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Toutes les forêts du monde

Sylvain Angerand, des Amis de la Terre, m’envoie le texte d’une tribune parue dans Libération, sous sa signature. Cela tombe bien : l’ayant déjà lue, je m’apprêtais à vous en parler (http://www.liberation.fr). Je n’ai jamais rencontré Sylvain et ne sais que fort peu de choses sur Les Amis de la Terre. Ce qui ne m’a pas empêché de saluer ici ou ailleurs la droiture et la pugnacité d’un de ses membres, Christian Berdot, à propos des biocarburants.

Que nous veut Sylvain Angerand ? Eh bien nous alerter, bien entendu, et sur une question essentielle. Une de plus. Voyez l’entrée en matière, qui résume bien le tout : « Planter des arbres pour sauver le climat est la grande mode du moment. Il n’y a qu’à voir les opérations qui pullulent ces derniers temps : «Un milliard d’arbres pour la planète» du Programme des
Nations unies pour l’environnement,
«Un arbre, un Parisien» de la Ville de Paris, et encore «Plantons pour la planète» d’Yves Rocher. L’idée est qu’en grandissant, un arbre capte du C02, l’un des principaux gaz à effet de serre, permettant donc d’en atténuer l’impact sur le réchauffement climatique ».

Angerand décrit le monde tel qu’il est. Qui ne ressemble pas aux dépliants publicitaires de l’univers marchand. La supercherie, en ce domaine, repose sur une idée si simple qu’elle en est totalement fausse : un arbre vaudrait un arbre. Un eucalyptus, appelé en Amérique latine l’arbre de la soif, tant il assèche les sols où il est planté massivement, vaudrait un arbre tropical de 700 années vivant une infinité de relations complexes avec son voisinage de plantes et d’animaux. Si vous lisez l’espagnol, allez jeter un oeil à l’adresse entre parenthèses (http://www.redtercermundo.org). Un vieil homme venu d’Australie, qui est aussi et surtout un eucalyptus – Don Eucalipto – raconte l’odyssée, ce long sanglot de l’eucalyptus, changé pour notre malheur en petit soldat de l’industrie forestière.

Donc, un serait égal à un. La forêt gagnerait en Chine, alors qu’elle s’évanouit, parce que le parti communiste a décidé de planter des surfaces géantes d’eucalyptus génétiquement modifiés. L’Indonésie, multipliant des palmiers à huile par milliards, compenserait, au moins en partie, la perte de ses forêts pluviales primaires, qu’elle vole à l’humanité et à l’avenir de tous. Et de même, partout, dans ce monde barbare.

Angerand nous met en garde contre un nouveau truc des bureaucrates du climat. À Bali, où Greenpeace s’est en partie déconsidéré, la planète officielle a discuté des moyens de lutter contre le grand dérèglement. Ce qui fut et demeure un désastre – l’absence de toute décision – a été présenté comme un pas en avant par tous ceux qui ont un intérêt, au moins symbolique, à ce que le commentaire soit mensonge.

Là-bas, dans le pays de l’abomination – Bali est en Indonésie -, l’on a évoqué une idée inouïe : payer des gouvernements pour qu’ils limitent un peu la déforestation. Dans le jargon insupportable des conférences internationales, cela s’appelle « déforestation évitée ». Et comme la FAO, agence onusienne, considère que les monocultures d’arbres valent les communautés végétales plurimillénaires des forêts primaires, on peut s’attendre à de stupéfiants résultats.

À terme, l’ONU pourrait aisément payer les mafieux d’Indonésie qui plantent des palmiers à huile pour fabriquer des biocarburants, au motif que ces arbres ralentissent la déforestation massive causée par leur développement fulgurant. Les mafieux gagneraient ainsi deux fois. Au-delà, le monde entier pourrait se reboiser sous la forme de pins Douglas dans le Morvan français – Lulu, coucou ! -, de peupliers en Chine, de palmiers dans le bassin du Congo, etc.

