Archives de catégorie : Santé

Chimie, pesticides, air, pollutions en tous genres

Claude le preux (un hommage)

J’ai rencontré hier, mercredi 2 avril 2008, Claude Got. Et j’ai aussitôt pensé qu’il était un preux. Je ne détesterais pas faire ici un petit cours d’histoire, car cela en vaut la peine. Mais non, rassurez-vous. Vous pouvez comme moi chercher du côté de Jacques de Longuyon et de ses Neuf Preux de 1312. Un mot encore, ou plutôt deux. Le premier est étymologique : preux nous vient du latin prodesse, qui veut dire être utile. Le deuxième est (peut-être) littéraire. Je crois, mais je ne suis pas sûr – qu’on me corrige, éventuellement -, pouvoir attribuer à Fénelon cette phrase qui s’applique à la perfection à ce que je souhaite vous raconter : « Moi, répondit notre preux chevalier, je ne reculerais pas, quand toute la gent chienne viendrait m’attaquer ».

Claude Got. Un homme né en 1936. Professeur de médecine. Chef du service des accidentés de la route de l’hôpital de Garches entre 1970 et 1985. Conseiller dans le cabinet de Simone Veil en 1978. Conseiller dans le cabinet de Jacques Barrot en 1980. Conseiller officieux de Claude Évin en 1988. Combattant sans trêve ni relâche de certains des lobbies les plus mortifères qui soient. Et diablement sympathique.

J’ai parlé avec lui du passé. De l’époque où il partait en canoé avec son frère, sur la rivière. Où il repérait, sur une carte au 1/80 000, les sites géologiques qu’il parcourrait ensuite avec son marteau de minéralogiste amateur. De la forêt, des champs, de la nature qui fut longtemps son seul vrai compagnon. Nous avons ensuite devisé sur l’écologie, car Claude Got est de ceux qui votèrent Dumont en 1974 – 1,3 % de mémoire – et ne le regrettent pas. Dès 1977, il avait placé près de sa maison des panneaux solaires, qui durèrent jusqu’à la grande tempête de 1999. Avec son épouse, il a mené des raids impressionnants à travers toute l’Europe, en vélo. En moyenne 120 ou 150 kilomètres par jour. Jusqu’aux cols, jusqu’aux Alpes, jusqu’au Nord, jusqu’au Sud. Évidemment, il ne ressemble pas à un homme de 71 ans.

Mais à côté de cela, l’infernale réalité. Got aura bataillé toute sa vie adulte pour la santé publique et contre les accidents imbéciles, souvent liés à l’alcool, à la vitesse, à la (toute-)puissance, qui ruinent tant de vies. Peu de gens auront vu d’aussi près l’horreur des gueules cassées et des corps désarticulés. L’hôpital de Garches, qui accueille les grands traumatisés de la route, est un lieu d’horreur où Got, je l’ai dit, passa une partie de sa vie.

Rien ne l’étonne plus, mais tout continue de l’indigner. Et cela, c’est miraculeux. 71 ans, la flamme, la clarté, l’émotion. Tout intact. Nous avions parlé lui et moi, il y a quelques semaines déjà, du journaliste Airy Routier. J’ai consacré ici un article à cet homme détestable, auteur entre autres d’un livre sur la conduite automobile sans permis. Got a passé des semaines à décortiquer ce monument du mensonge. Et des jours à tenter de convaincre les responsables du Nouvel Observateur – où Routier reste rédacteur-en-chef – de sauver l’honneur de cet hebdomadaire. Sans succès.

Si je rappelle ceci, c’est que Got ne laisse rien passer, et il a bien entendu raison. Je vous invite sans manières à visiter le site qu’il a ouvert, totalement voué à la sécurité routière. Vous y trouverez une analyse remarquable d’un deal honteux que notre gouvernement est en train d’accepter, au mépris évident de la lutte contre le dérèglement climatique et pour la sécurité de tous. Une directive européenne – une loi – est en préparation sur les émissions de gaz carbonique par les véhicules automobiles à l’horizon 2012. L’enjeu est important – n’exagérons rien – pour le climat, mais décisif pour les constructeurs. Les grosses berlines, souvent allemandes, émettent bien plus au kilomètre parcouru que les petites, bien entendu. Une réglementation européenne sérieuse aurait donc des effets foudroyants pour l’industrie. Et ça, pas question, on se doute.

