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Cette vérité cachée sur l’aluminium

Ce qui suit a été publié y a pas si longtemps par Charlie. Signé de mon nom, cela va (presque) de soi.

 

C’est un livre rare, et il restera longtemps à portée de main (Toxic Story, deux ou trois vérités embarrassantes sur les adjuvants des vaccins, Actes Sud). Le professeur de médecine Romain Gherardi n’a rien d’un séditieux. Médecin et scientifique à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil, il mène depuis près de vingt ans, avec une petite équipe, un travail exemplaire sur ce que l’on ajoute aux vaccins pour les rendre plus efficaces. Les adjuvants. Gherardi sait et répète sans se lasser que les vaccins, qui ont sauvé des millions de vie, sont l’une des plus grandes découvertes. Mais les adjuvants ?

On découvre dans son livre et l’on comprend enfin l’affaire de la présence d’aluminium dans un grand nombre de vaccins, y compris ceux, obligatoires, destinés aux enfants. Le récit, mené il est vrai de main de maître, est parfois haletant. On y découvre un monde organisé pour la dénégation : celui des agences de santé publique, des cabinets ministériels, de l’OMS. Il ne fait plus aucun doute que l’aluminium – les considérations économiques et financières dont décisives – est un danger considérable pour une partie des vaccinés.

Gherardi est tout sauf un idéologue. Il avance ses pions à mesure qu’il peut établir des faits par la science. Mais justement ! Il ne peut poursuivre ses travaux que s’il est financé. Or il ne le sera pas, car une coalition qui s’ignore se met soudainement en travers. La vanité de certains pontes s’ajoute à l’habituelle soumission à l’autorité, sur fond d’invraisemblables conflits d’intérêts. Jusques et y compris des ministres de la République ont participé aux banquets de l’industrie pharmaceutique. Tous pourris ? Non, mais tous complices d’un mépris viscéral pour l’esprit scientifique. Décidément, un grand livre.

L’entretien

Aviez-vous conscience de livrer un tel polar ? Je résume : un mystère; puis un suspect, qui deviendra le coupable; un détective aussi malin qu’obstiné; des dupes; des complices; des fripouilles.

 

Romain Gherardi : Cette histoire a été effectivement celle d’une longue traque d’allure policière. Comme dans un roman de Simenon elle s’est déroulée dans un contexte particulier, mal connu du grand public: celui du système de santé, avec ses acteurs (patients, médecins, industriels), ses régulateurs, ses décideurs, tous mêlés dans des luttes féroces aux enjeux financiers, sanitaires et politiques énormes. Sur les questions biomédicales de fond nous sommes allés de surprise en surprise, ce qui est le propre de la science.

 

Donc, un jour, vous assistez à l’une des réunions biannuelles d’une sorte de club réunissant la fine fleur des neuropathologistes français. On vous montre des diapos, qui n’ont de sens pour personne. Même pas pour vous. On y voit une lésion faite de coulées violettes entre les crayons roses d’un muscle. Plus tard, vous repensez à ces diapos, et on a envie de crier avec vous : « Bon Dieu ! mais c’est bien sûr ! ».

 

R.G : Oui c’est exactement cela. Les microscopistes stockent en permanence des images pathologiques, qui ne demandent qu’à resurgir comme un flash quand une image semblable se présente. C’est un phénomène purement visuel, assez analogue à la reconnaissance inopinée du visage d’un acteur célèbre dans la rue. Cette lésion que nous baptiserons bien plus tard « myofasciite à macrophages » a été vue d’abord à Bordeaux en 1993, puis assez rapidement dans toute la France. Nous avons décidé collectivement de décrire les 14 premier cas de cette nouvelle pathologie sans en connaître la cause. Le Lancet a accepté avec enthousiasme de publier cet article en 1998.

 

Jusqu’à ce point de l’histoire, vous êtes un héros. Disons un bon, un très bon scientifique. The Lancet, revue prestigieuse, publie donc votre article, et vous êtes convoqué plus tard dans le saint des saints, au siège de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à Genève. Vous êtes confiant, car votre travail est solide. Mais quelque chose commence à se détraquer.

 

R.G : Cette convocation a été déclenchée par la découverte surprenante d’aluminium au sein des lésions, et par la démonstration formelle de l’origine vaccinale de cet aluminium. La donne changeait complètement. Plutôt qu’une nouvelle maladie infectieuse, j’avais levé un lièvre très embarrassant : l’adjuvant vaccinal le plus utilisé dans le monde, l’hydroxyde d’aluminium, était susceptible de persister de nombreuses années dans les cellules immunitaires chez certains. Ce qui est bien sûr tout à fait indésirable. Dans un premier temps l’OMS s’est donc courtoisement assurée de la solidité de nos résultats et a dû admettre que certains individus ont probablement une difficulté particulière à éliminer l’adjuvant de leur organisme. Lors de la seconde réunion, elle est passée à l’attaque émettant des doutes, puis elle a tenu sa troisième réunion à huis clos. Sans nier que nos patients présentent des douleurs musculaires et articulaires, une fatigue chronique, des troubles de l’attention, de la mémoire et du sommeil, l’OMS et les agences sanitaires françaises ont qualifié ces troubles de « non spécifiques », une terme volontairement ambigu, minorant et péjoratif. Or cette combinaison de symptômes forme un syndrome parfaitement caractérisé par des critères internationaux appelé syndrome de fatigue chronique ou encéphalomyélite myalgique. Les agences ne pouvaient pas l’ignorer car cette affection est officiellement reconnue par l’OMS depuis 1969 et que parallèlement à notre dossier, l’OMS traitait de façon totalement cloisonnée, le dossier de 69 infirmières canadiennes ayant développé un syndrome de fatigue chronique après des vaccins aluminiques contre l’hépatite b !. Depuis, d’importantes séries de syndrome de fatigue chronique survenues dans les suites de vaccins aluminiques ont été rapportées dans pas moins de 7 pays différents…

 

 

Les réactions successives de l’OMS n’étaient qu’un avant-goût. Vous vous retrouvez à Porto-Rico, en 2000, pour un rendez-vous mondial des illustres Centers for Disease Control (CDC) américains, consacré à l’aluminium dans les vaccins. Et là, vous voilà attaqué en piqué par le grand spécialiste de la chose, qui tonne sur la base d’une étude grotesque portant sur deux lapins. Je vous l’avoue, on a du mal à le croire.

