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Neandertal, notre bel ami disparu

Je dois avouer un faible pour les hommes de Neandertal. Mes raisons sont sentimentales, je vous en préviens. Pourquoi ce nom, au fait ? Très simple : en 1856, on découvre dans le vallon de Neandertal, près de Düsseldorf, en Allemagne, un hominidé fossile. Effet garanti, car c’est une première, qui va lancer la paléontologie humaine. Aujourd’hui, au moins cent gisements situés en Europe ont livré des restes d’hommes de Neandertal. Ce qui fait qu’on le connaît – qu’on croit le connaître – très bien.

Je vous présente. Neandertal a habité l’Europe, le Proche-Orient, il n’est pas exclu qu’il ait fait visite à la Sibérie. En revanche, il n’a pas voulu de l’Afrique, de l’Asie du Sud et de l’Extrême-Orient. Il aurait vécu voici 120 000 ans environ, avant de disparaître il y a 32 000 ans.

Et ce qui est fascinant sans conteste, c’est qu’il n’est absolument pas notre ancêtre. De nombreuses analyses le montrent, dont celle d’un fragment d’ADN mitochondrial venant de l’humérus du type ramassé en 1856. Non, Neandertal était un autre que nous, qui ne préparait nullement l’arrivée sur terre d’Homo (soi-disant) sapiens. C’était un gars robuste, qui pouvait atteindre ses 100 kilos, avec une boîte crânienne énorme, un occiput étiré en chignon – joli, non ? -, et qui parfois, comme dans la région actuelle de Marillac (Charente), mangeait comme les loups. C’était aussi un sacré tailleur de pierres. Et peut-être le premier humain à avoir pensé enterrer ses morts. Peut-être.

Je me répète un peu, mais j’adore ça : Neandertal était un homme, mais qui n’était pas nous. Nous, c’est donc Homo sapiens. Un jour, qui a dû durer des siècles ou des millénaires, Cro-Magnon arrive en Europe, où se trouve déjà Neandertal. On a longtemps cru à la disparition brutale et rapide de ce pauvre garçon, dont Cro-Magnon n’aurait fait qu’une bouchée, mais on s’est trompé.

En fait, en réalité, il y a eu coexistence de deux espèces d’humains sur le territoire de l’Europe actuelle. Et elle a duré des milliers d’années. Je n’insiste pas sur ce tableau fabuleux entre tous, qui me fait frissonner malgré moi. Deux espèces d’hommes, qui se font face, qui partagent fatalement, qui rient ensemble et se font probablement l’amour (et la guerre).

Si je pense à eux ce 29 août 2008, c’est à cause d’une étude qui me fait grand plaisir. Publiée dans The Journal of Human Evolution ((ici, en français, ou ici et ici  en anglais) ), elle taille en pièces une ancienne théorie selon laquelle Neandertal était plus couillon que Cro-Magnon notre père à tous. Ce dernier, selon cette théorie, aurait été plus habile de ses mains, et aurait donc fabriqué des outils de meilleure qualité qui auraient fini par faire la différence. Mais les équipes qui ont signé l’article dont je vous parle ont reconstitué, à partir d’éclats, des outils fabriqués par nos deux espèces humaines distinctes. Sur le plan statistique, il n’y a pas de vraie différence. Neandertal était aussi bon. Mais peut-être un tout petit peu moins fou ?

Je sais, c’est absurde, ça ne tient pas debout, il n’y a aucune preuve et il n’y en aura jamais. Mais moi, dans mon coin, je pense à ce Neandertal d’antan, chassé à jamais des plaines luxuriantes et des fleuves géants qui parcouraient notre monde. Comme un ours. Comme un loup. Comme un tigre. Comme ces milliers d’espèces qui nous quittent une à une sans que nous puissions seulement pleurer sur leur sort. Et si Neandertal avait été un peu plus pacifique, un tout petit peu moins barbare ? S’il avait davantage ressemblé à un homme que celui a gagné la partie ?

Il serait alors notre avenir perdu. Ou à inventer, qui sait ?

