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L’éternel retour des algues vertes

Mais quelle surprise ! Comme chaque année au printemps, la Bretagne renoue avec ses chères – si chères – algues vertes. Comme chaque année, il vaut mieux incriminer la température et le soleil que le vrai responsable : l’élevage industriel.

C’est reparti pour un tour. La presse régionale bretonne – Le Télégramme (https://www.letelegramme.fr/cotes-darmor/saint-brieuc/deux-photos-qui-montrent-l-ampleur-des-echouages-d-algues-vertes-a-plerin-27-04-2021-12741505.php), Ouest-France, France 3 – publie ces dernières heures des photos navrées de la plage de Plérin, en baie de Saint-Brieuc (Côtes d’Armor). Faut reconnaître que ça craint : à perte de vue, des algues vertes dans ce que les Bretons appellent depuis des décennies la Baie des Cochons.

C’est drôle, mais sinistre, car ainsi qu’on le sait depuis des lustres, les algues vertes tuent. Elles étouffent évidemment, par prolifération, les écosystèmes côtiers, massacrant des milliers et millions d’êtres vivants qu’on ne montre jamais à la télé. Mais leur décomposition flingue volontiers, également, sangliers (https://www.lefigaro.fr/environnement/2011/09/06/01029-20110906ARTFIG00699-les-algues-vertes-coupables-de-la-mort-des-sangliers.php), chevaux (https://www.leparisien.fr/societe/algues-vertes-la-famille-d-un-joggeur-mort-en-2016-saisit-la-justice-18-07-2019-8119296.php) et même humains () faisant leur jogging sur les plages.

Cette année 2021 promet d’être de haute qualité, car les échouages d’algues sont très supérieurs à la moyenne. Une équipe du Centre d’Étude et de Valorisation des Algues (https://www.ceva-algues.com/document/etude-et-suivi-des-marees-d-algues-vertes-en-bretagne) a survolé les côtes bretonnes le 13 avril, et constate l’évidence : le niveau des températures et la forte luminosité jouent un rôle significatif dans le phénomène. Mais bien sûr, pas question de parler de la cause première que tout le monde connaît : l’élevage industriel concentrationnaire.

Pour la millième fois, expliquons l’affaire (https://www.fne.asso.fr/dossiers/algues-vertes-bretagne-cons%C3%A9quences-origines-solutions). Certes, des caractéristiques propres à la Bretagne, dont (souvent) la faible profondeur et la clarté des eaux côtières. Mais l’azote reste le grand criminel. Massivement présent dans les engrais industriels dits azotés, et dans les déjections animales – 14 millions de porcs sont abattus chaque année en Bretagne, sans compter les poulets, canards et bovins -, cet azote dépasse de très loin ce que les plantes peuvent utiliser.

La partie excédentaire se retrouve dans l’eau des rivières, puis sur les côtes, où elle dope la production d’algues, créant un phénomène d’asphyxie appelé eutrophisation. Par un tour de passe-passe bien connu, les profits restent chez les producteurs, et les dégâts sont à la charge de la société. Les différents programmes de « dépollution », comme celui appelé Eau Pure, ont mobilisé des centaines de millions d’euros d’argent public, en vain (https://www.eau-et-rivieres.org/lejouroujuin2002). Il y avait environ 5mg de nitrates dans un litre d’eau – en moyenne – des rivières bretonnes, et l’on ne descend guère au-dessous de 33 mg. L’affaire est parfaitement connue depuis 1971. Un demi-siècle d’atermoiements.

L’American way of life n’est pas négociable

Publié en mars 2021

Quoi de neuf chez Biden ? Rien. L’autre cinglé a été balancé par la porte et projette de revenir par la fenêtre. John Kerry, envoyé spécial du premier pour le climat assure désormais que son pays devra « montrer l’exemple ». Qui se souvient du 8 décembre 1997 ? Ce jour-là, le vice-président américain Al Gore prenait la parole devant la première conférence mondiale sur le climat (1). Et s’engageait, oh ! s’engageait follement, précisant : « Our fundamental challenge now is to find out whether and how we can change the behaviors that are causing the problem ». Oui, il fallait changer les comportements qui causaient ce menu problème d’un climat déréglé. Mais comme on n’a rien tenté, on n’a pas non plus réussi, et le monde a simplement perdu un quart de siècle.