Tragédie ? Je confirme : tragédie. Mais je dois ajouter que j’en ai marre de ces cohortes de collaborateurs de la destruction, qui font la queue au guichet de la mort. La rébellion est un devoir moral élémentaire. En attendant mieux. Tiens, je viens de lire un article qui referme, pour aujourd’hui en tout cas, le dossier. Laurence Caramel (http://www.lemonde.fr) écrit ceci : « Plus de 1,6 milliard d’arbres ont été plantés en 2007 grâce à la campagne « Plantons pour la planète » lancée par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) avec la Kényane Wangari Maathai, Prix Nobel de la paix 2004, dont le Mouvement de la ceinture verte soutient depuis longtemps des actions de reforestation en Afrique. L’objectif du milliard d’arbres que s’étaient fixé les initiateurs du projet est ainsi dépassé. Fort de ce succès, le PNUE a annoncé que la campagne serait reconduite en 2008 et en 2009.
Au palmarès des pays ayant répondu à l’appel, l’Ethiopie arrive en tête avec plus de 700 millions de plants, suivie par le Mexique (217 millions) et la Turquie (150 millions)
».

N’est-ce pas formidable ? Non. En Éthiopie, la surface de forêts est passée de 40 % du territoire national en 1950 à 3 % aujourd’hui. 700 millions d’arbres qu’on pourrait dire sans racines, en tout cas sans l’extraordinaire réseau de diversité qui en fait des monuments de la vie, ce n’est rien. Peut-être moins que rien, car l’illusion n’est pas notre alliée, mais un mortel soporifique.

Extension du domaine du ciment (à propos de Lafarge)

Je n’ai guère de temps ce 11 décembre, pardonnez. Juste un mot sur Lafarge, puissant groupe français de matériaux de construction (plâtre, béton, ciment). Cette entreprise a au moins deux particularités : elle est traditionnellement dirigée par un catholique, elle est « écolo ».

J’ai eu l’occasion de rencontrer l’ancien PDG, Bertrand Collomb. Il était, il est probablement resté un catholique fervent. Et un partisan déclaré du « développement durable ». Sur ce point, j’émets quelques réserves, car j’ai pu discuter avec lui sur le sujet, et la chose flagrante, c’est qu’il en ignorait tout. Le développement durable, pour lui, c’était avant toute chose un développement appelé à durer. Éternellement, de préférence.

Il y a quelques années, j’ai lu avec passion un livre qui le mérite, Chronique d’une alliance, de l’Écossais Alastair McIntosh (paru chez Yves Michel). McIntosh y relate un combat fabuleux mené sur une île d’Écosse, Harris, pour empêcher l’ouverture d’une vaste carrière. La lutte, homérique, semble perdue à l’avance. Mais Alastair parvient à rassembler – c’est une clé d’or, croyez-moi – les considérations écologiques et la culture profonde des habitants du cru. Et il gagne, après être passé près du gouffre plus d’une fois (http://www.alastair).

L’adversaire des îliens, le monstre protéiforme qui veut tant dévorer l’espace porte un nom : Lafarge Redland Agregate. Une filiale, comme vous vous doutez. Autrement dit, il y a loin de la coupe aux lèvres. Et loin – si loin, vraiment ? – des coquettes subventions accordées par Lafarge au WWF à un comportement réellement écologique et responsable.

Je lisais hier une information qui risque de passer inaperçue, ce qui serait dommage. Lafarge, jusqu’ici numéro deux mondial de son secteur, (re)devient le numéro 1. Voyez comme la France gagne, de temps à autre. Oui, mais Lafarge doit ce bond en avant à un rachat, plutôt préoccupant. Car la transnationale d’origine française, catho et presque « écolo », vient de payer 6 milliards d’euros pour s’emparer du groupe égyptien Orascom Construction. Devinez donc où, comment, pourquoi le ciment va se mettre à couler.

Dubaï, Abu Dhabi, l’Arabie Saoudite, qui ne savent quoi faire de l’argent du pétrole – selon moi un bien mondial commun et inaliénable -, vont le claquer. Dans des palais, dans des routes traversant le désert, dans des quartiers neufs et déjà craquelés par l’infernal soleil de là-bas. À elle seule, l’Arabie saoudite prévoit de bâtir six villes nouvelles de 1 à 3 millions d’habitants chaque.

Lafarge prend pied dans ces Eldorados du ciment que sont le Proche et le Moyen-Orient. L’Égypte, qui vit sous perfusion, et dont la situation écologique – la seule qui vale sur le long terme -, est apocalyptique, l’Égypte elle aussi va donc cracher du ciment Lafarge sur les ruines du Caire. Si je parle de ruines, c’est parce que cette ville est défunte, comme le delta du Nil qui fut son immense richesse. Oui, le ciment Lafarge, durable ô combien !, va recouvrir un peu plus les plaies ouvertes de notre si petite planète. Si c’est une bonne nouvelle, expliquez-moi pourquoi.

