Le nucléaire pour les nuls et les truands (Ce que coûte l’EPR)

Publié dans Charlie-Hebdo le 12 décembre 2012

Les grands siphonnés de l’atome sont en train de ruiner notre beau pays. Le chantier de l’EPR est passé de 3, 3 milliards d’euros à 8,5 milliards, et ce n’est pas fini. EDF est à poil, mais sur fonds publics.

Les Italiens sont furieusement soulagés. Questi stronzi di francesi l’hanno nel culo (1). En langage de journaliste, cela donne : « Le divorce », ou encore « Grâce à un parachute providentiel, Enel s’enfuit dans l’honneur du naufrage nucléaire européen » (dans le quotidien Il sole 24 ore). Et tout à l’avenant. Enel, le grand énergéticien italien, a retiré ses billes du foutoir français connu sous le nom d’EPR, et gagné au passage 613 millions d’euros imprudemment investis. EDF est seul comme jamais, et les nucléocrates sont dans un merdier sans précédent connu.

L’histoire avait pourtant magnifiquement commencé. Nous sommes le 30 novembre 2007, et David Martinon – celui qui a foiré lamentablement l’élection de Neuilly – est encore le porte-parole de Sarkozy. Martinon exulte, car son maître de l’Élysée et Romano Prodi, président du Conseil rital, ont décidé de venir s’embrasser sur la bouche à Nice, devant les caméras. Martinon : « Ce sommet devrait permettre des avancées décisives dans le domaine de l’énergie ». Et en effet, David. Enel devient le partenaire stratégique d’EDF dans la construction du prototype EPR, centrale nucléaire dite de troisième génération. Et entre à hauteur de 12,5 % dans le capital de cette magnifique aventure.

Qu’est-ce donc que l’EPR (en français, Réacteur pressurisé européen) ? Le seul avenir concevable – pour les atomistes associés – du nucléaire made in France. Quand le plan est enfin décidé en 2004, le parc des centrales françaises est vieux, et devra fatalement être renouvelé. Les ingénieux ingénieurs sortent alors de leurs cartons un nouveau machin appelé à remplacer tous les vieux débris dispersés depuis les années 70. Et l’opération promet d’être très rentable, car le monde ébahi ne tardera pas à se jeter sur le petit nouveau. Le voir, c’est l’adopter, et l’acheter. Si la demande est suffisante, une partie de la note finale sera payée par ces cons de Chinetoques et ces branleurs d’Indiens mahométans. Ces gens sont pleins de ruse.

Encore faut-il voir. Et pour ça, on a vu. À Flamanville, dans le Cotentin, site finalement retenu pour la construction, les travaux commencent le 5 décembre 2007, après des mois de préparatifs. Sarkozy, essaie au même moment de fourguer une centrale à monsieur Kadhafi, depuis lors empêché. Il propose déjà de lancer un deuxième EPR en France, façon porte-avions. Mais y a comme un défaut dans le béton. Fin 2008, EDF parle d’un léger retard et d’un surcoût modeste, de l’ordre de 20 %. On passe de 3,3 milliards à 4.

La loi des séries : ces foutus Arabes d’Abou Dhabi, fin 2009, refusent de signer un contrat de 20 milliards d’euros pour la construction d’EPR dans leur émirat. Pas grave, il reste la France. Mais voilà qu’en mars 2011, Fukushima fout le blues au monde entier. Les Japs semblent sur le point de flancher et de se détourner du nucléaire. Pas EDF, qui relève le gant. Il faut dire que le maître des travaux de Flamanville n’est autre que Bouygues, champion de la belle ouvrage.

Ballepeau. Entre 2010 et 2011, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) note dans au moins quatre rapports que le chantier de Flamanville cache des centaines de failles et de malfaçons. Les piliers de béton sont par exemple « percés comme du gruyère ». À l’été 2011, EDF reconnaît que la note sera finalement de 6 milliards d’euros pour une ouverture retardée de deux ans. C’est dans ce contexte guilleret qu’il faut apprécier l’annonce de ces derniers jours. Tout bien pesé, l’EPR de Flamanville coûtera 8,5 milliards d’euros, auxquels il faut ajouter les 613 millions d’Enel.

