Archives de catégorie : Biocarburants

OGM sans frontières, d’Obama à Hollande

Paru dans  Charlie Hebdo le 22 mai 2013

En Amérique, Monsanto fait la loi, jusqu’à la Cour suprême. Si on veut planter du soja, il faut payer la taille et la gabelle. En France, l’Inra fait joujou dans le Loiret et veut changer des peupliers OGM en biocarburants. C’est la fête transgénique.

L’Amérique d’Obama. Il ne faut pas dire du mal, on va se gêner. Début avril, des petits malins glissent dans un projet de loi budgétaire ce qu’on appelle ici un cavalier législatif. C’est-à-dire un amendement qui n’a pas de rapport direct avec le texte présenté. C’est classique et sans vaseline.

Le cavalier, aussitôt appelé « Amendement Monsanto », interdit à la justice de suspendre la vente et la culture de plantes OGM, même dans le cas où l’homologation légale leur serait retirée. Une pétition de 250 000 signatures est apportée, en manif, jusqu’aux abords de la Maison-Blanche. Obama, qui doit bien y trouver son intérêt, s’assoit sur les protestations et donne son feu vert au projet de loi, amendement compris, quelques jours avant le vote.

Et ça continue le 13 mai, sous la forme d’une décision de la Cour suprême des Etats-Unis. Certes oui, les vieux birbes qui y siègent sont « indépendants », mais ils semblent sacrément sensibles à l’air du temps. En gros, la Cour condamne un pedzouille de l’Indiana – Vernon Hugh Bowman, 75 ans aux fraises -, confirmant un jugement de 2009 l’obligeant à refiler à Monsanto, le maître du monde, 65 000 euros. Qu’a fait Bowman ? De 1999 à 2007, il a replanté des graines de soja issues de sa propre récolte, ce que font tous les paysans de la Terre depuis l’invention de l’agriculture.

Sauf que le soja était OGM et que les semences appartenaient, par brevet commercial, à l’ami de la nature, Monsanto soi-même. Le groupe interdit qu’on réutilise les semences qu’il vend, car selon lui – et la Cour suprême désormais – ce serait du vol. Les contrats signés avec les paysans les contraignent à racheter chaque année des semences à Monsanto, ce qui peut se révéler pratique. Dans un rapport publié en février (1), on apprend que planter du soja transgénique coûte bonbon : entre 1995 et 2011, l’augmentation moyenne, à l’hectare, est de 325 %. Or l’Amérique compte à elle seule 60 millions d’hectares de cultures OGM (toutes plantes confondues), soit plus que la surface entière de la France.

C’est donc pas chez nous qu’on verrait ça. Et de fait, grâce notamment aux Faucheurs volontaires (http://sans-gene.org/), qui zigouillent les plants OGM de plein champ depuis 1999, Limagrain, le petit frère auvergnat de Monsanto, n’est jamais parvenu à ses fins. Un à un, tous les essais de terrain ont reculé, ne laissant place qu’à un seul et unique survivant : la plantation de 1 000 peupliers OGM de l’Inra, à Saint-Cyr-en-Val (Loiret). Depuis 1995, nos excellents amis ingénieurs agronomes regardent pousser les arbres, et ils aimeraient continuer.

Une consultation publique, pas qu’un peu bidon, est ouverte jusqu’au 27 mai, portant sur « la prolongation d’une expérimentation en plein champ de peupliers génétiquement modifiés ». Comme on se doute, les ennemis du progrès essaient, de leur côté, d’empêcher la poursuite de cette belle aventure scientifique. Dans un communiqué (2), les Amis de la Terre, la Confédération paysanne, Greenpeace, les paysans bio de la Fnab piquent une crise, car ils redoutent un coup de Jarnac. Selon la dernière autorisation, celle de 2007, les peupliers OGM auraient dû être coupés au printemps 2013. Mais les gens de l’Inra semblent concocter un autre projet.

Conçu au départ pour tester la capacité des arbres OGM à faire du papier – sur ce plan-là, échec complet -, l’essai de l’Inra pourrait bien servir à la fabrication à terme, d’un biocarburant. Depuis l’apparition de cette vérole – on transforme des plantes, essentiellement alimentaires, en carburant automobile -, des dizaines de rapports ont démontré ses liens avec la faim. Ce n’est pas bien compliqué : dans un monde qui compte près d’un milliard d’affamés chroniques, si on distrait une partie des récoltes au profit des biocarburants, il y a fatalement moins à bouffer pour les plus pauvres.