L’Ampère contre-attaque

Vaut-il mieux souffrir les yeux ouverts ? J’en fais le pari ici, chaque jour ou presque. En ce jeudi 6 décembre, je dois reconnaître que je vais un peu loin car, pour commencer, je vous parlerai de nos si chers gadgets électroniques. Dont cet ordinateur sur lequel je frappe les mots que vous lisez.

À ma connaissance, la presse française, si glorieuse pourtant, aura encore oublié de nous parler du fracassant rapport de l’Institut britannique Energy Saving Group (ESG). Je n’ose penser que l’omniprésente publicité en faveur de ces objets aura joué son rôle dans la discrétion de violette de nos journaux. Enfin. Sachez que l’institut (http://www.energysavingtrust.org.uk), dans une étude publiée cet été, estime que les engins électroniques – tous rassemblés – que nous aimons tant pourraient représenter en 2020, demain matin donc, 45 % de la consommation électrique domestique.

Détendons l’atmosphère avant de repartir. Le travail d’ESG s’appelle The Ampere Strikes Back, ce qui veut dire l’ampère contre-attaque, clin d’oeil au film de George Lucas. Pas drôle ? Désolé, je n’ai que cela en magasin. Et reprenons. Un écran de télé plasma consomme trois fois plus qu’une antiquité à tube cathodique. Une radio numérique quatre fois plus qu’une bonne vieille analogique. Et je vous fais grâce des veilles électriques imposées, qui interdisent d’arrêter les appareils autrement qu’en les débranchant par la prise murale.

En somme, le système industriel, dont je ne me lasserai jamais de rappeler qu’il est amoral, ce système dont nous sommes tant complices continue comme si de rien n’était. En avant comme avant !

Deuxième info tout aussi plaisante, envoyée par Hélène et Guy Bienvenu. L’association Global Action Plan, britannique elle-aussi, affirme que le système informatique mondial (ICT pour Information and Communication Technology) émet à peu près autant de gaz à effet de serre que l’ensemble du transport aérien. An inefficent truth (http://www.globalactionplan.org) révèle qu’un serveur informatique de taille moyenne a la même empreinte écologique annuelle – traduite en production de carbone – qu’un gros 4×4 américain, qu’on appelle là-bas un SUV.

Et tout est à l’avenant, dans un crescendo d’irresponsabilité et même de délire. Ainsi, 58 % des départements informatiques, du plus petit au plus vaste, ne paient ni ne voient leurs factures d’électricité, prises en charge par d’autres qu’eux. Et 12 % de mieux voient – une seconde ? – leur note, sans toutefois la payer sur leur budget. Bien entendu, presque aucun n’a la moindre idée de la contribution de leur(s) machine(s) à l’émission de gaz carbonique.

Ils s’en foutent, gaillardement, sans état d’âme, conscients d’appartenir à l’élite du monde en marche, connecté, moderne, rutilant en diable. Que veux-je vous dire ? Mais vous le savez bien ! C’est le principe de nos sociétés qui est en question, et nullement telle ou telle de leurs inventions concrètes. La propagande, hier seulement, souvenez-vous, proclamait que, grâce à l’ordinateur, nous irions doucettement, confortablement, vers une production de plus en plus immatérielle, tournant le dos aux gaspillages passés, responsable, écologique même.

C’est tout le contraire. Nous allons dans une direction qui comblera les fous de jeux vidéos et les touristes; les urbains et les nomades; les petits vieux comme les jeunes fous. Le monde, tel qu’il va, empilera le nucléaire, les grands barrages, les éoliennes, les panneaux solaires, les centrales au charbon, le chauffage au gaz, et tout le reste, que nous n’avons pas encore eu le bonheur de découvrir. Oui, le monde tel qu’il va. Mais ira-t-il encore très loin de la sorte ? Nous avons à penser. Nous aurons à agir.

Honorable parlementaire. Honorable ?

Si vous avez un peu d’énergie destructrice à évacuer, et si par ailleurs l’humour noir ne vous déplaît pas, je vous en prie, allez visiter cette adresse : http://www.linformateur.com. Bon, au premier abord, si vous me passez le mot, c’est chiant. Une assemblée de chasseurs-huttiers de la Baie de Somme, réunie en juillet 2002, éructe, comme après un coup de trop. Je le précise, je n’ai rien contre les coups en trop, et il m’est arrivé plus d’une fois d’éructer.