Est-ce tout ? Certains indices que la police jugerait concordants font penser que le prix de l’EPR sera encore augmenté d’ici 2016, date officielle de la livraison de la centrale. Le nucléaire à la sauce Areva-EDF sera-t-il un jour rentable ? Pas de panique, c’est une blague.

(1) Ces connards de Français l’ont dans le cul

Des nouvelles de la vieille politique (De Rugy et Mélenchon)

Bon, je n’écris rien ces jours-ci car je cours, vole sans venger grand monde pour le moment. J’ai divers trucs sur le feu, mais il me faut me poser une poignée d’heures, et c’est impossible pour l’instant. J’en profite pour donner, à ceux qui ont suivi, des nouvelles de mes échanges, ici même, avec François de Rugy, député EELV, et Corinne Morel Darleux, secrétaire nationale du Parti de Gauche de M.Mélenchon.

M. de Rugy m’a bien déçu. Après m’avoir proposé publiquement une rencontre pour parler, entre autres j’imagine, de Notre-Dame-des-Landes, le député écolo de Loire-Atlantique a oublié de répondre à mon acceptation. S’est-il déballonné ? Ce n’est pas tout à fait exclu. Mais en ce cas, pourquoi diable avoir proposé une rencontre ?

Autre sujet, au fond du même genre : Mélenchon. J’ai eu ici même, sous votre regard, un échange avec Corinne Morel Darleux,  en charge de l’écologie dans le Parti de Gauche, où elle est secrétaire nationale. Nous étions convenus de nous voir, et nous nous sommes vus ce lundi, dans un café parisien. On peut parler d’une conversation privée, et je ne peux donc pas en rendre compte ici. Tout de même, deux mots. Le plus important : je n’ai pas changé d’opinion sur Mélenchon et son Parti de Gauche. Cela n’interdit pas la courtoisie, et en l’occurrence le respect.

L’autre point est drolatique : mes nombreux articles sur Mélenchon ont convaincu Corinne Morel Darleux que j’avais un contentieux personnel avec le chef de son parti. Je redis donc qu’il n’en est absolument rien. Je ne connais ni ne veux d’ailleurs connaître cet homme politique. Dans le privé, c’est peut-être une excellente personne, mais cela, je ne le saurai jamais. En revanche, je puis juger en conscience un itinéraire politique désastreux, menant de la secte lambertiste connue sous son nom ancien d’OCI au parti socialiste – 31 ans de présence, y compris dans des fonctions ministérielles -, passant par des épisodes ignominieux, comme la prise de pouvoir, en 1990-1991, de l’association Frères des Hommes.

En bref comme en résumé : je déteste la figure publique de Mélenchon, mais cela n’a rien de personnel. J’ai écrit ici des textes aussi agréables sur d’autres responsables politiques. Et je continuerai.

Une vache et son veau dans le moteur (une innovation)

Publié dans Charlie-Hebdo le 28 novembre 2012

Intermarché et l’équarrisseur Saria, après copulation, construisent une usine pour transformer des restes d’animaux en carburant automobile. 

Le premier qui dit : « Ho, hé ! c’est quand même pas Soleil vert ! » gagne un grand verre de Viandox, cette belle boisson pleine de bidoche. Rappel utile : dans le film Soleil Vert, sorti en 1973, la multinationale Soylent distribue aux affamés chroniques de New York un aliment de synthèse fait à partir d’algues. Surprise :  il n’y a plus d’algues, en réalité, et le Soleil vert est une mixture à base de macchabs. Les morts nourrissent les (sur)vivants.

On n’en est pas là, car la France est un beau pays, rempli d’humanistes et de philosophes. La preuve instantanée par Saria, une boîte de 4 000 salariés, dont 1 400 en France. Que fait Saria pendant que les braves gens regardent Jean-Pierre Pernaut ? Eh ben, elle récupère chaque année une grande part des 3 millions de tonnes de restes d’animaux venus des abattoirs ou de carcasses trouvées sur la route. Grâce aux petites mains de Saria, le tout se change en engrais, médicaments, aliments pour d’autres animaux, produits sanguins, farines animales.