Quoi de neuf chez Biden ? Prenons ensemble le cas édifiant d’un homme qui porte bien son nom. Jim Justice est le 36ème gouverneur de Virginie occidentale, État américain qui a longtemps regorgé de mines de charbon. Cette précision a sa petite importance, car Jim a hérité de terres grâce auxquelles il aura percé plein de mines avant de devenir milliardaire. C’est un patron modèle, épinglé de multiples fois pour des entorses à la sécurité au travail de « ses » mineurs, et il oublié plus d’une fois de payer ses taxes et impôts.

Couleur politique ? Pastel tirant sur le noir. Il abord la carte du parti républicain mais en février 2015, quand il veut devenir gouverneur, il devient Démocrate et c’est sous la bannière du parti de Biden qu’il s’empare en 2016 de la Virginie occidentale. Au détriment d’un Républicain. En janvier 2019, il se lance dans la course pour sa réélection, mais entre-temps, séduit – qui ne le serait ? – par Trump, il est reparti chez les Républicains et l’emporte contre un Démocrate. Ce qui n’empêche pas les ennuis : une nouvelle tuile vient de tomber du toit, car l’administration fédérale cherche à récupérer une amende de 3 millions de dollars pour violation d’une loi sur la pollution de l’eau (2). Bon courage.

Récapitulons, ce sera rapide : Al Gore, Démocrate fervent, n’a rien foutu quand il était au pouvoir et l’ami Justice oscille d’un parti à l’autre, car tantôt c’est bon pour lui de ce côté, et tantôt c’est plutôt ailleurs. Comme si cela ne suffisait pas, voilà qu’on apprend avec une totale surprise qu’un autre État américain, le Colorado, a été dévasté par l’exploitation gazière et pétrolière.

Sur le papier, qui ne vaut guère plus que celui qu’on trouve dans les chiottes, l’industrie doit nettoyer derrière elle. Mais voilà, pas question. Après avoir siphonné un puits, il faudrait le refermer. Ce qui signifie des travaux lourds, de manière à ne pas polluer les nappes souterraines ou les sols alentour. Quand on est bien élevé, on coule de grosses quantités de ciment, on enlève nombre de tuyaux pour éviter toute dispersion des polluants, en bref on colmate pour rendre l’installation inerte.

Mais ça rapporte quoi ? Un puits convenablement obturé coûte, selon les sources, entre 82 500 et 140 000 dollars. Or des puits à l’abandon, il y en a 60 000 dans le seul Colorado, ce qui représente jusqu’à 8 milliards et 400 millions de dollars. 7 milliards d’euros. Malgré tant d’évidences, il y a comme en France des gogos toujours prêts à rempiler. Citons sans méchanceté un certain Josh Joswick (3), de l’ONG Earthworks (earthworks.org) : « Maintenant, nous avons un gouvernement qui veut agir contre ça ».

En 1992, George Bush père avait déclaré pour l’ouverture du Premier sommet de la Terre : « Le mode de vie américain n’est pas négociable ». De Kennedy à Reagan, de Clinton à Bush Junior, d’Obama à Trump, puis Biden, rien n’a réellement changé.

(1) clintonwhitehouse2.archives.gov/WH/EOP/OVP/speeches/kyotofin.html

(2) propublica.org/article/this-billionaire-governors-coal-companies-owe-millions-more-in-environmental-fines?ct=t(RSS_EMAIL_CAMPAIGN)

(3) hcn.org/issues/53.4/south-energy-companies-have-left-colorado-with-billions-of-dollars-in-oil-and-gas-cleanup

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Rugy, Placé, Duflot, trio perdant

Faut-il vraiment parler de ce pauvre de Rugy ? D’un côté, non. L’ancien membre d’Europe-Écologie, le traître de comédie de la primaire de la gauche – il avait juré de voter pour le vainqueur avant de rallier Macron -, l’ancien président de l’Assemblée nationale amateur de homards, l’ancien ministre insignifiant, même mis ensemble, n’ont pas le moindre intérêt. Mais patience.