Mais il y a dans cette réunion de gueulards – saurez-vous le reconnaître ? – un député, représentant de l’intérêt national, fier symbole de la République éternelle. Jérôme Bignon est député de la Somme depuis 2002, après avoir chipé la place du socialiste Vincent Peillon. Lequel, en avril 2000, avait failli être lynché par 200 à 300 chasseurs hystériques à la déchetterrie d’Ault, ne devant son salut qu’à un hélico providentiel de la gendarmerie. Aurait-il été tué ? En tout cas, il ne serait pas sorti indemne de ce qu’il faut bien appeler une chasse à l’homme, façon Alabama.

Bignon, donc. J’extrais de la mêlée de l’été 2002 cette phrase du député, inouïe, qui doit être conservée : « L’administration française, les juridictions qui s’occupent de la chasse, le tribunal administratif comme le conseil d’Etat sont plombés par les Verts qui contrôlent le système ». Je vous laisse méditer la portée de tels mots, prononcés par un parlementaire en direction de potentiels émeutiers.

Bignon, donc et encore. Raymond Faure l’infatigable m’envoie ce matin la copie d’une dépêche AFP extraordinaire. Pour de vrai. Avant de la commenter, sachez que la semaine passée, l’influente Fédération nationale des chasseurs (FNC) avait adressé à tous les députés UMP, ces chers amis, une étrange missive électronique. Il s’agissait, de manière évidemment républicaine et démocratique, de faire pression. L’enjeu, de taille, était le poste de reponsable du groupe d’étude sur la chasse de l’Assemblée nationale.

Cette charge est loin d’être anodine, car elle commande largement la loi française sur le sujet. Pas moins de 214 députés, dans la législature précédente, faisaient partie du groupe, du même coup, et de loin, le plus important de l’Assemblée nationale. À comparer à la quarantaine de membres du groupe sur les banlieues.

La semaine dernière, j’y reviens, la FNC, lobby de choix, tente de convaincre les députés UMP qu’il faut voter Bignon. Pardi ! Et avec quels arguments ! Sur quel ton ! La FNC, par la voix d’un monsieur Thierry Coste, « conseiller politique » – si – et ancien bras droit de Jean Saint-Josse à CPNT, tutoyait directement tous les députés de l’UMP, ce qui donne une idée du climat réel existant entre ces gens quand nous ne sommes pas là pour les entendre. Extrait : « Si quatre candidats ont fait acte de candidature, tu n’es pas sans savoir que seul Jérôme Bignon “mouille sa chemise” depuis des mois pour nous aider dans nos négociations avec le gouvernement sur des sujets aussi diversifiés que le Grenelle, les dates de chasse, le bien-être animal, la directive armes… ».

N’est-ce pas violemment intéressant ? Le Grenelle, la chasse, le bien-être animal, la directive armes. Entre ces mains-là, par ces méthodes-là. Un naïf professionnel ne manquerait pas de poser la question qui tue directement, et au fusil d’assaut : à ce jeu sordide, le chasseur est-il encore l’égal du promeneur, du refuznik de la gâchette, de l’amoureux de la nature ?

Dans un pays plus proche de mes rêves, les députés se seraient insurgés comme un seul homme. Bignon a été élu. Mais la dépêche de l’AFP de Raymond met tout de même du baume au coeur. Car un étonnant personnage, le député de la Moselle Pierre Lang, UMP, a simplement dit non. Non. Et il vient de quitter le groupe UMP de l’Assemblée nationale. Je vais vous dire, ces gens – pas Lang, les autres – achèveront de me changer en enragé. La preuve : je songe à Paul Didier, le seul magistrat à avoir refusé de prêter serment au maréchal Pétain, en 1941. Didier fut d’abord interné au camp de Châteaubriant, avant de pouvoir s’engager dans le combat actif contre le fascisme, dans les Corbières. Certes, Lang n’est pas Didier. Le caractère n’est pas, à lui seul, le courage. Mais l’esprit de résistance est universel. Pierre Lang, tu trouveras toujours un bol de soupe en mon domicile. Juré.