Oui, ces farines animales qu’on a finies par cramer dans des fours de cimenteries par peur de la vache folle, c’était Saria, grand pro de l’équarrissage. En mai 2 000, un inspecteur du travail visite l’usine Saria de Guer, dans le Morbihan, et note sobrement en reluquant la fosse où s’entassent des morceaux de bêtes : « L’atmosphère viciée comporte un risque sérieux pour la sécurité des travailleurs, le fond est couvert par une boue infecte sur plusieurs dizaines de centimètres d’épaisseur ». À l’époque, l’usine de Guer est gentiment appelée, dans les environs, « la petite boutique des horreurs ». Mais depuis, l’eau rouge sang a coulé sous les ponts, et Saria ne cesse d’inventer de nouveaux marchés. Toujours à partir des cadavres obligeamment fournis par les abattoirs. Dernière trouvaille : les biocarburants.

Saria, qui est loin d’être con, a créé une filiale commune avec Intermarché, qui s’appelle Écomotion. On ne présente plus Les Mousquetaires, leurs 1 783 magasins (en 2010) et leurs « idées fraîches contre la vie chère ». Parmi ses publicités, la vente à prix coûtant, dans les stations-service de la marque, de l’essence SP95-E10. Lequel carburant contient 10 % d’un biocarburant d’origine végétale. Mais pourquoi se contenter de blé ou de colza ou de betterave, alors qu’on peut rouler au veau, à sa mère, au cochon rose, à la charpie de coq et de poule ?

Voilà l’idée. Écomotion a investi 40 millions d’euros dans une usine sans aucun précédent, qui devrait ouvrir en 2013 sur la zone portuaire du Havre. Dans ce lieu idyllique, et chaque année, 75 000 tonnes de graisses animales deviendront, après une opération appelée « transestérification », un excellent biocarburant qu’Intermarché vendra directement à ses clients venus lui acheter des saucisses et du boudin.

L’avantage de cette technique, comme dit Michel Ortega, ponte d’Intermarché, c’est qu’elle « réduira la compétition agricole entre nourriture et carburant ». Ce mec est sublime, et sait ce que propagande veut dire. Les biocarburants actuels, qui proviennent de plantes alimentaires, affament des millions de gueux, comme le répètent depuis des années l’ONU, la FAO et jusqu’au FMI. Avec les philanthropes de la Saria, on aura deux saloperies pour le prix d’une. Le maïs, l’huile de palme, la canne à sucre, le manioc, le blé, le colza continueront bien entendu à donner du jus pour la bagnole, mais les animaux aussi.

Sans rire, ne s’agit-il pas d’une rupture mentale, morale, anthropologique ? Au temps lointain des supposés Barbares, les animaux d’élevage étaient considérés comme des dieux. Le taureau Hap de l’Égypte des Pharaons, qui deviendrait Apis chez les Grecs, était un personnage plus vivant, et un brin plus respecté que les morceaux de bidoche que nos marchands veulent transformer en SP95.

Avis aux oublieux : la chaîne d’assemblage des bagnoles – Assembly Line – a été mise au point par Henry Ford en 1908. Mais l’idée de départ appartient à l’ingénieur William Klann, qui visitant les abattoirs de Chicago en 1906, aurait déclaré : « If they can kill pigs and cows that way, we can build cars that way ».  Dans une fulgurance, Klann avait compris que ce qui était découpé en morceaux – la Disassembly line des abattoirs – pouvait, en inversant le processus, être réuni pièce par pièce dans un atelier automobile. Autrement dit, l’industrie de masse, le taylorisme, les Temps Modernes viennent de l’imaginaire du grand massacre des animaux. Les biocarburants tirés des graisses animales pourraient annoncer de nouvelles aventures. On a le droit de dégueuler.