Est-ce que l’Inra se fout à ce point-là de ces questions morales élémentaires ? Et Le Foll, le ministre de l’Agriculture ? Et Hollande, son bon maître ? C’est possible. On va voir.

(1)  http://www.centerforfoodsafety.org/reports/1770/seed-giants-vs-us-farmers
(2)  http://www.amisdelaterre.org/Plusieurs-associations-appellent-a.html

L’Orang-outan, le WWF et les Anonymous (une leçon)

Qu’est-ce qui est important ? L’Orang-outan, le Gorille, le Chimpanzé et nous, avons hérité de cinq chromosomes semblables. Pour la raison que notre ancêtre commun les possédait. L’Orang-outan, sans doute moins imbécile, a commencé d’évoluer de son côté, en Asie, il y a environ 12 millions d’années. Loin de notre aventureuse destinée. J’aime énormément les serpents – j’en ai tenu de gros dans les bras, et des petits, venimeux, contre la peau -, les fourmis, les oiseaux, les libellules, les batraciens, les abeilles bien sûr, et des centaines d’autres bestioles de toute taille. Mais j’ai également passé un grand nombre d’heures devant les cages réservées aux orangs-outans du Jardin des Plantes de Paris. Non, inutile de me dire, je sais. Ce sont des taulards. Ils mériteraient qu’on foute le feu à leurs saloperies de cages, j’en suis bien certain. Mais depuis quand ne peut-on considérer, éventuellement aimer des prisonniers ?

J’aime profondément ces bêtes. Leurs gestes de contentement, leurs lubies, leur apparente mélancolie, la grâce de leurs membres s’ouvrant comme des fleurs, les liens noués entre les jeunes et les autres, le cuir de leur paume, leur cheveu roux, et fou. Et je repose la question : qu’est-ce qui est important ? Pour moi, un monde où ne pourraient plus vivre des orangs-outans libres serait une Géhenne pour tous. Je viens de lire un article inouï sur la dévastation de lieux jadis à l’abri de la folie économique (ici). À Bornéo, tronçonneuses et bulldozers détruisent une forêt tropicale si belle à mes yeux qu’écrivant ces mots ordinaires, j’en ai soudain comme un tremblement. Des barbares qui nous ressemblent tant arrachent des arbres et plantent à leur place des palmiers à huile qui se transformeront en nécrocarburant ou en obésité sans frontières, sous la forme de centaines de plats cuisinés industriels.

Je ne cherche pas de qualificatif. Selon moi, les organisateurs de ce massacre relèvent d’un procès de Nuremberg qui n’aura pas lieu. Il y a cinq ans, j’ai écrit un livre (La faim, la bagnole, le blé et nous) pour dénoncer le crime des biocarburants. J’avoue, un peu honteux désormais, que j’espérais un sursaut. Dieu sait que j’ai alerté, directement, la galaxie écologiste et altermondialiste. Rien. La plupart de ces messieurs-dames se vautraient alors dans les salons sarkozystes, pour y fêter leur Grenelle de l’Environnement. À Bornéo, mais aussi dans une partie croissante de l’Asie du sud-est, la forêt disparaît au profit de cette vérole appelée palmier à huile. Les plantations ne durent que quelques années, car au-delà, elles ne donnent plus assez de fruits. C’est l’abandon, suivi d’un autre massacre un peu plus loin. Bientôt, si ce n’est déjà fait ici ou là, la splendeur des forêts n’existera plus que dans les films. Pour les orangs-outans et tant d’autres merveilles, la fin de ces territoires signifie bien entendu la mort. Il resterait moins de 60 000 de ces primates en liberté restreinte.

