Archives mensuelles : novembre 2014

Sur la fin sans fin d’Obama

Vous connaissez sûrement le résultat désastreux – pour Obama – des élections de mi-mandat présidentiel aux États-Unis. L’ensemble du Congrès est désormais dominé par les Républicains, ces excellentes personnes qui ont créé le chaos en Irak, lequel s’est depuis propagé. Vous m’excuserez ou pas, mais je vous mets ci-dessous quelques textes de Planète sans visa publiés en 2008, au moment où tous s’extasiaient de la victoire d’Obama. Moi, je ne souhaite qu’une chose : qu’on se batte en temps réel. Jadis contre les fascismes et le stalinisme-maoïsme. Et aujourd’hui contre toutes ces illusions qui nous font perdre un temps de plus en plus précieux.

Bien sûr, aujourd’hui, plus personne ne se souvient des espoirs fous conçus au sujet de gens comme Staline et Castro, sur un autre plan Mitterrand ou Obama. Mais dites-moi, à quoi sert de se réveiller après la bataille ?

 

Obama et cette si vieille histoire d’un si vieux continent

Je vous glisse ces trois mots avant un long article sur l’Italie. Obama. Cette étrange unanimité à laquelle je participe malgré que j’en aie. Un Noir, au pouvoir dans le pays de l’esclavage. Chez nous, tous sont évidemment d’accord, de Sarkozy à Hollande, en passant par Bayrou et tant d’autres. Il paraît que l’élection ravit jusqu’au Front national, mais je n’ai pas le cœur à vérifier.

Tout le monde sur un petit nuage, donc. Pourquoi faut-il que je pense, moi, à l’atterrissage de Neville Chamberlain  sur l’aéroport de Londres, en septembre 1938 ? Il vient alors de signer les accords de Munich, qui ont donné l’indépendance de la Tchécoslovaquie à Hitler. Une foule entoure le petit avion du Premier ministre britannique, qui redoute d’être lynché. Il est acclamé, tout au contraire, par une foule en délire. La Paix ! La Paix est sauvée ! Le 21 novembre suivant, un certain Winston Churchill déclare dans l’indifférence générale : « Le partage de la Tchécoslovaquie, sous la pression de l’Angleterre et de la France, équivaut à une capitulation totale des démocraties occidentales devant la menace des nazis (…) Un tel écroulement n’apportera ni la paix ni la sécurité (…) Au contraire, il place ces deux nations dans une situation encore plus faible et plus dangereuse. Le simple fait que la Tchécoslovaquie soit neutralisée entraîne la libération de 25 divisions allemandes qui pèseront sur le front occidental (…). Croire qu’on peut obtenir la sécurité en jetant un petit État en pâture aux loups est une illusion fatale ».

Oui, pourquoi faut-il que je pense à cela, quand tout le monde applaudit le triomphe du héros ?

Sur Obama (en réponse aux adorateurs)

Je savais ce que je faisais en écrivant deux articles à rebrousse-poil sur l’élection triomphale de Barack Obama à la tête des États-Unis. Je n’aurai pas l’hypocrisie d’écrire autre chose. Et comme de juste, des lecteurs réguliers de ce blog m’ont fait part, directement ou non, de leur désaccord. Mieux ou pire, de leur énervement à mon encontre.

Ma foi, ils ont bien le droit. Ce territoire virtuel se veut de liberté, même s’il a comme tout autre ses limites. Mais enfin, je ne recule pas d’un millimètre. Car nous voilà plongés dans le malentendu, une fois encore. C’est une question de fond, une fois encore. Je vais tâcher d’être simple. Nous vivons dans un paradigme – au sens de cadre général de la pensée, admis par tous sans vraie discussion – issu de l’histoire politique que nous avons faite ensemble.

Pour aller au plus vite : le 18ème siècle, les Lumières, la Raison alliée à la Science, le Progrès, la Gauche et la Droite. Bon, il n’y a pas de quoi rougir ou s’évanouir de bonheur. C’est ainsi. Ce paradigme du progrès a structuré la pensée et les attentes pendant deux siècles, et donné les résultats – contrastés – que l’on sait. L’univers atroce du stalinisme à main gauche. Le monde fou de la marchandise à main droite.