La seconde mort du loup (remake)

Paru dans Charlie-Hebdo du 5 décembre 2012

Revenu par miracle en France après 70 ans de disparition forcée, le loup déchaîne à nouveau les plus beaux esprits de chez nous. Gaymard, Ciotti, Luca, Chevènement, Hue veulent lui faire la peau.

Pas contentes du tout. Dans une rare unanimité, onze associations – du WWF à la LPO, de France Nature Environnement à Ferus, de l’Aspas à Mille Traces – prennent la défense du loup. D’accord, sous la forme d’une pétition un rien faiblarde (1), mais quand même. Tout indique en effet qu’une coalition de tueurs se met en place, qui ne rêve que d’une chose : éradiquer une seconde fois, en France, cet animal maudit.

Résumons à très grands traits. Le loup est ici chez lui, depuis un poil plus longtemps que le chasseur. On a retrouvé le fossile d’un Leptocyon shermanensis – l’un des ancêtres – vieux de 7 millions d’années sur le territoire de l’Espagne actuelle. Dans la France historique, il était partout, jusqu’à la pointe du Raz. On pense qu’il pouvait rester 20 000 loups chez nous au moment de la Révolution française. Qui croquaient certes des brebis, et à l’occasion un petit berger ou un grand malade. Charlie ne prétend pas que le partage de l’espace est une affaire simple.

Par bonheur pour l’ordre humain, tout était fini autour de 1925, grâce à la strychnine, aux primes d’État et au fusil. Pendant près de 70 ans, calme plat dans les sous-bois : le loup est mort et la paix règne dans la société. Et puis ce connard revient sans prévenir, naturellement, depuis les monts Apennins d’Italie. En 1992, on en voit deux dans le Mercantour, au-dessus de Nice. Et comme une absurde Convention dite de Berne protège ce sauvage, il ne cesse depuis de réoccuper ses territoires historiques. D’abord l’arc alpin, puis les Cévennes via la vallée du Rhône, par franchissement du fleuve, de l’autoroute et de la ligne TGV, et jusqu’aux Pyrénées catalanes. Combien sont-ils à vagabonder sans Dieu ni maître ? Environ 250. 100 fois moins qu’il y a deux siècles. Mais la haine est plus forte que la raison.

Depuis 20 ans, les nouveaux éradicateurs ne cessent de marquer des points. Et cet automne marque à l’évidence un tournant. Premier avertissement le 10 octobre : une brochette de belles personnes dépose une proposition de loi à l’Assemblée nationale. Gaymard – viré du gouvernement en 2005 pour cause de duplex de 600 m2 -, Ciotti – noble député UMP des Alpes-Maritimes –, Luca – idem -, Lassalle – vieux pote de Bayrou – veulent « autoriser les éleveurs à tirer sur tout loup menaçant leurs élevages, cette autorisation s’appliquant également dans les cœurs des parcs nationaux ». Une précision : le cœur des parcs nationaux est le seul vrai sanctuaire pour la faune et la flore sauvages. Jusqu’ici, ces minuscules territoires ont été à l’abri de la destruction.

Le 19 octobre, la gauche de salon tente de reprendre l’initiative. Son Excellence Chevènement signe au Sénat, en compagnie du célèbre rocker Robert – Bob- Hue, une autre proposition de loi visant « à autoriser l’abattage des loups dans des zones d’exclusion à créer ». Comme à la parade, le conseil d’administration du parc national des Cévennes embraye le 19 octobre et déclare sans rire que le loup n’est pas compatible avec la biodiversité réclamant de le buter sur la totalité de son territoire. À quoi Raymond Faure, historique de la protection de la nature, répond, ouvertement effondré : « Si les grands prédateurs – loup, ours, lynx – n’ont pas leur place au cœur des Parcs Nationaux, à quoi ces derniers servent-ils ? ».