L’Indonésie – qui occupe cette partie de Bornéo qu’on nomme Kalimantan – est le plus grand producteur d’huile de palme au monde, et la surface plantée de palmiers y a été multipliée par 27 en une vingtaine d’années. On parle d’augmenter la production d’encore 60 % d’ici 2020. Le soja dans le bassin amazonien, pour nourrir notre malheureux bétail. L’huile de palme des forêts pluviales d’Asie, pour nourrir nos bagnoles. Ce n’est pas une honte, c’est un crime collectif, et il est majeur. Dans les deux cas, une association se prétendant écologiste joue le rôle évident de fourrier. Et c’est le WWF, qui continue d’incarner la protection, alors qu’elle accompagne sans état d’âme la destruction accélérée du monde. En Amérique latine, le WWF a lancé une table-ronde sur le soja responsable en compagnie de Monsanto et Cargill. J’ai déjà tant écrit sur ce sujet que je n’insiste pas. C’est immonde (ici et ici). En Indonésie, idem. Le WWF, qui y trouve un intérêt financier, promeut une soi-disant Table ronde pour une huile de palme durable (ici) avec les responsables industriels du désastre. Il s’agit bien entendu d’une vulgaire caution, qui couvre par exemple l’usage massif du paraquat, l’un des pesticides les plus dangereux au monde, interdit bien sûr en France (ici). Vous avez bien lu : le WWF soutient des gens qui utilisent du paraquat dans les plantations. Les paysans qui triment au milieu des vapeurs méphitiques ne viendront jamais cracher leurs poumons dans les beaux bureaux du WWF-France, carrefour de Longchamp, Paris. Et je le regrette bien.

Or donc, l’huile de palme tue les orangs-outans, et le WWF fait semblant. Tout le monde n’a pas envie d’être gentil avec la marque au Panda. Je souhaite même ardemment que cette mystification soit de plus en plus combattue ouvertement. Et certains ne m’ont pas attendu. Ainsi, les hackers abrités sous le beau nom d’Anonymous (ici) ont-ils mené une action lucide contre le WWF d’Indonésie (ici). Vous trouverez ci-dessous les détails. À mes yeux, le WWF a choisi son camp, et ce n’est évidemment pas le mien.

Le site officiel de l’ONG WWF Indonésie piraté par les Anonymous

25 septembre 2012 – 1 commentaire

wwf_indonesia_logo Publié par UnderNews Actu

Ce n’est pas le premier piratage qui touche l’ONG de protection de la Nature. WWF avait vu son compte Twitter piraté et utilisé pour diffuser de la publicité puis son site des Philippines victime d’une intrusion en 2011. Cette fois, c’est le site Indonésien qui en a fait les frais, action revendiquée par les Anonymous. Explications.

Des Anonymous reprochent à l’organisation mondiale de protection de l’environnement de s’être accoquinée avec Monsanto et les créateurs d’OGM. Le site Internet indonésien du WWF (wwf.or.id) a été visité. Le pirate qui se déclare faire parti du collectif Anonymous et revendique une intrusion sur le serveur. Bilan : des bases de données diffusées sur la Toile.

L’hacktiviste, qui participe à l’opération « Stop Green mafia« , explique que l’association écologiste se serait rapprochée de Monsanto, Syngenta, Cargill, et d’autres sociétés en 2005 lors d’une table ronde sur le soja transgénique (RTRS) et la culture d’huile de palme.

Anonymous reproche à la WWF de ne pas avoir agi contre l’utilisation d’un pesticide basé sur le glyphosate. Un produit qui provoque cancer et altérations génétiques. « A Bornéo 13.920 hectares de la forêt vierge ont été détruits », soulignent Anonymous. « Seuls 80 hectares de la forêt ont été préservés de la destruction. Moins de 10 orangs-outans y vivent, aujourd’hui« . Le WWF certifie que les cultures de palmiers (destinés à la production d’huile)  ont été réalisées de manière efficace, en prenant compte du reboisement.

« WWF, comment pouvez-vous conclure que détruire les forêts, les animaux et la nature, est écologiquement durable ? Votre masque d’écologiste ne peut pas cacher la dévastation des cultures et des êtres vivants par Monsanto, Wilmar International et les autres grandes entreprises de l’agro-industrie génétique« .

L’Anonymous a diffusé adresses, logins, mots de passe et données privées internes à la WWF Indonésie.

Mais ce n’est pas fini. Il n’y a qu’à voir le Twitter @OpGreenRights pour s’en rendre compte. Le site World Wild Life subit de très lourdes attaques DDoS et se retrouve hors ligne depuis quelques jours consécutifs.

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Une vache et son veau dans le moteur (une innovation)

Publié dans Charlie-Hebdo le 28 novembre 2012

Intermarché et l’équarrisseur Saria, après copulation, construisent une usine pour transformer des restes d’animaux en carburant automobile. 