Il vient de donner un génial entretien au Point, où il vomit sur plus d’un quart de siècle d’adhésion à l’écologie politique. Comme on lui demande comment il est passé de sa position de 2017 – 100 % d’énergies renouvelables en 2050 – à son soutien déchaîné au nucléaire, il ose tranquillement : « J’ai regardé au fond des choses et j’ai approfondi les dossiers. J’ai pu vérifier que l’enjeu de sécurité nucléaire (…) était extrêmement maîtrisé en France ». Et à peu près idem sur les OGM ou la science, dont il ne sait visiblement rien.

Rugy n’est rien dans la réalité, mais il reste une excellente illustration de ce qu’était le parti des Verts jusqu’à ces dernières années. Son petit copain Jean-Vincent Placé, qui en fut le grand chef jusqu’en 2015 ? Il vient d’être condamné à une amende pour avoir lourdement dragué une gendarme, après avoir chopé une peine de prison avec sursis pour violences et outrages. En 2006, alors que Cécile Duflot était sa compagne, il déclarait à un député socialo (2) : «T’as vu qui est secrétaire nationale ? Ma meuf ! C’est moi le patron maintenant ». Ce grand amoureux de Napoléon (3) a demandé, après être sorti du gouvernement en 2017, à devenir colonel de réserve d’une unité hautement spécialisée, le 13ème régiment de dragons parachutistes, qui fait dans le renseignement militaire (4).

Quant à Cécile Duflot, qui a abandonné en flammes un parti qui semblait perdu – en 2017 -, elle est devenue depuis directrice générale d’OXFAM-France, association humanitaire. Elle semble regretter, car elle occupe ses loisirs à saboter la candidature de Yannick Jadot, vieil ennemi s’il en est. Question : où est le bilan de ces turpitudes ?

(1) lepoint.fr/politique/francois-de-rugy-il-faut-en-finir-avec-les-tabous-de-l-ecologie-13-03-2021-2417551_20.php

(2)lemonde.fr/politique/article/2008/05/20/jean-vincent-place-le-rad-soc-des-verts_1047283_823448.html

(3)lemonde.fr/election-presidentielle-2012/article/2011/12/07/jean-vincent-place-un-requin-chez-les-ecologistes_1614258_1471069.html

(4)lopinion.fr/edition/politique/jean-vincent-place-colonel-dans-forces-speciales-103029

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Quand l’AFP devient une idéologie

C’est bien triste de s’en prendre à l’Agence France Presse (AFP), qui rend tout de même de signalés services, mais c’est comme ça. Une dépêche du 12 mars 2021 titre : « Climat : et si ça basculait… dans le bon sens ? », et aussitôt, tous les journaux reprennent. Geo, Arte, Ouest-France, la télé belge, L’Express, quantité d’autres. La presse, mes enfants, c’est comme ça : la caution de l’AFP autorise à publier, souvent à recopier.

Que contient la dépêche ? Des informations qui, prises séparément, sont légitimes. Tel économiste a dit ci. Tel chercheur a publié ça. Le Royaume-Uni interdit les voitures thermiques en 2030. La Chine opte pour la « neutralité carbone » d’ici…2060. Le plus dérisoire est certainement dans cet extrait : « L’inquiétude sur l’urgence climatique est bien plus prégnante qu’avant », relève Stephen Fisher, professeur de sociologie politique à l’université d’Oxford, qui a piloté une enquête pour l’ONU, sondant 1,2 million de personnes dans 50 pays. Plus de 60% se disaient inquiètes, dont « la grande majorité veulent des actions urgentes et d’envergure ».

