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Le ridicule ne tuera pas madame Tubiana (ni personne)

Je n’ai jamais rencontré madame Laurence Tubiana, et je dois avouer que cela ne m’a pas trop manqué. Qui est-elle ? Qui n’est-elle pas, plutôt. La totalité de ses titres, auxquels elle semble tenir avec fermeté, dépasse le cadre de cet article. Choisissons, élaguons : elle est la directrice de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), prof à Sciences Po et siège dans un grand nombre de commissions et de conseils d’administration divers et variés.

Elle serait de gauche que je n’en serais pas autrement étonné. Elle a en effet été conseillère de notre excellent Jospin quand il était Premier ministre de la France, ce que des insolents comme moi finissent par oublier. Qu’il a été Premier ministre, je veux dire. Et de gauche, bien sûr. En somme, Laurence Tubiana est une considérable personne, au confluent de la politique, de l’économie, de l’écologie et des relations internationales.

Venons-en aux faits. Cela faisait un moment que l’Iddri et madame Tubiana, ce qui est bien leur droit, préparaient le terrain pour un machin de plus. Un machin sur la biodiversité. Un truc international, sur le modèle plus ou moins fidèle du Giec, ce groupe d’experts sur le climat qui a reçu le Prix Nobel de la paix. C’est vrai, quoi, il n’y a pas que le climat, tout de même. Et les éléphants, et les baleines, et les forêts tropicales ? Pour être complet, l’idée a été exprimée la première fois au cours de la farce grandiose organisée par Jacques Chirac à l’Unesco, en janvier 2005. Je vous en rappelle l’immortel intitulé : « Biodiversité, science et gouvernance ».

Donc, un lobbying intense autant que durable. Parallèlement, un Borloo et une Kosciusko-Morizet, ministre et secrétaire d’État chargés de l’écologie et du développement durables. Mal en point depuis qu’il apparaît cette évidence que le Grenelle de l’environnement fut une mise en scène dépourvue du moindre acte, ce qui est toujours fâcheux au théâtre.

Des lobbyistes, des ministres en mal de reconnaissance, une idée qui ne mange pas de pain : l’étincelle ne pouvait être très loin. Le résultat des courses s’appelle IMoSEB. Je vous jure que je n’invente pas : l’IMoSEB est né, alleluia ! Il s’agit de l’acronyme anglais de Mécanisme mondial d’expertise scientifique sur la biodiversité. Je ne galèje pas davantage. Tel est notre petit nouveau.

Je ne doute pas qu’il grossira, car toutes les occasions sont bonnes de réunir son monde et de voyager pour la bonne cause. Madame Valérie Pécresse, ministre de la Recherche, a en tout cas confié à madame Tubiana une mission décisive de « pilotage et de coordination ». On verra ce qu’on verra. Dès 2009, l’IMoSEB devra être « opérationnel ». Pour cela, madame Tubiana aura pour tâche, comme l’indique sa fort sérieuse lettre de mission, « d’organiser la contribution de la recherche française au projet d’expertise » et de préparer « les négociations au plus haut niveau avec les gouvernements, les partenaires institutionnels et les ONG ».

Où est le problème ? Je vous le demande. Et j’y réponds dans la foulée. Au moment même où était annoncée cette (petite mais réelle) loufoquerie, on apprenait le résultat d’une étude du Muséum sur l’état des espèces protégées en France. 200 espèces animales et 100 espèces végétales, légalement protégées je le rappelle, ont été étudiées, ainsi que 132 espaces naturels.

Le résultat est simplement fou. 36 % de ces espaces sont dans le rouge, statut dit « défavorable mauvais ». Les espèces qui y vivent voient leur avenir compromis. 29 % sont dans l’orange, statut « défavorable inadéquat », inquiétant mais réversible. Le comble de tout est que le loup est l’un des seuls animaux à sortir son épingle du jeu. Le loup, qui vient de revenir seul chez nous, sans demander son avis à aucune commission !

Je résume et synthéthise : l’état réel de la biodiversité ordinaire d’un pays comme le nôtre est lamentable. Et parmi les causes les plus évidentes, il faut citer, sans surprise, l’agriculture intensive et les projets industriels. Voilà pourquoi il était si urgent de confier une mission à madame Tubiana.