 

R.G : Porto-Rico, capitale des multinationales du médicament. Le pape des adjuvants aluminiques, un chimiste nommé Stanley Hem, déclarait à l’époque que le destin des microparticules d’aluminium était de fondre, permettant à l’aluminium d’être éliminé par le rein. Il n’avait pas compris que la majeure partie de l’adjuvant est en fait rapidement capturée par les cellules immunitaires, ce que montraient nos résultats. Sur la base de cette erreur théorique première, il a conduit l’unique étude de référence sur ces adjuvants. En lisant cette étude de 1997, on est effaré par le nombre de fautes qu’elle contient : l’hydroxyde d’aluminium a été injecté à seulement deux lapins, l’étude n’a duré que 28 jours, plusieurs organes importants ont été égarés (les os), oubliés (le muscle injecté), ou mal choisis (ganglion intestinal au lieu du ganglion drainant le muscle injecté), et, cerise sur le gâteau, les conclusions sont contraires à l’évidence des résultats. En effet seulement 6% de l’aluminium injecté avait été éliminé au 28ème jour, c’est-à-dire que 94% était encore dans l’organisme des lapins. C’est pourtant sur cette base « rassurante »  que les agences sanitaires et les sociétés savantes se fondent encore aujourd’hui pour affirmer l’innocuité d’adjuvants aluminiques administrés à des milliards d’individus dans le monde !

 

La suite, passionnante et presque envoûtante, est dans le livre. Professeur Gherardi, qu’espérez-vous encore des autorités de santé de votre pays ?

 

R.G : Comme scientifique, je souhaite que soit pris en compte l’effondrement de plusieurs dogmes. Il faut à l’évidence tout reprendre pour comprendre la diffusion des adjuvants aluminiques vers les organes lymphoïdes, la rate et le cerveau. Comme médecin, je souhaite que nos patients soient enfin reconnus et dédommagés. Comme citoyen, je souhaite que l’on sorte de la « co-production de santé publique » imposée aux États par les multinationales du vaccin, dont les agences sanitaires sont l’incarnation.

 

Trump fait monter le prix du somnifère

 

Amis lecteurs, trumpistes et non-trumpistes, je vous livre ci-dessous le billet que j’ai écrit vers 14 heures pour le site de Charlie, et qui y est encore visible. Il est court, comme vous verrez, et ne contient donc pas les méandres habituels de ma pensée. Mais enfin, il dit quelque chose que je pense. J’en ai réellement marre des  sérénades et des lamentations. Je viens de lire un papier de Reporterre, dont le titre m’a fait sursauter : « Trump, candidat de l’anti-écologie ». Par Dieu, Clinton ne l’était-elle pas, elle qui était la candidate des transnationales, moteur essentiel de la crise climatique ? Comme je suis fatigué, je ne vais pas plus loin. Mais mon point de vue essentiel, le voici : nous avons grand besoin d’un point de vue écologiste sur la marche du monde. Indépendant des modes, des truismes, des habitudes de pensée. C’est urgent, cela brûle même. Assez de jérémiades : Trump est ce qu’il est, mais Clinton tout autant. Au passage, la question du Tafta – et du Ceta – est un sujet-clé, car son sabordage rendrait un immense service à nous tous. Allez-y de vos commentaires.

 


Le billet de Charlie sur son site :

 

Comme il n’est pas encore intronisé, ce ne peut être considéré comme injure à chef d’État : Trump est un gros empaffé, et le restera. Dans le domaine si décisif de la crise écologique, il va probablement frapper très fort. Ainsi qu’on sait peut-être, il ne croit pas au dérèglement climatique, ce qui risque quand même de plomber l’ambiance à Marrakech, où se déroule en ce moment le 22e épisode des sommets climatiques internationaux. Royal et Fabius passeront moins à la télé.

Répétons : ce gros empaffé – bis – n’en a rien à foutre de rien. Mais est-ce bien une raison pour tout à fait regretter Clinton ? Cette si Grande Dame, défendue par tant de si Braves Gens, était pieds et poings liés au pied du big business américain et se demandait ces derniers temps comment se tirer du bourbier du Tafta, ce projet de traité commercial avec l’Europe. La pauvrette était coincée entre, d’un côté, ses supporters des transnationales et, de l’autre, la révolte de plus en plus vive d’une Amérique qui ne croit plus à la mondialisation.

Trump, ce gros empaffé – ter -, vole au secours des altermondialistes et, s’il tient parole, flinguera le Tafta à la hache et au couteau, comme il aimerait faire avec les Mexicains et les musulmans. Est-ce à dire, docteur, qu’on a mal au fion et qu’il n’y a pas de remède ? Certains jours, oui. Certains matins, on ferme les volets, on se bouffe un somnifère et on oublie le monde.

Comment niquer Greenpeace grâce à des prix Nobel

Paru dans Charlie y a pas si longtemps

Superbe coup monté. Grâce à sa belle influence, l’industrie des OGM vient d’entraîner 111 prix Nobel dans une croisade contre Greenpeace, accusée gentiment de « crime contre l’humanité ». Être scientifique et être con.