Qu’est-ce qui justifie de titrer une dépêche de la sorte ? Rien. Rien d’autre qu’un bon vieux trip idéologique, appuyé sur la mortelle croyance qu’on a le temps, et que des mesures cosmétiques pourraient suffire.

Le pire est qu’il suffit de lire jusqu’au bout pour que tout disparaisse en fumée : « Les énergies fossiles représentent encore 85% de l’énergie consommée dans le monde, subventionnées à hauteur de 500 milliards de dollars chaque année, selon l’OCDE ». Faut-il parler de désinformation ? Oui.

Mais d’où vient ce salopard de virus ?

Tout le monde en a marre, non ? Des milliers d’heures sur les radios et télés, des kilomètres de signes dans les gazettes auront été consacrés au coronavirus. Pour dire et répéter les mêmes choses dans un sens puis dans l’autre, et retour. Non ?

En mars 2020, quand nous n’en étions qu’au début, l’infectiologue Didier Sicard, pas plus con que tant d’experts de TF1 ou de France-Inter, s’interrogeait (1). Très au fait du sujet, il réclamait un examen en urgence des causes animales de la pandémie. Et comme il connaissait fort bien une partie de l’Asie, il ajoutait : « Ce qui m’a frappé au Laos, où je vais souvent, c’est que la forêt primaire est en train de régresser parce que les Chinois y construisent des gares et des trains. Ces trains, qui traversent la jungle sans aucune précaution sanitaire, peuvent devenir le vecteur de maladies parasitaires ou virales et les transporter à travers la Chine, le Laos, la Thaïlande, la Malaisie et même Singapour. La route de la soie, que les Chinois sont en train d’achever, deviendra peut-être aussi la route de propagation de graves maladies ». 

La nouvelle Route de la soie, qui fait se pâmer tant d’économistes et autres crétins, reliera à terme la Chine – on y achève une quatre-voies de 5000 km –, l’Asie centrale et même l’Europe où un Viktor Orbán, clone hongrois de Trump, est en train de vendre son pays à Pékin. Précisons à l’attention des grincheux que je ne suis spécialiste de rien. Je vois, car je lis, qu’une affaire mondiale comme celle-là recèle d’innombrables mystères. En fera-t-on le tour ?

Mais cela ne doit pas empêcher de parler de ce que l’on sait avec une raisonnable certitude. Et nul doute que la crise écologique planétaire est le responsable principal de l’émergence de tant de virus menaçants. La logique en est dans l’ensemble connue : les activités humaines remettent en circulation des organismes vivants neutralisés par des relations biologiques stables depuis des millénaires, parfois des centaines de millénaires.

L’incursion des humains – braconniers suivant la piste des bûcherons – dans les forêts tropicales les plus intouchées ne pouvait manquer d’avoir des conséquences. Et ce n’est qu’un petit exemple. Quantité de virus dits émergents sont en effet des zoonoses, des maladies ou infections qui passent de l’animal à l’homme. Tel est le cas d’Ebola, des hantavirus, du SRAS, de la fièvre du Nil occidental, probablement du sida. Ce n’est qu’un aperçu, car l’on compte environ 200 zoonoses, dont beaucoup sont bactériennes.

Dès le 17 avril 2020 – il y aura bientôt un an -, 16 responsables d’autant d’organismes scientifiques différents écrivaient (2) : « La pandémie de Covid-19 est étroitement liée à la question de l’environnement : c’est bien, encore une fois, une perturbation humaine de l’environnement, et de l’interface homme-nature, souvent amplifiée par la globalisation des échanges et des modes de vie, qui accélère l’émergence de virus dangereux pour les populations humaines ».

Et les mêmes posaient une question qui devrait pétrifier nos responsables : « À la lumière de la crise sanitaire que nous traversons, il est paradoxal de constater que les études de médecine et de pharmacie continuent d’ignorer largement la biologie de l’évolution, et que celle-ci est récemment devenue facultative pour les deux tiers d’un parcours scolaire de lycéen ».