Le premier qui dit : « Ho, hé ! c’est quand même pas Soleil vert ! » gagne un grand verre de Viandox, cette belle boisson pleine de bidoche. Rappel utile : dans le film Soleil Vert, sorti en 1973, la multinationale Soylent distribue aux affamés chroniques de New York un aliment de synthèse fait à partir d’algues. Surprise :  il n’y a plus d’algues, en réalité, et le Soleil vert est une mixture à base de macchabs. Les morts nourrissent les (sur)vivants.

On n’en est pas là, car la France est un beau pays, rempli d’humanistes et de philosophes. La preuve instantanée par Saria, une boîte de 4 000 salariés, dont 1 400 en France. Que fait Saria pendant que les braves gens regardent Jean-Pierre Pernaut ? Eh ben, elle récupère chaque année une grande part des 3 millions de tonnes de restes d’animaux venus des abattoirs ou de carcasses trouvées sur la route. Grâce aux petites mains de Saria, le tout se change en engrais, médicaments, aliments pour d’autres animaux, produits sanguins, farines animales.

Oui, ces farines animales qu’on a finies par cramer dans des fours de cimenteries par peur de la vache folle, c’était Saria, grand pro de l’équarrissage. En mai 2 000, un inspecteur du travail visite l’usine Saria de Guer, dans le Morbihan, et note sobrement en reluquant la fosse où s’entassent des morceaux de bêtes : « L’atmosphère viciée comporte un risque sérieux pour la sécurité des travailleurs, le fond est couvert par une boue infecte sur plusieurs dizaines de centimètres d’épaisseur ». À l’époque, l’usine de Guer est gentiment appelée, dans les environs, « la petite boutique des horreurs ». Mais depuis, l’eau rouge sang a coulé sous les ponts, et Saria ne cesse d’inventer de nouveaux marchés. Toujours à partir des cadavres obligeamment fournis par les abattoirs. Dernière trouvaille : les biocarburants.

Saria, qui est loin d’être con, a créé une filiale commune avec Intermarché, qui s’appelle Écomotion. On ne présente plus Les Mousquetaires, leurs 1 783 magasins (en 2010) et leurs « idées fraîches contre la vie chère ». Parmi ses publicités, la vente à prix coûtant, dans les stations-service de la marque, de l’essence SP95-E10. Lequel carburant contient 10 % d’un biocarburant d’origine végétale. Mais pourquoi se contenter de blé ou de colza ou de betterave, alors qu’on peut rouler au veau, à sa mère, au cochon rose, à la charpie de coq et de poule ?

Voilà l’idée. Écomotion a investi 40 millions d’euros dans une usine sans aucun précédent, qui devrait ouvrir en 2013 sur la zone portuaire du Havre. Dans ce lieu idyllique, et chaque année, 75 000 tonnes de graisses animales deviendront, après une opération appelée « transestérification », un excellent biocarburant qu’Intermarché vendra directement à ses clients venus lui acheter des saucisses et du boudin.

L’avantage de cette technique, comme dit Michel Ortega, ponte d’Intermarché, c’est qu’elle « réduira la compétition agricole entre nourriture et carburant ». Ce mec est sublime, et sait ce que propagande veut dire. Les biocarburants actuels, qui proviennent de plantes alimentaires, affament des millions de gueux, comme le répètent depuis des années l’ONU, la FAO et jusqu’au FMI. Avec les philanthropes de la Saria, on aura deux saloperies pour le prix d’une. Le maïs, l’huile de palme, la canne à sucre, le manioc, le blé, le colza continueront bien entendu à donner du jus pour la bagnole, mais les animaux aussi.

Sans rire, ne s’agit-il pas d’une rupture mentale, morale, anthropologique ? Au temps lointain des supposés Barbares, les animaux d’élevage étaient considérés comme des dieux. Le taureau Hap de l’Égypte des Pharaons, qui deviendrait Apis chez les Grecs, était un personnage plus vivant, et un brin plus respecté que les morceaux de bidoche que nos marchands veulent transformer en SP95.

Avis aux oublieux : la chaîne d’assemblage des bagnoles – Assembly Line – a été mise au point par Henry Ford en 1908. Mais l’idée de départ appartient à l’ingénieur William Klann, qui visitant les abattoirs de Chicago en 1906, aurait déclaré : « If they can kill pigs and cows that way, we can build cars that way ».  Dans une fulgurance, Klann avait compris que ce qui était découpé en morceaux – la Disassembly line des abattoirs – pouvait, en inversant le processus, être réuni pièce par pièce dans un atelier automobile. Autrement dit, l’industrie de masse, le taylorisme, les Temps Modernes viennent de l’imaginaire du grand massacre des animaux. Les biocarburants tirés des graisses animales pourraient annoncer de nouvelles aventures. On a le droit de dégueuler.