Et en effet ! Le 19 octobre dernier, l’Iddri qu’elle dirige invitait à Paris, pour une conférence, Blairo Borges Maggi, gouverneur de l’Etat du Mato Grosso (Brésil). Titre de la conférence : « Production agricole, commerce et environnement, le cas de l’État du Mato Grosso ». Maggi, directeur du Groupe Amaggi, est considéré comme le roi du soja. Son empereur même. C’est dans son État que sont en train de mourir, encerclés par le soja transgénique, les Enawene Nawe, un minuscule peuple indien de la forêt défunte. Maggi est aussi et fatalement l’un des défenseurs les plus acharnés de la route BR-163, longue de près de 1700 km, qui permet l’acheminement du soja jusqu’à Santarém, un port du fleuve Amazone, via la forêt tropicale. Faut-il être plus explicite encore ? Je doute.

Bien sûr, l’Iddri de madame Tubiana a le droit d’inviter qui elle veut, même des coupables de crimes écologiques. Bien sûr. De même que l’Idri a bien le droit de compter dans son conseil d’administration le cimentier Lafarge, Véolia Environnement, et même Coca-Cola, Arcelor-Mittal, EDF, Rhodia, Dupont de Nemours, Solvay, Renault, Sanofi-Aventis, etc, etc.

Mais oui, je vous le dis : madame Tubiana a tous les droits. Dont celui de faire croire qu’elle luttera efficacement pour la biodiversité sans jamais toucher à l’industrie – qui finance gentiment ses activités – ou à l’agriculture industrielle. Quant à moi, je me réserve le droit des bras d’honneur, et du rire dévastateur, en attendant mieux. L’écologie officielle, celle des salons dorés et des conférences endimanchées, je vous la laisse volontiers, madame.

PS : dans la série Rions un peu sait-on jamais, je vous signale ce compte-rendu (involontairement) hilarant d’une réunion au cours de laquelle madame Tubiana estime que « la biodiversité est un concept difficile à saisir » (www.lapeniche.net).

Puisqu’il faut parler du cancer

Pas drôle du tout. J’aimerais bien parler d’autre chose. Des bourgeons par exemple, qui me rendent fou. Et qui, soit dit entre nous, sont fous, puisqu’ils éclosent en février. Des bourgeons, oui, et des fleurs, et du printemps qui emportera tout une fois encore. J’aimerais.

Au lieu de quoi, je me lance dans un article sur le cancer, cette sale bête qui mord et fouaille. Cet assassin perpétuel qui blesse et tue nos amis, nos amours, et nous-mêmes. Allons, et vite, que je puisse aller voir ailleurs. Le cancer, donc. Des chiffres saisissants de l’Institut national de la veille sanitaire (InVS), agence sanitaire publique, viennent d’être rendus publics.

En deux mots, voici : en 1980, la France enregistrait 170 000 cas de cancer par an. En 2005, 320 000. Une augmentation de 93 % pour les hommes, et de 84 % pour les femmes. Dément. N’hésitons pas une seconde devant le mot : une telle explosion est si démente que tous, TOUS les journaux devraient en faire leur « Une » plusieurs jours d’affilée. Évidemment. Comparez avec moi la place accordée à une épidémie de légionellose frappant une maison de retraite de Wattrelos, et celle donnée à cet événement fracassant concernant toutes les familles. Vous y êtes ? On se moque. La presse se moque, la presse joue les perroquets des institutions, la presse sous-informe et désinforme. Pas toujours, non, mais là, oui, certainement.

Je ne vais pas critiquer un à un les articles de Ouest-France, Libération, Le Monde et tous autres. Tous ceux que j’ai lus, reposant sur une source unique autant qu’univoque – l’InVS -, euphémisent à qui mieux mieux et font assaut de sornettes. Prenons la dépêche de l’AFP, qui sera certainement servie à toutes les sauces dans la presse quotidienne régionale (afp.google.com).

L’AFP raconte la fable commune. Plus de cas, moins de morts. Formellement, c’est vrai. La mortalité par cancer augmente, mais moins vite que le nombre de cas. Seulement, est-ce bien l’information principale ? Que non, que non, que non ! Le point crucial, c’est que l’incidence de cancers a pratiquement doublé en 25 ans. L’InVS met en avant, avec audace, l’augmentation de la population et son vieillissement constant. Je vais vous surprendre : je suis d’accord.

