Ce qui suit est réellement dérisoire, et ceux qui me lisent ici depuis dix ans – ou moins – n’auront pas besoin de dessin. Si je publie les échanges qui suivent, c’est parce que les questions morales – ici élémentaires – continuent nonobstant de me tracasser. Je résume : depuis une année environ, je faisais des chroniques sur l’écologie pour le site créé par Daniel Scheidermann, Arrêt sur images. Il m’était plaisant de faire des vidéos, ce que je n’avais pas encore fait. Par ailleurs, j’écris pour Charlie, et la semaine passée, j’ai ressenti le devoir d’y écrire un long texte sur Edwy Plenel, qui avait pris la liberté extrême de nous insulter et de contribuer même à menacer la vie des survivants de Charlie, dont je suis.
Quel rapport avec Arrêt sur images ? Aucun, sauf les liens croisés existant entre le boss, Schneidermann, et Plenel, de Mediapart. Je répète : un article publié par Charlie, sans le moindre rapport avec mes activités de chroniqueur vidéo. Le reste vous appartient. Schneidermann le preux chevalier blanc m’a viré de son antenne pour délit d’opinion, ni plus ni moins. On peut s’en foutre, ce qui serait de loin le mieux. On a aussi le droit de dégueuler et de passer à autre chose. J’ai vomi, je passe à autre chose.
Voici dans l’ordre, en cinq courts épisodes, ce qui s’est déroulé
1/ Schneidermann m’adresse un mail énigmatique, sans nulle précision
De : Daniel Schneidermann <d…com>
Objet : Message personnel…
Date : 16 novembre 2017 10:05:34 HNEC
À : Fabrice Nicolino <f…fr>
https://www.arretsurimages.net/chroniques/2017-11-16/Charlie-contre-Mediapart-bien-joue-les-attardes-id10327
2/ J’ouvre le lien et découvre ce qui suit, en ligne sur son site :
chronique du 16/11/2017 par Daniel Schneidermann
Charlie contre Mediapart : bien joué, les attardés !
Une semaine déjà que je ne vous ai pas parlé de LA guerre. Parce qu’il y a une guerre, puisque tout le monde le répète, puisque BFMTV en fait des bandeaux, puisque Le Monde interroge des spécialistes d’Oxford. Non pas que je m’en désintéresse. Je suis comme vous. Je regarde siffler les balles. J’écoute les belligérants se traiter de nazis ou d’assassins. J’observe les supplétifs accourir de tous les recoins de Twitter, dans le tumulte joyeux de la mobilisation générale. Je cherche les mots pour simplement dire ce qu’on voit. Je ne les trouve pas. Alors je me tais.
Hier, pour la première fois depuis plus de deux ans, j’ai acheté Charlie Hebdo. Le fameux numéro où Riss explique que Plenel sera responsable de son assassinat. C’est celui qui vient après la couverture Plenel, lequel venait lui-même après la couverture Ramadan. Je l’avais lu partout en ligne, cet édito, mais je voulais voir le reste. J’ai peiné à le trouver. Deux kiosques étaient en rupture (on n’était pourtant que mercredi soir). Hé, ça paye, la guerre !Ça marche ! C’est vendeur. Ils doivent aussi crouler sous les abonnements, à Mediapart. Ce n’est pas nouveau. Elle le sait depuis toujours, la presse, que la guerre paye. C’est pour ça qu’elle l’aime tant. Et qu’elle s’en fabrique des fausses, faute de vraies.
Bref, j’ai fini par le trouver. A côté de l’édito de Riss, donc, en pages deux et trois, un long texte de Fabrice Nicolino. Nicolino nous a rejoints au printemps, après nous avoir convaincus qu’un site comme le nôtre devait parler régulièrement d’écologie (il faut dire qu’on ne demandait qu’à se laisser convaincre). C’est évidemment l’écolo historique et sans concession, que nous avons recruté. Pas l’éclopé du 7 janvier 2015. J’ai voulu croire qu’on pourrait dissocier les deux.
Mais dans ce long texte, Nicolino ne parle pas d’écologie. C’est une longue charge anti-Plenel. Elle commence par une héroïque attaque contre Romain Rolland, écrivain français mort en 1944. Pourquoi Romain Rolland ? Parce que Plenel l’a appelé à la rescousse dans un de ses fameux tweets où il sait si bien monter aux tours. Alors que Romain Rolland, le savait-on, fut un idiot utile du stalinisme. Je ne rêve pas. Ce qui pousse Nicolino à se lever le matin, en ce moment, ce n’est pas l’aluminium dans les vaccins, ni la chimie hors de contrôle, ni les hydrates de méthane, qui sont peut-être la catastrophe climatique de demain. C’est de régler son compte à Romain Rolland, écrivain français mort en 1944. Je comprends mieux pourquoi on n’a plus de nouvelles de lui depuis quinze jours. Trop occupé à enfiler chaque matin et à défaire chaque soir son uniforme de réserviste d’on ne sait trop quelle der des ders, avec sa gourde et son paquetage. La guerre les rend fous.
