Archives mensuelles : avril 2008

Claude le preux (un hommage)

J’ai rencontré hier, mercredi 2 avril 2008, Claude Got. Et j’ai aussitôt pensé qu’il était un preux. Je ne détesterais pas faire ici un petit cours d’histoire, car cela en vaut la peine. Mais non, rassurez-vous. Vous pouvez comme moi chercher du côté de Jacques de Longuyon et de ses Neuf Preux de 1312. Un mot encore, ou plutôt deux. Le premier est étymologique : preux nous vient du latin prodesse, qui veut dire être utile. Le deuxième est (peut-être) littéraire. Je crois, mais je ne suis pas sûr – qu’on me corrige, éventuellement -, pouvoir attribuer à Fénelon cette phrase qui s’applique à la perfection à ce que je souhaite vous raconter : « Moi, répondit notre preux chevalier, je ne reculerais pas, quand toute la gent chienne viendrait m’attaquer ».

Claude Got. Un homme né en 1936. Professeur de médecine. Chef du service des accidentés de la route de l’hôpital de Garches entre 1970 et 1985. Conseiller dans le cabinet de Simone Veil en 1978. Conseiller dans le cabinet de Jacques Barrot en 1980. Conseiller officieux de Claude Évin en 1988. Combattant sans trêve ni relâche de certains des lobbies les plus mortifères qui soient. Et diablement sympathique.

J’ai parlé avec lui du passé. De l’époque où il partait en canoé avec son frère, sur la rivière. Où il repérait, sur une carte au 1/80 000, les sites géologiques qu’il parcourrait ensuite avec son marteau de minéralogiste amateur. De la forêt, des champs, de la nature qui fut longtemps son seul vrai compagnon. Nous avons ensuite devisé sur l’écologie, car Claude Got est de ceux qui votèrent Dumont en 1974 – 1,3 % de mémoire – et ne le regrettent pas. Dès 1977, il avait placé près de sa maison des panneaux solaires, qui durèrent jusqu’à la grande tempête de 1999. Avec son épouse, il a mené des raids impressionnants à travers toute l’Europe, en vélo. En moyenne 120 ou 150 kilomètres par jour. Jusqu’aux cols, jusqu’aux Alpes, jusqu’au Nord, jusqu’au Sud. Évidemment, il ne ressemble pas à un homme de 71 ans.

Mais à côté de cela, l’infernale réalité. Got aura bataillé toute sa vie adulte pour la santé publique et contre les accidents imbéciles, souvent liés à l’alcool, à la vitesse, à la (toute-)puissance, qui ruinent tant de vies. Peu de gens auront vu d’aussi près l’horreur des gueules cassées et des corps désarticulés. L’hôpital de Garches, qui accueille les grands traumatisés de la route, est un lieu d’horreur où Got, je l’ai dit, passa une partie de sa vie.

Rien ne l’étonne plus, mais tout continue de l’indigner. Et cela, c’est miraculeux. 71 ans, la flamme, la clarté, l’émotion. Tout intact. Nous avions parlé lui et moi, il y a quelques semaines déjà, du journaliste Airy Routier. J’ai consacré ici un article à cet homme détestable, auteur entre autres d’un livre sur la conduite automobile sans permis. Got a passé des semaines à décortiquer ce monument du mensonge. Et des jours à tenter de convaincre les responsables du Nouvel Observateur – où Routier reste rédacteur-en-chef – de sauver l’honneur de cet hebdomadaire. Sans succès.

Si je rappelle ceci, c’est que Got ne laisse rien passer, et il a bien entendu raison. Je vous invite sans manières à visiter le site qu’il a ouvert, totalement voué à la sécurité routière. Vous y trouverez une analyse remarquable d’un deal honteux que notre gouvernement est en train d’accepter, au mépris évident de la lutte contre le dérèglement climatique et pour la sécurité de tous. Une directive européenne – une loi – est en préparation sur les émissions de gaz carbonique par les véhicules automobiles à l’horizon 2012. L’enjeu est important – n’exagérons rien – pour le climat, mais décisif pour les constructeurs. Les grosses berlines, souvent allemandes, émettent bien plus au kilomètre parcouru que les petites, bien entendu. Une réglementation européenne sérieuse aurait donc des effets foudroyants pour l’industrie. Et ça, pas question, on se doute.

Le commentaire de Got est un peu complexe, mais passionnant de bout en bout, car il établit la vérité sur le monde, celle que Monsieur Jean-Louis Borloo et madame Nathalie Kosciusko-Morizet ne nous diront jamais. Vous verrez, si vous allez au bout des textes, que nos deux ministres ont exprimé de sérieuses réserves. Je n’en disconviens pas. Mais où est la bataille publique, devant les citoyens que nous sommes ? Il est certain, certain, qu’il existe un lien d’airain entre la masse des véhicules et les émissions de gaz carbonique. En outre, la gravité des accidents impliquant des engins lourds est incomparablement, incomparablement augmentée.