C’est la bonne question, et la réponse est aux abonnés absents. Notre grand Jean-Marc Ayrault a bien d’autres chats à fouetter, et pas seulement à Notre-Dame-des-Landes. Le Premier ministre a reçu le 8 novembre les Nemrod de la Fédération nationale des chasseurs (FNC) et a promis d’en faire des « partenaires » dans la « gestion de la biodiversité ». Au même titre que les associations de protection de la nature ? Affirmatif.

Le reste n’est que babillage et entubage. Officiellement, la ministre de l’Écologie Delphine Batho peaufine un « nouveau plan d’action sur le loup », qui devrait être connu début 2013. En effet, fils, c’est du Belge.

(1) Entre autres sur : www.ferus.fr

Mélenchon et les Indiens de Sarayaku (ode à la « révolution citoyenne »)

Pour Grego

Habitué aux sports de haute voltige, je vais commencer, moi qui ai conchié tant de fois Jean-Luc Mélenchon, par lui rendre hommage. Attention, c’est un saut périlleux arrière retourné, et je ne suis pas sûr de bien me rattraper. Roulement de tambour. Les paroles de Mélenchon dans Libération (ici) m’ont paru sortir du cadre habituel de la simple propagande. Cette dernière y était bien sûr, mais pour qui s’en tient aux mots, nul doute qu’il y avait là une petite musique intéressante.

En deux mots, Mélenchon y affirme que le tournant de son Parti de Gauche vers l’écologie n’a rien de tactique. Il s’agirait d’une conversion profonde et sincère. L’avenir, bien que présenté d’une manière nébuleuse, appartiendrait à la « règle verte », à la « planification écologique ». Certaines formules prêtent tout de même à sourire, comme : « Il faut cesser de produire et d’échanger dans des conditions telles que la capacité de renouvellement de l’écosystème n’y répond plus. C’est simple, ça se chiffre et ça se planifie ». Mais au total, allez, une mention passable. Inutile d’insister, à ce stade, sur le but à peine caché de faire disparaître, à terme, le parti EELV. Au reste, je m’en fous bien.

Où sont passés les textes de 1992 ?

Pour être honnête ou tenter de, signalons les 18 thèses pour l’écosocialisme proposées au débat dans le Parti de Gauche (ici, puis chercher un peu). J’ai lu, ce qui ne doit pas être le cas de tout le monde. Si je veux être (très) gentil, je dirai que c’est rempli de proclamations et de bonnes intentions. Un peu comme le programme du parti socialiste d’avant 1981, que défendait d’ailleurs, à l’époque, Mélenchon. On a vu. Les programmes de partis sont comme des promesses. Des mirages. Et si j’essaie d’être franc, j’ajouterai qu’il s’agit de vieilleries assez consternantes. Le mot écosocialiste, désolé de faire de la peine aux mélenchonistes, a été employé à de nombreuses reprises dans le passé, et a même été défendu avec clarté par la Ligue communiste révolutionnaire il y a de longues années.

Le pire n’est pas là : il n’y a aucune analyse de la situation réelle du monde. De la dislocation déjà entamée de nombreuses sociétés sous le coup de la crise écologique. On se croirait en 1970. On y est, d’ailleurs. La crise diabolique du climat, la crise sans limites apparentes de la biodiversité, la crise mortelle des océans, la crise planétaire des sols fertiles ne sont pas au tableau. En somme, les questions politiques les plus essentielles ne font pas partie de la discussion publique. Quel étrange parti écosocialiste.

Retour à Mélenchon. Il est important de savoir ce que ce politicien pense. Non pour lui, je l’avoue, mais à cause des gens, souvent d’excellentes personnes, qui croient en lui. Mélenchon, dans l’article de Libération évoqué, se vante de textes qu’il aurait écrits sur l’écologie dès 1992. Qu’il les publie donc, que l’on puisse rire un peu ! Ne remontons pas à Mathusalem, seulement au 22 octobre 2012. Ce jour-là, l’agence chinoise Xinhua publie une dépêche (ici, en français) qui résume un entretien que lui a accordé Mélenchon. Que dit-il ? « Je considère que le développement de la Chine est une chance pour l’humanité ». Une telle phrase, je pense, a le mérite de la clarté, mais comme elle m’a littéralement soufflé, j’ai cherché une confirmation. Les bureaucrates chinois, staliniens dans l’âme, avaient peut-être tordu le propos de notre grand Leader Écosocialiste ?