En clair, tout le monde s’en tape. Pourquoi ? Parmi les nombreuses raisons en cause, j’en retiens deux. Un, nos chefaillons actuels, qui incluent les écologistes officiels, sont d’une inculture monumentale. Ils ne savent pas, obsédés que sont la plupart par leur sort personnel et leur place dans l’appareil d’État. Deux, les rares qui entrevoient une lueur n’ont pas le courage de remettre en question le monde qui est le leur, son organisation, ses buts.

Il y faudrait la force d’un Gandhi et nous n’avons à notre disposition qu’une classe politique et administrative plus bas-de-plafond que le dernier des nains de jardin. Voilà pourquoi votre fille est muette.

(1)franceculture.fr/sciences/didier-sicard-il-est-urgent-denqueter-sur-lorigine-animale-de-lepidemie-de-covid-19

(2) lemonde.fr/idees/article/2020/04/17/la-pandemie-de-covid-19-est-etroitement-liee-a-la-question-de-l-environnement_6036929_3232.html

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Jean-Louis Beffa, héros méconnu de l’amiante

Le coût de l’amiante est tel qu’il ne sera jamais calculé vraiment. L’industrie en a longuement profité, et maintenant la société paie les dégâts, les milliers de morts chaque année, les vies disloquées. Des braves se battent depuis 25 ans devant les tribunaux, et parfois gagnent, et souvent perdent, et continuent pourtant.

En 2017, une expertise judiciaire estimait qu’on ne pouvait pas connaître la date précise d’une contamination par l’amiante, menant droit à un non-lieu en 2018. Les magistrats jugeaient alors impossible de retenir la responsabilité pénale de tel ou tel dirigeant d’une entreprise. En l’occurrence, il s’agissait de l’usine Everite située à Dammarie-les-Lys, en Seine-et-Marne. Gros soupir de soulagement patronal.

Mais la cour d’appel de Paris vient d’infirmer ce non-lieu, et renvoie le dossier à des juges d’instruction. Selon eux, en effet, et il s’agit de citations tirées de son arrêt, « c’est toute la période d’exposition qui contribue à la maladie et/ou au décès ». Du même coup, « chaque dirigeant successif peut avoir participé, à son échelle de responsabilité, à l’exposition des salariés aux fibres d’amiante ».

C’est déjà beaucoup moins drôle pour certains, car Everite était une filiale de Saint-Gobain, ce qui nous rapproche fatalement d’un certain Jean-Louis Beffa. Ce personnage central du capitalisme français est entré à Saint-Gobain en 1974, dont il a été le P-DG dès 1986, quand il était encore légal d’empoisonner le prolo avec l’amiante.

Le cas est d’autant plus intéressant qu’un Beffa, dans notre sainte république, semble intouchable. Ingénieur des Mines, un temps membre du club Le Siècle, il a été aussi des conseils d’administration ou de surveillance de GF Suez, de Siemens, de la Caisse des dépôts, de BNP-Paribas, etc.

Cerise amiantée sur le gâteau, Beffa fait partie dès 1994 du conseil de surveillance du journal Le Monde, qu’il préside depuis 2017. En Italie, travaillant des années sur des milliers de pièces, un tribunal d’appel à condamné en 2013 l’industriel de l’amiante Stephan Schmidheiny à 18 ans de taule. Beffa, quelle chance.

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Les Tartarin veulent la peau du Loup

Comment va le Loup en France ? Pas bien. Je rappelle qu’il est revenu naturellement d’Italie il y a une trentaine d’années, après avoir été totalement exterminé. Pas bien, donc, et c’est l’Office français de la biodiversité (OFB) qui le détaille dans un rapport, avec le CNRS (1). Attention, l’OFB, c’est pas les Naturalistes en lutte : les chasseurs, pour s’en tenir à eux, siègent à son conseil d’administration.