L’affaire du kangourou géant

Oh, oh ! Et si c’était vrai ? Une étude sérieuse, toute récente, suggère que l’homme serait le vrai responsable de la disparition de la mégafaune de Tasmanie, cette grande île située au sud de l’Australie. Peuplée par des Aborigènes il y a 40 000 ans, l’île a été « découverte» par notre Occident en 1642 et occupée en permanence 150 ans plus tard. Ce fut longtemps un authentique paradis naturaliste, habité par de somptueux animaux comme le tigre de Tasmanie – un marsupial carnivore – de grands oiseaux endémiques, des kangourous géants. C’est justement l’un de ces derniers qui est au coeur du travail publié dans la revue américaine Proceedings of the National Academy of Sciences (Late-surviving megafauna in Tasmania, Australia, implicate human involvement in their extinction). Ses auteurs ont étudié le crâne d’un de ces kangourous, retrouvé au fond d’une grotte de l’île (ici).

Richard Roberts, qui est l’un des signataires de l’article scientifique, a déclaré tout de go : « Jusqu’à présent, on pensait que la mégafaune de Tasmanie s’était éteinte avant que l’Homme n’arrive sur l’île ». La thèse généralement retenue désignait le climat comme la cause première de l’extinction. Or le niveau des températures serait resté stable, et le crâne retrouvé daterait de plusieurs milliers d’années après l’arrivée de l’homme en Tasmanie. Je ne vous en dis pas davantage, car je n’ai pas lu l’étude.

Au-delà, la question me paraît être celle-ci : les civilisations anciennes, mieux, les peuples premiers ont-ils été plus respectueux de la vie que nous ? Chez nombre d’écologistes, la messe est dite. Les Indiens d’Amérique, par exemple, auraient toujours entretenu de belles relations équilibrées avec les écosystèmes et les espèces vivantes. Seule l’arrivée des Blancs et de leur armada aurait bouleversé la donne. On ne peut nier la démence de la conquête du continent nord-américain par nos ancêtres européens. En moins d’un siècle, l’immense forêt qui couvrait tout, de l’est du Canada à la vallée du Mississipi, était réduite en morceaux. La Grande Prairie, ce fabuleux monument qui séparait les deux océans, était changée, en à peine plus de temps, en une morne plaine de blé et de maïs intensif. Je ne crois pas qu’il existe dans l’histoire un autre exemple d’une telle furie contre la terre.

Mais les Indiens ? La cause est controversée, et je n’ai pas de réponse personnelle. J’aimerais croire, comme tant d’autres, que les Pawnees et les Navajos se comportaient mieux que nous. Bien des faits semblent prouver le contraire. Les brûlis massifs d’origine humaine, par exemple, ont clairement joué un rôle néfaste dans la disparition de certains gros animaux, tant en Amérique qu’en Australie. Et la chasse, dans certaines conditions, a pu également détruire des populations fragiles. Si, je dis bien si l’homme venu d’Asie par le détroit de Béring est le responsable d’extinctions, eh bien, quel drame ! Car, rappelons-le, le continent américain n’a été peuplé par nous que très tardivement. Il y a 13 000 ans pour beaucoup, bien que d’autres hypothèses évoquent une présence humaine en Amazonie il y a environ 60 000 ans. Peut-être manquaient-ils simplement de moyens matériels pour accomplir le grand crime ?

Je le répète, je ne tranche pas. Mais à la vérité, en mon for le plus profond, je crains de connaître un jour une vérité mieux établie. Je pressens que quelque chose ne tourne pas rond. Je vois bien – nul besoin d’être grand clerc – que l’aventure humaine a toujours eu sa large part d’une extrême violence contre tout ce qui n’était pas elle. Il n’est pas difficile de la voir comme une conquête militaire sans fin de territoires à soumettre, et d’êtres vivants à engloutir. Je dois avouer que, pour un 23 août, je ne gâte pas les lecteurs de ce blog.