Bienvenue à Aéroville

 

(Entre nous, pour lire ce qui suit, il faut du temps. Et davantage de compréhension pour mon cas que d’habitude. Je suis sincère, à vous de voir.)
Les gars, les filles, je suis à nouveau furieux, cela n’étonnera personne du côté de chez vous. Figurez-vous que je connais fort bien le 9-3, la Seine-Saint-Denis, car j’y ai vécu l’essentiel de ma vie. Et pas au Raincy, chez le député-maire Éric Raoult, dont je vous parlerai tantôt. Pas dans les rares beaux quartiers du département, non. Dans les désastreuses cités de ce territoire dévasté. Souvent dans des HLM. J’ai ainsi habité aux Bosquets, à Montfermeil, 5 rue Picasso. Dans le cours de ma première nuit là-bas, on a volé la Mobylette bleue, neuve, de mon ami Luc. Qu’il faillit pouvoir racheter le même jour, au marché noir, à son voleur. Moi, j’étais déjà parti travailler. J’étais apprenti chaudronnier, j’avais dix-sept ans. On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans. « Nuit de juin ! Dix-sept ans ! On se laisse griser./La sève est du champagne et vous monte à la tête…/On divague, on se sent aux lèvres un baiser/Qui palpite là, comme une petite bête… »

J’ai aimé puissamment ces lieux maudits, et puis j’en suis parti. Mais j’y ai mené des années de politique active, à une époque où le parti communiste y comptait neuf députés sur neuf, et 27 maires sur 40 (de mémoire). J’étais l’adversaire décidé de ceux que j’appelais et nomme toujours des staliniens. Le temps a passé, les silhouettes se sont courbées, mais certains hommes sont encore là. Parmi eux, le député-maire de Tremblay, François Asensi, communiste dit refondateur.

En 1980, mais qui s’en souviendra jamais ?, le parti communiste a mené une campagne indigne contre l’immigration. Non qu’il n’y ait eu, dès cette époque, de très graves problèmes. Mais simplement parce que le parti communiste, essayant déjà de sauver son appareil municipal et ses ressources d’institution, avait alors choisi, clairement, de faire de l’immigré un bouc émissaire. Ne protestez pas avant d’avoir regardé les textes de 1980, cela vous évitera des erreurs. Le 28 octobre 1980, conférence de presse du parti à Aulnay-sous-bois (9-3), en présence de François Asensi, qui n’est à ce moment, le pauvre, que député-suppléant. Il introduit le propos de Pierre Thomas, maire d’Aulnay, et James Marson, maire de La Courneuve. Deux extraits du discours de Thomas. Le premier : « En 1975, les étrangers représentaient 14,5 % de la population totale du département, et 16 % en 1980 ». Le deuxième : « Sans pointer l’index sur les immigrés et sans penser le problème de l’immigration en termes de sécurité, force est de constater que le rapport préfectoral de 1979 établit que 28,7 % des délits sont le fait de cette population plongée dans l’état de misère matérielle et morale que j’ai dit ».

Brillant, non ? Je n’entends pas, je me répète, prétendre que la question était simple et univoque, car tel n’est pas le cas. Mais il est manifeste qu’en cette fin d’année 1980, le parti communiste avait deviné, grâce à ses 100 000 capteurs dispersés dans les banlieues ce qu’allait révéler l’affaire de Dreux, en 1983, puis l’épouvantable surprise des européennes de 1984. Je veux dire la percée de Le Pen, sur fond de crise sociale identitaire.

Et le parti communiste avait, en toute conscience, décidé de surfer sur la vague raciste et sécuritaire de ces années-là, sans se soucier des conséquences. Comme un adolescent attardé, il se croyait immortel. La conférence d’Aulnay n’était qu’un élément dans un ensemble voulu, lucide. En quelques mois, aujourd’hui recouverts sous la cendre des années, le parti communiste a en effet détruit au bulldozer un foyer pour immigrés en construction, à Vitry, fait la chasse aux caravanes de Gitans à Rosny-sous-Bois, dénoncé des vendeurs de shit arabes, publiquement et par leur nom, à Montigny. Dans cette dernière ville, le maire s’appelait Robert Hue. Oui, Bob Hue, rocker et pontife, héros plus tard de Frédéric Beigbeder et de la haute couture, le temps d’un carrousel.