Et une con-fait-rance environnementale, une !

La bouffonnerie est reine. Rions donc comme à Carnaval. Pleurons de même, puisque, de toute façon, notre impuissance est totale. Pour ce qui me concerne, je regarde avec stupéfaction la pantomime qui se prépare. Comment ? Vous n’êtes pas au courant ? Je résume pour les sourds et mal-entendants : M.Hollande réunit vendredi 14 et samedi 15 septembre, au palais d’Iéna de Paris, une Conférence environnementale. Sur le modèle, mais en parodie, du Grenelle de l’Environnement voulu par Sarkozy en septembre 2007. Je vous glisse sous forme de PDF deux documents que l’on a le droit de juger hilarants. Un sur le déroulement (organisation des débats.pdf), l’autre qui donne la liste des participants (invités.pdf).

Mon premier commentaire sera évident : le simple fait que se tienne pareil conclave marque une défaite du mouvement écologiste. En effet, le cadre imposé par les socialistes est digne de l’émission télévisée des années 70 qui s’appelait Chefs-d’œuvre en péril. On y considérait la France des villages et l’affreuse atteinte du temps sur les nobles monuments légués par l’Histoire. Il s’agissait de dépenser quelques picaillons pour sauvegarder un clocher ou l’aile d’un château. Ma foi, cela ne mangeait pas de pain. Refaire le coup près de cinquante ans plus tard n’est pas seulement ridicule : il s’agit d’une insulte jetée au visage des centaines de millions – qui seront bientôt des milliards – de victimes de la crise écologique planétaire.

Hollande and co, qui se moquent tant de l’écologie qu’ils ne savent pas ce que c’est, prétendent donc, avec l’aval des écologistes officiels qui participent, incarner une vision nationale des écosystèmes. C’est baroque, inutile de s’appesantir, mais comme il faut entrer dans les détails, allons-y. La question de l’énergie ? Les pauvres âmes qui nous gouvernent ne pensent qu’à une chose : gagner un point de croissance pour éviter d’être jetés au prochain scrutin. Le dérèglement climatique ? Plus tard, un jour, peut-être. Je sais que Hollande a vu à plusieurs reprises Christophe de Margerie, patron de Total, par l’entremise de Jean-Pierre Jouyet, cousin de ce dernier et patron de la Caisse des dépôts et consignations (ici).

C’est on ne peut plus normal compte tenu de leurs rôles respectifs, mais que se sont-ils dit ? Selon ce que j’ai glané – je ne suis pas certain -, ils ont abordé la question des gaz et pétrole de schiste. Côté cour, Hollande et ses amis refusent toute exploitation en France, où la technique de fracturation hydraulique est interdite par une loi votée par la gauche et la droite l’an passé. Côté jardin, les mêmes misent sur un retournement de l’opinion, qui sur fond d’augmentation continue du prix du gaz domestique, pourrait accepter des forages en France. À la condition, par exemple, que les pétroliers bidouillent une technique présentée comme différente de la fracturation hydraulique. En façade, donc, intransigeance gouvernementale face aux gaz de schiste. Et en privé, encouragements donnés à Total pour malaxer l’opinion publique. L’affaire Bezat montre que nous sommes face à un plan concerté. En deux mots, Jean-Michel Bezat, journaliste au Monde, y publie le 26 juillet un reportage réalisé aux États-Unis – 700 000 puits en activité, des régions entières transformées en Lune aride – sur les gaz de schiste. Surprise relative – Bezat est un grand admirateur de l’industrie -, ce reportage est très favorable au point de vue des pétroliers. Et puis plus rien.

Et puis on apprend que le voyage de Bezat a été payé par Total (ici). On, mais pas les lecteurs du si déontologique quotidien du soir, qui n’ont évidemment pas le droit de pénétrer dans l’arrière-boutique. En résumé : Total prépare le terrain, en accord avec Hollande, pour qui l’exploitation des gaz de schiste en France serait une bénédiction électorale. Et une violation grossière de la loi Énergie de juillet 2005, qui prévoit une division par quatre des émissions de gaz à effet de serre en France à l’horizon 2050. Mais que représente la loi au regard d’une possible réélection ?