Bien. L’écologie commande une révolution morale et intellectuelle complète. Radicale et complète. Parce qu’elle nous montre pour la première fois en deux millions d’années d’existence de l’homme les limites certaines de son action. Elle est un butoir que nous ne franchirons pas, ni vous ni moi. Tout ce processus est d’arrachement. De douleur vraie, car il faut renoncer. Car il faut bannir. Car il faut bâtir. Et c’est difficile.

Obama est sans nul doute un brave garçon. Et un Noir comme lui, après huit ans d’infâme crétinerie, c’est bien entendu un bain de Jouvence. Mais merde, MERDE et MERDE ! ressaisissez-vous ! Obama ressortit corps et âme au paradigme du progrès. Et il mènera dans ce cadre, fatalement, bagarre pour le rétablissement des intérêts américains dans le monde. Lesquels passent par la défense de l’industrie et de la consommation de masse.

Libre à vous de fantasmer. Quand les yeux se seront ouverts, quand ils seront dessillés, il va de soi que ceux qui exultent ce jour diront, pour la plupart, qu’ils n’ont jamais cru dans cet homme. Croyez-le ou pas, cela ne me rend pas amer une seconde. Je sais assez bien, ce me semble, comment marche le monde réel. Mais je suis un homme, moi aussi. Et je dis à ceux qui me reprochent de gâcher leur fête électorale : lâchez-moi. Oui, laissez-moi en paix. Admettez le dissensus. Admettez le refus. Admettez la solitude (relative). Voilà. Admettez.

Un mot de plus sur Obama

Je me permets de me copier moi-même, et glisse ci-dessous quelques phrases publiées en ajout au commentaire de Mathieu Hangue sur l’article précédent.

Pour Mathieu Hangue,

Je trouve le rapprochement avec Mitterrand très éclairant. Une génération a donné les clés du pouvoir – et de l’espoir – à un homme qui a réhabilité la Bourse et la spéculation dans cette partie de l’opinion qui était pourtant rétive aux charmes du capitalisme. Et une génération, c’est long. Le temps presse, à moins qu’on ne m’ait dit que des menteries, mais j’en serais un peu surpris.

Sans rire, Obama n’a même pas à renoncer à la moindre idée, comme le fit si cavalièrement Mitterrand. Il accepte, il défend, il promeut un système sur quoi tout l’édifice planétaire repose. Je crois qu’il n’y a pas grand chose à ajouter. À part qu’il est sympathique. Mais Mitterrand était de gauche.

Les biocarburants sont au pouvoir (le sacre d’Obama)

 Vite, vite, je suis désolé de devoir foncer. Le MAG Cultures est un magazine envoyé chaque mois à 110 000 grandes exploitations céréalières françaises (144 ha en moyenne). Une ode perpétuelle à l’agriculture intensive. On ne saurait mieux faire dans ce domaine. Or je viens de lire un article fort intéressant que je propose en priorité aux adorateurs de Barack Obama (ici).Certains d’entre vous savent déjà comment je vois l’élection d’Obama à la présidence des États-Unis d’Amérique (ici). Mais ils ignorent probablement ce que révèle l’article de MAG Cultures, dont j’isole cet extrait lumineux :

« Pour le Farm Bill, pas d’illusions à se faire : il a été adopté sous pression démocrate, malgré le veto de Bush, et le sénateur Obama a voté pour. “Le nouveau président a une approche pragmatique plutôt que dogmatique de la libéralisation. Ce n’est pas forcément une bonne nouvelle pour nous. Sur l’agriculture, j’ai le sentiment qu’il veillera aux intérêts de ses farmers, comme il l’a fait en affirmant son soutien aux biocarburants qui sont un levier puissant pour assurer un revenu aux agriculteurs ”, explique Christian Liegeard. C’était l’un de ses principaux points de désaccord avec le candidat républicain. Obama s’engage à prendre la suite du plan Bush pour l’éthanol. Il ne changera rien, et ça change tout pour le marché mondial du maïs ».

Je n’ai pas même envie de faire le moindre commentaire. Le plan éthanol. Le maïs changé en carburant. La faim qui déferle et détruit des vies par centaines de millions. Pas de commentaire. Ainsi.

Aimez-vous (encore) Obama ?

