Aux nobles gendarmes du barrage de Sivens

Cet article a été publié le 12 novembre 2014 par Charlie Hebdo

Revenons-en aux faits. Un, ce sont les flics qui ont commencé la violence. Deux, il y a sur place l’ébauche d’une milice pro-barrage que personne ne recherche. Trois, Xavier Beulin a des idées derrière la tête. Quatre, les agences de l’eau, ça craint.

C’est plutôt rigolo. Ben Lefetey est un écologiste de longue date, ancien président des Amis de la Terre. Il y a une petite quinzaine d’années, il part vivre en Asie, avec femme et bientôt enfants. Et puis il revient en France, où il s’installe à Gaillac (Tarn). Fatalitas ! Quelques mois après son arrivée, un tract déposé sous son pare-brise l’invite à une manif contre le barrage de Sivens, à une poignée de kilomètres de là. Il y va, il s’engage, et devient le porte-parole des opposants, ceux du « Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet » (http://www.collectif-testet.org).

Certains des pro-barrage les plus énervés lui promettent de lui couper les couilles, et les mêmes ou d’autres le présentent comme un « étranger » à la région venu y foutre le bordel. Il ne donne pas l’impression d’être autrement impressionné, et Charlie s’est finalement décidé à l’interroger. On apprend des choses, indiscutablement.

Charlie :  Et si on revenait sur la violence ? Qui a commencé ?

Ben Lefetey : Le premier acte de violence date du 23 janvier 2014. Ce jour-là, une bande d’une vingtaine de types, certains cagoulés, sont venus sur place saccager la ferme alors occupée par les zadistes. Avec des voitures dont le numéro d’immatriculation était caché. Il n’y avait que deux filles présentes, qui ont été attirées à l’autre bout du champ par une diversion. Le commando a sorti des masses, détruit portes et fenêtres, ouvert un trou dans le toit,  balancé du répulsif sur les matelas de manière à rendre le lieu inhabitable. Plainte a été déposée par le…conseil général, propriétaire en titre de la ferme. Bien qu’il n’y ait pas de grands doutes sur l’identité des gros bras, il n’y a jamais eu de suite.

> Les affrontements avec les gendarmes ont commencé, eux, le 27 février, un mois plus tard.  Les zadistes, surtout des anars du Tarn, renforcés par quelques Toulousains, étaient entre 5 et 10 à occuper le futur chantier en permanence et à y dormir. Après la destruction de la ferme, ils ont construit une maison en paille, installé des yourtes et un chapiteau. Et ils ont été expulsés par des policiers en civil et des gendarmes du Peloton de surveillance et d’intervention de Gaillac. Ces derniers forment une unité qui correspond aux brigades anti-criminalité (BAC) des villes. Une unité qui utilise souvent la violence, et qui l’a employée contre les occupants pacifiques du chantier. Le plus inouï est que cette expulsion a été condamnée ensuite par la cour d’appel de Toulouse. La gendarmerie opérait donc dans l’illégalité.

Charlie : Et c’est donc ensuite, et seulement ensuite, que tout s’est enchaîné ?

B.L : Aucun doute. Dès mars, les occupants ont été plus nombreux –entre 50 et 100 – et ils ont pu empêcher le déboisement qui était alors prévu.  Au passage, des gens plus radicaux sont en effet arrivés, qui ont construit des barricades qui ne tenaient d’ailleurs pas dix minutes. Dans tous les cas, l’escalade vient de là. Et de l’arrivée de Valls à Matignon : en septembre, entre 150 et 200 gardes mobiles ont été « réservés » trois semaines pour imposer le barrage de Sivens.

Charlie : En dehors des zadistes, qui refuse localement le barrage ?

B.L : Je voudrais d’abord parler des paysans, car le conseil général du Tarn a toujours prétendu que le monde agricole était pour, unanimement. Or il y a des paysans locaux, comme par exemple Pierre Lacoste, qui sont contre, et qui soutiennent depuis le début les zadistes. Et il faut citer le réseau de paysans bio de Nature et Progrès Tarn, très actif. Enfin, la Confédération paysanne est venue en renfort avec des tracteurs, réclamant au passage un moratoire. S’ajoutent au combat Attac, très présent dans le Tarn, ainsi que les associations historiques de France Nature Environnement (FNE). Des individus comme moi se sont greffés au fil du temps à la bagarre.

Charlie : Ségolène Royal a annoncé on ne sait plus bien quoi. Y aura-t-il un barrage ?

B.L : Nous avons désormais bon espoir qu’aucun barrage ne sera construit. Les experts qu’elle a nommés, dans leur fameux rapport, nous ont donné raison sur des points décisifs que nous avions avancé il y a un an sans être écoutés par le conseil général. Cela nous donne une sacrée crédibilité ! On est loin de cette image manipulée de zadistes maniant la barre de fer et terrorisant la population locale.

Charlie : Encore un mot sur la violence. Sans les affrontements avec les gendarmes, sans la détermination des zadistes, où en serait le barrage aujourd’hui ?