Le commentaire de Got est un peu complexe, mais passionnant de bout en bout, car il établit la vérité sur le monde, celle que Monsieur Jean-Louis Borloo et madame Nathalie Kosciusko-Morizet ne nous diront jamais. Vous verrez, si vous allez au bout des textes, que nos deux ministres ont exprimé de sérieuses réserves. Je n’en disconviens pas. Mais où est la bataille publique, devant les citoyens que nous sommes ? Il est certain, certain, qu’il existe un lien d’airain entre la masse des véhicules et les émissions de gaz carbonique. En outre, la gravité des accidents impliquant des engins lourds est incomparablement, incomparablement augmentée.

Ce que pense Got, et qui me paraît évident, c’est que l’industrie automobile allemande – surtout elle – fait le siège de la Commission européenne depuis des années, et qu’elle semble sur le point de gagner. Dans l’état actuel du projet de directive, les grosses conneries du genre BMW ou Mercedes auraient un droit exorbitant au dépassement permanent de la limite de 130 grammes de CO2 par kilomètre parcouru. Leurs modèles n’auraient donc pas à payer les amendes prévues pour les engins dépassant une norme qui, je le dis au passage, ne réglerait rien, évidemment.

J’arrête là. Et je vous pose une question simple : avez-vous déjà lu quelque chose sur le sujet dans la presse française, inondée de pubs pour les grandes bagnoles criminelles ? Si oui, vous avez eu de la chance. Si non, vous êtes comme moi. À un moment de notre discussion, Got m’a parlé, en citant des noms, de ces journalistes spécialisés, qui ne circulent jamais qu’au volant de voitures prêtées, ad aeternam, par les constructeurs. Ne rêvons pas : il y en a dans presque chaque rédaction. Et l’on voudrait qu’ils disent du mal d’un tel système ?

Une ultime parole, pour Claude Got. Tant qu’il y aura des hommes comme lui, aussi rares qu’ils puissent être, je croirai dans l’homme. Et dans la vie. Inutile donc de chercher autre chose : merci.

L’éternel retour des farines animales

Nous avons beau vivre par miracle en paix – nous, pas ceux d’ailleurs et du lointain – depuis presque 63 années, une guerre non déclarée nous est faite jour après jour par le système industriel et marchand. Vous pouvez estimer que j’exagère, bien entendu. Mais attendez tout de même quelques lignes, s’il vous plaît.

À l’automne 2007, le lobby du porc demande à rencontrer notre ministre de l’Agriculture, Michel Barnier. Ces gens-là n’en peuvent plus. Disent-ils. Tout coûte de plus en plus cher, à commencer par cette nourriture à base de céréales qu’ils sont contraints d’offrir à leurs prisonniers depuis la funeste affaire de la vache folle. Ils demandent au ministre de revoir l’interdiction des farines carnées pour les animaux d’élevage, décidée par l’Europe en 2000. Barnier botte précautionneusement en touche, et parle d’études en cours. Courageux, mais pas téméraire.

Depuis, le prix des céréales n’a fait qu’augmenter, et les éleveurs industriels n’ont cessé, au cours d’innombrables réunions, de réclamer le droit de donner de la viande aux cochons. Et aux poulets, tant qu’on y est. Avec un allié qui compte et qui s’appelle le Sifco ou Syndicat des industries françaises des coproduits animaux. Le nom, déjà, fait envie. Coproduits. Lisez par vous même, mais surtout pas avant de manger : www.sifco.fr. Le Sifco fabrique des farines animales, mais a eu la grande sagesse de les rebaptiser Protéines animales transformées, ou PAT. C’est mieux, éPATant, même.

Pour l’heure – quel inconcevable gâchis ! – les déchets ont deux destinations principales. Les restes d’animaux malades partent brûler dans les cimenteries. Et les autres sont changés en PAT qui nourrissent nos chats et nos chiens. Avec une variante intéressante : on en fait aussi de l’engrais. Le sang, pour sa part, « enrichit » la diète des poissons d’élevage, poissons dont on tire à l’occasion des farines destinées à l’alimentation des porcs et des volailles. Voilà un système astucieusement pensé.

L’Europe va-t-elle céder ? Elle est visiblement soumise à un pilonnage en règle des lobbies, et n’est plus si éloignée de dire oui. Pour l’heure, elle se contente de financer, à hauteur de 1,7 million d’euros, l’élaboration d’un test. Qui permettrait de savoir de quel animal provient telle farine. Pas bête. Car l’Europe, d’une cruauté sans nom à l’encontre des éleveurs, ne veut pas entendre parler de cannibalisme. En clair, un porc ne saurait nourrir un porc. Un poulet, un poulet, etc. Pour une raison en fait très pragmatique : il convient d’empêcher la transmission de maladies au sein d’une même espèce.