N’étant ni épidémiologiste, ni cancérologue, ni même vaguement scientifique, je me lance : l’InVS a raison. Quand un peuple voit sa population augmenter et vieillir, il a toutes chances de voir augmenter en son sein le nombre de cancers. Mais jusqu’où ? Car comment expliquer tout le reste ? L’InVS reconnaît en fait qu’il existe une augmentation massive du risque d’attraper un cancer en France. Entre 1980 et 2005, ce qui est une durée incroyablement faible dans l’histoire d’une maladie comme le cancer. Lisez avec moi cet extrait du communiqué de l’InVS (www.invs.sante.fr) : « 52% des cas supplémentaires chez l’homme et 55% chez la femme sont dus à l’augmentation du risque ».

Voilà ce qu’auraient dû titrer les journaux de notre pays, qui s’en sont bien gardés. Je vous ai parlé plus haut de désinformation. N’imaginez pas un plan, et des manipulateurs de marionnettes. Non. La désinformation, comme la censure, peut aisément venir du fin fond de la conscience. Sans s’avouer telle. En l’oocurrence, il s’agit d’une désinformation objective, résultat de la rencontre entre deux désirs inavoués. D’un côté l’InVS, qui présente des chiffres affolants en prenant bien garde de ne pas inquiéter. C’est-à-dire en insistant avant tout sur la diminution relative de la mortalité. Et de l’autre, des journalistes qui n’osent pas poser des questions qui fatalement mettraient le feu aux poudres. Qui préfèrent rassurer en se rassurant. Qui préfèrent colporter les maigres arguments en faveur d’une vision lénifiante de la réalité.

Mais la réalité sans fard, c’est que nul ne peut prétendre savoir ce qui se passe. Nul. Moi non plus ? En effet, moi non plus. Si vous avez le temps de consulter le dossier de presse de l’InVS, qui accompagne le petit communiqué que je viens de citer, vous trouverez cette phrase inouïe : « Pour autant, l’évolution de la démographie et des pratiques médicales n’expliquant pas à eux seuls l’augmentation constatée, l’hypothèse que les modifications de l’environnement en soit responsable en partie doit faire l’objet d’un effort de recherche constant portant à la fois sur l’existence et la nature du lien causal et sur la mesure de l’exposition des populations à des cancérigènes avérés ou probables ».

Je ne vais pas vous faire injure : vous savez lire. À mots à peine couverts, l’InVS reconnaît qu’il faudrait produire un « effort de recherche constant » sur l’exposition des hommes à des produits cancérigènes. Car ce n’est pas le cas. Et telle est bien l’explication de l’accueil scandaleux, frauduleux fait à ce qu’il faut bien appeler les révélations de l’Institut national de veille sanitaire.

Je ne sais pas, non je ne sais pas quelle part des nouveaux cancers relève de l’empoisonnement universel dont nous sommes les victimes. Quelle est la part, dans ces chiffres, de l’exposition aux cancérigènes massivement présents dans les lieux de production, de la pollution générale des sols, des eaux, de l’air, des aliments par des molécules toutes nouvelles, dont les pesticides ? Personne ne peut répondre à cette question de fond.

J’affirme néanmoins, haut et fort, que l’hypothèse d’un lien direct et massif entre les deux phénomènes est fondée sur le plan scientifique. J’affirme de même qu’il faudrait de toute urgence débloquer des fonds publics, de manière à permettre une recherche libre. Totalement libre. Mais bien entendu, cela n’arrivera pas. Cela n’arrivera pas, car dans le cas où cette hypothèse se vérifierait, ce serait une Apocalypse. Pas pour ceux qui vont mourir ou souffrir, non. Car ils vont mourir ou souffrir. Mais pour l’armée de falsificateurs qui continuent à prétendre que tout va bien. Cette armée d’innombrables se battra jusqu’à la dernière seconde, et elle nous surprendra encore. J’en jurerais.

Notre vieux pays perclus trouve aisément neuf milliards d’euros pour le « bouclier fiscal » offert par Son Altesse Sérénissime à ses bons amis. Mais rien pour prévenir l’avalanche de cancers qui frappe une à une la presque totalité des familles françaises. Est-ce réellement bon signe ? Je m’interroge.

Que pour les trous du cul (le portable)

Le combat est désespéré, et je ne le mène plus que rarement. Je tiens néanmoins à rappeler un très mauvais souvenir : il fut un temps où le téléphone portable n’existait pas. Si. Il fallait se contenter du téléphone fixe. Si.