Je ne sais pas s’il y a « une gauche Mediapart » contre « une gauche Charlie », comme l’affirment les gauchologues. Naïvement, je pense que beaucoup de combats pourraient les rapprocher. Le climat. Les pesticides. Les abus sexuels. Les minorités. La corruption. La formidable révolution de la prise de parole des femmes. Et des réflexions, aussi. L’urgence d’une réflexion sur l’intelligence artificielle et le transhumanisme. Bref, des choses aussi futiles que la planète et l’humanité. Mais non. Il faut qu’ils s’empaillent à propos d’une bande d’assassins moyen-âgeux, que les Etats occidentaux ont tous les moyens de contenir, faute de les réduire. Dans bien des guerres (pas toutes) vient un moment où personne ne sait plus pourquoi on se bat. On se bat d’abord parce que le sang a été versé. Et puis, de sang en sang, on se bat parce qu’on se bat. Bien joué, les moyen-âgeux.
Accessoirement, dans son texte de Charlie, Nicolino me réquisitionne au passage, en rappelant comment Plenel, parmi tous ses forfaits, m’a viré du Monde en 2003, à l’occasion de la crise dite de « La face cachée du Monde ». Hé, sympa, Fabrice, de me filer à moi aussi un uniforme, mais non merci. Je n’ai rien demandé. Je vais essayer de me cramponner à mes priorités à moi. D’ailleurs, tu vois, je flotte dedans. Je reste en civil, ça ne protège de rien, mais c’est plus seyant.
Romain Rolland (1866-1944)
Par Daniel Schneidermann le 16/11/2017
3/ Je lui réponds aussitôt ceci :
Objet : Rép : Message personnel…
De : Fabrice Nicolino <f…fr>
Date : 16 novembre 2017 10:32:41 HNEC
À : Daniel Schneidermann <d…com>
Bon. Quelques points.
Je n’ai pas été silencieux depuis quinze jours, j’ai fait une chute redoutable. Et dans le même temps, je t’ai tout de même proposé une chronique sur la COP23 que tu as refusée.
J’ai proposé un papier sur Plenel mercredi de la semaine passée, et je l’ai écrit dans l’après-midi de jeudi.
Si mon papier commence en effet sur Rolland, présenté comme un professeur de morale par Plenel, il s’étend sur près de dix feuillets et contient en fait un point de vue détaillé, politique et moral, sur un itinéraire, ce que tes lecteurs ne sauront pas.
Je ne t’ai pas enrôlé, j’ai rappelé ton licenciement. Je ne savais pas qu’il ne fallait pas.
Tu détestes Charlie sans le lire, et donc sans savoir ce qu’il contient, mais néanmoins en le sachant.
J’ai compris depuis un moment que la relation entre toi et moi devenait problématique, sans bien savoir pourquoi. Mais tu dois y voir plus clair toi-même.
Je prends acte. Je prends acte que tu préfères tes relations avec cette sphère politique – Plenel, Mediapart et consorts – à la vérité, et que ma présence hasardeuse sur ton site était plus embêtante que profitable.
Sache que j’apprécie à sa valeur quelqu’un qui ne prend pas même le soin de décrocher son téléphone et qui envoie sans un mot une chronique dérisoire et sans honneur.
4/ Il m’envoie à son tour cela :
De : Daniel Schneidermann <d….com>
Objet : Rép : Message personnel…
Date : 16 novembre 2017 11:24:09 HNEC
À : Fabrice Nicolino <f….fr>
Alors :
Je t’ai laissé hier un message sur ton fixe. Tu ne l’as pas eu ?
Je compatis avec ta chute, mais elle ne t’a pas empêché d’aller ferrailler avec Arfi sur France 5, alors que tu as laissé sans réponse tous nos appels pour venir faire la photo de V2.
