Archives mensuelles : février 2009

Ce qu’ils veulent faire du sorgho

Les – nombreux – ridicules et précieux se battent toujours pour connaître l’étymologie vraie du mot sorgho. Je dois vous avouer que je m’en fous. J’aime pourtant les mots, il m’arrive de me passionner pour leur origine, mais en ce cas d’espèce, franchement, je m’en fous.

Le sorgho est une plante alimentaire merveilleuse, voilà ce qui m’importe en ce début d’année 2009. Qu’on l’appelle gros mil, millet indien, blé égyptien, le sorgho est la cinquième céréale la plus cultivée au monde. Après le maïs, le riz, le blé, l’orge. Elle nourrit ou contribue à nourrir des centaines de millions de pauvres, notamment en Asie et en Afrique. Elle permet même, quand la vie est décidément trop dure, de faire de la bière ou de l’alcool. Ce n’est pas bien de se saouler, mais ça soulage, comme l’on sait.

Et j’en aurais bien besoin ce soir, croyez-moi. Je lis en effet de désastreuses informations. La première concerne Arvalis, qui est un institut au service de l’agriculture industrielle. Si le cœur vous en dit, allez donc lire leur sérénade consacrée au sorgho (ici). Extrait : « Si, dans le passé, les aides accordées aux oléo-protéagineux rendaient la culture de tournesol plus rentable que celle de sorgho, la nouvelle PAC devrait modifier la donne, et notamment dans les zones dans lesquelles les rendements en tournesol sont limités (…) Nous nous réjouissons à ce titre que le ministère de l’ agriculture ait placé le sorgho dans la même famille de culture que le maïs  – et non dans celle du blé dur comme cela avait été envisagé initialement – dans le cadre des BCAE III qui concernent la diversité des assolements ».

Ce qu’il faut retenir est simple : les braves gens qui ont changé l’agriculture en un vaste désert gorgé de pesticides viennent de trouver une nouvelle manne : le sorgho. Soyez certains que cela ne s’arrêtera pas en si mauvais chemin. Deuxième nouvelle qui en dit un peu plus encore sur l’état d’immoralité – faudra-t-il bientôt parler d’amoralité ? – de tant de chercheurs. Une palanquée de « savants » vient de publier une étude sur le séquençage du sorgho (ici, mais en anglais).

L’un de ces foutriquets, une femme appelée Anna Palmisano, directrice associée au département de l’Énergie américain, a notamment déclaré à l’agence Reuters : « Le sorgho est un excellent candidat pour la production de biocarburants, avec sa capacité à supporter la sécheresse et à prospérer sur des terres plus marginales (…)  Le génome entièrement séquencé sera un outil indispensable pour les chercheurs qui veulent développer des variétés de plantes permettant de maximiser ces bénéfices ».

Maximiser ces bénéfices. N’est-elle pas belle, cette vie où des biologistes moléculaires, grassement payés, étudient en labo le génome de ce qui nourrit des peuples entiers ? N’est-il pas beau, ce monde où leurs nobles études, financées pour partie au moins par l’industrie, concluent qu’on peut changer en carburant automobile ce qui devrait remplir l’estomac des humains ?

L’association Oxfam vient de publier en langue française un rapport intitulé : « Un milliard de personnes ont faim » (ici). Je pense, avec Prévert, à « ceux qui soufflent vides les bouteilles que d’autres boiront pleines ». À tous ceux qui « ont le pain quotidien relativement hebdomadaire ». Je n’aime pas, je n’aime plus la violence. Mais parfois, oui, je l’avoue, elle me manque.

La fausse lettre de Jefferson

On est dimanche, et je ne dispose que de peu de temps pour partager avec vous quelques mots. Un bon ami m’envoie – à d’autres aussi – des « informations » aussi rapides que la marche numérique des zéros et des uns. Il y a une demi-heure, ouvrant mon ordinateur, je reçois ceci :

Thomas Jefferson 1802, pre?sident des Etats-Unis d’Ame?rique de 1801 a? 1809

“I believe that banking institutions are more dangerous to our libertiesthan standing armies. If the American people ever allow private banks to control the issue of their currency, first by inflation, then by deflation, the banks and corporations that will grow up around the banks will deprive the people of all property until their children wake-up homeless on the continent their fathers conquered ”.

La traduction :  “Je pense que les institutions bancaires sont plus dangereuses pour
nos liberte?s que des arme?es entie?res pre?tes au combat. Si le peuple ame?ricain permet un jour que des banques prive?es contro?lent leur monnaie, ces banques et toutes les institutions qui fleuriront autour des banques priveront les gens de toute possession,d’abord par l’inflation, ensuite par la re?cession, jusqu’au jour ou? leurs  enfants se re?veilleront, sans maison et sans toit, sur la terre que leurs parents ont conquis”.

Eh bien, je dois dire que je me suis montré sceptique. Trop beau pour être vrai. Trop bien adapté à la situation présente. Trop, quoi. Et pourtant, des milliers d’occurrences, sur Google, font circuler en boucle, et en français, les mots du « visionnaire ». Surtout des occurrences « de gauche », comme on peut s’en douter. Mais pas seulement. Des zozos se réclamant du libéralisme s’y sont mis, eux aussi.

Je peux me tromper, mais j’ai la forte impression que ces mots attribués à Jefferson sont apocryphes. Des faux, plus certainement encore. Tantôt ils les aurait écrits en 1802, tantôt en 1815, dans une lettre à Monroe que je viens de lire en totalité – et en anglais s’il vous plaît – sans rien retrouver de cette citation. Des recherches hâtives dans des archives officielles américaines renforcent ce qui est une quasi-certitude.

Alors ? Alors, pour ne point trop m’éloigner de mon sujet essentiel, je vous dirai que la recherche de la vérité – je n’ai peur de rien, hein ? – est le point de départ de tout projet humain digne de ce nom. La lutte pour la sauvegarde de la vie sur terre, désormais universelle, ne peut l’oublier fût-ce une fraction de seconde. Le faux n’est pas seulement l’ennemi du vrai et la marque de notre monde. Le faux est un acide. A killer.