 

Que claquent les dents, car Greenpeace est coupable de « crime contre l’humanité ». Comme Eichmann, comme Pol Pot, comme les génocidaires du Rwanda. Qui le dit ? La bagatelle de 111 Prix Nobel, qui exhortent les gouvernements, dans un appel (1) larmoyant, à cogner dur sur Greenpeace, accusée d’être « le fer de lance de l’opposition au riz doré », un riz OGM « enrichi », qui « a le potentiel de réduire ou d’éliminer la plupart des décès et maladies causées par une carence en vitamine A ». Or, toujours d’après nos grosses têtes, 250 millions de personnes souffrent de cette carence, qui provoquerait entre un et deux millions de morts par an, surtout chez les gosses de moins de cinq ans.

Les petits salauds de Greenpeace, qui se roulent dans la soie et mangent du caviar à la louche, se moquent évidemment des pauvres et des malheureux. Il est donc urgent que les pouvoirs du monde entier fassent « tout ce qui est en leur pouvoir pour s’opposer aux actions de Greenpeace » tout en accélérant « l’accès des agriculteurs » aux OGM. La morale donc, mais aussi le commerce. Comme c’est charmant, comme c’est frais. Bien entendu, des centaines de journaux de la planète, parfois bien intentionnés, parfois beaucoup moins, ont répercuté jusqu’au fond des pampas et des déserts la terrible nouvelle. Greenpeace, assassin de masse.

Mais venons-en aux faits. Ce n’est pas la première fois – ni la dernière – que de gentilles brêles de Prix Nobel se font grossièrement manipuler par l’industrie. On rappellera pour mémoire qu’en 1992, quelques jours avant le premier Sommet de la terre de Rio, paraît le retentissant Appel d’Heidelberg, signé – déjà -par le quart des Nobel de l’époque. Dont un certain Jean-Marie Lehn, qui paraphe aussi celui de 2016.

L’Appel de 1992 conjurait de combattre « l’écologisme irrationnel », qui « s’oppose au développement scientifique et industriel ». Le gras dans ce dernier mot est de Charlie, car pourquoi ces Nobel se préoccupent-ils à ce point du sort de l’industrie ? Hein ? La réponse se trouve plus que peut-être dans l’Appel contre Greenpeace, comme on va voir. Mais tout d’abord, le riz doré. C’est très con pour les Nobel, mais ce riz transgénique est pour l’heure une impasse. Au bout de 20 ans d’expérimentations en Asie, il n’est toujours pas vendu par ses concepteurs, pour la raison simple que ses rendements ne sont pas à la hauteur espérée. Et qu’il faudrait bouffer des tonnes de riz pour espérer produire un effet sur les carences. À ce stade, la fable de la vitamine A n’est que storytelling des transnationales du secteur, destiné à mieux fourguer les OGM.

Dans ces conditions, que penser de la présence de Jay Byrne dans le tableau ? Le 29 juin, l’Appel contre Greenpeace est lancé en fanfare au National Press Club de Washington. Il y a un videur à la porte – des scientifiques liés à Greenpeace seront refoulés -, et ce videur s’appelle Jay Byrne. Ancien directeur de la com chez Monsanto, Byrne dirige une agence de relations publiques, v-Fluence, qui conseille entre autres l’industrie des OGM. Hasard ? Hasard complet, pauvre parano, car Byrne, interrogé sur son rôle exact, lâche qu’il s’est : « porté volontaire bénévolement pour aider à la logistique ».

Ami de la science et des scientifiques incorruptibles, ce n’est pas fini. Parmi les deux Nobel les plus engagés dans la diffusion du pamphlet anti-Greenpeace, on trouve un Richard Roberts, directeur scientifique d’un machin au service de l’innovation industrielle, et un Philip Sharp, qui dirige plusieurs boîtes de biotechnologie. Encore un petit mot sur Jean-Marie Lehn, et on se quitte.

Prix Nobel de chimie, Lehn est au premier rang, le 5 mai 2009, d’un colloque organisé conjointement par le Collège de France et la transnationale de la chimie Solvay. Attention ! il va parler. Ivre de son savoir et de la reconnaissance mondiale, il se lâche, concluant une envolée par ces mots : « L’homme créera des créatures non vivantes et, j’en suis convaincu, vivantes ». Derrière les OGM, amis du progrès, les dragons, griffons et harpies. Ce coup-ci, stop.

 

(1) science-et-vie.com/2016/06/ogm-cent-prix-nobel-prennent-position-en-faveur-de-ces-biotechnologies

(2) Voir Stéphane Foucart, La fabrique du mensonge, Denoël, 2013

 

Conseils pour se saouler la gueule et boire un café

Paru dans Charlie y a pas longtemps

Mes amis soulographes, c’est la fête. Je me demande parfois combien d’hectolitres de vin rouge j’ai déjà ingurgités dans ma vie. Et je me souviens avec attendrissement du Mogana de ma jeunesse, quand je travaillais comme apprenti-chaudronnier à Montreuil. Le Mogana était un tueur en série qui titrait peut-être 13 degrés, et qui assommait d’un coup sec juste au moment où il fallait écraser son clope et aider le vieux polisseur Socrate – je n’invente rien, il était Macédonien – à passer un comptoir en cuivre rouge au blanc d’Espagne.

C’est la fête, car une étude réalisée par trois savants – Olivier Gerbaud, Magalie Delmas et Jinghui Lim, publiée dans la revue Journal of Wine Economics (1) montre que les vins bios ont bien meilleur goût que ceux enrichis aux pesticides. Les auteurs ont travaillé sur une méta-analyse de 74 148 vins – conventionnels comme bio – produits en Californie entre 1998 et 2009. Au travers de notes de qualité parues dans trois revues à peu près indiscutables, Wine Advocate, Wine Spectator, et The Wine Enthusiast.