Que ferait-on sans les amis ? David Rosane m’envoie un lien américain que j’invite les connaisseurs de l’anglais à visiter (ici). Ce n’est pas triste, et c’est encore moins gai que ce que j’imaginais (ici-même). Le nouveau président Barack Obama devrait incessamment nommer secrétaire à l’Agriculture – un poste ministériel d’une rare puissance – l’ancien gouverneur de l’Iowa Tom Vilsack. Si cela devait se confirmer dans les prochaines heures, ce serait une nouvelle exécrable pour le monde entier, et surtout pour ses innombrables gueux.

Vilsack, qui copine avec Monsanto, est tout ce que j’exècre. Il milite – mais réellement ! – pour la viande clonée, l’agriculture industrielle et ses élevages concentrationnaires du MidWest, les OGM, les biotechnologies en général, les biocarburants bien entendu. En septembre 2001, il a même reçu le prix honteux de la Biotechnology Industry Organization (BIO) pour sa vaillance à défendre les intérêts industriels dans ce qu’ils ont de plus extrémiste (ici).

Je vous le dis, et j’en suis désolé pour nous tous : mauvais présage, immense nuage.

PS : Ci-dessous, l’argumentaire du groupe Organic Consumers Association, c’est-à-dire l’Association des consommateurs bio. Même quelqu’un qui ne lit pas l’anglais peut comprendre au moins dans les grandes lignes, et c’est pourquoi je le mets en ligne sans traduire.

Il ne FAUT PAS choisir ce mec, pour au moins les six raisons que voici :

* Former Iowa Governor Tom Vilsack’s support of genetically engineered pharmaceutical crops, especially pharmaceutical corn : http://www.gene.ch/genet/2002/Oct/msg00057.html


http://www.organicconsumers.org/gefood/drugsincorn102302.cfm

* The biggest biotechnology industry group, the Biotechnology Industry Organization, named Vilsack Governor of the Year. He was also the founder and former chair of the Governor’s Biotechnology Partnership.

http://www.bio.org/news/pressreleases/newsitem.asp?id=200…



* When Vilsack created the Iowa Values Fund, his first poster child of economic development potential was Trans Ova and their pursuit of cloning dairy cows.

* Vilsack was the origin of the seed pre-emption bill in 2005, which many people here in Iowa fought because it took away local government’s possibility of ever having a regulation on seeds- where GE would be grown, having GE-free buffers, banning pharma corn locally, etc. Representative Sandy Greiner, the Republican sponsor of the bill, bragged on the House Floor that Vilsack put her up to it right after his state of the state address.

* Vilsack has a glowing reputation as being a schill for agribusiness biotech giants like Monsanto. Sustainable ag advocated across the country were spreading the word of Vilsack’s history as he was attempting to appeal to voters in his presidential bid. An activist from the west coast even made this youtube animation about Vilsack

http://www.youtube.com/watch?v=Hmoc4Qgcm4s

The airplane in this animation is a referral to the controversy that Vilsack often traveled in Monsanto’s jet.

*Vilsack is an ardent support of corn and soy based biofuels, which use as much or more fossil energy to produce them as they generate, while driving up world food prices and literally starving the poor.

Derrière Margerie, les morts du pétrole

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 29 octobre 2014

Eh ben non, on ne pleure pas. Total détruit les territoires et les peuples, s’attaque autant qu’il lui est possible aux équilibres climatiques, et aimerait qu’on l’aime, comme tous les salauds de la Terre. Pensée émue pour les Patagons d’Argentine, les Egi du Nigeria et les esclaves de Birmanie.

Louis XVI, lui aussi, était une excellente personne, ce qui ne l’a pas empêché d’avoir des soucis. Les infernales prosternations devant la dépouille de Margerie signifient au moins une chose : ce pays va très mal, qui conduit même les écolos estampillés à quelques trémolos de circonstance. La palme indiscutable à Jean-Vincent Placé, rendant hommage « à un grand capitaine d’industrie français très lucide sur la situation de la planète ». Il y a pourtant une vérité simple : on ne peut pas pleurer tout le monde, car la mort est partout, car il y a trop de candidats. Or Margerie dirigeait une entreprise criminelle, et si ce rappel embête nos petits chéris de l’Élysée et d’ailleurs, c’est tant pis pour leur gueule.