Et puis il y eut le bi-bop, que tout le monde a oublié. Lancé à grands sons de trompe publicitaire, cet ancêtre arriva à Paris en 1993. Et peu de temps après, je le découvris dans les mains d’un ami avocat. Un bon ami, un grand avocat, fort connu. Il était depuis toujours d’extrême-gauche, et ne se privait pas de donner des leçons à bien des gens. Je dois ajouter qu’en règle très générale, j’étais d’accord avec lui. Il n’empêche que le jour où je le vis avec un bi-bop, en plein Palais de Justice, je le moquai.

C’était spontané, irrépressible. Je crois bien que j’exècre la prolifération des objets matériels, par quoi s’affirme chaque jour davantage le vide du monde. Spontané. Et il le prit mal, arguant – déjà ! – de l’extraordinaire intérêt qu’il y avait pour lui à pouvoir être joint partout, et toujours.

Avant que la victoire de l’objet ne soit totale, peu après ce fait divers, en somme, une amie me donna un splendide autocollant sur lequel est écrit en lettres noires, sur fond blanc : LE TÉLÉPHONE PORTABLE, C’EST VRAIMENT QUE POUR LES TROUS DU CUL.

Je l’ai toujours, et le tiens à la disposition des collectionneurs (fortunés). L’amie donatrice acheta bientôt un portable, comme environ 95 % de la population générale, mais pas moi. Attention, je ne suis pas un héros de bande dessinée, et je vous écris ce mot grâce à une machine (trop) performante. Simplement, je déteste qu’on me siffle. Je déteste que quiconque s’empare d’un espace public – un train, un trottoir, une soirée dansante – à des fins de privatisation. Sur un plan plus général, je suis convaincu que nous n’avancerons plus jamais sans une mise en cause radicale de l’addiction aux choses, extraordinaire moteur de la dévastation écologique.

Et pour finir, je vous glisse ci-dessous une mienne chronique parue le 16 novembre 1994 (dans Politis). J’y ai repensé en vous écrivant ces mots, et ma foi, cela tient encore passablement la route. Je l’ai écrite peu après l’accrochage avec l’avocat. Eh, on ne se refait pas !

Bi-bop et fin des haricots

Une même passion unit les députés italiens, qu’ils soient berlusconiens, fascistes ou progressistes, voire écologistes : le bi-bop. La présidente de la Chambre leur ayant interdit de l’utiliser en séance, nombre d’entre eux préfèrent tout simplement déserter leur poste. On les retrouve dehors, accrochés à leur béquille de plastique noir, et lancés dans d’interminables conversations. À qui parlent-ils ?

On peut le dévoiler : à leur dentiste, à leur épouse, à leur maîtresse, à leur banquier, à leur journaliste favori, etc. Rien qu’ils ne puissent faire de leur bureau ou de la cabine la plus proche. Et en France ? C’est le rush : pas moins de 700 000 personnes se sont abonnées ces dernières années aux différents circuits de téléphones portables ou portatifs. L’affaire est extrêmement juteuse et la présence sur ce terrain de philanthropes comme Bouygues, Alcatel, la Lyonnaise ou la Générale dispense de faire des dessins trop précis.

On rencontre ces jours-ci à Paris de plus en plus de zombies avec prothèse, montant dans un autobus, remontant les boulevards, patientant dans une queue de cinéma, sirotant – si peu – un verre en terrasse. Ont-ils bien le sentiment de faire ainsi de la politique ? Sont-ils conscients qu’en clamant de la sorte leur glorieuse liberté d’individus, ils soutiennent, de la façon la plus militante qui soit, la société marchande ?

On peut penser que non, mais c’est pourtant le cas. Car pour ces adorateurs des choses et des objets futiles, il n’y aura jamais de fin. Leur quête se poursuivra par-delà les siècles des siècles et la machine continuera de les servir, sans se demander pour qui ils votent, car elle sait bien que c’est pour elle. Après avoir installé dans les mœurs la bagnole, la télé, le tac o tac, la couche-culotte, la cocaïne, le fax, la vidéo, et l’informatique, elle nous fourguera demain les autoroutes de l’information, les cathédrales de la connaissance interactive et les satellites de la liberté tridimensionnelle.