Je l’avoue, mais j’ajoute aussitôt que cette horrifiante perspective ne me décourage pas. J’ai toujours cru, aujourd’hui plus que jamais, à l’esprit. À la puissance de l’esprit. À la force du refus. À l’énergie de la résistance. Or j’ai l’outrecuidance de penser que je suis un refusant, au plus profond de mon être. Et comme nous approchons du moment où, fatalement, la parole refusante sera toujours mieux entendue, sinon comprise, je garde de l’espoir. Contre l’évidence, cela se peut. Mais l’évidence est l’autre nom du renoncement. Et renoncer, non. Renoncer à vivre, à parler, à écrire, à aimer, non. Non. NON.

When I was eleven years old (complainte)

Lorsque j’étais un mioche, quand j’avais onze ans, un poste de télévision trônait chez moi, sur un meuble kitsch, qui nous regardait du matin au soir. Antédiluvien. Reptilien et tentateur. J’ai alors mangé tellement d’émissions que j’ai dépassé la dose tolérable, et que je me suis définitivement débranché. Mais tel n’est pas le sujet du jour.

Ce poste antique était doté d’entrailles intéressantes. On enlevait le capot fatigué, et l’on regardait briller les lampes et le tube cathodique. Mais parfois, l’image sautillait avant que de s’enfuir chez le voisin, et le drame pointait son mufle. Car déjà, la télé tenait la maison, et ce qui m’a servi de famille. Sans elle, l’angoisse n’était jamais bien loin. Il fallait donc appeler le réparateur.

Quel merveilleux homme ! Il arrivait avec une mallette plus grosse que celle du médecin, allumait le monstre malade, ouvrait bien sûr le capot, et là, je n’aurais cédé ma place à personne. Non, n’insistez pas : à personne. J’étais derrière le maître, lui-même posté à mains nues contre le dos de l’animal souffrant, et nous observions ensemble la bête.

Tout brillait pourtant, à première vue en tout cas. C’est-à-dire que je n’y comprenais rien. La petite lumière fragile cachée dans chaque lampe me semblait y être, partout. Heureusement, le réparateur connaissait la litanie des pannes, et avait tôt fait de débusquer l’absente, la défunte. Une seule lampe manquait à l’appel de la lumière, et le monde en était dépeuplé. L’homme ouvrait sa mallette, y piochait une lampe neuve, faisait l’échange en une grosse seconde, et la télé recommençait à cracher du Pierre Sabbagh (vous les petits jeunes qui ne connaissez pas ce dernier, inutile de tempêter, cela n’en vaut pas la peine, juré).

Aussi étrange que cela paraisse, ce souvenir des temps enfuis a un rapport de taille avec la crise écologique. Car il me permet de comprendre un peu mieux le moment stupéfiant que nous vivons. Quand j’étais un gosse, on réparait, amis de ce blog. Je passais des heures à traquer les bouteilles en verre vide dans les rues, de manière à les rapporter à la mère Noël – notre épicière – qui me donnait un franc pour chaque. Car ces bouteilles étaient consignées. Elles valaient. Et un type faisait la tournée de la ville pour charger dans son petit camion les montagnes de caisses remplies de bouteilles. Le verre n’était pas détruit, il servirait à de nouvelles beuveries.

On voit bien la marche du progrès. De nos jours, nous jetons rigoureusement tout, de plus en plus vite. De plus en plus radicalement. L’univers de l’industrie, je ne vous apprends rien, est celui de l’obsolescence organisée. Il faut tuer l’objet pour qu’il renaisse encore plus beau, plus jeune, plus fun. Essayez donc – je suppose que vous avez essayé – de sauver une machine à laver mal en point. Trois fois sur quatre, telle est en tout cas mon expérience, l’homme de l’art que vous aurez osé déranger aura un rictus. Non seulement vous paierez son déplacement en carrosse, et les menus frais afférents à l’équipage, mais vous devrez acheter un nouvel engin.

Je vais vous confier un secret affolant : cela pourrait se passer autrement. Oui, on pourrait aisément organiser la production d’objets d’une manière toute différente. Prenons l’exemple de la bagnole. Je pense que ce mode de transport, sous sa forme individuelle, est condamné. N’importe : pour l’heure, cette saloperie existe. Or rien n’empêche, techniquement, de concevoir une auto sous la forme de modules. De boîtes ultrasimplifiées contenant l’essentiel de la machine. Disons 15 pour le seul moteur. Chacune dotée d’une prise minuscule dans laquelle nous glisserions un vérificateur coûtant par exemple un euro.