Ton appartenance à Charlie ne me pose aucun problème. Je la connais depuis le début. Ton papier sur Plenel n’est absolument pas incompatible avec une chronique chez nous. On n’est pas dans la plenelosphère. Elle est même furieuse contre moi depuis mon papier de la semaine dernière (Que savait Mediapart ?). On n’est nulle part. On compte les points avec désespoir, pendant que la planète se réchauffe. Quant à mettre de « l’honneur » là-dedans ! Pitié ! Déroulède, sors de ce corps ! Mon honneur, c’est de ne pas me laisser détourner de l’essentiel.
Bref, tu es le bienvenu, si tu veux revenir nous parler de l’essentiel.
5/ Et moi, pour finir provisoirement :
Objet : Rép : Message personnel…
De : Fabrice Nicolino <f….fr>
Date : 16 novembre 2017 12:38:20 HNEC
À : Daniel Schneidermann <d….com>
Je vois qu’on peut encore rire de tout.
En somme, tu as le droit de m’insulter publiquement sans même m’en prévenir, de désinformer grossièrement sur le travail que j’ai mené au sujet de Plenel, et moi celui de revenir au bercail faire mes chroniques. Sous ton contrôle vigilant de journaliste sachant distinguer l’essentiel du futile. Sur la question de l’honneur, je vois sans une immense surprise que tu ne vois pas de quoi il peut s’agir. Bien entendu, ton pauvre billet public valait licenciement sans préavis, car je sais encore lire.
Cultive ton jardin,
Pardonne-moi à l’avance, mais je souhaite que tu te ressaisisses un peu. Tu as bien le droit, heureusement, de penser que l’article que j’ai (un peu) dépiauté serait positif pour Rabhi. Mais alors, que serait donc un article négatif ? L’auteure décrit entre autres un personnage qui serait une « bête de scène », un « communicant redoutable », frayant avec la jet set mondiale, et plein d’une « appétence pour le luxe ». Adressé à un public très ciblé, cela ne peut vouloir dire qu’une chose : Rabhi est un ruffian, un salopard d’hypocrite qui plaide la sobriété et se torche avec dès que plus personne ne regarde.
Bien entendu, on peut être en désaccord avec Rabhi sur tous les points possibles. Je n’aime pas certains de ses propos, et je l’ai dit, et je l’ai écrit. Encore faut-il savoir de quoi l’on parle. Quand tu prétends que Rabhi pense que l’homosexualité n’est pas naturelle, je te demande sans fard : d’où tiens-tu cela exactement ? Je ne prétends pas qu’il ne l’a pas dit, mais moi, je ne le sais pas. Dans la logique qui est peut-être la tienne et qui est en tout cas celle d’une certaine gauche « radicale », cela signifie en chaîne que Rabhi est un mec épouvantable.
La première des règles est pour moi la vérité. Ensuite, mais ensuite seulement, on peut discuter utilement, éventuellement en s’engueulant. La calomnie est l’une des pires calamités de l’esprit humain, et même si elle est de tout temps, elle a toujours trouvé sur son chemin des opposants radicaux. Je crois en être. Tout ce que tu écris, hélas, est de seconde ou troisième main. Quant à la « la tentation d’en faire un homme providentiel », deux choses. Comme tu le sous-entends toi-même en utilisant l’article « la », ce n’est pas de son fait. Je rappelle qu’il se situe sur le terrain des idées et de la culture, ce qui contredit tes craintes. Et puis, cette utilisation du point Godwin – Hitler ou Staline ? -, ne me paraît pas, restons mesuré, utile.
Encore deux bagatelles. Tu parles de « nature fictive », ce qui me permet de penser que tu ne sais pas grand chose de Pierre Rabhi. Car justement, et cela m’éloigne de lui, il a constamment parlé d’une nature immédiate et concrète, anthropisée, au service des humains. Il a travaillé des années au Burkina, l’un des pays les plus pauvres, pour apprendre aux gueux à cultiver sans abîmer. On parle de la même personne ? Je gage qu’il doit être contre la présence du Loup dans sa chère Ardèche, et je m’en moque, moi qui vénère le sauvage précisément parce qu’il échappe à l’emprise humaine
Je m’en moque, car ainsi que tu sais, je suis un humaniste. Mais réel, au sens que l’humanité doit intégrer pour se sauver elle-même les devoirs qu’elle a nécessairement par rapport au vivant. Ultime pointe, amicale je te le jure : je préfère vivement que tu n’aies pas connu le siècle de combats anticléricaux en France, car tu aurais souffert de voir blessés « les sentiments religieux de toute une communauté ». Une religion reste pour moi un fait social que l’on doit critiquer constamment au plan politique, et accepter sans discussion chez les individus.
Passe une bonne journée,
Fabrice Nicolino