Pour cela, dame, il faudra bien continuer d’ouvrir des routes, de brûler du pétrole, de saloper quelques océans, et d’effacer de la carte une demi-douzaine d’Irak. Une consolation tout de même : quand ce sera la fin des haricots, on pourra en être prévenu partout. Dans la rue, au bistrot, et même chez le boulanger. Le bi-bop est une belle invention.

Considérations sur l’imbécillité (en Espagne et ailleurs)

Avouons que ce papier s’adresse d’abord à ceux qui croient encore dans la politique. Je veux dire la politique ancienne, celle qui émet les signaux que nous connaissons tous, celle de madame Royal, de monsieur Sarkozy. Celle venue en droite ligne de 200 ans d’histoire tourmentée.

On le sait, ou l’on finira par le savoir, je ne porte plus guère attention aux acteurs de ce jeu de rôles, mais je ne cherche pas à convaincre. Je ne fais qu’exprimer un point de vue. Et voici pour ce jour : j’aimerais vous parler d’Andrés Martínez de Azagra Paredes. Un Espagnol. Cet ingénieur, également professeur d’hydraulique, propose un néologisme : oasificación. Pour nous, Français, ce n’est pas très difficile à comprendre : il s’agit de créer des oasis. Martínez est un homme très inquiet de l’avenir de son pays, menacé par des phénomènes de désertification dont nous n’avons pas idée. Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà, comme aurait dit Montaigne. Mais nous avons grand tort, en l’occurrence, de ne pas tendre l’oreille.

Martínez, en tout cas, a des solutions ( attention, en espagnol : www.oasification.com). Cela consiste, sommairement résumé, à récupérer l’eau, de pluie surtout, et à restaurer un couvert végétal là où il a disparu. En mêlant savoirs ancestraux et technologies nouvelles. J’avoue ne pas en savoir bien plus. Est-ce efficace ? Peut-être.

Mais la vraie question est autre : l’Espagne devient un désert. Bien entendu, il est plus que probable que nous ne serons plus là pour admirer le résultat final. Le processus est pourtant en route (afp.google.com) : le tiers du pays est atteint par des formes sévères de désertification, et le climat comme la flore et la faune seront bientôt – à la noble échelle du temps écologique – africains. J’ai eu le bonheur, il n’y a guère, de me balader sur les flancs de la Sierra Nevada, cette montagne andalouse au-dessus de la mer. Je me dois de rappeler que nevada veut dire enneigée. De la neige, en ce mois de novembre 2005, il n’y en avait plus.

Pourquoi cette avancée spectaculaire du désert en Europe continentale ? Je ne me hasarderai pas dans les détails, mais de nombreux spécialistes pensent que le dérèglement climatique en cours frappe davantage l’Espagne que ses voisins. Et comme le climat se dégrade aussi en Afrique, notamment du nord, il va de soi que les humains qui ont tant de mal à survivre là-bas ont tendance à se déplacer plus au nord, au risque de leur vie quand ils tentent la traversée vers les Canaries ou le continent.

Et que fait le gouvernement socialiste en place ? Eh bien, avec un courage qui frise la témérité, il vient de décider la création d’un Plan national contre la désertification. Tremblez, agents de la dégradation écologique ! Je ne vous surprendrai pas en écrivant que les choix faits depuis 50 ans n’ont jamais qu’aggravé les choses. La surexploitation des ressources en eau, la déforestation, l’agriculture intensive et l’urbanisation sont les points les plus saillants d’une politique d’autant plus efficace qu’elle est évidente, et rassemble tous les courants qui se sont succédé au pouvoir.

Du temps de Franco, vieille et sinistre baderne aux ordres du pire, le choix majeur a été de vendre le pays au tourisme de masse. Une aubaine pour les vacanciers français découvrant, dans les années 60, la défunte Costa Brava, puis le reste. Les héritiers du Caudillo, de droite d’abord, puis de gauche, ont poursuivi dans la même direction, toujours plus vite, toujours plus loin. Le Premier ministre en place, José Luis Rodríguez Zapatero, ne cesse de vanter l’état de l’économie espagnole, qui lui devrait tant. Par parenthèses, faut-il rappeler l’enthousiasme de madame Royal chaque fois que quelqu’un l’appelle la Zapatera ?