Il n’empêche que le texte est limpide. S’appuyant diplomatiquement sur des « points de vigilance », ses auteurs constatent qu’entre 2014 et 2019, la mortalité atteint 42%, toutes classes d’âge confondues, contre 26% avant 2014. Ce qui rapproche l’espèce du point au-delà duquel la population commence à décliner.

En ajoutant d’autres signes préoccupants, les rédacteurs de la note sortent un peu plus du bois, et ils écrivent : « Plusieurs signaux vont dans le sens d’une dégradation de la dynamique de la population ». Et appellent entre les lignes, mais sans détour, à une révision de la politique actuelle, qui vise, ça c’est Charlie qui le dit, à contenir les oppositions et satisfaire quelques clientèles électorales.

Il n’y a aucun mystère : depuis 2014, des centaines de loups ont été butés « légalement », malgré leur statut de protection. Ils seraient 580 et en cette année qui commence, l’État donne le droit d’en abattre 121. Courons donner des leçons aux paysans africains sur la cohabitation avec les éléphants. Et aux gueux de l’Inde sur la sauvegarde des tigres, si mignons à la télé.

(1) https://www.loupfrance.fr/mise-a-jour-des-effectifs-et-parametres-demographiques-de-la-population-de-loups-en-france-consequences-sur-la-viabilite-de-la-population-a-long-terme/

Cinquante ans et plus une seule dent

Le ministère de l’Environnement [ ou de l’Écologie, selon ] a cinquante ans et fait semblant depuis cinquante ans. C’est même pas la faute des ministres, ectoplasmes si contents d’être sur la photo. Le mal est plus profond : ceux qui décident sont ceux qui salopent tout depuis deux siècles.

Presque trop facile. Quand le père Pompidou décide la création d’un ministère de l’Environnement en 1971, il confie la tâche à ce bon monsieur Poujade, maire de Dijon, qui se demanderait pourquoi on l’a choisi s’il n’était pas mort. Sans soute parce qu’il avait été le conseiller d’un ministre de la construction oublié, puis en charge d’une « commission du développement » régionale. Lui-même devait écrire ensuite un livre disant l’évidence dès le titre : « Le ministère de l’impossible ». L’époque était à ce qu’on appela le « gaullisme immobilier » : les combines avec les promoteurs, les lourdes valises de liquide, la traversée de Paris en 13 minutes « grâce » à la voie express qui porte d’ailleurs le nom de son créateur, Pompidou. Ce dernier lâcha : « La ville soit s’adapter à la voiture ». Paris fut à nouveau éventrée.

On ne dressera pas la liste de tous les autres, mais regardons tout de même quelques noms. En 1974, Peyrefitte, l’inénarrable Alain Peyrefitte, qui fut ministre de l’information – flic de la télé – sous de Gaulle. De 1978 à 1981, Michel d’Ornano, dont le cabinet ouvre et couvre en automatique les décharges les plus criminelles, comme celle de Montchanin. De 1984 à 1986, Huguette Bouchardeau – fière PSU -, qui se fait enfler par les ingénieurs de son propre ministère dans l’affaire des déchets de Seveso passés en France. De 1986 à 1988, Alain Carignon, qui finit en taule pour avoir vendu l’eau de Grenoble à la Lyonnaise des Eaux.

De 1989 à 1991, Brice Lalonde, qui fait des bulles avant de copiner avec l’ultralibéral Alain Madelin. De 1995 à 1997, Corinne Lepage, qui en tire le livre « On ne peut rien faire, madame le ministre », qui démontre parfaitement qu’un tel ministère ne sert à rien. De 1997 à 2001, Dominique Voynet, qui accepte de siéger au conseil des ministres où trône un certain Claude Allègre, négateur en chef du dérèglement climatique. Et ne fait rien. De 2001 à 2002, Yves Cochet, inaugurateur de chrysanthèmes. De 2007 à 2009, Jean-Louis Borloo, grand ordonnateur de du grandiose enfumage du Grenelle de l’Environnement avec en guest star Nathalie Kosciusko-Morizet, jouant de la harpe dans son jardin pour Paris-Match. Un dernier pour la route : de Rugy en amoureux transi du homard mayonnaise.