Ce que pense Got, et qui me paraît évident, c’est que l’industrie automobile allemande – surtout elle – fait le siège de la Commission européenne depuis des années, et qu’elle semble sur le point de gagner. Dans l’état actuel du projet de directive, les grosses conneries du genre BMW ou Mercedes auraient un droit exorbitant au dépassement permanent de la limite de 130 grammes de CO2 par kilomètre parcouru. Leurs modèles n’auraient donc pas à payer les amendes prévues pour les engins dépassant une norme qui, je le dis au passage, ne réglerait rien, évidemment.

J’arrête là. Et je vous pose une question simple : avez-vous déjà lu quelque chose sur le sujet dans la presse française, inondée de pubs pour les grandes bagnoles criminelles ? Si oui, vous avez eu de la chance. Si non, vous êtes comme moi. À un moment de notre discussion, Got m’a parlé, en citant des noms, de ces journalistes spécialisés, qui ne circulent jamais qu’au volant de voitures prêtées, ad aeternam, par les constructeurs. Ne rêvons pas : il y en a dans presque chaque rédaction. Et l’on voudrait qu’ils disent du mal d’un tel système ?

Une ultime parole, pour Claude Got. Tant qu’il y aura des hommes comme lui, aussi rares qu’ils puissent être, je croirai dans l’homme. Et dans la vie. Inutile donc de chercher autre chose : merci.

Les autoroutes du Mékong

Sont-ils beaux ? Je vous présente ces gentils messieurs, presque aussi avenants que nos Sarkozy à nous. De gauche à droite, les Premiers ministres vietnamien (Nguyen Tan Dung), thaïlandais (Samak Sundaravej), birman (Thein Sein), laotien (Bouasone Bouphavanh), chinois (Wen Jiabao) et cambodgien (Hun Sen). La scène se passe à Vientiane (Laos), le 31 mars 2008.

S’ils sont à ce point heureux, c’est que ces imbéciles et criminels – les deux se marient fort bien – viennent de signer un accord « historique », forcément « historique ». Et surtout hystérique. Très bientôt, demain serait parfait à leurs yeux, un maillage d’autoroutes devrait réunir les régions les plus « retardées » de leurs pays respectifs.

Ces « corridors économiques » comme les appellent leurs promoteurs sont censés irriguer, comme chez nous, des régions oubliées par la dévastation écologique. Permettez-moi de citer l’un des nôtres – si, ne protestez pas -, qui s’appelle John Cooney, responsable « infrastructures Asie du Sud-Est » pour la Banque asiatique de développement (BAD). C’est cette banque maudite – oui, maudite soit-elle ! – qui financera. Et voici la citation rapportée par l’AFP : « Notre but est de transformer des infrastructures économiques de base, les routes et les réseaux d’électricité, en corridors économiques qui deviendront le nerf d’un groupement économique ».

C’est tout le bassin du Mékong, l’une des hauts lieux de la biodiversité de la planète, qui va être ravagé, sans retour en arrière possible. Dans les forêts humides entre Laos et Vietnam – ce n’est qu’un exemple -, on découvre encore aujourd’hui des mammifères inconnus de la taille d’un petit cerf. Est-ce possible ? C’est. Bienvenue aux marées de camions pleins de pacotille made in China.

Les écologistes, dont je suis je crois, protestent contre un projet qui augmentera les trafics de toute sorte, du bois tropical au braconnage, en passant par la traite d’humains. Mais qui s’intéresse à de telles choses ? Le Figaro-Économie, TF1, le Nouvel Obs ?

Le grand réseau autoroutier du bassin du Mékong me touche pour un grand nombre de raisons. Et parmi elles, le souvenir des guerres atroces qui ont ensanglanté l’ancienne Indochine française entre 1946 et 1975. Les peuples martyrs du Vietnam, du Laos et du Cambodge, après avoir supporté le napalm, la dioxine, les B52, les massacres directs au fusil d’assaut – et le stalinisme -, vont enfin découvrir le progrès à notre manière. Je vous assure que je pense à eux. À cette poussière de peuples dispersés dans ces pays sublimes. Aux animaux, aux arbres, à ces merveilles menacées par notre coutumière folie.

Désolé, je tâcherai d’être plus gai une prochaine fois. J’avais même mis de côté une rencontre avec le professeur Claude Got, formidable personnage. Mais bon, une autre fois.