Donc, Zapatero. Il me fait penser à DSK. Ou à Moscovici. Ou à Delanoé. Ou à tout autre, cela n’a pas la moindre importance. Il se vante donc de l’état de l’économie sous son règne, espérant bien remporter les élections générales du 9 mars prochain. Comme je m’en moque bien ! Car il y a tout de même un peu plus important. Certes, le socialistes locaux ont stoppé – pour combien de temps ? – le démentiel Plan hydrologique national de la droite, qui entendait détourner une partie des eaux de l’Èbre – fleuve du Nord qui a donné son nom à la péninsule – jusque vers l’extrême sud et les côtes touristiques.

Certes. Mais la soi-disant bonne santé du pays repose, pour l’essentiel, sur la construction. Qui n’est bien entendu que destruction. Jusqu’à la crise des subprimes, ces damnés crédits immobiliers américains, l’Espagne était considérée comme un modèle (www.lemonde.fr) à suivre partout en Europe. Écoutez donc cette nouvelle chanson, dans la bouche de Patrick Artus, gourou financier bien connu : « La crise récente risque de montrer qu’il s’agissait de « faux modèles » à ne pas suivre. Que reste-t-il du dynamisme de ces pays, une fois enlevés l’expansion des services financiers et de la construction, qui y représentaient 50 % à 80 % des créations d’emplois ? ».

Zapatero est un grossier imbécile. Je vous le dis, vous pouvez le répéter. Imbécile, je pense que cela va de soi. Grossier, car dans le même temps que sa ministre de l’Environnement faisait semblant d’agir contre l’avancée du désert, on apprenait la teneur de quelques chiffres officiels. L’an passé – de juin 2006 à juin 2007 -, les mairies du littoral espagnol reconnaissaient l’existence de projets immobiliers plus nombreux que jamais. Soit 2 999 743 nouveaux logements, 202 250 lits dans l’hôtellerie, 316 terrains de golf et 112 installations portuaires avec 38 389 places neuves pour les jolis bateaux. Sans compter 90 cas de corruption établis, impliquant 350 responsables publics (attention, en espagnol : www.glocalia.com).

Tout est malheureusement connu, et le Parlement européen lui-même a condamné sans appel des « projets d’urbanisation massive (…) sans rapport avec les véritables besoins des villes et villages concernés », contraires « à la durabilité environnementale » et qui ont des effets « désastreux sur l’identité historique et culturelle » des lieux (www.batiweb.com). Voilà pourquoi, bien qu’aimant l’Espagne et sa langue, je mets rigoureusement dans le même sac le PSOE – parti socialiste au pouvoir – et le PP, ou Parti populaire, de droite. Plutôt, parce que j’aime profondément l’Espagne. Mais vous aurez rectifié de vous-même.

Le grand mage parle de 2008

On dirait que je serais le grand mage. Celui qui voit et surtout prévoit. Celui qui peut le dire. Eh bien, je peux vous dire que la presse française, en ce début d’année 2008, va découvrir la faim dans le monde, l’explosion du prix des céréales et même – je suis fou, mais tant pis – le déferlement des biocarburants.

Oui, 2008 va être une grande année. Question imbécile : pourquoi diable la presse dite sérieuse – Le Monde, Libération, Le Figaro, Le Nouvel Obs, L’Express, etc. – n’a-t-elle encore consacré aucune Une à ce qui est, d’évidence, le problème le plus dramatique du moment ? Deuxième question imbécile : pourquoi le ferait-elle maintenant ?

Étant mage, il m’est assez aisé de répondre aux deux interrogations. Mais avant cela, permettez-moi de préciser mon propos. Sur cette terre fragile et tourmentée, des hommes autant hommes que vous et moi ont les crocs. J’écris les crocs, car l’image est nécessaire. La faim, les crocs. Officiellement, ils sont 854 millions. Mais il faut ajouter une autre catégorie plus vaste, celle des humains vivant (?) avec un dollar par jour. Les estimations commencent à 1,1 milliard. Et si l’on passe à la somme rondelette de 2 dollars par jour, on atteint alors près de la moitié de la population mondiale. Entre 2,7 et 3 milliards de nos frères on ne peut plus théoriques sont dans ce cas.

Eh bien, et le mage va vous surprendre, lorsqu’on dispose d’un trésor pareil, on en consacre la plus grande part à la nourriture. Au Sénégal, qui n’est pas le pire pays de la planète, la rue dispose d’une expression claire pour désigner ce qu’est devenue la vie. Il s’agit, pour l’immense majorité de la population locale, de trouver la DQ. C’est-à-dire la dépense quotidienne. On se lève, mais sans savoir encore comment assurer la DQ. Il vaut mieux ne pas avoir la grippe, et ne parlons pas de la flemme, si douce sous nos latitudes.

