les océans, dont on ne parle pas… ».

Je prends un exemple, pour rendre plus accessible la profondeur de la pensée cabrolienne, tiré du même entretien, un peu plus loin : « Il n’y a aucune certitude. Un nuage, c’est un parasol ou une couverture ? ». Je vous laisse méditer, car cela vaut la peine, je le crois. Et je passe dans la foulée à un autre entretien du même, mais avec un(e) autre. Et là, Cabrol, qui n’oublie pas qu’il est un vaillant journaliste, nous livre pleine poire un scoop mondial. Comme ça, sans prévenir, en grand pro de l’information : « C’est vrai qu’on a tendance à occulter le fait qu’un tel réchauffement s’est déjà produit dans l’histoire entre l’an 900 et l’an 1300, à l’heure de l’optimum médiéval ». Cabrol contre le reste du monde, cela vaut Intervilles, non ?

Enfin, concernant cette fois l’inégalable Allègre, Cabrol se montre généreux : « Je suis tout à fait en phase avec lui lorsqu’il dit qu’avant de nous rendre coupables, il faudrait en savoir plus sur la mécanique climatique. Et j’avoue qu’il a eu beaucoup de courage d’apporter la contradiction dans un domaine où la pensée unique fait des ravages… ».

Et ainsi, et au-delà, sans vraie limite discernable. Je vous laisse tirer les conclusions de cette pantalonnade sublime, car je vous en sais capables. Les plus grands médias de masse français. TF1, Europe1, pour commencer. Une maison d’édition ayant pignon sur rue, où travaillait – travaille encore ? – un anarchiste de salon bien connu, justement, dans les salons. Et au beau milieu, le drame. Non d’un siècle, mais d’une épopée, celle de l’humanité. La crise du climat, et un Cabrol, qui ne vendra plus d’aspirateurs à la télé, car il part à la casse. Nous en sommes là, exactement à ce point où tout doit recommencer. Je parle de la pensée.

PS1 : un ajout concernant le titre, pour les plus jeunes d’entre nous. De mémoire, Don PaTillo est un personnage de pub télé qui imite le Fernandel de la série de films Don Camillo et Peppone. Le tout est en faveur des pâtes Panzani.

PS2 : J’ai rectifié le titre de ce papier grâce à Patric Nottret. Qu’il en soit remercié ! J’avais nommé Don PaTillo Don PaPillo, comme un idiot…

Claude le preux (un hommage)

J’ai rencontré hier, mercredi 2 avril 2008, Claude Got. Et j’ai aussitôt pensé qu’il était un preux. Je ne détesterais pas faire ici un petit cours d’histoire, car cela en vaut la peine. Mais non, rassurez-vous. Vous pouvez comme moi chercher du côté de Jacques de Longuyon et de ses Neuf Preux de 1312. Un mot encore, ou plutôt deux. Le premier est étymologique : preux nous vient du latin prodesse, qui veut dire être utile. Le deuxième est (peut-être) littéraire. Je crois, mais je ne suis pas sûr – qu’on me corrige, éventuellement -, pouvoir attribuer à Fénelon cette phrase qui s’applique à la perfection à ce que je souhaite vous raconter : « Moi, répondit notre preux chevalier, je ne reculerais pas, quand toute la gent chienne viendrait m’attaquer ».

Claude Got. Un homme né en 1936. Professeur de médecine. Chef du service des accidentés de la route de l’hôpital de Garches entre 1970 et 1985. Conseiller dans le cabinet de Simone Veil en 1978. Conseiller dans le cabinet de Jacques Barrot en 1980. Conseiller officieux de Claude Évin en 1988. Combattant sans trêve ni relâche de certains des lobbies les plus mortifères qui soient. Et diablement sympathique.

J’ai parlé avec lui du passé. De l’époque où il partait en canoé avec son frère, sur la rivière. Où il repérait, sur une carte au 1/80 000, les sites géologiques qu’il parcourrait ensuite avec son marteau de minéralogiste amateur. De la forêt, des champs, de la nature qui fut longtemps son seul vrai compagnon. Nous avons ensuite devisé sur l’écologie, car Claude Got est de ceux qui votèrent Dumont en 1974 – 1,3 % de mémoire – et ne le regrettent pas. Dès 1977, il avait placé près de sa maison des panneaux solaires, qui durèrent jusqu’à la grande tempête de 1999. Avec son épouse, il a mené des raids impressionnants à travers toute l’Europe, en vélo. En moyenne 120 ou 150 kilomètres par jour. Jusqu’aux cols, jusqu’aux Alpes, jusqu’au Nord, jusqu’au Sud. Évidemment, il ne ressemble pas à un homme de 71 ans.