Je pense que vous apprécierez comme moi le propos d’un des grands manitous du porc industriel en France, Paul Auffray, qui est secrétaire général de la section porcine de la Fédération nationale des exploitants agricoles (Fnsea) : « Il ne faudrait pas que ça effraie le consommateur, et puis auprès des distributeurs qui communiquent sur le tout végétal dans l’alimentation animale, c’est pas évident ». Mais si : web-agri.fr. Et voyez cette étonnante réplique de McDo : « À supposer que les conditions de sécurité sanitaire soient réunies, comment l’expliquer au consommateur ? » (ouest-france.fr).

Je dois dire que j’adore cette ultime phrase du marchand de frites et de gras. Car je ne vois pas comment dépasser une telle perfection. Le problème, le seul problème, c’est de fourguer. Peu importe quoi, peu importe croyez-moi. Fourguer. Un emblème. Un blason.

Puisqu’il faut parler du cancer (et du diable)

http://bastet.centerblog.net/2247472-Encore-le-diable-de-TASMANIE

Pas très folichon, n’est-ce pas ? Sarcophilus harrisii est un marsupial carnivore. Son nom en français inciterait la plupart à changer de trottoir, car il s’agit du diable de Tasmanie. Vous situez cette île au sud de l’Australie ? Sachez qu’elle est grande – 68 000 km2 – et qu’elle a dû attendre 1642 pour être enfin découverte par des gens civilisés. Nous, sans me vanter. Mais comment faisaient les pauvres Aborigènes de là-bas ?

Je m’égare. Le diable. Il pèse entre 6 et 8 kilos et boulotte ce qu’il trouve. Charognes de brebis, reptiles, poissons, oiseaux, wallabies. Moi, quoi qu’il fasse, je l’aime. Ce doit être de la sensiblerie. À moins que ? Mais je m’égare encore. Le problème, avec le diable, c’est qu’il meurt. En grand, en couleurs, et à vitesse accélérée.

Depuis 1996, une maladie a été identifiée, la Devil facial-tumour disease (DFTD), ou maladie de la tumeur faciale. C’est simplement horrible : le museau disparaît peu à peu dans une bouillie qui se change souvent en cancer. La moitié des diables seraient morts depuis douze ans. La moitié.

Et voilà qu’on apprend les résultats d’une étude officielle australienne, menée par l’Institut national de mesure (en anglais : theaustralian.news.com). L’autopsie de 16 diables a révélé la présence dans leur corps d’hexabromobiphényl et de décabromobiphényl. À des concentrations très anormales. Ces goûteux produits de la chimie moderne servent à empêcher – ou ralentir – la propagation d’un feu dans des ordinateurs ou certains meubles.

Reste deux menues questions. La première : pourquoi tant d’hexabromobiphényl dans une île à 240 km des côtes australiennes ? Disons qu’il serait bien injuste que nous soyons les seuls à supporter une telle pollution, et passons à la seconde. Y a-t-il un lien entre cette contamination massive des diables et les tumeurs souvent cancéreuses qui menacent désormais leur survie ?

Je vous remercie de m’avoir aidé à formuler ma pensée. Oui, y a-t-il un lien ? Le premier mouvement pousserait à dire oui, car les retardateurs de flamme qui pourrissent les tissus gras des diables sont connus pour perturber les systèmes immunitaire et nerveux. Ils sont en outre cancérigènes.

Mais pour qui ? That is the question. Car si l’on a pu prouver leur rôle délétère chez les animaux, aucune étude ne confirme leur action chez les hommes. Eh, eh, je crois qu’on va finir par s’en sortir. Certes, le diable est un mammifère, comme l’homme. Mais qu’est-ce que cela prouve, dites-moi ? D’ailleurs, le plus simple est d’écouter cet officiel australien, Warwick Brennan : « Il est encore trop tôt pour dire si ces composés chimiques jouent un rôle dans le développement de ces tumeurs » (lemonde.fr).

Et voilà, n’en parlons plus. On ne va tout de même pas se fâcher pour une histoire de diable, si ? Cet animal meurt, il est farci de produits cancérigènes qu’on ne devrait pas retrouver en Tasmanie, c’est entendu. Par ailleurs, les cancers flambent d’un bout à l’autre de la planète, dans le temps même ou des milliers de molécules nouvelles et toxiques ont été relâchées dans la nature sans pratiquement aucun contrôle. L’incidence du crabe a pratiquement doublé en France entre 1980 et 2005. Et alors ? Et alors ? Et alors ?