On ne peut ici qu’évoquer deux ou trois points, parmi des centaines d’autres. Ne revenons pas sur la Birmanie et le rapport frelaté de Kouchner – 2003 – contestant le soutien de Total à la junte militaire, explicitement dénoncé par le prix Nobel Aung San Suu Kyi, alors encabanée. Ne parlons pas des enquêtes précises pour corruption dans le cadre de l’exploitation pétrolière au Cameroun. En Libye, en Tanzanie, en Russie. Ni de celles menées sur fond de pétrole et de gaz offshore iranien. Ni du « Pétrole contre nourriture », qui permit d’arroser tant de mafieux et de salauds, quand l’Irak de Saddam Hussein était soumis à embargo. Ni du grand massacre de la Patagonie argentine – en cours – où Total envoie se faire foutre  Indiens mapuche et pumas. Ni du saccage biblique du territoire Egi, au Nigeria.

Qui l’ignore, franchement ? Le pétrole, c’est la guerre, rien d’autre. Et avant cela, l’entubage, les menaces, le chantage, l’extorsion, les équipes hautement spécialisées. Et après cela, quand il le faut, la mort pour ceux qui résistent encore. Si Total a pu acquérir la taille mondiale d’une supermajor pétrolière, c’est parce qu’elle a absorbé en 2000 Elf Aquitaine, et doublé du même coup son chiffre d’affaires. Elf, entreprise hautement barbouzarde, avait été créée en 1967 par un De Gaulle obsédé par la concurrence américaine, notamment en Afrique. Le projet se confondra avec la Françafrique, et comprendra d’innombrables coups fourrés, du Gabon de Bongo au Congo de Sassou Nguesso, passant par le Biafra martyr. Jusqu’à la fin, Elf enverra des armes aux Biafrais, pour la seule raison que le delta du Niger contient de prodigieuses réserves de pétrole.

Le reste, au fond anecdotique, s’appelle « Affaire Elf ». Sous la présidence Le Floch-Prigent – 1989-1993 – , les moteurs de la corruption s’emballent. On ne tape plus seulement dans la caisse pour acheter les satrapes, mais pour se payer putes et champagne, belles chaussures et grandioses maisons. C’est l’époque royale de Dédé la Sardine, Roland Dumas, Alfred Sirven, qui se termine sans qu’aucun des vrais dossiers n’ait été mis au jour.

Pourquoi ? Mais parce que chut. Les initiés – pas si rares que cela – savent parfaitement que Margerie était l’un des visiteurs du soir de Hollande et Valls, qui pleurent d’ailleurs à chaudes larmes leur si cher ami disparu. Au-delà, car il y a un au-delà, la puissance colossale de Total – autour de 200 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel – interdit toute action contre la crise climatique. Du point de vue de l’histoire humaine, le plus grand crime de Total est là. La plus grande entreprise française gagne ses milliards en déstabilisant le climat pour des milliers d’années.

Alors que la France prépare une nouvelle conférence mondiale sur le climat, en 2015, qui fait bander bureaucrates et charlatans politiques de tout poil, la mort de Margerie remet si besoin les pendules à l’heure. Tous les signaux sont au rouge vif. L’objectif de limiter à deux degrés l’augmentation moyenne des températures n’est plus défendu par personne, pour la raison simple que les émissions de gaz à effet de serre explosent. Notamment à cause de la place démesurée qu’ont tous les Margerie de la planète auprès de nos si grands dirigeants de poche. Non, décidément, Margerie n’était pas plus coupable que Louis XVI. Mais pas moins. Et donc, fuck.

Vous qui ne connaissez pas François de Rugy

Vous ne connaissez pas François de Rugy, et vous ne ratez rien. Il est coprésident du groupe Europe Écologie-Les Verts à l’Assemblée nationale. Il est donc écologiste, tout comme je suis moi-même un chien andalou mâtiné de panthère des neiges. Ce monsieur ambitionne d’être ministre, maire de Nantes – où il a été élu -, et plein d’autres choses dont il a le secret. En attendant mieux, il est l’idéale serpillière des socialistes au pouvoir, et cherche, à chaque occasion, ce qui pourrait leur faire plaisir. Il est vrai que son avenir prévisible dépend de l’état de santé de ses maîtres, ce qui réduit d’autant la taille de sa laisse.