Il nous renseignerait sur l’état du module et nous permettrait aisément de changer ce qui doit l’être, tout comme faisait le réparateur télé de mon enfance. Des magasins installés dans les quartiers permettraient de s’approvisionner à bas prix et de conserver une voiture disons cinquante ans. Ce ne serait certes pas la révolution, seulement une modification sérieuse du niveau de gaspillage voulu et même ordonné.

On pourrait faire de même avec la totalité des objets usuels, ce qui nous rendrait fatalement plus maîtres de nos vies, plus économes, plus malins, et sûrement pas plus malheureux. Sûrement pas. Les marchands n’auraient plus cette liberté infâme de rendre les ordinateurs obsolètes au bout de quelques mois d’usage, et les Chinois n’auraient plus l’obligation inouïe (ici, un petit film) de patauger dans nos déchets électroniques.

Ma petite question du jour, la voici : pourquoi le mouvement écologiste ne s’en prend-il pas aux objets eux-mêmes ? À cette manière qu’a l’industrie de les concevoir, de les emballer, de les détruire à peine mis sur le marché ? Pourquoi le mouvement des consommateurs est-il à ce point incapable de poser les bonnes questions ? Pourquoi cette acceptation sans condition de la publicité, reine-mère du mensonge social ? Pourquoi le téléphone portable est-il devenu en quinze ans ce si rutilant objet du désir commun ?  Pourquoi sommes-nous à ce point inertes ?

Peut-être aurez-vous une réponse à l’une au moins de ces questions ? Dans ce cas, n’hésitez pas à éclairer ma toute modeste lanterne. Et si, comme je le crains, vous n’en savez pas beaucoup plus que moi, eh bien, allons derechef nous allonger dans le hamac. C’est encore l’été, il me semble.

Le Prince Charles, le général Ludd et moi

Vous savez quoi ? Si nous étions moins français dans notre manière de voir le réel, je crois pouvoir dire que nous nous porterions mieux. Si nous cessions de voir le monde au travers des lunettes déformantes d’une histoire nationale que nous jugeons admirable et parfois même incomparable, eh bien, nous en saurions davantage sur l’état réel de la planète.

Ainsi des OGM. Nous sommes si fiers des Faucheurs volontaires ! À juste titre, d’un certain côté, puisque tant d’autres se couchent instantanément devant l’ordre marchand. Mais nous oublions au passage à quel point le déferlement de la manipulation génétique est planétaire, tragiquement planétaire. Dernier exemple à ma connaissance : le Vietnam résistant aux B52 – du temps de mon adolescence – est aujourd’hui parti pour en remontrer à la Chine sur la « croissance ». Ce pays martyr expérimente les pires folies du temps.

Pour simplement nourrir son bétail, le Vietnam importe 2,4 millions de tonnes de soja par an, ce qui en fait le champion de toute l’Asie. Ô mânes de Dien-Bien-Phu, de la plaine des Jarres et de la piste Ho Chi Minh ! Les bureaucrates du parti au pouvoir, imitateurs grotesques de cet Occident qui leur a fait découvrir les joies de la dioxine, veulent atteindre 70 % de cultures OGM dans la production nationale du soja d’ici à 2020. Les vendeurs d’OGM leur ont dit que c’était bien, et nos excellents amis en place l’ ont cru. Il faut dire que de gros chèques libellés en dollars, et destinés à des comptes numérotés offshore, favorisent le cours des affaires mondiales.

Le Vietnam. Et le prince Charles. Si je peux me permettre, il n’est pas tout à fait ma tasse de thé favorite. Or, j’aime le thé. Mais le prince Charles, donc, très probable futur roi d’Angleterre. Il vient d’accorder un entretien remarquable à un quotidien de droite, très lu dans les milieux patronaux et à la campagne, ce qui en reste du moins. Dans the Daily Telegraph (ici, en anglais),  Charles – pardon pour cette coupable familiarité – pilonne comme rarement les OGM. Selon lui, les organismes génétiquement modifiés menacent la planète de la pire catastrophe écologique de son histoire.