Revenons à la Conférence qui commence demain. Si j’ai abordé en commençant le dossier des gaz de schiste, c’est parce qu’il est emblématique. Comme l’est le nucléaire, défendu sans état d’âme par ce gouvernement, ainsi que par le précédent. Reportez-vous plus haut au déroulement des festivités. La table-ronde numéro 1 s’appelle : « Préparer le débat national sur la transition énergétique ». On devrait mettre au centre de toute discussion la crise climatique et les extrêmes dangers d’une industrie sans contrôle, le nucléaire. Or non. On va comme à l’habitude blablater, de façon à « définir les enjeux du débat national », puis « définir les grandes règles du débat national ». En 2012, après tant de centaines de rapports, tant d’alertes et de mises en garde, d’engagements passés – le référendum sur le nucléaire promis par Mitterrand en janvier 1981 -, nous en sommes encore au point mort.

Et nous le resterons, je vous en fiche mon billet. Deux ministres en exercice participent à cette table-ronde truquée : Delphine Batho, ministre de l’écologie, et Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif. Les deux sont en faveur du nucléaire. Le second clairement en faveur de l’exploitation des gaz de schiste. Et de même madame Batho, qui, en hypocrite accomplie, fait semblant de croire que le dossier ne bouge pas. La fracturation hydraulique n’est-elle pas interdite par la loi ? À côté des deux ministres, une « facilitatrice » du nom de Laurence Tubiana. J’ai écrit sur elle en 2008, si cela vous intéresse : c’est ici.

Ceux qui acceptent de siéger dans ces conditions sont des dupes ou des manipulateurs. Peut-être les deux. Il n’y a pas de débat sur l’énergie, car les décisions ont déjà été prises. Ce que le pouvoir veut, c’est une caution. Il l’aura. Les écologistes officiels qui ont servi la soupe à Sarkozy il y a cinq ans peuvent bien aujourd’hui feindre qu’on ne les y reprendra plus. Si, on les y reprendra, aussi longtemps que les structures dégénérées qu’ils conduisent existeront. Voulez-vous qu’on parle des autres tables-rondes ? Bon, soit. L’intitulé de la deuxième est saisissant. La biodiversité s’effondre partout, mais, cocorico, on va s’atteler à la mise en œuvre de « la stratégie nationale pour la biodiversité » de manière à « favoriser la prise de conscience citoyenne ». C’est tellement con que ce n’est même plus drôle. On trouve ceci sur le site de notre ministère de l’Agriculture : « Grâce à l’Outre-mer, avec 11 millions de km2 de zone économique exclusive (ZEE), la France dispose du deuxième espace maritime mondial, après celui des USA. Dans l’Océan Indien, les zones sous juridiction française s’étalent sur une surface huit fois plus grande que celle de la métropole. Cet immense espace maritime, réparti dans tous les océans, dote la France d’une grande richesse en matière de biodiversité marine, ce qui constitue à la fois un atout et une responsabilité. »

Formidable, hein ? Alors que l’Europe, pour une fois inspirée, souhaite interdire progressivement le chalutage profond, notre France vertueuse s’y oppose. S’y oppose, à nouveau pour de sordides intérêts politiciens. Or le chalutage profond est une catastrophe écologique planétaire (ici). Autre menu exemple : le nickel est en train de tuer à jamais des espèces endémiques de Nouvelle-Calédonie, venues en droite ligne du  Gondwana, supercontinent créé il y a 600 millions d’années et dont la Nouvelle-Calédonie est l’un des ultimes morceaux, à la dérive depuis bien avant l’arrivée des hommes sur terre. Non, bien sûr que non, on ne parlera pas de biodiversité. Et pas même chez nous, dans notre vieille France où l’agriculture industrielle est reine. Le Foll, ministre de l’Agriculture, a dealé depuis des semaines avec la FNSEA, puissance dominante, au point de ne pas même inviter à la Conférence de demain la Confédération paysanne, pourtant proche de la gauche. Au point d’aller visiter le 3 septembre les industriels français des biocarburants, fiers défenseurs d’une filière criminelle (ici). Je dois bien reconnaître que ces gens me dégoûtent.