Bon, la hausse vertigineuse du prix des « denrées agricoles » frappe et frappera massivement ces autres absolus que sont les pauvres du monde. Quelle est l’explication de ce tsunami social ? Selon le directeur général de la FAO, Jacques Diouf, pourtant libéral bon teint, les biocarburants sont une cause première (www.lemonde.fr). Et il annonce à nouveau des émeutes et des conflits très graves.

Revenons aux oignons du grand mage. Pourquoi ce silence quasi total de notre presse ? Je dis quasi, car il serait aisé à un contradicteur de trouver des articles épars, ici ou là. Bien entendu ! Ce qui reste indiscutable, c’est que l’opinion française est sous-informée. Considérez cela comme un euphémisme. Ne parlons pas de TF1, qui n’a pas de temps de cerveau disponible à perdre. Mais tous les autres ? Le grand mage, à la réflexion, n’a pas d’explication définitive. Mais je peux écrire sans hésitation que la presse, dans sa presque totalité, défend ardemment l’organisation générale des sociétes humaines, telles qu’elles sont. Je ne pense même pas au rachat massif des titres par la grande industrie. Je parle de la publicité, cette industrie du mensonge qui fait vivre les équipes en place.

Puis, sachez que la presse est désespérément moutonnière. TF1 regarde Le Parisien qui regarde Le Monde, éventuellement l’AFP. Tant qu’une institution ne fait pas un choix clair, les autres rédactions considèrent en général qu’il faut ne rien faire soi-même. Or Le Monde, organe central de la presse française, se tait, pour l’essentiel. Je vous dirai mon sentiment sur cet insupportable silence un autre jour, car il a aussi des causes particulières. En tout cas, Le Monde se taisant – j’utilise ce journal comme symbole du grand sérieux, mais on peut remplacer par un équivalent -, les autres ne pipent.

Cela va-t-il changer ? Oui, je le pense. Car Le Monde est très impressionné par la presse américaine, et à un moindre degré britannique. Or notre quotidien a publié hier vendredi, comme chaques semaine, une sélection d’articles du New York Times, considéré comme indépassable. Et le titre de couverture, accompagné d’une photo terrible – les mains d’un paysan égrenant les fruits d’un palmier à huile – dit à peu près tout : An Insatiable Demand.
Nul besoin de traduction.

L’article de Keith Bradsher, chef du bureau du Times à Hong Kong, est d’une clarté de cristal. Et rappelle que l’augmentation stupéfiante du prix de l’huile de palme – près de 70 % en 2007 – plonge les pauvres d’Asie dans un grand malheur, car l’huile pour eux, c’est l’alimentation de chaque jour. Or cette huile, je vous le rappelle, est massivement transformée pour produire des biocarburants, qui seront vendus surtout chez nous, au Nord.

Où en étais-je ? Même un mage peut s’égarer en route, quelle horreur ! Je reprends : la presse française, moutonnière et docile, cache pour l’heure à ses lecteurs un vrai grand drame. Je sais bien que c’est moins intéressant que le prochain disque de Carla Bruni. Mais ce n’est pas grave, car cela va changer, grâce au NYT, le Times, quoi.

Une ultime prophétie : de l’instant où la machine s’emballera, c’est à qui prétendra avoir été le plus clairvoyant. Et il ne fera pas bon, alors, rappeler que certains ont tiré la sonnette d’alarme bien avant, dans le silence et l’indifférence. Début octobre, certains le savent, j’ai publié un livre appelé La faim, la bagnole, le blé et nous. Un pamphlet contre les biocarburants. J’ai très vite convoqué une conférence de presse, car la madame qui dirige l’Ademe, agence publique que je secouais très fort dans mon livre, cette madame montrait les dents contre moi.

J’ai fourni ce jour-là quantité d’informations importantes, dont une mise en cause réitérée de l’Ademe, du ministère de l’Écologie, de M.Borloo, etc. Et ? Et à peu près rien. La presse officielle se passionnait alors pour le Grenelle de l’Environnement, et se battait pour recueillir des bribes de ce qui apparaîtrait plus tard comme insignifiant. Le grand silence est aussi un grand désert, parole de mage averti.