Archives mensuelles : mai 2014

L’UICN défend-elle vraiment la nature ?

Vous ne connaissez pas nécessairement l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). C’est un énorme machin bureaucratisé, chargé, en théorie du moins, de défendre la biodiversité partout dans le monde, en promouvant notamment des inventaires et des Livres rouges des espèces menacées. Avant d’en venir aux nouvelles du jour – un article de Stéphane Foucart paru dans Le Monde daté d’aujourd’hui – , voici comment je présentais l’UICN dans mon livre Qui a tué l’écologie ? (LLL, 2011) :

UICN, la mère de tous les compromis

Après la guerre, la France accueille à Fontainebleau, en 1948, la conférence de fondation de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui demeure la principale autorité mondiale en ce domaine. Présentée à tort comme une gigantesque ONG, l’UICN est dès l’origine un conglomérat où se mêlent États, organisations officielles, associations. Où se mêlent et se mélangent donc des intérêts souvent opposés, mais où règne, comme par enchantement, le consensus. Autour de quoi ? L’UICN regroupe aujourd’hui 83 États, 114 agences gouvernementales, plus de 1 000 ONG et plus de 11 000 experts et scientifiques de plus de 160 pays.

On ne sache pas que cette bonne dame ait jamais rué dans les brancards même si certains de ses membres montraient déjà une belle lucidité sur les événements. Ouvrons ensemble le livre très remarquable que Roger Heim, alors âme de l’UICN et directeur du Muséum national d’histoire naturelle, consacre en 1952 à la question sous le titre limpide : Destruction et protection de la nature. Heim, qui fut pourtant l’un des plus nobles coeurs de son temps, y déploie à la fois une lucidité exemplaire et une naïveté confondante. Il voit bien que la nature subit d’effroyables coups de boutoir, mais il rêve, sans s’autoriser la moindre analyse, d’une sorte d’alliance miraculeuse entre elle, la science, l’économie et l’art, jugés audacieusement compatibles.

Au fait, encore Fontainebleau ? C’est bien là, en effet, qu’est fondée l’UICN. Et c’est là, dix ans plus tard, que l’absence de mouvement écologiste en France provoque une défaite totale, aussi totale que symbolique. Dès 1934, nos beaux ingénieurs des Ponts et Chaussées ont tracé le plan de ce qui deviendra l’autoroute A6. Au milieu des années 1950, ils piaffent d’impatience. Du béton, de la vitesse, des autos à perte de vue : le bonheur. Mais il y a un obstacle de trois fois rien : la forêt de Fontainebleau. Ses 25 000 hectares d’un seul tenant en font un joyau. Un trésor biologique. Une immense forêt de plaine, à peu près sans égale en France, qui sert de réservoir à des milliers d’espèces animales et végétales. Mais qui oserait entraver le progrès en marche forcée ?

Les ingénieurs proposent un parcours qui coupe le massif et sépare Fontainebleau proprement dit de la forêt des Trois-Pignons. Une zone unique et silencieuse, qui abrite par exemple le splendide chaos gréseux de Villiers-sous-Grez, sera sacrifiée. De chaque côté, sur un kilomètre, on n’entendra plus que le flot des bagnoles. Va-t-on voir apparaître une révolte ? L’époque ne s’y prête
pas, il faut l’avouer. Qui s’intéresse, dix ans après la guerre atroce qui a failli tout détruire, à la nature ? Il demeure intéressant de voir ce que disent et font les protecteurs officiels des milieux naturels. Pour l’essentiel, et avec ce qu’il faut, soixante ans plus tard du moins, appeler de la niaiserie, ils saisissent les autorités « légitimes ». Les Académies des sciences, de la médecine, de l’agriculture. Le Muséum, la Sorbonne. Les vieilles barbes sont de retour, qui deviennent la risée des journaux et des promoteurs. Ne sont-ils pas de ridicules « amoureux des papillons » ? Allons ! La France aura donc l’autoroute, et pour le même prix une autre saignée : le raccordement de la nationale 7 à l’A6.