Tout ça ne pèse en réalité de rien. Les ministres passent, qu’on oublie la seconde suivante – qui se souvient de Jarrot, Lepeltier, Olin, Bricq, Borne ? qui se souviendra de Pompili ? – et demeurent les structures. Or sans entrer dans le détail, passionnant, retenons que deux grands corps d’ingénieurs d’État se partagent la direction réelle du ministère : les ingénieurs des Mines et ceux des Ponts, des eaux et forêts. Le pouvoir, c’est eux.

Prenons l’exemple de la Direction générale général de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN), qui a dans sa besace la biodiversité, la mer, le littoral, l’eau. En août 2019, son dirlo, Paul Delduc, quitte sa fonction, où il est remplacé par Stéphanie Dupuy-Lyon. Le premier est ingénieur général des Ponts, des eaux et des forêts. La seconde est ingénieure des Ponts, des eaux et des forêts. Idem à la Direction générale de la prévention des risques (DGPR), qui gère le si vaste domaine des pollutions. Son boss, Cédric Bourillet, est ingénieur des Mines et son adjoint, Patrick Soulé, ingénieur des Ponts, des eaux et forêts. Ces grands personnages savent partager.

Troisième exemple : la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), qui s’occupe comme il n’est pas difficile de le deviner, du dérèglement climatique. Patron inamovible : Laurent Michel, ingénieur général des Mines.

Tous ces braves gens font partie de ce que Bourdieu appelait la « noblesse d’État », et ce n’est pas un vain mot, puis le corps des Mines existe depuis 1794. Pour l’autre, résultat d’une fusion, il faut distinguer les Ponts et Chaussées, corps né en 1716 et celui du Génie rural, des eaux et des forêts, que certains font remonter à…1291. La France que nous connaissons, c’est eux.

Les ingénieurs des Mines auront mené au cours des deux siècles passés l’industrialisation de la France. Et dans l’après-guerre, créé ou dirigé ELF – le pétrole, les coups d’État en Afrique -, Renault et la bagnole, le nucléaire bien sûr avec EDF, la Cogema, le CEA. Les Ponts, c’est le programme autoroutier, les barrages sur les rivières, les châteaux d’eau et les ronds-points, le béton armé et les cités pourraves de toutes les banlieues. Les Eaux et Forêts, enfin, ont massacré la campagne en remembrant, en arasant des centaines de milliers de km de talus boisés, en aidant à la diffusion massive des pesticides via les directions départementales de l’agriculture dont ils furent les maîtres.

Joyeux, pas vrai ? On crée un ministère en 1971 et on refile les clés à ceux qui ont tout salopé en leur demandant de faire exactement le contraire de ce que leurs chers ancêtres ont fait. En oubliant en plus leur magnifique formation, qui laisse de côté tout ce que l’écologie scientifique a maintes fois établi. Le ministère de l’Environnement de 1971 ? Le ministère de l’Écologie de 2021 ? On sait se marrer, dans les hautes sphères.

Nous voulons des paysans. Pas toi ?

Ce papier a été écrit pour le journal de la Confédération paysanne,

Chère lectrice, cher lecteur de Campagnes Solidaires, c’est à toi que je m’adresse personnellement, et tu me pardonneras ce tutoiement. Ici, je me sens en famille. En septembre 2018, j’ai lancé avec une poignée d’autres « Nous voulons des coquelicots », qui a essaimé partout en France. À l’arrivée, en septembre 2020, nous avions réuni 1 135 00 signatures, réclamant l’interdiction de tous les pesticides de synthèse.

J’ai suggéré un prolongement : « Nous voulons des paysans » (1). Il s’agit d’unir au-delà des frontières habituelles, autour d’un plan de sortie de l’agriculture industrielle en dix ans. Ce plan nécessite de grandes ressources publiques – le coronavirus a montré qu’elles ne manquent pas – et doit permettre le maintien de tous les paysans encore en activité et d’en installer 1 million de nouveaux, soit une moyenne de 100 000 par an.