C’est un point de vue, qu’on peut discuter à l’infini. Car en ce vaste domaine du malheur général, les alarmes sonnent partout en même temps. Il n’empêche que le grand coup de gueule du Prince fait chaud au coeur. Car il s’en prend aussi, surtout, à la formidable puissance accumulée par les transnationales de l’alimentation, et en appelle au sursaut par les petits paysans : « Dépendre de groupes gigantesques pour la production alimentaire plutôt que de petits fermiers ne peut déboucher que sur un désastre total ». J’adhère, je dois le reconnaître.

Et Charles ne s’arrête pas en si bon chemin, précisant pour les mal-entendants : « Si c’est ça [l’invasion par les OGM] l’avenir, ne comptez pas sur moi ! (…) Nous finirons avec des millions de petits paysans du monde entier chassés de leur terre en direction de villes tentaculaires, d’une horreur indicible, dégradées, ingérables, insoutenables et non fonctionnelles ». Lancé à vive allure, il attaque y compris ces scientifiques imbéciles – ce mot est de moi, pas de lui – qui croient dompter l’avenir et jusqu’aux effets de la crise climatique avec les OGM. Selon lui, la science a conduit à une surexploitation de la nature, qui détruit les équilibres les plus essentiels.

Vous pensez bien qu’une telle charge ne pouvait laisser indifférents les nombreux amis du progrès génétique sans rivage. Même en plein mois d’août. Une mention spéciale pour le parlementaire travailliste Des Turner, qui appartient à l’importante commission Science et technologie du parlement britannique. Dénonçant le supposé obscurantisme de Charles, il a précisé sa haute pensée en déclarant : « It’s an entirely Luddite attitude to simply reject them (GM crops) out of hand ». Ce qui signifie : « Simplement rejeter d’emblée les OGM relève d’une attitude complètement luddite ».

Voilà le gros mot lâché : luddite. En 1780, en Angleterre, un certain John – ou Ned ? – Ludd aurait détruit deux métiers à tisser. A-t-il seulement existé ? En 1811, en tout cas, des ecowarriors du temps passé ont exhumé son nom et envoyé des lettres à certains patrons du textile, signées le plus souvent General Ludd. Des lettres de menace, soyons franc. Des lettres menaçant de sabotage les usines et surtout les nouveaux métiers à tisser qui jetaient dans la misère noire les anciens artisans.

Et du sabotage, il y en eut ! Jusqu’en 1817, les luddites détruisirent à qui mieux mieux ces nouvelles technologies qui avaient – déjà – tout oublié des devoirs humains élémentaires. On pense qu’à un moment de cette grande révolte, l’Angleterre capitaliste naissante a mobilisé davantage de troupes contre les luddites que contre notre grand tyran Napoléon.

Bon, et puis après ? Ils ont perdu, comme nous savons, mais ils se sont bien battus. Depuis cette date, quand on veut disqualifier les ennemis de ce monde, de cette science, de ces technologies, on les accuse de plus en plus souvent de luddisme, du moins en terre anglosaxonne. En France, dans notre petite France provinciale qui déteste le vent du large, on se contente de dire, sur tous les tons possibles : « Alors les écolos, vous voulez revenir à la bougie et à l’âge des cavernes ? ». Après quoi, rigolade pour (presque) tous.

Mes deux conclusions de ce 15 août 2008, les voici. Un, j’aime bien ce quasi-roi d’Angleterre. Je me demande si j’aurais un jour l’occasion de lui serrer la main, mais je n’en suis pas certain. Et deux, je suis absolument, résolument, définitivement un luddite. Vous vous en doutiez, non ?

PS : Au fait, nobles amis écologistes du Grenelle de l’environnement, et ces OGM ? J’espère vivement que vous saurez fêter dignement le premier anniversaire de l’événement qui vous a rendus célèbres et enthousiastes. Octobre sera bientôt là, les gars !

