Vous lirez ci-dessous un article paru dans Le Monde, qui illustre comme rarement le sous-titre de Planète sans visa : Une autre façon de voir la même chose. Le Monde, et toute la presse avec lui, pratique la recette du pâté d’alouette. Laquelle consiste à mélanger ensemble un cheval et une minuscule alouette. Le cheval, en la circonstance, se traduit par des milliers d’articles sur le nucléaire iranien et le régime des mollahs. Et l’alouette, bien entendu, c’est cette sécheresse apocalyptique créée par les hommes, et qui menace de destruction pure et simple l’ancien Empire des Perses, qui existe, sous une forme ou une autre, depuis des millénaires.
Je ne dis évidemment pas que l’arme nucléaire, éventuellement entre les mains de fous de Dieu iraniens, n’est pas un problème. C’en est un, et il faut le traiter. Mais d’évidence pour moi, tout doit être désormais pensé dans le cadre de la crise écologique, qui n’a que faire de nos agendas. Les dirigeants iraniens, mais les nôtre aussi, cela va de soi, agissent comme des aveugles volontaires, qui verraient dans les ténèbres un lumignon trembloter. Et qui le prendraient pour une vraie Lumière. Pauvres de nous.
De même, combien d’analyses à propos des révolutions arabes et du sort, en particulier, de l’Égypte, pays sans lequel notre Occident serait bien plus mal placé encore dans le Moyen-Orient ? Combien de supputations sur le général Sissi, les Frères musulmans, les salafistes locaux ? Et combien pour dire cette évidence que le Nil, seule source de vie dans ce pays désert, ne saurait longtemps encore satisfaire les appétits d’une population de près de 90 millions d’habitants, dont la croissance démographique reste folle ?
Je vous l’ai dit et répété tant de fois que j’hésite une seconde, mais pas davantage : il va falloir tout rebâtir. Notre imaginaire est de pacotille. Notre réflexion est d’une telle faiblesse qu’on se laisse aller, parfois, à ne guère miser sur l’avenir. Mais ça passe. En tout cas, chez moi, ça passe.
L’article du journal Le Monde
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L’Iran menacé de devenir un immense désert
Les Iraniens ont beau essayer de nier la gravité de la crise de l’eau, certains écologistes considèrent qu’il est déjà trop tard pour arrêter le train en marche d’une grave sécheresse. Pour les plus alarmistes, l’Iran sera » la prochaine Somalie « , » un pays des fantômes dans trente ans « , transformé en » un immense désert « . Réputé pour son climat continental, le pays connaît des changements radicaux et abrupts.
Ces deux dernières années, le lac d’Oroumiyeh, qui fut le plus vaste du Moyen-Orient (5 200 km2), situé dans la région iranienne de l’Azerbaïdjan (nord-ouest), s’est asséché à 95 %. Pour tenter de le sauver, le président modéré, Hassan Rohani, a décidé, le 27 novembre, de lui consacrer un budget de 7 300 milliards de rials (178 millions d’euros). Un autre plan est également en négociations avec les différents groupes de travail, baptisé » Nakasht « ( » ne pas cultiver « ). S’il est adopté, les agriculteurs des champs avoisinant la rivière de Zarineh Roud, qui se déverse dans le lac d’Oroumiyeh, seront payés 5 millions de tomans par an (1 200 euros) pour chaque hectare non cultivé.
Téhéran connaît aussi des problèmes d’eau. L’été dernier, trois des cinq barrages alimentant la capitale ont été pratiquement vidés, obligeant les autorités à mettre en place des programmes de rationnement. Dans la ville d’Ispahan, dans le centre du pays, l’assèchement de la rivièreZayandeh Roud a également profondément marqué les Iraniens.
» La nature ne résiste plus « Pour le climatologue Nasser Karami, ces changements climatiques brutauxmontrent que » leseuil de tolérance a été dépassé et que la nature ne résiste plus « . Pour cet enseignant à l’université de Bergen en Norvège, la cause principale résulte de la croissance démographique – l’Iran compte 78 millions d’habitants, deux fois plus qu’il y a quarante ans – et du développement économique du pays.
A la suite de la révolution en 1979 et de l’avènement de la République islamique, l’Etat a permis le développement sans limite de l’agriculture dans le pays, cherchant par ce biais une assise sociale et un soutien parmi les couches défavorisées et rurales. C’est le cas des régions avoisinantes d’Ispahan et de celles du lac d’Oroumiyeh. Dans l’Azerbaïdjan, la superficie des champs cultivés est passée de 150 000 à 600 000 voire 800 000 hectares.
Pour subvenir aux besoins des agriculteurs (92 % de l’eau consommée sont utilisés dans l’agriculture, dont 70 % sont perdus), barrages et digues ont été construits sans analyses scientifiques. Les spécialistes parlent de 700 grandes digues et en recensent presque 1 000 de tailles petite et moyenne. » Etant donné le climat plutôt continental de l’Iran, construire des barrages où une grande quantité d’eau, conservée pendant longtemps, s’évapore, n’est pas la solution optimale « , explique Behrooz Dehzad, enseignant en écologie à l’université de Shahid Beheshti, située à Téhéran. Les agriculteurs et les villageois ont également foré de nombreux puits sans permission (leur nombre est estimé à 650 000), épuisant les nappes phréatiques.
Le développement des industries, exigeant un important approvisionnement en eau, notamment dans la région désertique d’Ispahan, a aggravé la situation. Alors que les précipitations ont diminué de 16 % en quarante ans(250 mm par an, soit un tiers de la moyenne mondiale), et que les trois quarts de ces pluies ne tombent que sur un quart du territoire, créant de grandes zones désertiques, les Iraniens ne sont toujours pas enclins à faire des économies. Les données officielles évoquent une consommation de 250 litres par jour, par habitant, presque deux fois plus que la moyenne mondiale de 130 litres. Un chiffre qui s’explique notamment par la subvention élevée accordée par l’Etat.
Plan d’austérité nationaleLes chercheurs sont unanimes pour dire que la crise de l’eau s’est manifestée sous la présidence de l’ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013). Il a notamment contribué à l’assèchement de Zayandeh Roud en annulant l’ordre de boucher les puits non autorisés dans la province de Chahar Mahal et Bakhtiari (centre), où coule cette rivière.
Son successeur, le président Rohani, se montre davantage sensible aux problèmes environnementaux. » En ce qui concerne les digues par exemple, le gouvernement n’envisage pas d’en construire de nouvelles, alors que sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad, cent projets de construction ont été lancés « , expliqueBehrooz Dehzad.
Pour faire face à la sécheresse, il faudra beaucoup plus que ces signaux positifs. » L’Iran, estime Nasser Karami, doitsupprimer tous les puits illégaux, arrêter l’agriculture dans 50 % des champs du pays, ainsi que la culture de certains grains qui consomment trop d’eau, dont le blé. « Et par-dessus tout, » il est nécessaire que le gouvernement annonce un plan d’austérité nationale. «
Les répercussions pourraient largement dépasser les frontières iraniennes et déstabiliser un peu plus une région du Moyen-Orient déjà en crise. » Les expériences dans d’autres pays montrent que la sécheresse affaiblit le pouvoir central et laisse place à des conflits ethniques, religieux, confessionnels et à la violence « , assureNasser Karami.
Ghazal Golshiri