Sa spécialité ? Dénoncer les violents.  À commencer par ceux de Notre-Dame-des-Landes, à qui il voue une haine de troisième zone – la sienne -, mais mortelle (ici). C’est un plaisant paradoxe, qui me fait penser à ce balourd de député des Pyrénées, Jean Lassalle, le copain comme cochon avec Bayrou. Sans l’ours tant détesté, Lassalle serait resté un obscur politicien de seconde catégorie. Grâce à lui, il est passé des années durant dans toutes les télés régionales, puis nationales. De même, ce pauvre De Rugy. Sans les zadistes de Notre-Dame-des-Landes, qui ont le courage qu’il n’aura jamais, il serait conseiller municipal de Nantes. Car lécher les fesses de Jean-Vincent Placé ne suffit pas, malgré la rumeur qu’entretiennent les amateurs, à vaincre tous les obstacles.

Rugy aurait pu nourrir quelque reconnaissance, mais ce serait bien mal connaître la bête. Ce qui compte, c’est lui. Et il va donc de tribune en émission cracher au visage de ceux qui acceptent de se battre physiquement en notre nom. Fait-il le préciser ? Sans les jeunes couillons de Sivens, qui ont accepté le face-à-face avec les grenades offensives, cette pauvre madame Royal n’en serait pas rendue à leur donner raison (ici).

Mais il n’y a pas là de quoi impressionner un Rugy, qu’on imagine sans peine traîner sa bedaine de député sénateur, d’ici vingt ans, à la buvette de l’Assemblée, échangeant quelque bon mot avec un quelconque Yves Jégo. Non, décidément, Rugy est un homme à principes et à poigne. Cela fait au moins cinq fois que je lis ses dénonciations – et sa détestation – de ceux de Sivens. La dernière (ici) est si misérable et si drôle qu’elle défie le commentaire. Ce type, eût-il été en poste aux bons moments, aurait envoyé à la guillotine des régiments de condamnés. Et fait fusiller au son des clairons les réfractaires et mutinés de la si terrible année 1917.

Qu’au moins ce grand garçon sache que certains le méprisent. Moi, sans le moindre doute.

Mickey, Pif le chien et les drones du nucléaire

Franchement, les cons. Les tristes cons. Les sinistres scientistes. Les pauvres cloches, pourtant censées nous garantir une énergie bon marché, pour l’éternité ou presque. Comme vous savez probablement, des drones survolent sans cesse, depuis quelques semaines, nos centrales nucléaires (ici)? Peut-être s’agit-il de Pif le chien et de ses amis. Ou de Mickey et Donald admirant le paysage. Seulement, nul ne sait.

Autrement dit, il pourrait s’agir de gros vilains. De djihadistes souhaitant anéantir la puissance de notre si grandiose pays. Ou de communistes sortis de la naphtaline, voulant abattre, avec soixante ans de retard, une citadelle impérialiste. Dans tous les cas de figure, l’épisode démontre une fois encore l’extrême irresponsabilité des hommes du nucléaire. Ils ont réussi, grâce à un coup de force oligarchique, à imposer leur terreur nucléaire et ses 58 réacteurs. Ils sont désespérément incapables de nous protéger des effets possibles de leur folie, autre nom du pouvoir concentré. Je les maudis.

Visite guidée au grand Salon du nucléaire

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 22 octobre 2014

Charlie ne pouvait pas louper le premier Salon mondial du nucléaire, au Bourget. Dans les travées, des bateleurs de foire, des Chinois, des lunettes 3-D, des Russes, des forces d’action rapide, des directeurs de com’, du champagne, des ingénieurs des Mines et une infinité de conneries.

Il pleut sur le matin. Pas assez pour se plaindre, ce qu’il faut pour admirer l’asphalte mouillé du grand, de l’immense, de l’interminable parking du parc des expositions du Bourget (Seine-Saint-Denis). Les portières claquent sur de grosses bagnoles sombres où dominent BMW, Mercedes, Peugeot. Tout un peuple de cadres encravatés, souvent costumés de noir, se met à trottiner. 90 % de mecs, mais aussi quelques nanas aux jambes fines, qui tirent des valoches à roulette. On parle en français, en anglais, en pétaouchnokais dans des téléphones portables qui chopent de temps en temps une gouttelette. Les flics sont omniprésents. Le vieux Giscard a fait une apparition la veille, Valls est annoncé tout à l’heure.