Le reste ? Quel reste ? Table-ronde 3 : « Prévenir les risques sanitaires environnementaux ». Ministre présente : Geneviève Fioraso, militante déchaînée du nucléaire, des nanotechnologies, de la biologie de synthèse (ici). Les deux dernières tables-rondes, chiantes comme la mort dès leur énoncé, devraient causer fiscalité et gouvernance. Tout cela est à chialer. Mais comme je n’écoute que mon grand cœur, je n’entends pas vous quitter sans positiver un peu. Attention ! ce qui suit est à prendre au premier degré, malgré ce qui précède. Un certain nombre d’écologistes officiels, qui se rendront demain au palais d’Iéna, gardent ma sympathie. Notamment ceux du tout nouveau Rassemblement pour la planète (ici), comme André Cicolella, Nadine Lauverjat, Franck Laval ou François Veillerette. Ils vont tenter d’arracher quelques mesures dans le domaine de la santé, et même si je crois qu’ils se trompent sur le fond, ils ont mon estime et mon affection. Ceux-là du moins pensent à l’avenir.

Un seul crime et tant de criminels (sur les biocarburants)

Vous n’êtes pas obligé de lire mes états d’âme en longueur. Comme si souvent, les faits nouveaux sont à la fin.

D’abord, le mot. Je ne suivrai pas ceux qui croient montrer leur élévation morale en nommant agrocarburants ce que j’ai toujours appelé biocarburants. Ils pensent montrer de la sorte qu’on ne la leur fait pas. Qu’ils sont critiques. Que les biocarburants n’ont rien de bio, etc. Moi, je continue. Parler d’agrocarburants est le plus sûr moyen de perdre en route la moitié de ceux à qui on s’adresse. Faites l’expérience, vous verrez que ce néologisme-là ne marche qu’auprès d’une frange. Il est déjà difficile de savoir ce qui se cache sous le mot infâme de biocarburant. Il me semble qu’il ne faut pas en rajouter. La vérité des mots est à montrer, à démontrer. Chercher à la cacher s’appelle de la novlangue. Il faut affronter cette supercherie langagière et parler, parler, parler.

De quoi ? Bonne question. Si je parle une fois encore des biocarburants, c’est parce que ma tête bout d’une colère sans limites discernables. Il y a cinq ans – beaucoup le savent, ici du moins -, j’ai publié un livre qui s’appelle La faim, la bagnole, le blé et nous (Une dénonciation des biocarburants), paru chez Fayard. On a le droit de se moquer, mais sachez que je suis fier de l’avoir écrit. Il disait de façon claire, argumentée, en fait indiscutable, le drame planétaire que représentait cette nouvelle poussée de l’industrie. Je rappelle qu’il y a plus d’un milliard d’affamés chroniques sur cette terre, que les terres agricoles disponibles sont très largement exploitées ou surexploitées, et que malgré cela, d’infâmes salauds ont imaginé changer des plantes alimentaires en carburant automobile. Essentiellement pour nous, au Nord, qui sommes prêts à tuer quiconque augmente encore le prix de l’essence d’un centime d’euro par litre.

Si vous en avez le temps, je vous renvoie à deux de mes derniers articles, parmi des dizaines d’autres publiés sur Planète sans visa ou sur un blog que j’avais créé au moment de la sortie de mon livre (ici et ). Nous étions à ce moment-là à l’automne 2007, quand tous les petits marquis de l’écologie officielle frétillaient devant Sarkozy et Borloo, qui avaient monté l’opération de propagande appelée le Grenelle de l’Environnement. Moi, j’ai fait réellement tout ce que je pouvais pour secouer ces structures dégénérées. J’ai alerté avec force Serge Orru, alors directeur du WWF en France. Je dois dire, et je l’en remercie encore, qu’il a organisé au siège du WWF une sorte de conférence pendant laquelle j’ai pu parler devant les salariés de l’association. Mais rien n’est venu ensuite, pour les raisons que j’ai ensuite développées dans un autre bouquin, Qui a tué l’écologie ?.

J’ai prévenu Greenpeace, et je me suis pour l’occasion, au cours d’une assemblée générale tenue à Paris, gravement engueulé avec Yannick Jadot, qui était à ce moment directeur des campagnes de Greenpeace. Sentant qu’il ne ferait rien, comprenant que Greenpeace regardait ailleurs, j’ai rompu tout lien avec ce mouvement, où je comptais des amis aussi proches que Katia Kanas. Jadot, qui mène et a d’ailleurs mené une carrière politique, est aujourd’hui député européen d’Europe-Écologie.