Sur une échelle de 50 à 100, les vins bio obtiennent en moyenne une note supérieure de 4 points. Le drame est que la majorité des vignerons californiens bio reproduisent eux-mêmes les préjugés sur leur propre méthode et préfèrent ne pas afficher de label sur leurs étiquettes. Car voilà bien le fond de l’affaire : les soi-disant esthètes du vin vont répétant depuis de longues années que le vin bio est forcément une piquette, et qu’un un bon vieux bordeaux au bromophos vaut mieux qu’un vin élevé en biodynamie.

En France, le vignoble ne représente que moins de 4% de la surface agricole, mais consomme 20% des pesticides. Tout est donc pourave, sauf qu’une évaluation préliminaire portant sur les notes du Gault et Millau indique la même tendance chez nous qu’en Californie. Buvons du vin bio, jusqu’à l’ivresse, car il est bon, et oublions Emmanuel Macron.

D’un autre côté, le café se fait la malle. Ce n’est pas le moment que je raconte la récolte du café au-dessus de Matagalpa, avec mon copain Mogens, quand on se tapait du riz et des frijoles dès 5 heures du matin. Quand le fruit est prêt à être cueilli au bout des longs doigts des branches, c’est une drupe, les amis. Une sorte d’olive rouge qu’il faut caresser comme on le ferait d’une joue, car autrement, on nique la récolte suivante en torturant les rameaux et branchettes. Je m’égare.

Le café. Une étude infernale du Climate Institute australien assure que d’ici 2050 – les vieux s’en foutent, c’est vrai – la production de café pourrait être divisée par deux. À cause de l’augmentation de la température et de l’apparition de nouveaux ravageurs des récoltes, comme les champignons. Notez que c’est déjà la merde partout. La rouille du caféier a foutu au chômage 350 000 paysans d’Amérique centrale en 2012. En Colombie, le même champignon a été découvert dans les montagnes où pousse le café, là où il ne pouvait survivre auparavant. En Afrique, le scolyte des grains de café – un coléoptère vorace – ne cesse de gagner du terrain en Tanzanie, où 2,4 millions de paysans vivent du caoua. Et il est retrouvé sur le Kilimandjaro, 300 mètres plus haut qu’il y a un siècle.

Ce n’est pas fini, car l’étude australienne prévoit même qu’en 2080, il pourrait bien ne plus y avoir de café du tout. Du moins dans ses territoires actuels. Les 120 millions d’humains qui dépendent du café pour vivre n’auront qu’à passer au pop corn. Un conseil d’ami : tenter le Grand Ouest français. On trouve des maisons à bon prix au cap Sizun, près de la pointe du Raz, et c’est un bel endroit pour se saouler. Ceux qui seront encore là dans 60 ans – moi le premier – peuvent espérer y cultiver leur pif et leur café (disons sur les monts d’Arrée). Garanti sur facture.

(1) Does Organic Wine taste better? An Analysis of Experts’ Ratings.

À lire avant tout acte sexuel

Est-ce ce printemps si chaud ? J’ai écrit, dans le numéro d’avril 2010 du magazine Terre Sauvage, une série sur le sexe chez les animaux. Y repensant tout à l’heure, grattouillant mon plâtre – voir les épisodes précédents – autant qu’il m’est possible, j’ai fini par tout relire. Et il m’a semblé que vous deviez tous être informés des mœurs inqualifiables de certains animaux, pourtant vénérés. Ce n’est pas chez nous, les humains, qu’on verrait des choses pareilles, pas ? Nous représentons la civilisation, pas ? La victoire de l’esprit sur la libido et la luxure, pas ?

Je ne sais pas pour vous, mais quant à moi, j’admire et j’envie les personnages qui suivent.

————————————–Terre Sauvage, avril 2010———————-

Le lion

Attention aux épines, Madame

Un conseil d’ami : ne pas se tromper de phéromone. Ce dernier est un message chimique qu’envoient les bêtes – donc nous – et les végétaux pour signaler quelque chose. Quand le lion se sent d’humeur folâtre, suivez bien le mouvement, il se sert hardiment de son organe voméronasal. Non, ce n’est pas ce que vous croyez. Découvert par le Danois Ludvig Jacobson en 1813, il se trouve caché quelque part dans le nez. Et il permet de détecter les phéromones, ce qui est bien utile.

Le lion est donc folâtre, et pour peu qu’une femelle elle-même tentée par une aventure se trouve dans les parages, le roi des animaux se met en position de flehmen. C’est-à-dire qu’il s’approche de la belle, retrousse sa lèvre supérieure et ouvre la gueule d’une manière qu’on pourrait qualifier de suggestive. Ça y est, ça y est presque, son organe de Jacobson vient de sentir les bons phéromones.

Disons-le avec froideur, il faut faire vite, car la lionne n’est féconde que tous les deux mois environ, et sa période d’œstrus  – les « chaleurs » – ne dure pas plus de quatre jours. De vous à moi, le lion n’est peut-être pas aussi malin qu’il en a l’air. Car enfin, sa belle se contorsionne sous ses yeux, frotte sa tête contre son cou, se jette même à ses pieds. Que lui faut-il de plus ? Pour finir, elle adopte la position dite lordose, qui consiste à creuser sa colonne vertébrale. La femelle est alors à plat ventre, avec la croupe en avant, ce qui ne peut être plus pratique. Faut-il vous faire un dessin ?

Cette fois, le lion a compris sa chance. Il s’avance, et pénètre dans une contrée que certains présentent comme enchantée. Il n’a pas l’air d’être sûr, car pour commencer, il saisit la nuque de l’épousée entre ses crocs, et serre pour la maintenir au calme. Cela marche ? Oui, jusqu’à un certain point. Car quelques secondes plus tard, trente au plus, madame bondit en poussant un rugissement, rompant comme on se doute tout charme. Elle se retourne même vers l’impétrant, en lui montrant des dents qu’elle a fort pointues, on craint le pire quelques secondes.