Sur la Chine (avec mes excuses)

Je reconnais d’emblée que j’abuse. Parler de la Chine comme je vais le faire, alors que le temps des vacances est censé occuper notre monde, c’est rude. Mais je suis rude.

Et donc, la Chine, changée en un aspirateur planétaire. Un agent de destruction géant qui fait le vide autour du vide qu’est devenu ce grand pays. Ne croyez pas qu’il existe quelque part une vision générale et raisonnablement complète de ce qu’est la Chine d’aujourd’hui. Nul ne sait, moi non plus, bien sûr. Mais surtout : nul ne sait. En 1980, j’ai lu un livre d’un auteur tchèque oublié, Milan Simecka, Le rétablissement de l’ordre (éditions Maspero). Simecka y racontait ce que les staliniens, après août 1968, avaient fait de l’un des pays les plus civilisés de la vieille Europe. Et il notait que si le régime en place « avait besoin tout à coup d’une idée force, ou d’une analyse impartiale d’un problème social important, il n’aurait personne à qui le demander ».

Ainsi va la vie dans les contrées de tradition stalinienne. Le mensonge règne et empile ses chiffres par milliers et millions jusqu’au sommet. D’étage en étage, les bureaucrates truquent. Aussi bien, ceux de là-bas ne disposent ni ne peuvent disposer d’un état réel de l’eau, des forêts, de la faune, de la flore, de l’air du territoire qu’ils occupent depuis 1949.

On va y fêter les Jeux Olympiques, comme on commence à le savoir. La seule certitude, je dis bien certitude, c’est que la Chine est au bord du grand krach écologique, et que pour gagner du temps, il lui faut détruire alentour, jusque très loin de ses frontières terrestres. Le principe de cette affaire est simple : grâce aux centaines de milliards de dollars accumulés dans ses banques, grâce à ses excellents techniciens et ouvriers, grâce à ses diplomates hors pair, grâce aussi à une corruption organisée dans le moindre détail, la Chine achète tout ce qui peut servir, chez elle, à bâtir des villes, des routes, des usines, des bagnoles.

Je crois, je suis même sûr que bien peu de gens réalisent si peu que ce soit l’ampleur du chaos que répand la Chine en Asie, en Afrique et même en Amérique tropicale. Prenons un exemple décrit dans le journal britannique The Daily Telegraph par son correspondant basé au Kenya, Mike Pflanz (ici, en anglais).C’est un formidable article, vraiment. Pflanz rapporte comment Pékin a fait son trou en République démocratique du Congo (RDC), cet ancien Zaïre pour lequel la France de Giscard, il y a trois siècles, en fait trente ans, était prête à tout. Régnait alors sur place un petit salopard comme l’Afrique aime. Notre salopard, Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu wa Za Banga.

Que fichent les Chinois dans ce pays infiniment martyrisé, où l’interminable guerre civile en cours a fait des millions de morts ? Mais des affaires, voyons, comme nous avons si mal su faire pendant le temps long où les Blancs dominaient les Noirs. Pékin a signé avec les hommes de Kinshasa un contrat qu’il n’est pas exagéré de dire diabolique. En échange de minerais, notamment du cuivre et du cobalt, des ouvriers chinois devraient reconstruire 3 300 km de routes, 8 000 km de voies de chemin de fer, édifier des barrages, bâtir 32 hôpitaux, 145 dispensaires, etc.

Je retiens l’exemple d’une route en travaux dans le sud de la RDC, qui avance à la vitesse hallucinante de 800 mètres par jour. Elle rejoindra à terme l’autoroute de 1 600 km qui mènera alors à Kisangani, sur le fleuve Congo. Sur le fleuve et au coeur même de la plus belle forêt tropicale d’Afrique. Vous imaginez les conséquences, j’imagine.

Ce big deal n’est que la partie émergée d’un iceberg que nous ne verrons jamais en totalité. Le ministre d’E?tat a? l’Agriculture de la RDC  a signé l’été passé un e?norme contrat avec une socie?te? chinoise, ZTE International. Il s’agit de produire de l’huile de palme sur 3 millions d’hectares dans les provinces de l’E?quateur et de Bandundu. L’essentiel sera destiné bien entendu à la production de biocarburants. Trois millions d’hectares d’un coup !