Anne Lauvergeon, patronne du nucléaire français ( et ci-devant conseillère personnelle de notre grand homme de poche, François Mitterrand), part ce soir en Afrique du Sud avec Son Altesse Sérénissime Nicolas 1er. Pour vendre du nucléaire au président Thabo Mbeki. Je crois que j’ai loupé ma carrière.

Puisqu’il faut parler du cancer (2)

Je suis récidiviste en bien des domaines. Même à propos de cette terrible question du cancer, évoquée hier ici. Je souhaite en effet ajouter deux informations qui complèteront mon interrogation sur les liens possibles et probables entre la dégradation de la santé des humains et l’amoncellement de polluants partout sur terre.

La première info concerne le Vietnam. J’ai défendu lorque j’étais jeune le droit de ce peuple à vivre sans les Américains. Je le referais, mais plus difficilement. Dès cette lointaine époque, je critiquais durement les staliniens qui ont mené ce noble combat. Dieu sait ! Mais ma naïveté, trop réelle, me faisait croire que ces staliniens-là l’étaient moins que d’autres, ce qui s’est révélé faux. Je plains depuis ce peuple héroïque, qui non content d’avoir combattu trente ans les soldats français, puis les troupes américaines, supporte en outre un pouvoir totalitaire.

En tout cas, l’Amérique vertueuse mena dans l’ancienne Indochine, entre 1960 et 1975, une guerre ignoble, dont l’un des buts vrais fut la destruction de la forêt tropicale sous laquelle se cachaient les combattants vietcongs et ceux de l’armée du Nord. Les barbares épandirent notamment un herbicide, l’Agent orange, qui contenait de la dioxine. Trois millions de Vietnamiens souffriraient encore des effets de ce crime de guerre.

Combien de cancéreux parmi eux ? Qui ont attrapé cette maladie à cause de l’Agent orange ? Nul ne peut le dire. Beaucoup semble le mot le plus raisonnable. Mais pas pour la justice américaine. Ceux qui lisent l’anglais se rapporteront à cette dépêche de l’agence Reuters : www.reuters.com. Ce que je peux dire aux autres est simple : une cour d’appel américaine vient de rejeter la plainte de malades vietnamiens, trente-cinq à quarante ans après les faits, contre Dow Chemical, Monsanto et 30 autres industriels. Pour la Cour, il n’y a pas de preuve scientifique d’un lien entre épandage du poison et maladies multiples, dont le cancer.

Et en effet, ce lien formel ne semble pas pouvoir être établi. Pas directement en tout cas. Pas sur la base d’une étude épidémiologique construite selon des critères acceptables aux États-Unis. Les gens meurent du cancer, c’est tout. Cela rappelle d’autres cieux. La plainte des Vietnamiens ira probablement devant la Cour suprême.
Autre histoire aussi folle : Huelva, capitale de la fraise industrielle d’Espagne. Cette ville touche l’ancien delta du Guadalquivir, un marais géant qui fut l’une des vraies merveilles de la planète, Doñana. Même aujourd’hui, Doñana reste un lieu renversant de beauté, où j’ai eu la chance d’aller il y a peu. L’aigle ibérique y voisine avec les derniers lynx de la péninsule.

Huelva, donc. Cette ville a, pour son malheur, été choisie par Francisco Paulino Hermenegildo Teódulo Franco y Bahamonde. Franco, oui, cette ganache a décidé en 1964 que Huelva serait dotée d’un complexe chimique. Façon Porto-Marghera, à Venise. Ou Fos-sur-mer en France. Je ne peux vous raconter l’histoire entière, si folle, et renvoie ceux qui lisent le castillan au remarquable site d’une association espagnole, Mesa de la Ría : www.mesadelaria.org. Tout y est.

Huelva est, sur le plan de la santé, une ville singulière. Diverses études, dont celles menées par le professeur Joan Benach, de l’université Pompeu Fabra de Barcelone, montrent que le triangle formé par Séville, Huelva et Cadix concentre les cancers. Il y aurait un taux de mortalité par cancer supérieur de 25 % à la moyenne nationale dans la province de Huelva.