Que se passe-t-il donc ? Elle a mal. À cause de lui. À cause de son pénis à lui. Pour vous dire toute la honteuse vérité, le lion a la verge hérissée de ce qu’il faut bien appeler des épines. Disons donc des protubérances dermiques effilées, ce qui ne change rien au tableau. On croit savoir que ces épines stimulent l’ovulation, et peut-être l’excitation. La lionne serait-elle un poil masochiste ? Le fait est qu’après s’être calmée – comptez quinze minutes -, elle recommence exactement le même menuet. Lordose, fesses surélevées, etc. Le lion y retourne, mettez-vous donc à sa place. Et comme l’étreinte est fort brève, ainsi que déjà signalé, elle peut se répéter souvent. En fait, très souvent. Jour et nuit, si vous voulez tout savoir. Chez les plus actifs de ce sport extrême, l’acte d’amour peut se renouveler entre 200 et 300 fois au cours de l’épisode d’œstrus de la femelle.

Cela fait rêver ? Peut-être. Mais c’est surtout une nécessité proprement vitale. Car – sigh -, à peine un œstrus sur cinq se conclut par une naissance. On peut le dire autrement : si vous prenez cinq lionnes en chaleur qui acceptent le sport sans chambre décrit plus haut, une seule donnera naissance à des lionceaux, en moyenne trois. Mais seulement un quart des nouveau-nés parviendra à l’âge adulte. Ce qui met le lion adulte autour de 3 000 copulations préalables.

Reste le grand tabou de l’homosexualité. La littérature scientifique oublie le plus souvent de raconter que les grands mâles à fourrure et crinière ne dédaignent pas mamours et caresses entre compagnons. Certaines estimations évoquent le pourcentage de 8 % des accouplements qui seraient consentis entre messieurs. Quant aux dames, on ne sait pas trop quoi penser. En captivité, l’amour physique entre prisonnières a bel et bien été constaté. Mais dans la nature, pas encore. Peut-être aura-t-on regardé ailleurs.

Le mouflon du Canada

Celui qui a les plus grosses (cornes)

C’est assez navrant, mais chez le mouflon du Canada, Ovis canadensis, celui qui a les plus grosses s’en sort nettement mieux que les autres. Le drôle, c’est que l’on parle en la circonstance des…cornes. L’aventure commence début septembre et dans un premier temps, court jusqu’à la mi-octobre environ. Il faut imaginer des prés d’altitude que la neige n’a pas encore fait disparaître. Il y a encore de l’herbe et même quelques fleurs, sans compter la testostérone, cette hormone qui déclenche tant de mouvements guerriers chez tant d’espèces différentes.

Les mâles forment alors entre eux, et seulement entre eux, des groupes à l’intérieur desquels ils vont concourir. Pour ne rien vous cacher de la triste réalité, il s’agit de déterminer une hiérarchie libidineuse. Les spécialistes ont repéré six manières de se montrer, de se comparer, six manières de savoir qui dominera les autres et profitera ensuite des joies de la copulation. Dans quelques cas, heureusement rares pour les animaux, la confrontation se change en combat. Un combat qui consiste en de terribles coups de bélier – c’est le mot juste – face à face. Il faut et il suffit pour en arriver là que deux mâles aient des cornes de dimension à peu près égale. Ou que deux bandes étrangères ne se croisent.

Quoi qu’il en soit, admirons le résultat. Les adversaires s’éloignent d’une dizaine de mètres, et se jettent – hardi, les petits – la tête la première contre celle de l’autre. Le choc est si violent que l’on peut, dans certaines circonstances, l’entendre à un kilomètre de distance ! Qui dit mieux ? La nature ayant horreur du vide dans la tête, le sommet du crâne des béliers dispose d’une double couche osseuse qui épargne le cerveau. Le cerveau peut-être, mais l’intelligence ? Ces affrontements très ritualisés peuvent s’étendre d’une heure à…plus de 24 ! Quant à savoir qui est le perdant, de nombreux observateurs scientifiques avouent y avoir perdu leur latin. À priori, le premier qui s’arrête a perdu. Mais qui est le premier ?

Quand ces charmants garçons ont fini leur période d’entraînement, ils retrouvent ces dames, comme par enchantement, et commencent – nous sommes vers le 10 novembre – à se renseigner sur l’état de chacune d’entre elles. Celle-ci serait-elle prête à accepter des avances ? Et celle-là ? L’excitation monte ainsi jusqu’à la première copulation, qui a lieu, en général, fin novembre. À ce stade, de deux choses l’une. Ou la phase précédente a fait de vous un dominé, un vulgaire subordonné, et il va falloir courir. Ou bien vous êtes considéré comme un bélier dominant, et il faudra aussi courir. Mais moins tout de même.

Prenons le dernier cas, celui d’un mâle ayant gagné le concours de cornes. Il va se livrer, autour d’une femelle en chaleur – l’œstrus dure en général 24 heures – à ce qu’on appelle une défense. Facile. Il empêche tous les autres mâles d’approcher, quitte à leur rentrer dans le crâne. De la sorte, il profite largement des heureuses dispositions de sa partenaire. Mais les autres, au fait ? Comme les dominés n’ont pas envie de faire tapisserie, ils ont inventé une technique bien à eux qu’on appelle simplement la poursuite.

Un ou plusieurs mâles viennent narguer le dominant, tout à son affaire. Et commencent même les hostilités. La femelle en chaleur, lorsqu’elle sent que sa défense n’est plus assurée, court se réfugier dans la partie la plus accidentée des pâturages, au milieu des rochers. Et c’est là, sans parade nuptiale, sans apprêt, sans grâce, que plusieurs mâles, dominés et jeunes, se jettent sur elle pour un échange précipité. C’est rusé comme tout, mais dangereux, car le vide, souvent, est si proche que des animaux meurent régulièrement en pleine épectase, c’est-à-dire pendant l’amour.