B. L : Il serait aux trois quarts construit.

Encadré 1

L’homme aux pesticides entre les dents

La menace bolchevique n’étant plus disponible, Xavier Beulin, président de la FNSEA – syndic(at) de faillite des paysans – vient d’inventer pire encore. Les écologistes de Sivens seraient des « djihadistes verts ». On pourrait en ricaner si ce n’était autant sérieux. Car derrière ce gros céréalier de la Beauce se profile une radicalisation croissante des paysans qu’il manipule.

Beulin déjeune régulièrement avec Hollande, à qui il promet de créer plein d’emplois à condition qu’on dérégule la profession. Plus de contraintes, plus de règles, nitrates à tous les étages ! Il veut en outre créer un statut du paysan qui serait refusé aux plus petits, ceux dont les surfaces ne lui paraissent pas dignes des grasses subventions qu’il reçoit.

Autre aspect de ce grand personnage : Sofiprotéol, énorme groupe industriel  qui pèse 7 milliards d’euros de chiffre d’affaires (en 2013). Beulin n’est pas seulement « syndicaliste » : il est également le patron de Sofiprotéol et joue un rôle crucial dans des dossiers comme celui de la ferme des 1000 vaches. Sofiprotéol commercialise plus de la moitié des pesticides épandus en France. Cet homme aime la vie.
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Encadré 2

Le rôle si trouble des agences de l’eau

Sans l’agence de l’eau Adour-Garonne, pas de barrage de Sivens. Ce mastodonte public prévoit un budget de près de deux  milliards d’euros sur la période 2013-2018, et a promis 50 % du montant des travaux, qui s’élèvent sur le papier à 8, 4 millions d’euros pour une poignée d’irrigants.

La France compte six agences régionales de l’eau, créées en 1964, qui décident de tout parce qu’elles financent tout. Menu problème : elles sont une chasse gardée des trois grands corps d’État évoqués la semaine passée dans Charlie : les Mines, les Ponts et le Génie rural et les eaux et forêts. Ces grands ingénieurs sont intéressés au volume de travaux placés sous leur contrôle. En 2014, malgré quelques velléités démocratiques, l’oligarchie règne : cinq des six agences sont dirigés par des « corpsards », et la sixième, qui attend le sien, est administrée par un intérimaire, haut fonctionnaire du ministère de l’Agriculture.

Adour Garonne est pilotée par un ingénieur général des Mines, Laurent Bergeot, et le vice-président de la décisive commission Programmes et Finances est un certain Alain Villocel. Mais il faut employer le passé, car Villocel vient de partir vers de nouvelles aventures. Qui était-il jusqu’à ces derniers mois ? Le directeur général de la Compagnie d’Aménagement des Coteaux de Gascogne (CACG), bastringue public au service du conseil général du Tarn. Cette société d’économie mixte, qui fait abondamment couler l’argent public, est au point de départ du barrage de Sivens. Où le serpent se mord méchamment la queue.

13 réflexions sur « Aux nobles gendarmes du barrage de Sivens »

  1. Formidable interview! oui car le journaliste a interviewé, pas « interrogé » ben lefetey, ce n’était pas un interrogatoir policier, heureusement!

  2. Merci Fabrice,

    Sivens: saisie, la Commission européenne enquête sur le projet de barrage

    Bruxelles pourrait lancer une procédure d’infraction contre la France, pour non-respect de la règlementation environnementale et des règles de financement.

    Bien a vous,

  3. Ce barrage est une honte absolue.
    Le pire c’est que c’est l’arbre qui cache la forêt.
    Misérable pays que le nôtre ! Avec toute cette arrogance mortifère des décideurs.
    Et il y en a tant (de pays) où c’est encore pire…
    Il doit quand même en exister un certain nombre où ça va mieux qu’ici… dites moi que oui !

  4. « Nobles »

    Regardez donc ce qui suit.
    Derrière ça comme pour la mort de Rémi il y a un/des donneurs d’ordre.
    On imaginais ça dans d’autres pays, comme quoi rien n’est jamais acquis .
    La vidéo « historique »:
    http://www.youtube.com/watch?v=W1YlVOicMkw

    Une citation extraite d’un film culte

    « C’est l’histoire d’un homme qui tombe d’un immeuble de cinquante étages. Le mec, au fur et à mesure de sa chute se répète sans cesse pour se rassurer : jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien.
    Mais l’important c’est pas la chute, c’est l’atterrissage. »

    Hubert Koundé, La Haine (1995), écrit par Mathieu Kassovitz

  5. Eternit, nessun colpevole per i morti d’amianto. Renzi: “Cambiare la prescrizione, così è incubo”

    La Cassazione: reato prescritto. Nessuno paga per i morti di amianto.
    Annullata la condanna a 18 anni del magnate svizzero Schmidheiny.

    http://www.lastampa.it/

  6. Voici comment l’Europe en est venue à la procédure d’infraction sur le barrage de Sivens

    http://www.reporterre.net/spip.php?article6593

    « Je tiens ici, sur ce dossier à remercier tout particulièrement deux personnes : Fanny Thibert qui a été une collaboratrice d’exception et dont la qualité du travail est parfaitement illustrée dans le suivi de ce dossier et Ben Lefetey, qui a été le relais associatif sans faille et qui a démontré que l’opposition politiques / associatifs n’est pas inéluctable. »
    Catherine Greyze

  7. Cette perspective, s’il elle se réalisait, serait une victoire amère: au jeu de c’est pas moi, c’est l’autre, le grand autre, celui auquel nous sommes tous soumis, l’irresponsable (politique) garant de nos irresponsabilités (morales et juridiques), le maître du temps, né dans les choux de Bruxelles, qui gagne en vérité ?