La croissance chinoise est une chance pour l’humanité

Eh bien non. Le 28 octobre 2012, Mélenchon était l’invité de Tous Politiques sur France Inter (ici), et y parlait à nouveau de la Chine (à partir de la minute 44). Il y confirme sans détour que la « croissance chinoise est une chance pour l’humanité ». Je crois pouvoir affirmer, car à la différence de Mélenchon, je sais de quoi je parle, que notre Grand Homme de poche démontre ainsi qu’il n’a strictement rien d’un écologiste. L’inculture profonde, l’ignorance abyssale ne sauraient être une excuse pour raconter de telles inepties. Car la Chine, comme je l’écris en de nombreux endroits depuis une dizaine d’années, nous menace tous, elle d’abord, d’un krach écologique à côté duquel la Grande Dépression d’après 1929 ressemblerait à une dispute pour un bout de chocolat.

Je n’ai pas le temps de détailler, mais même ici, sur Planète sans visa, il est aisé de retrouver certains textes grâce au moteur de recherche. La Chine, qui devient la plus grande économie mondiale, n’a plus d’eau, plus d’air, plus de terres agricoles capables de supporter une croissance démentielle. Et elle ruine en conséquence, pour des siècles au moins, quantité de pays d’Asie – le Cambodge et le Laos sont en haut de la liste – et désormais d’Afrique, s’emparant aussi bien du bois que du pétrole ou encore de millions d’hectares de terres destinées à produire, in fine, la viande que réclame tant sa classe moyenne.

Dire que la croissance chinoise, qui n’est que dévastation, est une chance pour tous n’est pas seulement imbécile. C’est aussi criminel. Je pèse mes mots, si. Dans la même émission d’Inter, Mélenchon se répand comme à son habitude sur la supposée vitalité des gauches latino-américaines. C’est justement de cela que je voulais vous parler, comme en atteste le titre que j’avais placé tout là-haut avant de commencer ce roman-fleuve. Le 17 février 2013, l’Équateur vote pour l’élection de ses président et vice-président de la République. Le président actuel, Rafael Correa, se représente et espère l’emporter une nouvelle fois. Qui est-il ? Un homme de gauche, à coup sûr. Est-il plus proche de la ligne Chávez que de la ligne Lula ? C’est hautement probable, et ce qui est certain, c’est que Correa est l’un des grands inspirateurs de Mélenchon. Il a notamment popularisé l’expression un brin étrange connue sous le nom de « révolution citoyenne » que le Français arrange désormais à toutes les sauces. Pendant la campagne présidentielle du printemps dernier, Correa a envoyé à Mélenchon un vibrant message de soutien, rendu public, qui commençait ainsi : « Querido Jean-Luc ». Et finissait par ce vieux slogan guévariste : «  ¡ Hasta la victoria, siempre ! ».

Les 1200 habitants de Sarayaku

Je pense que cela suffit pour établir la grande proximité entre les deux hommes. Et je poursuis. Les élections équatoriennes approchent, et surtout, ne quittez pas, car je vais (probablement) vous apprendre quelque chose. L’Équateur est un pays deux fois plus petit que le nôtre, peuplé de 15 millions d’habitants. Entre Quito, la capitale, installée sur les flancs d’un volcan, à 2850 mètres d’altitude, et l’Amazonie équatorienne, il n’y a pas grand chose en commun. Dans la forêt légendaire, des peuples indiens survivent tant bien que mal. Mal. Et parmi eux les kichwa. Et parmi eux, les 1200 habitants du village de Sarayaku (ici). Ils vivent de, ils vivent avec la forêt depuis des milliers d’années.