Résultat des courses – vous voyez un autre mot ? -, il vaut mieux être dominant. Dans un groupe qui compte une vingtaine de femelles gestantes, les deux ou trois dominants seraient responsables d’environ 60 % des naissances d’agneaux. Les « poursuiveurs » se partageraient le reste, soit 40 %. Encore un effort du côté des cornes, pour l’an prochain !

La mante religieuse

Cette croqueuse qui cache son jeu

Oh ! le pauvre petit gars. D’abord, c’est un minus, qui semble à l’œil deux fois plus petit que son ogresse. En vérité, il ne lui manque que deux centimètres pour atteindre la taille de la femelle, qui est de huit. Mais comme il est également moins dodu, il faut bien avouer que ce mâle ne fait pas le poids à l’heure fatidique de la reproduction.

Pourtant, il faut ce qu’il faut. Avant d’aborder sur le fond ce lourd dossier cannibale, faisons un saut chez Jean-Henri Fabre. Né en 1823, mort en 1915, ce génial observateur, auteur de Souvenirs entomologiques – il frôla au passage le Nobel de littérature -, nous livre un regard sans fard sur les amours de la mante religieuse. Il a placé à la maison, dans des élevages, des couples de mantes qu’il regarde sans jamais se lasser. Nous sommes fin août, et attention, la séance va bientôt commencer. « Le mâle, écrit Fabre, fluet amoureux, juge le moment propice. Il lance des œillades vers sa puissante compagne (…) Il se rapproche ; soudain il étale les ailes, qui frémissent d’un tremblement convulsif (…) Il s’élance, chétif, sur le dos de la corpulente ».

Il y est ? Il y est. L’accouplement peut durer cinq ou six heures, vous avez le temps d’aller faire vos courses. D’après Fabre, cela ne se gâte que le lendemain. Crouch ! La femelle vient de broyer la nuque du mâle, avant de déguster tout le reste, sauf les ailes. Et ce n’est qu’un début, car dit Fabre, la femelle « n’est jamais assouvie d’embrassements et de festins conjugaux ». Il lui offre un deuxième mâle, un troisième, un quatrième, un cinquième, un sixième, un septième enfin. À chaque fois, cette épouvantable croqueuse d’hommes accepte les ébats, puis dévore ses soupirants. Fabre : « Le résultat de mon enquête est scandaleux ».

Voilà. La messe est dite. D’autant que, dans le droit-fil de Fabre, certains petits malins ont élaboré une théorie qui semble parfaite. Voyez le tableau. Le centre nerveux de la reproduction se trouve chez le mâle dans un ganglion situé au bout de l’abdomen. Lucas Baliteau, un jeune entomologiste français, a observé dans un élevage, en 2002, un mâle décapité par sa belle qui continuait pourtant à copuler pendant…quatre heures.

Il s’agirait d’une simple stratégie de reproduction, car les mouvements sexuels du mâle deviendraient, sa tête une fois coupée, plus vigoureuse encore, libérant ainsi davantage de spermatozoïdes. Mieux, le mâle accepterait de se « sacrifier » pour assurer à sa cruelle compagne l’apport en protéines – sa tête – sans lequel la descendance ne serait pas aussi bien assurée.

Vous trouvez que cela se tient ? Eh bien oui, il faut l’admettre. Mais cette vision a pourtant quelque chance d’être fausse. D’autres observateurs pensent que Fabre et quantité d’autres après lui ont été victimes d’un vulgaire biais scientifique. Ils ne se seraient pas rendu compte qu’en observant les mantes essentiellement en captivité, ils ne regardaient plus tout à fait le même animal. Une étude sérieuse de 1987 démontre que les mantes chinoises – une autre espèce que notre religieuse – ne pratiquent pas le cannibalisme quand des conditions plus naturelles d’observation sont respectées.

Et une autre, qui date de 1992, montre que la copulation des religieuses dure environ cinq heures de rang en captivité, mais seulement deux en liberté. Preuve que la cage changerait bien des choses. En réalité, à chaque pas de l’observateur dans la nature, de nouvelles questions se posent. Cette même étude de 1992 indique que 31 % des mâles observés, en liberté, seraient dévorés, mais sans qu’on sache ce qui s’est passé avant. Il est bien possible que la femelle, déjà fécondée par un autre, ne voie alors dans le nigaud en vadrouille qu’une simple proie comme un autre.

Ce qui nous ramène, il est vrai, à cette vilaine interrogation existentielle : qui porte la culotte, et dans quel sens ?

Le gibbon était vraiment agile

Le gibbon agile n’a pas de queue, et il est défendu de rire. Cela ne l’empêche pas de vivre, comme on va se rendre compte. D’abord deux mots de présentation. Hylobates agilis est un singe plutôt petit de 40 à 60 centimètres, dont le poids se situe entre 5 et 6 kilos. Le mâle est un peu plus grand et lourd que la femelle, mais il faudrait un œil de lynx pour s’en rendre compte dans la nature. Car le gibbon vole.

De branche en branche, mais il vole vraiment, à la vitesse stupéfiante de 30 kilomètres à l’heure. À chaque bond, le gibbon peut franchir jusqu’à huit mètres ! Il faut dire que cette manière de se déplacer – la brachiation – est favorisée par des os du poignet très singuliers. Dernier point avant de passer aux réjouissances : le gibbon agile vit dans les forêts humides de Sumatra et de Bornéo. Où les tronçonneuses morcellent d’année en année un peu plus son territoire.

Quand le gibbon mâle a entre sept et huit ans, il est enfin mûr pour la grande aventure de l’amour. C’est du moins ce que pensent ses pauvres parents, qui le mettent à la porte du paradis familial. Il s’accroche à la branche autant qu’il peut, et puis il part à la recherche d’un nouveau pays bien à lui. Dès qu’il pense l’avoir trouvé, il se met à chanter la sérénade. Il est temps de signaler que le gibbon agile mâle est un chanteur de charme. Il vocalise, et tend l’oreille lorsqu’il entend d’autres gibbons chanter aussi. Car à la vérité, les gibbons, tous âges confondus, forment des chorales dans les arbres. Toutes les familles de gibbons chantent le matin, au lever du soleil.