End of story, comme on dit maintenant dans les feuilletons américains. En cette fin des années 1950, le mouvement de protection de la nature, incapable de penser le monde où il habite, incapable de seulement concevoir ce qu’est un rapport de forces, mise tout sur les relations avec les puissants. Déjà, si l’on me permet cette pique. Ce qui est manifeste à distance, c’est son retard sur le mouvement souterrain, mais bien réel, de la société française. Alors que bouillonne déjà, dans les années suivantes, la critique concrète des objets et de la consommation, de l’aliénation, de la vitesse, de la bagnole, le mouvement officiel continue de pontifier et de fréquenter les salons du pouvoir.

Il se montre incapable de comprendre et encore moins d’anticiper quoi que ce soit. Disons-le sans détour : c’est un mouvement de vieux. Il l’est d’ailleurs resté.

Fin de l’extrait

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En cliquant dans le lien intitulé UICN et Syngenta, vous pourrez lire ci-dessous un article signé Stéphane Foucart. Et vous verrez donc la distance parcourue en 65 ans par cette structure selon moi faillie. L’UICN  des bureaux et des « spécialistes » fait l’inventaire des meubles quand la maison entière est dévorée par les flammes. Éteindre le feu, poursuivre les pyromanes ? Ce n’est pas au programme de la bureaucratie « conservationniste ».

Le 1er  juillet 2009, la directrice générale de l’UICN, madame Julia Marton Lefèvre, fait un joli discours en forme d’hommage à l’invité du jour. Nous sommes à Gland (Suisse), au siège mondial de l’UICN, et l’on fête ce jour-là les 80 ans d’un certain Maurice Strong, grand manipulateur s’il en est. Strong a été le patron de transnationales du pétrole, du nucléaire, du pire. Mais il a AUSSI été le premier directeur du Programme des nations unies pour l’environnement (PNUE), Secrétaire général adjoint de l’ONU, et à ce titre, personnage central des Sommets de la Terre de 1972 (Stockholm) et de Rio (1992) mais aussi de la Conférence sur le climat de 1997, à Kyoto. Incroyable ? En effet. Strong a même été un grand responsable de l’UICN. Qui dit mieux ?.

Madame Marton Lefèvre : « Bien entendu, 2009 est aussi le 80ème anniversaire de Maurice Strong, qui a marqué tant de vies, toutes les nôtres dans cette salle, mais aussi des milliers d’autres, avec ce mélange de vision et de clairvoyance face aux défis qui nous font face et auxquels nous devons trouver une solution ».

Nous sommes dans de beaux draps.

UICN et Syngenta.pdf

Ce parti qui n’a pas de nom

Qu’est-ce qu’un parti ? J’avoue ne pas bien savoir. Dans mon esprit, les partis expriment – en les immobilisant – des idées durement charroyées par le mouvement de la pensée. De ce point de vue-là, je ne peux que donner raison à ceux qui, comme le Premier ministre actuel, aimeraient que le parti socialiste au pouvoir change de nom. Car en effet, l’appellation date d’un temps où existait un mouvement ouvrier et un désir plus ou moins sincère d’émancipation sociale.

Pour vous faire rire un peu, voici l’article premier de la déclaration de principes de la Section française de l’internationale ouvrière (SFIO) dont le parti socialiste a pris la suite. Nous sommes en 1905, et l’article dit : « Le parti socialiste est un parti de classe qui a pour but de socialiser les moyens de production et d’échange, c’est-à-dire de transformer la société capitaliste en une société collectiviste ou communiste, et pour moyen l’organisation économique et politique du prolétariat. Par son but, par son idéal, par les moyens qu’il emploie, le parti socialiste, tout en poursuivant la réalisation des réformes immédiates revendiquées par la classe ouvrière, n’est pas un parti de réforme, mais un parti de lutte de classe et de révolution. »