Mais à côté de cela, l’infernale réalité. Got aura bataillé toute sa vie adulte pour la santé publique et contre les accidents imbéciles, souvent liés à l’alcool, à la vitesse, à la (toute-)puissance, qui ruinent tant de vies. Peu de gens auront vu d’aussi près l’horreur des gueules cassées et des corps désarticulés. L’hôpital de Garches, qui accueille les grands traumatisés de la route, est un lieu d’horreur où Got, je l’ai dit, passa une partie de sa vie.

Rien ne l’étonne plus, mais tout continue de l’indigner. Et cela, c’est miraculeux. 71 ans, la flamme, la clarté, l’émotion. Tout intact. Nous avions parlé lui et moi, il y a quelques semaines déjà, du journaliste Airy Routier. J’ai consacré ici un article à cet homme détestable, auteur entre autres d’un livre sur la conduite automobile sans permis. Got a passé des semaines à décortiquer ce monument du mensonge. Et des jours à tenter de convaincre les responsables du Nouvel Observateur – où Routier reste rédacteur-en-chef – de sauver l’honneur de cet hebdomadaire. Sans succès.

Si je rappelle ceci, c’est que Got ne laisse rien passer, et il a bien entendu raison. Je vous invite sans manières à visiter le site qu’il a ouvert, totalement voué à la sécurité routière. Vous y trouverez une analyse remarquable d’un deal honteux que notre gouvernement est en train d’accepter, au mépris évident de la lutte contre le dérèglement climatique et pour la sécurité de tous. Une directive européenne – une loi – est en préparation sur les émissions de gaz carbonique par les véhicules automobiles à l’horizon 2012. L’enjeu est important – n’exagérons rien – pour le climat, mais décisif pour les constructeurs. Les grosses berlines, souvent allemandes, émettent bien plus au kilomètre parcouru que les petites, bien entendu. Une réglementation européenne sérieuse aurait donc des effets foudroyants pour l’industrie. Et ça, pas question, on se doute.

Le commentaire de Got est un peu complexe, mais passionnant de bout en bout, car il établit la vérité sur le monde, celle que Monsieur Jean-Louis Borloo et madame Nathalie Kosciusko-Morizet ne nous diront jamais. Vous verrez, si vous allez au bout des textes, que nos deux ministres ont exprimé de sérieuses réserves. Je n’en disconviens pas. Mais où est la bataille publique, devant les citoyens que nous sommes ? Il est certain, certain, qu’il existe un lien d’airain entre la masse des véhicules et les émissions de gaz carbonique. En outre, la gravité des accidents impliquant des engins lourds est incomparablement, incomparablement augmentée.

Ce que pense Got, et qui me paraît évident, c’est que l’industrie automobile allemande – surtout elle – fait le siège de la Commission européenne depuis des années, et qu’elle semble sur le point de gagner. Dans l’état actuel du projet de directive, les grosses conneries du genre BMW ou Mercedes auraient un droit exorbitant au dépassement permanent de la limite de 130 grammes de CO2 par kilomètre parcouru. Leurs modèles n’auraient donc pas à payer les amendes prévues pour les engins dépassant une norme qui, je le dis au passage, ne réglerait rien, évidemment.

J’arrête là. Et je vous pose une question simple : avez-vous déjà lu quelque chose sur le sujet dans la presse française, inondée de pubs pour les grandes bagnoles criminelles ? Si oui, vous avez eu de la chance. Si non, vous êtes comme moi. À un moment de notre discussion, Got m’a parlé, en citant des noms, de ces journalistes spécialisés, qui ne circulent jamais qu’au volant de voitures prêtées, ad aeternam, par les constructeurs. Ne rêvons pas : il y en a dans presque chaque rédaction. Et l’on voudrait qu’ils disent du mal d’un tel système ?

Une ultime parole, pour Claude Got. Tant qu’il y aura des hommes comme lui, aussi rares qu’ils puissent être, je croirai dans l’homme. Et dans la vie. Inutile donc de chercher autre chose : merci.