Et on les entend de loin ! La femelle commence, suivie par ses filles éventuelles, le mâle prend la suite, épaulé par son ou ses fils s’il en a, et pour finir, tous forment un chœur. Le tout dure une quinzaine de minutes. Apparemment, ces chants sont très utiles pour marquer leur territoire d’une quarantaine d’hectares, où ils sont les rois de l’acrobatie aérienne.

Mais revenons au sort de notre jeune mâle solitaire. Avec un peu de chance, ayant chanté tant et plus, il entendra une voix féminine jeune et avenante. Est-ce une réponse ? Il faudra attendre encore avant d’en être sûr. Si tout se passe bien, la jeunette sort de son propre clan familial, et rejoint l’amoureux transi sous les hauts ramages. Et. Et. Et… Et l’on ne sait pas très bien, il faut le reconnaître. Car le gibbon ne pose pratiquement jamais le pied à terre, et ses parades nuptiales, à trente mètre de hauteur, camouflées par de grandes feuilles, manquent de témoins directs et fiables. Gageons cependant que l’agilité extrême du primate lui autorise des fantaisies dont nous préférons tout ignorer.

Ce qu’on peut dire avec certitude, c’est que le monsieur gibbon dépose une petite graine dans l’œuf de la maman, et qu’en bref et résumé, sept mois plus tard, une cigogne dépose un petit gibbon entre les bras de ses parents. De ses parents, oui. Car, redevenons sérieux, les gibbons sont des géniteurs parfaits.  Le couple ne donne naissance qu’à un seul petit, tous les deux ou trois ans. Et en dehors de la lactation proprement dite, les soins aux jeunes sont semble-t-il partagés à égalité. Le père comme la mère portent le nourrisson, chacun l’épouille, chacun joue avec lui.

Par quel doux miracle ? Pour reprendre l’expression de l’éthologue Anne Teyssèdre (1), « à chacun sa chacune ». Les gibbons étant dispersés, un mâle n’aurait de toute façon pas la moindre chance de défendre plus d’une femelle contre les ardeurs d’un concurrent. Alors, sagement, il se contente d’une seule, qu’il aime jusqu’à ce que l’un des deux ne meure. Au passage, il n’a de la sorte aucun doute sur la paternité des petits gibbons qu’il devra élever, ce qui stimule ses penchants paternels. On ne peut certes pas en dire autant des bonobos ! Le gibbon agile, qu’on se le dise et qu’on se le répète dans les chaumières, est résolument monogame. Cela rappelle des souvenirs ? Oui, celui des contes de fée de notre enfance. Un jour, le prince viendra. Et ce sera un gibbon. Agile, forcément agile.

(1) In Les stratégies sexuelles des animaux (Nathan)

L’éléphant de mer

Le pacha impose sa loi (et son os pénien)

A-t-on le droit de traiter un animal d’odieux personnage ? Heureusement, non. L’éléphant de mer, de toute façon, n’existe pas. Il y a deux espèces, séparées par l’histoire géologique. Au nord, Mirounga angustirostris, qui vit le long du Pacifique, entre l’Alaska et la Basse Californie. Au sud, Mirounga leonina. Pour favoriser la démonstration, concentrons l’attention sur ce dernier.

Le mâle est un étonnant gaillard qui peut atteindre 7 mètres de long pour un tour de poitrine de 3 à 4 mètres et un poids de 4 tonnes. Mais en moyenne, il se situe autour de deux tonnes – seulement ? -, pour une longueur de 4 mètres. Vous le reconnaîtrez sans peine, car il possède une sorte de corne de brume au-dessus des narines. Cette trompe, qu’on appelle en langage savant proboscis, se gonfle quand ce charmant garçon est énervé ou lorsqu’il veut impressionner son monde. L’organe devient alors une caisse de résonance, et en ce cas, courage fuyons.

La femelle paraît, dans ces conditions dantesques, une fluette gamine. Elle ne pèse en moyenne, cette malheureuse, que 500 kilos. Vous vous demandez donc comment ça se passe ? Terre Sauvage aussi. D’abord, sachez que, contrairement aux mâles de chez nous, l’éléphant de mer dispose d’un os pénien. Avouons d’emblée, en dehors de toute idéologie, que c’est bien pratique. Cet instrument est, bien entendu, utilisé pendant la copulation, et sa taille évolue logiquement en fonction de l’âge du capitaine. Chez un nourrisson, il atteint déjà la longueur notable de 10 centimètres. Avant d’atteindre 23 centimètres à quatre ans, 31 à cinq et 34 à huit ans.

Mais cela ne règle pas la question. Comment ? Si le poussah se met si peu que ce soit sur sa partenaire, il va de soi qu’il l’étouffe, ce qui limite les possibilités de reproduction de l’espèce. Et c’est pourquoi, dans son immense sagesse, dame Nature a ordonné à ce balourd de se placer à côté de la promise. Ce qu’on appelle l’amour côte à côte. Mais l’affaire est loin d’être terminée, ou plutôt, elle est loin d’avoir commencé.

Jugez plutôt. L’éléphant de mer vit l’essentiel de sa vie en mer, où il pêche en profondeur des calmars et des poissons. L’un d’entre eux a pu être suivi, grâce à une balise Argos, jusqu’à…1998 mètres de profondeur. Quand arrive la saison des amours, il se pose sur un bout d’île antarctique, et commence par faire régner la terreur chez les autres mâles, surtout les petits jeunes. Nous parlons là de ces pachas qui se permettent tout, en contradiction avec l’ensemble des législations féministes péniblement obtenues ailleurs. Le « pacha », donc, mord et blesse tout ce qu’il peut, jusqu’au moment où les autres lui reconnaissent son rôle. Nous sommes en septembre, et les femelles, notez bien, ne sont pas encore là. Mais dès leur arrivée, elles sont prises en main – façon de parler – par le pacha, qui s’octroie un véritable harem, dont le nombre varie en général de 20 à 40 femelles. Et attention au petit malin qui aurait des intentions, car la trompe et les dents ne sont pas seulement là pour créer l’ambiance.