Le bois fait partie du Grand Jeu, bien sûr. Car l’Asie ne suffit plus aux besoins chinois. Et pourtant ! Le Kampuchea, le Cambodge donc, est aux mains de l’économie de pillage. Sa forêt, sa sublime forêt en particulier. Je vous renvoie à un article d’une clarté parfaite, écrit par l’ancien correspondant du Monde à Pékin, Francis Deron (ici). La route la plus moderne du royaume cambodgien sert en bonne part à acheminer du bois volé au peuple et à ses descendants. Au total, 1 000 km qui lient le Cambodge au Laos, puis au Yunnan chinois. En juin 2007, l’ONG Global Witness a raconté comment le Premier ministre cambodgien, Hun Sen, celui-là même qui vient d’être triomphalement réélu par la manipulation, profitait du trafic du bois tropical.

La Chine dévore la forêt du Cambodge, qui aurait perdu 30 % de sa surface entre 2000 et 2005. Qui oserait écrire ce que signifie un tel événement ? Qui ? Je m’en sens incapable. Las palabras entonces no sirven, son palabras. Même en Guyane française, a priori si lointaine, les Chinois sont là, chéquier en mains. Mais lisez plutôt (ici) cet entretien avec le chercheur Pierre-Michel Forget. Et notamment cet extrait : « Cependant, je suis en particulier préoccupé par une nouvelle menace pour les forêts tropicales du bouclier de la Guyane : La Chine. Récemment j’ai rencontré un groupe de forestiers chinois qui ont été invités à visiter la Guyane pour évaluer son potentiel en bois tropical, et maintenant la Guyane et la Chine semblent intensifier la coopération économique. La Chine a l’argent comptant et a besoin de bois tropical. La Guyane a en bois tropical a besoin d’argent comptant. Il semble probablement que la Guyane deviendra une source importante de bois pour le développement de la Chine mais il semble peu probable que la Chine s’inquiétera beaucoup de la durabilité du bois de construction moissonnant à moins que le gouvernement de la Guyane l’exige ».

Au Guyana tout proche, c’est pire, car cela dure depuis des lustres déjà. Si le coeur ne vous lâche pas en route, et si vous lisez l’anglais, allez donc parcourir ce rapport implacable, qui met en cause aussi, soyons honnête, la Malaisie et Singapour (ici). Bon, de toute façon, retenez que des milliers, des dizaines de milliers de Chinois, tourneboulés par la propagande commerciale de notre Occident, sont désormais des missi dominici qui parcourent le monde chargés d’or pour mieux le ruiner.

La Chine est pour longtemps, le noeud principal des contradictions (presque) insolubles de notre univers. Elle tente d’imiter le modèle qui, en deux siècles, nous a plongés dans la pire crise de l’histoire de l’homme. Elle n’y arrivera pas, évidemment. Mais quand les yeux s’ouvriront enfin, où en serons-nous ? La responsabilité des sociétés du Nord, comme la nôtre, sont immenses, car nous continuons de vouloir le beurre et son argent. Nous voulons le téléphone portable, nous voulons exporter le nucléaire à Pékin, et les turbines, et nos belles bagnoles. Mais nous voudrions que la Chine, que nous encourageons de toutes nos forces à « se développer », le fasse gentiment, en nettoyant avec soin la fosse d’aisance sur laquelle elle est assise.

Raté, raté, raté. Au moment où vont débuter les JO de la honte, pensez à cela. À cela, dont on parlera si peu. À cela, qui décidera évidemment de la suite et du reste. La Chine est la grande plaie ouverte du réel.

PS : Je ne reprendrai régulièrement ce blog que vers le 20 août, lorsque mes côtes cassées en juillet auront affiché leur réconciliation définitive. Pour ceux que cela intéresse, mon ami David Rosane est bien venu me visiter. L’endroit qui est le mien au bas de la carte de France est « la capitale mondiale du bruant zizi et de l’alouette lulu ». La citation est de David, cela va de soi.