Bon, c’est terminé depuis très longtemps. Depuis bien avant la guerre. Depuis bien avant juin 1936. Pour être encore plus près de la réalité, cela n’a jamais été vrai. Et ne parlons pas de ce parti communiste, engagé officiellement dans le combat pour l’égalité universelle, mais qui soutint jusqu’à la dernière goutte de sang la dictature stalinienne sur les pauvres, les ouvriers, les paysans, les peuples. Ne parlons pas de l’incroyable crapulerie d’hommes comme Jacques Duclos ou Maurice Thorez, ni des pâles copies que furent les Marchais, Lajoinie, Hue, Buffet et aujourd’hui Pierre Laurent. Quoi qu’on pense, on aura du mal à affirmer que ces partis-là incarnent un quelconque avenir. Ils sont morts depuis longtemps, mais une règle sociale imperturbable veut qu’un organisme politique peut bouger bien après son trépas.

Et le parti dit écologiste ? Idem, bien sûr. Les conditions de sa naissance en disent long sur les limites indépassables de son être. Ce mouvement est une queue de comète des événements de mai 68. À mes yeux, du reste, pas de la manière la plus intéressante qui soit. Les Verts, puisqu’il faut les appeler par leur nom, ont hérité quelques-uns des pires travers de leur époque. Notamment cet individualisme hédoniste, si tragiquement petit-bourgeois, qui les fait encore se mouvoir aujourd’hui – la dépénalisation du cannabis, pour m’en tenir à ce point comique – quand ils ne bougent jamais un orteil contre les nécrocarburants ou les barrages financés par l’argent public français.

Je ne veux pas même insister. Les « écologistes » français sont ridicules pour tellement de raisons que je n’en retiens ici que deux. Un, ils ont accroché leur modeste char à celui des deux partis de gauche cités plus haut. C’est infiniment logique, mais grotesque compte tenu des enjeux de l’époque. C’est logique, car ils expriment ainsi leur proximité avec ces partis, dont ils ne sont jamais qu’un produit de décomposition.  Deux, leur bureaucratisation pathétique a donné naissance à une caste sans foi ni loi autre qu’électoraliste, dont Dominique Voynet, Cécile Duflot ou Jean-Vincent Placé sont les meilleurs représentants. Notez avec moi comme il est crédible de voter des textes annonçant l’Apocalypse sur Terre avant d’aller s’arsouiller à la buvette du Sénat ou de l’Assemblée nationale.

On aura compris que je ne mise pas un centime d’euro sur eux. Pour éviter un malentendu supplémentaire, je me fais un devoir de préciser que j’ai des amis chez Europe Écologie Les Verts, à commencer par mon si cher Jean-Paul Besset, député européen pour encore quelques semaines. J’ai de l’estime pour nombre d’adhérents et même de responsables que je ne cite pas pour ne pas les mettre dans l’embarras. Mais le parti lui-même ne mènera jamais nulle part, car sa nature le lui interdit. La première des priorités, c’est de sortir du cadre.

La vraie priorité, c’est d’interroger l’histoire, et de se mettre d’accord sur les grandes lignes d’une critique sans fard de la révolution industrielle. Je veux dire : la forme historique qu’a prise l’explosion des sociétés humaines depuis 250 ans. Un tel mouvement de l’esprit conduirait fatalement à une fondation, cette fois sur une base solide, de mouvements politiques adaptés à des temps radicalement neufs. Tout le reste n’est qu’insignifiance et perte de temps. Et dans ces conditions, je vois mal comment nous pourrons garder l’adjectif écologiste, tellement dévalué par ceux qui le portent en sautoir. Le mot est en lui-même très beau, et me conviendrait donc. Mais à ce compte-là, je reprendrais aussi, et volontiers, le sublime communiste s’il n’était à ce point taché d’un sang indélébile.

Où veux-je en venir ? Mon parti n’a pas de nom. Il n’a pas encore de nom. Mais il en trouvera un, car c’est une nécessité. Et nous en serons fiers.