Les Russes, les Chinois et les Japonais

N’importe, et en avant ! En avant vers la porte monumentale 2S46, celle qui touche la 1W12. Un premier contrôle de sécurité, fait comme il se doit par des Blacks à oreillette et chemise blanche.  Un deuxième à l’entrée proprement dite, façon aéroport cette fois. Détecteur métallique, rayons X et petite frayeur autour d’un canif pour éplucher les pommes. Un panneau souhaite Bienvenue dans nombre de langues, dont un improbable Tervetuloa finnois. On y est enfin.

C’est le premier salon mondial dédié à l’industrie nucléaire. Le premier World Nuclear Exhibition (WNE), pour rester dans le ton, qui ne supporte pas la langue française. Ils sont – à peu près – tous là. Le Russe Rosatom, les Chinois et les Japonais, les Américains et les Allemands, les Argentins et les Anglais. Même les Roumains de l’Agentia Nucleara si pentru Deseuri Radioactive ont leur espace. Au total, près de 500 stands, pour l’essentiel bien de chez nous, il est vrai. Selon les chiffres des organisateurs, la seule filière française représenterait 2 500 entreprises. Avec un poids public écrasant – Areva, 45 000 salariés, plus de 90 % de capital public ; CEA, 15 000 salariés, 100 % ; EDF, 158 000 salariés, 85 %.

Un petit tour au Panel discussion s’impose. C’est là, au fond du salon, que se succèdent des sortes de blablas institutionnels arbitrés par des journalistes acquis à la cause. On y cause preparing the future, et Christophe Behar, grand ponte du CEA, se livre sans le savoir à une imitation parfaite du vieux Yasser Arafat lisant un texte en angliche. Un Black lui succède, William Magwood, de l’Agence du nucléaire auprès de l’OCDE. C’est moins marrant, quoique : « Il est important de reconnaître que l’avenir commence aujourd’hui ». Ou encore : « Il est impossible de penser à l’avenir sans penser à la sécurité ».

Plus tard, sur le stand du CEA, Xavier Clément – directeur de la com’ en personne – explique pourquoi « les Installations nucléaires de base sont conçues pour résister ». Chacune est dotée de personnels d’intervention formés localement à la sûreté, et le tout est validé par la loi, sous le contrôle sourcilleux des préfectures. On croit comprendre que l’accident grave ne passera pas. Chez le copain Areva – 60 % du capital appartient au CEA -, Alexandre Thébault chante à la gloire des groupes FINA, pour Force d’intervention nationale Areva.

La sûreté dans l’ADN

C’est du sérieux, car « il y a un règlement d’accident adapté à chaque situation ». Avec des radiologues, des agents de sûreté, des pompiers près à se jeter dans le premier feu nucléaire rencontré. Attention les yeux, amis sceptiques, « il existe deux exercices par an dits de “crise nationale”, mais encore beaucoup d’autres sur les sites locaux ». Fukushima a-t-il changé la donne ? Quand même pas, car « la sûreté fait partie de notre ADN », conclut Thébault, qui ajoute : « Allez donc voir EDF, ils vous parleront de leurs FARN ».

Les fameuses Forces d’action rapide du nucléaire, ou FARN, ont été lancées en fanfare par EDF après la cata japonaise de 2011. L’idée de Thébault est donc excellente. Vite, au vaste stand d’EDF, principal sponsor du salon, où circulent des volées d’hôtes et d’hôtesses endimanchés. Quinze minutes plus tard, un semblant de responsable arrive, qui ne saurait malheureusement parler d’un éventuel accident ou des FARN :  « Ah dommage! je ne m’occupe pas de ces questions. Il faudrait appeler Alison ou bien Carole, au 01 40 42 44… ».

Funeste impasse, mais on n’a pas le temps s’ennuyer, car on vient d’être happé par l’excellent bateleur Sébastien Farin, responsable de la com’ à l’Andra, en charge de la gestion des déchets nucléaires. Il est convaincu, foutument sympathique, et serait presque convaincant. L’enterrement de déchets sous l’argile de la Meuse – le si fameux projet Cigéo – n’est « pas un enfouissement, mais un stockage » à 500 mètres de profondeur. Certes, « on doit faire la démonstration de sûreté sur un million d’années », mais que sont les siècles pour un géologue ? Il « faut changer de référentiel » et admettre que, rapporté à l’âge de la Terre – 4, 6 milliards d’années -, ce million-là ne pèse pas davantage qu’une minute pour un humain normal. L’argile de Meuse étant stable depuis 140 millions d’années, où serait le danger ? « Ce serait mieux sans doute de garder en mémoire le site, mais je vais vous dire : ce site est conçu pour être oublié. On l’oubliera ».