Mais le pétrole ne vaut-il pas mieux que tout ? Voici un court résumé, emprunté à Frontière de vie (ici) : « Afin de développer l’exploitation du pétrole amazonien, l’Etat équatorien a emprunté des milliards de dollars à l’étranger, s’endettant de façon effrayante. Cercle vicieux, l’Etat ne peut espérer rembourser ses dettes qu’en augmentant encore l’exploitation pétrolière, ce qui implique une surexploitation dépassant toutes limites. 1.500.000 hectares de forêts sont déjà en exploitation. 500 km de routes ont été construites pour permettre l’installation de 400 puits de pompage. Ces puits génèrent quotidiennement 17 millions de litres de déchets toxiques non traités. Ces déchets sont déversés dans des bassins à ciel ouvert qui débordent lors des pluies tropicales et se répandent dans la forêt. Dans certaines rivières, toute vie a disparu ».

Un grand désastre, donc, synonyme de « développement », cette parole maudite qui réunit les droites comme les gauches. Mais Sarayaku résiste aux compagnies pétrolières depuis 25 ans. Surtout depuis qu’en 2003, ces frères humains ont réussi à foutre dehors des ouvriers payés par un pétrolier, défendus par 400 militaires, venus pour de premiers travaux. Il est impossible de seulement évoquer les principaux événements de cette saga. Elle fait des habitants de Sarayaku des héros de l’humanité. Et ils tiennent. Encore et toujours. Greg m’envoie de Colombie un article du quotidien de Bogotá El Espectador (ici, en espagnol). J’y apprends que Los hijos del jaguar, les fils du jaguar comme ils se nomment, sont au cœur du débat de la présidentielle en cours. Correa, ce fier combattant de la « révolution citoyenne » entend ouvrir un peu plus aux pétroliers l’Amazonie équatorienne,. D’un mot, l’Équateur est l’une des zones les plus riches en biodiversité de notre planète. Peut-être la plus riche. Sans doute. On y a recensé environ 1 600 espèces d’oiseaux, 4 000 d’orchidées, 382 de mammifères.

 Les Indiens vendus par Correa aux transnationales

Je lis une dépêche en espagnol de l’agence chinoise – décidément – Xinhua, en date du 29 novembre 2012 : « El gobierno de Ecuador convocó hoy a la XI Ronda Petrolera de Licitación 13 campos del suroriente del país para la exploración y explotación de crudo, en medio de la resistencia de comunidades indígenas de la Amazonía ». Le gouvernement de Quito vient de lancer des enchères pour l’exploitation de 13 champs pétrolifères au beau milieu de la résistance de communautés indiennes de l’Amazonie. Voici les propres mots du querido compañero de Mélenchon, Correa soi-même : « Bienvenidos todos los inversionistas que buscan esa rentabilidad razonable, pero con altísima responsabilidad ambiental ». Bienvenue à tous les investisseurs qui cherchent une rentabilité raisonnable, mais avec un haut sentiment de responsabilité environnementale : on croirait du Total dans le texte. Mélenchonistes éventuels, qui me lisez, épargnez-moi vos leçons : Correa vend son pétrole et les Indiens qui sont au-dessus aux transnationales.  Point final. Et tant pis pour le climat, et tant pis pour la biodiversité, et tant pis pour ces extraordinaires cultures indiennes qui sont pourtant, razonablemente, une partie de notre avenir possible.

Alors, désolé, je ne marche pas. L’écosocialisme vérolé que Mélenchon tente de fourguer en France à des crédules – chaque génération a les siens -, non merci. À moins, amis mélenchonistes, que je ne me trompe ? À moins que The Great Leader Chairman ne vole publiquement au secours des Indiens de Sarayaku, et désavoue son cher ami Rafael Correa ? Ce serait, pour le coup, une vraie nouvelle, susceptible de me faire changer d’avis sur ce que je tiens pour une pure foutaise. Tenez, il y a même un rendez-vous : en avril 2013, Correa prévoit l’organisation à Quito d’un forum mondial de sa soi-disant « révolution citoyenne ». Mélenchon a, je crois, prévu d’y aller. C’est le moment, camarade écosocialiste, de prouver que les mots et proclamations ont un sens.