Est-ce possible ? C’est surtout vital. Nous ne ferons pas face au dérèglement climatique et à la chute vertigineuse de la biodiversité sans une paysannerie nombreuse, fière d’elle-même, heureuse. Je sais les obstacles, innombrables, mais je sais aussi qu’un pays sans espoir collectif, est un pays foutu.

Au tout début des années 60, les jeunes technocrates propulsés au pouvoir par le retour du général de Gaulle, ont inventé une France nouvelle, désastreuse. Celle des grandes villes reliées progressivement par des lignes TGV et des autoroutes. Le programme a été réalisé, rejetant dans les ténèbres extérieures les petites villes et les campagnes. Tu le sais comme moi : les services publics ont déserté, les écoles ont fermé, les commerces des centres-villes ont disparu, aspirés par les centres commerciaux de la périphérie.

Une autre France est possible et nécessaire. Il nous faut préparer une révolution spatiale, seule capable de redonner équilibre et sens à notre pays. Ce combat-là, qui semble annexe, peut entraîner avec lui, dans nos territoires, quantité de gens que nous ne rencontrons plus guère : des commerçants, des petits chefs d’entreprise, des responsables administratifs, des élus de gauche ou de droite.

Il s’agit bien de créer du mouvement, de lancer une dynamique irrésistible à terme, autour d’une idée aussi simple que l’œuf de Colomb : dans une société qui se veut démocratique, ce que le peuple veut, il l’obtient.

Mais revenons à nous, à vous, à toi. Je souhaite de toutes mes forces des retrouvailles entre la société et les paysans. Il est infernal de penser que des êtres qui travaillent dur pour nourrir la population soient à ce point déconsidérés. Et cela ne peut que durer, tant que les productions resteront industrielles. Les consommateurs s’en détournent chaque année un peu plus.

Le succès possible de cet Appel est là : il faut que tous se retrouvent autour d’une agriculture paysanne respectueuse des bêtes, et qui romprait enfin avec l’agrochimie.

Il va de soi que rien ne sera possible si la société n’accepte pas trois évidences : la production de nourriture coûte cher ; le travail doit être payé à sa valeur ; le revenu de tous les paysans doit être élevé et stable.

Moi, je crois qu’il n’est pas trop tard. La France a pris un mauvais embranchement en sacrifiant ses paysans au profit de l’industrialisation. Il faut et il suffit de prendre ensemble une tout autre route. Tel est en résumé cette nouvelle aventure appelée « Nous voulons des paysans ».

Mais j’y insiste : pas de sectarisme. Avançons les bras ouverts. Soyons fraternels. Tout le monde doit être invité, même si certains ne viennent pas. Pour commencer, j’ai lancé l’idée de 1000 banquets pour 1 million de paysans nouveaux. Au printemps, à une date qui reste à trouver, il s’agirait de se retrouver par milliers, dizaines de milliers, centaines de milliers – qui sait ? – au cours de repas géants.

Le plus simple consiste à se retrouver autour de repas pantagruéliques, qui réuniraient paysans locaux, cuisiniers amateurs ou professionnels, responsables divers et variés, citoyens engagés ou non. Telle pourrait être la base populaire d’un grand mouvement d’espérance collective.

Bien sûr, rien ne nous garantit le succès. Bien entendu, il se trouvera tel ou tel pour décréter que ce n’est que rêverie, ou même que cela détourne de tâches immédiates. Mais de toi à moi, qu’y a-t-il de plus urgent que de changer la face de notre monde ?

De toi à moi, qui est le plus fou ? Celui qui rêve encore de déclencher l’enthousiasme, ou celui qui attend la catastrophe suivante pour pouvoir dire qu’il l’avait prévue ?

Chère lectrice, cher lecteur, haut les cœurs ! Il faut y aller.

(1) nousvoulonsdescoquelicots.org/2020/09/10/nous-voulons-des-paysans-3/