À peine installées sur un coin de plage, les femelles donnent naissance à leur unique petit. Pardi ! Celui-là a été conçu l’année précédente, l’œuf restant dans un état de dormance pendant trois mois, avant de se développer dans l’utérus. L’allaitement du nouveau-né est à peine terminé que le mâle sort son os pénien pour commencer les étreintes de la nouvelle année.

Il faut imaginer le tableau ! Le seigneur et maître copule à tout va sous le regard dépité des autres mâles, qui n’ont droit, théoriquement du moins, qu’à tenir la chandelle. Alors qu’ils pourraient probablement enfanter dès l’âge de quatre ou cinq ans, il leur faut souvent patienter jusqu’à neuf ou dix ans. Sympa. Heureusement, le patron ne peut être au four et au moulin. Une équipe britannique menée par Anna Fabiani a pu montrer qu’un nombre non négligeable de petits éléphants de mer n’avaient pas pour père le titulaire du harem… Bien fait.

Le tétras centrocerque

Quand le monsieur est choisi par la dame

Séquence immersion. À perte de vue, la prairie. La grande prairie américaine, ou ce qu’il en reste. Un seul impératif pour que l’opération du Saint Esprit – appelons-la ainsi – se réalise : il faut la présence d’armoise argentée. Il s’agit d’un arbrisseau dont le feuillage est recouvert d’un duvet blanc argenté, presque soyeux. Mais on allait oublier la sauge. Il faut également de la sauge, qui servira à nourrir la bête. Les bêtes.

Présentons le coq (1), autrement appelé gélinotte des sauges, ou tétras centrocerque. Nous sommes au printemps, vers la mi-mars, et notre ami va montrer à ces dames celui qui est le plus beau. Le mot concours s’impose. Pour commencer, il choisit un lek, c’est-à-dire une arène d’herbe courte dont il va occuper quelques mètres carrés en défendant son nouveau territoire contre tout autre envahisseur mâle. Nous y sommes ? Nous y sommes. Le coq se met à se pavaner, tel le paon qu’il n’est pas.

Tout soudain, il avale en quelques secondes à peine jusqu’à quatre litres d’air, ce qui lui permet de gonfler une poche œsophagienne. Ce pourrait être une apothéose, ce n’est qu’un début. Il fait glisser cette poche d’air jusqu’à sa gorge, ce qui dévoile en même temps deux splendides taches  orange vif. Au même moment, l’oiseau déploie en éventail les plumes de sa queue, brunes et tachetées de blanc.

Suspense. Que va-t-il se passer ? Évoquons pour bien se faire comprendre une cornemuse. Le tétras comprime sa poche, dont il sort un son à la fois sec et suffisamment fort pour avertir tout le lek. Le mot assourdissant reste faible pour suggérer le tintamarre, car un lek peut contenir entre 20 et 200 mâles, qui ont tous grand besoin de se faire voir et entendre. Cette stupéfiante parade dure de l’aube jusqu’au milieu de la matinée. Quant aux gélinottes femelles, après avoir atterri aux abords du lek, elles viennent très simplement faire leur marché. On n’est plus très loin d’un spectacle de chippendales !

Précisément, chaque femelle revient deux ou trois jours de suite visiter le même lek. Elle hésite, la poulette (1), il faut la comprendre. Mais il arrive tout de même un moment où l’un des mâles lui semble mériter le détour. Elle s’approche par une « démarche sur le côté (2) » de l’heureux élu, s’immobilise en pliant les pattes, et c’est alors que paie enfin l’épuisante parade au son de la cornemuse. Le coq ne se le fait pas répéter et hop ! le voilà sur le dos de celle qui vient de le choisir. Au passage, signalons la robustesse de la poule, qui ne pèse qu’un kilo environ, soit deux fois moins que le plastronneur.

Sitôt l’acte consommé, la femelle se met à la recherche d’un bouquet d’armoise argenté – on y revient – sous lequel elle bâtit un nid abrité par des touffes d’herbe. Seule – le mâle se moque apparemment des suites de l’aventure commune -, elle pondra de sept à huit œufs, dont l’incubation dure entre 25 et 27 jours. Reste la question redoutable de la recherche en paternité. Car n’allez surtout pas croire que chaque mâle profite de la situation de la même manière. Du tout !Chez les tétras, il y a surtout beaucoup de perdants. 10 % des coqs ont droit à  80 copulations sur 100.  Autrement dit, 90 % de ces messieurs doivent se contenter de 20 % des opportunités, malgré les magnifiques efforts consentis. Disons-le tout net, ce n’est pas juste.

Quelle est l’explication ? Personne ne la connaît, et la controverse fait rage chez les (très) rares connaisseurs du dossier. Signalons tout de même deux hypothèses. La première : certains mâles mèneraient leur parade sans jamais donner de signes de fatigue. Et la prime irait alors au champion. La deuxième : il y aurait, sur les leks où se retrouvent les mâles des places bien plus favorables que d’autres, qui attireraient irrésistiblement l’œil enamouré des gélinottes femelles. Ce qui serait un coup très dur porté à la vanité masculine. Mais nous n’en sommes pas là.

(1) Chez les tétras, le mêle est aussi appelé coq et la femelle poule, Terre Sauvage ne se serait pas permis.
(2) In « Les stratégies sexuelles des animaux », par Anne Teyssèdre (Nathan)