Plus chiant tu meurs

Joie, soulagement, un souci de moins. Un autre Panel discussion a commencé, qu’on prend en route. Quel dommage ! Sylvain Granger, archiponte d’EDF, parle démantèlement des anciennes installations. On s’endort sur les épaules de Tignous, le dessinateur de ces pages, bercé par expressions « fonds de pension », « portefeuille d’actifs », « opérateurs nucléaires », « fardeau du démantèlement ». Plus chiant paraît difficile. On échoue en sortant au stand Jacomex, où l’on place la main gauche dans la boîte à gants qui permet de manipuler les pires poisons, avant de serrer celle de Tignous, qui a fait la même chose de son côté. Alentour, le champagne commence à sortir ses bulles sur les étals les plus riches. On se faufile, on se fait passer pour un exhibitor, un exposant un peu paumé, on boit sec.

Ça cause entre pros, entre grands professionnels qui évoquent le « vrai problème de l’amélioration de la qualité des bétons », ou la production de valves en Chine. La véritable puissance du nucléaire, par-delà les grandioses vitrines d’Areva et d’EDF, se situe dans les milliers de PME qui fabriquent le matos de base. À la vérité, la diversité des stands fait toucher du doigt ce que représente réellement le lobby nucléaire. Ici des robots, des armoires électriques, des combinaisons étanches, là des pas de vis géants, des cuves et robinets admirablement usinés, des filtres et bouchons, des joints toriques métalliques, des chariots, jusqu’à des turbines. Chez Oreka solutions, une boîte miniature créée par Luc Ardellier, un ancien d’Areva, le capital appartient au CEA, à Areva bien sûr, et à la Banque publique d’investissement (BPIFrance), fondée en 2012, par Ayrault, Royal et leurs petits amis socialistes. Pour l’essentiel, Oreka commercialise un programme informatique voué au démantèlement des vieilleries nucléaires.

Bien au-delà de ces minuscules entreprises, qui a jamais entendu parler de Daher, équipementier installé dans la Drôme, et qui emploie près de 8000 personnes dans le monde ? Vieux de 150 ans, Daher fabrique des vannes pour les nouveaux réacteurs EPR. Et commerce avec les Russes – technologie Vver – et les Américains de Westinghouse. Nul ne sait ou presque que la boîte se charge d’emballer et de transporter une partie des déchets nucléaires français. On a intérêt à avoir une grande confiance dans l’initiative privée, car, raconte un responsable de Daher, « on va chercher des déchets, on les caractérise, on les trie, et on propose par exemple à EDF une solution clés en mains ».

Le logiciel était un euphémisme

Pour le même prix, visite virtuelle d’une opération de conditionnement de déchets, avec des lunettes 3-D. On a l’air fin, surtout Tignous il est vrai. Le démonstrateur Daher actionne son boîtier magique et fait bouger un mannequin vidéo au-dessus des fosses où s’entassent les fûts. C’est sensationnel, et totalement flippant. Partout dans le salon, partout dans le nucléaire, l’heure est à la simulation, au virtuel, à la mise en scène sur écran glacé. Les logiciels sont indispensables à la mise à distance de l’horreur toujours possible, équivalents des formes euphémistiques dans les langues des régimes totalitaires.
La réalité reste toute proche. L’homme de Daher : « Dans cette cellule que vous voyez, les opérateurs ont réclamé des systèmes d’évacuation des fumées. Parce qu’on découpait des déchets à la scie ou avec des torches à plasma. Et pour qu’ils ne soient plus incommodés, on a installé deux systèmes de ventilation ». De la fumée. De la fumée de déchets radioactifs, dans la France heureuse de 2014. L’image remet d’aplomb.