Je suis long, je suis lent, certes. Mais c’est mon privilège. Où veux-je en venir ? Il est extraordinaire que le parti communiste jouisse à ce point de l’impunité politique. Car le drame des banlieues, auquel j’ajoute par force les émeutes récentes de Villiers-le-Bel, qui ne compte pourtant pas de grandes cités folles, ce drame est imputable aussi aux staliniens. Aussi. Je sais le rôle écrasant de la droite et de l’État, je le connais. Mais enfin, sans un consensus incluant le parti communiste, l’immigration des Trente Glorieuses n’aurait jamais eu cette forme-là. C’est bien parce que les communistes ont trouvé intérêt à créer des villes ouvrières, jugées inexpugables, qu’elles ont pu proliférer de la sorte. Et c’est quand l’immigration a paru menacer la stabilité de leur pouvoir et de leurs ressources financières qu’ils ont lancé leur si vaine et si scandaleuse campagne.

Il eût fallu, pour être crédible, lutter pied à pied, décennie après décennie, contre l’entassement, l’abomination urbanistique, l’isolement géographique organisé des ghettos, appuyé sur des transports publics misérables. Au lieu de quoi on a laissé faire. Au lieu de quoi on a encouragé la construction d’innombrables barres et tours odieuses. Qui dira jamais les arrangements entre amis ? Avec ces chers amis du BTP ? Qui dira jamais les besoins d’argent frais d’appareils de milliers de permanents, ce qui fut le cas pendant un demi-siècle au moins ? Qui paiera jamais pour les 3000, les 4000, le Chêne-Pointu, les Bosquets, la cité Karl Marx de Bobigny, les Beaudottes de Sevran, etc, etc, etc ?

Non, que personne n’ose me dire que le parti communiste n’a pas sa part de responsabilité dans ce qui est advenu. Certaines villes sont gérées par lui depuis bientôt soixante-dix ans, comme Bagnolet, et ce sont des enfers urbains. Montrez-nous les jardins, montrez-nous l’architecture au service des rencontres et du voisinage, montrez-nous la gaieté de centres-villes habitables ! Le bilan est innommable.

J’ai habité à Noisy-le-Grand en 1982, quand la ville était communiste. Le parti avait accompagné – en échange de quoi ? – la création d’un centre-ville posé sur une dalle de béton de 150 hectares, au-dessus d’anciens champs de betterave. L’espace existait pourtant, puisqu’il s’agissait d’une campagne. Mais la spéculation foncière, mais la spéculation immobilière : nous connaissons tous la ritournelle. J’y suis retourné plus d’une fois depuis que j’ai quitté la ville dix ans plus tard. L’ensemble est une honte qui jamais ne s’effacera. Avec des immeubles tartignoles signés Nunez ou Bofill, aux noms grotesques : Les Arènes de Picasso, Le Palacio d’Abraxas, le Théâtre. Mais c’est d’une tragédie qu’il s’agit. La plupart des immeubles sont devenus des ghettos ethniques : tel empli de Noirs d’Afrique; tel autre d’Asiatiques; celui-là d’Antillais; un quatrième d’Arabes. Entre autres.

Au sous-sol de la dalle, un centre commercial géant, Mont-d’Est, qui a déjà connu des bagarres fulgurantes, des meurtres, et qui connaîtra bien pire encore, je vous le prédis. Oui, qui paiera jamais la note politique de ce naufrage ?

Si j’ai commencé sur Asensi, archibureaucrate du parti communiste, c’est parce que je savais bien que je finirais sur lui. Maire de Tremblay-en-France, il vient d’avoir une énième idée de génie. Plutôt, il soutient de toutes ses forces une énième idée de génie : un projet de centre commercial de 100 000 m2, tout proche de l’aéroport de Roissy. Il faut connaître les lieux comme moi pour apprécier toute la portée de cette décision. Sur 10 hectares, il s’agit de créer, à partir d’un champ d’herbes folles, 143 boutiques, un hyper Auchan, des banques, etc. Le tout assaisonné par l’architecte de Portzamparc et le grand spécialiste Anibail-Rodamco, qui compte à son actif Le Forum des Halles, à Paris, et les Quatre Temps, à La Défense.

Voilà l’avenir auquel rêve Asensi pour la jeunesse du 9-3 : des avions, du kérosène, de pitoyables murs anti-bruit partout au-dessus; des magasins et l’aliénation généralisée au-dessous. Aéroville – c’est son vrai nom – mériterait, si nous en étions capables, une révolte foudroyante. Ô que vienne !