Serait-ce la faute du polo químico de la ville, qui empuantit son air depuis quarante ans ? De l’infernale décharge de déchets ultratoxiques et radioactifs de 1200 hectares, à 1 kilomètre du centre urbain et 400 mètres du marais de l’Odiel, classé réserve de la biosphère par l’Unesco ? De la pollution gravissime des eaux et des sols par l’une des agricultures les plus folles du monde, qui entoure et encercle Huelva ? D’un mélange de tout cela ?

Le professeur Benach, depuis qu’il a publié ses études, est vilipendé par tout ce que l’Andalousie compte d’officiels, qui du Parti populaire (droite), qui du PSOE (gauche). Il ne faut pas dire du mal de cette région, le tourisme et les exportations de fraise ne peuvent le supporter. Interrogé par le quotidien El Mundo le 27 mars 2005, il déclare : « Notre étude ne porte pas sur un échantillon. Nous avons analysé le cas de plusieurs millions de morts, pendant des années et dans le détail ». Oui mais, et les affaires ?

La directrice générale de la Santé publique d’Andalousie, Josefa Ruiz, a réglé la question à l’automne 2007 en déclarant aun quotidien El País : « Il n’y a pas de relation entre la mortalité dans la zone et les problèmes d’environnement ». Je dois ajouter que cette bonne personne s’appuie sur sept études – que je n’ai pas regardées – réalisées depuis 2003.

Qui a raison ? Je vous pose la question comme je la pose, sincèrement. De mon point de vue, tout penche du côté d’un lien de cause à effet. Réellement tout. Et il est bien certain qu’on ne trouve jamais que ce qu’on cherche réellement. Mais au-delà, bien au-delà de ces considérations, je me permets de rappeler une évidence. La vérité sur la contamination générale – quelle qu’elle puisse être – n’a pas été établie. Il est possible qu’elle soit moins épouvantable que ce que je crains. Mais elle reste de toute manière dans les limbes, parce que tous les pouvoirs ont intérêt à ce que les études globales, générales, approfondies ne soient pas entreprises.

Le procès mondial de la chimie de synthèse reste à faire. S’il en est ainsi, c’est qu’un tel événement ébranlerait ce monde dans ses fondations mêmes. Bâtir un début de consensus dans ce domaine – voyez l’amiante ou le tabac – relève d’une périlleuse construction sociale. Faite essentiellement de combats. Nous n’en sommes qu’au début.

Puisqu’il faut parler du cancer

Pas drôle du tout. J’aimerais bien parler d’autre chose. Des bourgeons par exemple, qui me rendent fou. Et qui, soit dit entre nous, sont fous, puisqu’ils éclosent en février. Des bourgeons, oui, et des fleurs, et du printemps qui emportera tout une fois encore. J’aimerais.

Au lieu de quoi, je me lance dans un article sur le cancer, cette sale bête qui mord et fouaille. Cet assassin perpétuel qui blesse et tue nos amis, nos amours, et nous-mêmes. Allons, et vite, que je puisse aller voir ailleurs. Le cancer, donc. Des chiffres saisissants de l’Institut national de la veille sanitaire (InVS), agence sanitaire publique, viennent d’être rendus publics.

En deux mots, voici : en 1980, la France enregistrait 170 000 cas de cancer par an. En 2005, 320 000. Une augmentation de 93 % pour les hommes, et de 84 % pour les femmes. Dément. N’hésitons pas une seconde devant le mot : une telle explosion est si démente que tous, TOUS les journaux devraient en faire leur « Une » plusieurs jours d’affilée. Évidemment. Comparez avec moi la place accordée à une épidémie de légionellose frappant une maison de retraite de Wattrelos, et celle donnée à cet événement fracassant concernant toutes les familles. Vous y êtes ? On se moque. La presse se moque, la presse joue les perroquets des institutions, la presse sous-informe et désinforme. Pas toujours, non, mais là, oui, certainement.

Je ne vais pas critiquer un à un les articles de Ouest-France, Libération, Le Monde et tous autres. Tous ceux que j’ai lus, reposant sur une source unique autant qu’univoque – l’InVS -, euphémisent à qui mieux mieux et font assaut de sornettes. Prenons la dépêche de l’AFP, qui sera certainement servie à toutes les sauces dans la presse quotidienne régionale (afp.google.com).