Et les étrangers ? Chez Rosatom le Russe, on attend en vain le grand responsable, qui a pourtant promis de venir. Chez les Japonais de Mitsubishi, associés à Areva pour la construction de quatre réacteurs en Turquie, euphorie. Fuskushima ? C’est du passé, même si l’opérateur TEPCO, grand responsable du désastre de 2011, a sagement préféré rester à la maison. Les Chinois de la China Power Investment Corporation et du China Huaneng Group, très gros producteurs d’électricité, sont unanimes. Un cadre s’exprimant dans un sabir à base d’anglais instable livre une vérité répétée sur tous les tons : le gouvernement est conscient des risques et saura faire face à tous les problèmes de sécurité. Y fait déjà face, excellemment.

Pendant ce temps, au Panel discussion, une nouvelle session commence. Au micro, un certain Pierre-Marie Abadie, tout nouveau chef de l’Andra, qui décompte donc le temps en millions d’années. Abadie est l’un des vrais patrons – discrets – de l’approvisionnement énergétique en France. Ingénieur des Mines, il était directeur de l’Énergie au ministère de l’Écologie en 2010, quand étaient instruits les dossiers d’exploitation des gaz de schiste, qui ont mis le feu à la plaine. Et rien d’étonnant, car c’est lui qui a tout préparé et tout signé, laissant à Borloo, le ministre d’alors, le soin de parapher pour la forme. Comme tout cela est éclairant. Comme tout cela est rassurant. Non ?

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Du côté des anti (encadré)
Le mouvement antinucléaire français reste faible, malgré quelques réussites, comme la chaîne humaine entre Lyon et Avignon – 60 000 participants – réunie au printemps 2012. La tenue du salon WNE aurait dû lever les foules, mais elles sont restées sagement devant leurs écrans plasma. Le 11 octobre, Attac, Les Amis de la Terre et le Réseau sortir du nucléaire (www.sortirdunucleaire.org) ont organisé à Paris une très maigre manifestation de 500 personnes contre « le Salon qui tue », rappelant l’urgence d’une « sortie du nucléaire et d’une véritable transition énergétique ». Sans grande illusion, mais pour maintenir tout de même la flamme, Sortir du nucléaire affirme : « Non contente d’avoir déjà contaminé de nombreuses régions du globe, l’industrie nucléaire française [tente à l’occasion du salon WNE] d’exporter son modèle industriel mortifère ».

Les frères ennemis de L’Observatoire du nucléaire, menés par Stéphane Lhomme (http://observ.nucleaire.free.fr) préfèrent voir dans l’événement « les derniers soubresauts d’une industrie finissante ». Et Lhomme d’asséner : « La vérité est que la production nucléaire a bel et bien baissé entre 2001 (2653 Twh) et 2012 (2461 Twh) ». Selon lui, « pendant que la production nucléaire déclinait, la production électrique issue des autres énergies a effectivement progressé, en particulier celle des énergies renouvelables, ce qui démontre que le nucléaire n’est absolument pas attractif pour les énergéticiens ».

Adios à Proglio (encadré)
Henri Proglio a fait son dernier discours de patron d’EDF au Salon du nucléaire, le 14 octobre. Le pote à Chirac, le pote à Sarkozy, le (presque) pote à Hollande, vient d’être remplacé par celui qui dirigeait le groupe Thalès, Jean-Bernard Lévy.

Il est bien trop tôt pour tirer des conclusions de cette surprise – Proglio, promu par Sarkozy à EDF, a longtemps pensé qu’il sauverait sa tête -, mais il n’est pas interdit de signaler trois bricoles. Le lobby nucléaire conserve une mainmise complète sur le gouvernement Valls. Hollande avait promis de ramener de 75 % à 50 % la part du nucléaire électrique en France à l’horizon 2025. Sur le papier, la loi de transition énergétique, qui vient d’être votée, confirme l’engagement présidentiel.

Mais en vérité, le lobby nucléaire a encore une fois gagné la partie, avec le soutien tout de même surprenant de Placé et de la direction d’Europe Écologie Les Verts. Car la loi maintient pour l’avenir le niveau actuel de puissance nucléaire. En théorie, le passage à 50 % pourrait conduire à l’arrêt de vingt réacteurs sur les 58 en activité, mais le scénario qui se dessine est tout autre.

En jonglant avec la production de chacun des réacteurs, les patrons du nucléaire espèrent bien sauvegarder la totalité du parc, « amélioré » par les centrales de nouvelle génération EPR. Et voilà que Ségolène Royal laisse même planer le doute sur la fermeture de Fessenheim en 2017.  Tout change, mais rien ne bouge.