J’ai de même parlé à Nicolas Hulot. Et à José Bové. Et à bien d’autres encore. J’ai fait des conférences en province, espérant toujours déclencher ne serait-ce qu’un embryon de mouvement contre le crime. Rien n’est venu. Tous préfèrent se branloter de réunion en tribune. (J’embrasse au passage mon si cher ami Pierre Rabhi, ainsi que le génial jardinier Gilles Clément, qui m’ont aidé de manière certaine, et sans barguigner, eux). J’ajoute que si tant de responsables ont pu se défiler de cette manière, c’est bien entendu qu’ils ne sont soumis à aucune pression sociale. Nul ne s’est levé, nul. Et cela vaut, j’en suis affreusement désolé, pour les lecteurs de Planète sans visa. Nous avons accepté que le lobby industriel de l’agriculture reçoive des cadeaux fiscaux par centaines de millions d’euros. Et nous ne mettons pas le feu, que je sache, aux pompes à essence qui délivrent un carburant additionné de blé, de colza, de betterave ou de tournesol. Le résultat de cette honteuse inertie, c’est que la FNSEA a pu, en toute tranquillité, placer à sa tête un céréalier intensif, Xavier Beulin. Qui est aussi à la tête de Sofiprotéol, la société qui tient les biocarburants en France, avec un chiffre d’affaires de 6,5 milliards d’euros en 2011.

Je reviens à ma colère sans horizon. Le crime est accompli. La faim a considérablement augmenté, à mesure que les prix des denrées alimentaires en faisaient autant. Quand j’entends un homme comme Bernard-Henri Lévy occuper tous les fenestrons disponibles pour parler de ce qu’il ne connaît pas – la Syrie, par exemple – et que (presque) tous applaudissent, j’en ai la nausée immédiate. Tant de mots pour ne rien dire. Et tant d’insupportable silence face au désastre garanti pour ces sociétés du Sud dévastées par les biocarburants. Il y a de quoi pleurer d’abondance.

Merde ! je me rends compte que je n’ai pas encore parlé de ce qui m’amène précisément aujourd’hui. Voici un papier publié dans La France Agricole :

La FAO réclame une suspension de la production de bioéthanol de maïs

Publié le vendredi 10 août 2012 – 12h45

Le directeur général de la FAO, José Graziano da Silva, a demandé vendredi aux Etats-Unis de suspendre leur production de bioéthanol à partir de maïs pour éviter une crise alimentaire, dans une tribune publiée par le quotidien britannique Financial Times. « Une suspension immédiate et temporaire de la législation américaine » imposant des quotas de bioéthanol, produit à partir du maïs, « apporterait un répit au marché et permettrait que plus de récoltes soient utilisées pour l’alimentation animale et humaine », écrit M. Graziano da Silva.

La sécheresse qui sévit actuellement aux Etats-Unis a fortement endommagé les cultures, provoquant des tensions sur les marchés des matières premières agricoles. Dans son dernier relevé sur l’état des cultures aux Etats-Unis arrêté au 5 août et publié lundi soir, le département américain de l’Agriculture (USDA) estime désormais que seuls 23 % des plants de maïs sont dans un état bon à excellent.

« Dans ce contexte, les prix des céréales se sont envolés, avec une hausse de près de 40 % depuis le 1er juin pour le maïs », notent les stratégistes de CM-CIC. Les observateurs craignent en outre une nouvelle révision à la baisse des estimations de production agricole, particulièrement de maïs, lors de la publication, ce vendredi, du rapport mensuel de l’USDA sur l’offre et la demande mondiales de grains.

Selon un document publié mercredi par l’Agence américaine océanique et atmosphérique, les Etats-Unis ont connu le mois de juillet le plus chaud jamais enregistré dans le pays depuis le début des relevés météorologiques en 1895, avec une sécheresse s’étendant sur 63 % du territoire continental.

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Une dernière question, dont la réponse est évidente. Imaginons que des Blancs soient soumis à des décisions commerciales et industrielles qui les affament. Imaginons qu’un groupe de pays – disons le Nigeria, l’Afrique du Sud, le Mozambique, le Mali, l’Inde, la Chine – aient trouvé un merveilleux moyen « économique » de faire rouler leurs engins en cramant des aliments vitaux pour la survie des habitants de Millau, Ploubazlanec et Montreuil. Quelle serait notre réaction ? Le crime des biocarburants repose sur un racisme qui jamais ne s’avoue. Mais qui tue massivement.