L’AFP raconte la fable commune. Plus de cas, moins de morts. Formellement, c’est vrai. La mortalité par cancer augmente, mais moins vite que le nombre de cas. Seulement, est-ce bien l’information principale ? Que non, que non, que non ! Le point crucial, c’est que l’incidence de cancers a pratiquement doublé en 25 ans. L’InVS met en avant, avec audace, l’augmentation de la population et son vieillissement constant. Je vais vous surprendre : je suis d’accord.

N’étant ni épidémiologiste, ni cancérologue, ni même vaguement scientifique, je me lance : l’InVS a raison. Quand un peuple voit sa population augmenter et vieillir, il a toutes chances de voir augmenter en son sein le nombre de cancers. Mais jusqu’où ? Car comment expliquer tout le reste ? L’InVS reconnaît en fait qu’il existe une augmentation massive du risque d’attraper un cancer en France. Entre 1980 et 2005, ce qui est une durée incroyablement faible dans l’histoire d’une maladie comme le cancer. Lisez avec moi cet extrait du communiqué de l’InVS (www.invs.sante.fr) : « 52% des cas supplémentaires chez l’homme et 55% chez la femme sont dus à l’augmentation du risque ».

Voilà ce qu’auraient dû titrer les journaux de notre pays, qui s’en sont bien gardés. Je vous ai parlé plus haut de désinformation. N’imaginez pas un plan, et des manipulateurs de marionnettes. Non. La désinformation, comme la censure, peut aisément venir du fin fond de la conscience. Sans s’avouer telle. En l’oocurrence, il s’agit d’une désinformation objective, résultat de la rencontre entre deux désirs inavoués. D’un côté l’InVS, qui présente des chiffres affolants en prenant bien garde de ne pas inquiéter. C’est-à-dire en insistant avant tout sur la diminution relative de la mortalité. Et de l’autre, des journalistes qui n’osent pas poser des questions qui fatalement mettraient le feu aux poudres. Qui préfèrent rassurer en se rassurant. Qui préfèrent colporter les maigres arguments en faveur d’une vision lénifiante de la réalité.

Mais la réalité sans fard, c’est que nul ne peut prétendre savoir ce qui se passe. Nul. Moi non plus ? En effet, moi non plus. Si vous avez le temps de consulter le dossier de presse de l’InVS, qui accompagne le petit communiqué que je viens de citer, vous trouverez cette phrase inouïe : « Pour autant, l’évolution de la démographie et des pratiques médicales n’expliquant pas à eux seuls l’augmentation constatée, l’hypothèse que les modifications de l’environnement en soit responsable en partie doit faire l’objet d’un effort de recherche constant portant à la fois sur l’existence et la nature du lien causal et sur la mesure de l’exposition des populations à des cancérigènes avérés ou probables ».

Je ne vais pas vous faire injure : vous savez lire. À mots à peine couverts, l’InVS reconnaît qu’il faudrait produire un « effort de recherche constant » sur l’exposition des hommes à des produits cancérigènes. Car ce n’est pas le cas. Et telle est bien l’explication de l’accueil scandaleux, frauduleux fait à ce qu’il faut bien appeler les révélations de l’Institut national de veille sanitaire.

Je ne sais pas, non je ne sais pas quelle part des nouveaux cancers relève de l’empoisonnement universel dont nous sommes les victimes. Quelle est la part, dans ces chiffres, de l’exposition aux cancérigènes massivement présents dans les lieux de production, de la pollution générale des sols, des eaux, de l’air, des aliments par des molécules toutes nouvelles, dont les pesticides ? Personne ne peut répondre à cette question de fond.

J’affirme néanmoins, haut et fort, que l’hypothèse d’un lien direct et massif entre les deux phénomènes est fondée sur le plan scientifique. J’affirme de même qu’il faudrait de toute urgence débloquer des fonds publics, de manière à permettre une recherche libre. Totalement libre. Mais bien entendu, cela n’arrivera pas. Cela n’arrivera pas, car dans le cas où cette hypothèse se vérifierait, ce serait une Apocalypse. Pas pour ceux qui vont mourir ou souffrir, non. Car ils vont mourir ou souffrir. Mais pour l’armée de falsificateurs qui continuent à prétendre que tout va bien. Cette armée d’innombrables se battra jusqu’à la dernière seconde, et elle nous surprendra encore. J’en jurerais.

Notre vieux pays perclus trouve aisément neuf milliards d’euros pour le « bouclier fiscal » offert par Son Altesse Sérénissime à ses bons amis. Mais rien pour prévenir l’avalanche de cancers qui frappe une à une la presque totalité des familles françaises. Est-ce réellement bon signe ? Je m’interroge.