Le peuple des dunes contre Lafarge

Je vous ai parlé il y a seulement une paire de jours de madame Laurence Tubiana (fabrice-nicolino.com), dont je pense tant de bien. L’Iddri, l’institut qu’elle dirige, compte parmi les membres de son conseil d’administration la noble et vertueuse entreprise Lafarge. Une transnationale d’origine française, leader mondial de la construction, dont le coeur de métier est le ciment. Lafarge a fait du « développement durable » l’un des points forts de son discours publicitaire. Ce qui est bien son droit : qui hésiterait, de nos jours ?

Lafarge va plus loin que certains de ses petits camarades et maintient depuis des années un partenariat de taille avec le WWF, association écologiste mondiale. Argent contre image (des détails ici). Je vous conseille vivement, en complément, l’un des livres les plus drôles de ces dernières années : « Développement durable, 21 patrons s’engagent ». Paru au Cherche-Midi en 2002, il contient, au milieu de bien d’autres, un entretien avec Bertrand Collomb, alors patron de Lafarge. La totalité du propos relève du grand comique involontaire – parfois le meilleur -, mais je me dois de citer un morceau choisi. Quand on demande à Collomb pourquoi il a décidé de s’associer avec le WWF, il répond : « Il s’agit d’une organisation mondiale avec une image de marque très connue dans le monde et axée, entre autres, sur la reforestation ».

Tiens donc. La reforestation. Au Bangladesh (infosdelaplanete.org), Lafarge construit une cimenterie géante, approvisionnée par un tapis roulant de calcaire de 17 km de long. La carrière est en Inde, l’usine au Bangladesh. En avril 2007, le ministère indien de l’Environnement enjoint Lafarge de tout stopper, car le cimentier ne dispose pas des autorisations pour faire passer le tapis roulant au travers d’une forêt primaire. Lafarge conteste aussitôt, clame qu’on ne lui a rien demandé. Que la forêt, au reste, n’est pas primaire. Etc. En novembre, par un miracle comme cette Asie-là les aime, la Cour Suprême de l’Inde donne à Lafarge le droit de continuer.

L’histoire, bien que d’une navrante banalité, est plaisante, ne trouvez-vous pas ? Elle se double d’une autre affaire, française celle-là. Le Peuple des dunes est en colère contre notre grand cimentier. Le Peuple des dunes, pour ce que je peux juger, est une merveille. Il s’agit d’un collectif de plus de 100 associations locales qui refuse tout net un autre projet de Lafarge (allié en l’occurrence à Italcementi). Les deux veulent extraire la bagatelle de 600 000 tonnes de sable au large de la Bretagne, entre Gâvres et Quiberon. Chaque année, et pendant trente ans. Et quand j’écris « au large », ce n’est que formule, car l’extraction se ferait à trois milles marins du plus grand massif dunaire de Bretagne, site en partie protégé par Natura 2000 s’il vous plaît.

Je passe sur les conséquences écologiques probables d’une telle entreprise, si par malheur elle devait voir le jour, car tout est sur ce site. Comme les opposants parlent d’une manière admirable, je vous offre toutefois quelques mots du géographe Yves Lebahy. « Lorsque j’ai eu connaissance de ce projet, il y a quelques mois seulement, et des premiers documents qui circulaient à son sujet, j’ai tout de suite été en alerte pour trois types de raisons au moins. La première, mettait en jeu des documents scientifiques expliquant que l’opération serait sans effets sur le littoral. C’est ignorer que toute action humaine quelle qu’elle soit, où qu’elle soit, génère un déséquilibre des milieux et je suis trop attaché au principe de géosophie cher à certains géographes, c’est-à-dire un rapport profond de sagesse et d’humilité que doit entretenir l’homme à l’égard de la terre qui nous porte et nous nourrit, pour n’avoir pas été immédiatement en alerte, surtout sur un milieu aussi complexe et ignoré que le milieu marin au contact des côtes ».

Et puis, car je ne peux résister non plus, cet extrait d’un magnifique appel de Jean Gresy : « Sachez qu’il n’y a place pour aucune solution négociée avec les cimentiers, car nous ne transigerons pas sur les valeurs qui sont au cœur de notre action. Il n’y a place ni à l’arbitrage, ni à la conciliation, ni à la médiation. Comme on ne peut gagner contre la volonté souveraine du peuple dans une démocratie, il est facile d’anticiper le fait que les cimentiers ont déjà perdu la partie ».

Je peux me tromper, mais je crois qu’il a raison. Lafarge ne réussira pas ici. Heureusement pour lui, il reste madame Tubiana.