  8. Il s’agit avant tout que la paix sociale règne.
    Pour se faire,donner du temps au temps histoire que le » soufflet » retombe. Se faire discret en tant que commanditaire. Avez vous vu comme « il » est discret depuis le 26… Il recommence tout juste à pointer son nez …
    Avec leurs précieux auxiliaires que sont leurs merdias qui font l’actualité et surtout leur justice garante de leur impunité ,tout ceci est assez facile vu l’apathie générale qu’illes maintiennent au jour le jour . Un soupons de Djihadisme par çi, et surtout les fêtes de Noel qui approchent…
    Cette grenade là n’a même pas été dégoupillée et la réponse sociale à la mort de Rémi n’a pas eu lieu! Bien entendu des individus ,des groupes sont présent comme d’habitude. Des méchants bien entendu.
    Bon les gentils de FNE portent plainte pour infraction au code de l’environnement…

    Désolé

  9. Bordeaux se lève contre les répressions policières

    – 22/11 – 16h – Place de la Victoire –

    Les luttes à Notre-Dame-des-Landes, au Testet et partout ailleurs, ont poussé l’état dans ses retranchements.

    Une fois encore, il a commis l’irréparable. Il a tué.

    Depuis, partout en France, des mouvements ne cessent de prendre de l’ampleur: lycées et facs bloqués, occupations de gendarmerie, blocage de flux, manifestations…

    Tirs tendus de grenades, tirs de flashballs en pleine tête… Les attaques de la polices et de la gendarmerie dépassent depuis longtemps leur propre cadre légal !

    La banalisation des violences policières nous est insupportable.

    Plus de 120 personnes tué.e.s entre 2000 et 2014 et d’innombrables blessé.e.s, mutilé.e.s, éborgné.e.s sous les coups de la police, dans la rue, les commissariats, les prisons, aux frontières…Ça suffit!

    A l’appel des Zones A Défendre (ZAD), le 22 novembre aura lieu une grande journée de mobilisation contre les répressions policières.

    Bordeaux y répond : 16h Place de la Victoire

    Face au fichage et à la répression policière, nous vous proposons de venir masqué.e ; parce qu’etre masqué.e, ce n’est pas être un « casseur ». C’est avant tout se protéger du fichage généralisé.

    Parce qu’il est grand temps de s’opposer fermement aux pratiques autoritaires de l’État!

    – Pour la démilitarisation des forces de l’ordre,

    – Pour l’amnistie complète des inculpé-e-s politiques liés à ces luttes,

    – Pour l’abandon définitif du projet de barrage à Sivens, de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, et de tous les autres Grands Projets Inutiles et Imposés (GPII),

    – Pour la réappropriation de nos vies et de nos territoires…

    SOLIDARITE AVEC TOUTES LES VICTIMES DE LA VIOLENCE D’ETAT !!

    ZAD PARTOUT – FAITES TOURNER!

    Rassemblement appartidaire, venez avec vos instruments de musique, de la bouffe, vos ami.e.s, vos déguisements, vos messages, vos pancartes mais pas vos drapeaux d’organisation. Merçi 🙂

  10. Bonjour,
    Pour ceux qui étaient à la manif de Nantes, une action à faire qui me semble importante :

    « Cet acte, qui se veut symbolique, a notamment pour but de dénoncer la répression croissante qui s’abat sur les opposants aux projets imposés. Stéphane Vallée, avocat en charge de personnes inculpées autour du dossier de Notre-Dame-des-Landes, remet aujourd’hui les lettres « d’auto-dénonciation » au procureur de Nantes. »

    http://www.reporterre.net/spip.php?article6601

  11. TUER POUR LA CROISSANCE
    Tribune pour une organisation entre les ZAD et contre les violences
    policières
    par le groupe MARCUSE
    Le groupe MARCUSE (Mouvement Autonome de Réflexion Critique à l?Usage des
    Survivants de l?Économie) est un collectif d?auteurs critiques apparu au
    début des années 2000. En 2004, ils publiaient De la misère en milieu
    publicitaire, toujours disponible aux éditions de La Découverte, et en
    2012 La liberté dans le coma aux éditions de La Lenteur. À Sivens, ils ont
    pu suivre et prendre part à la contestation envers le conseil général et
    le projet de barrage inutile qui a causé la mort de Rémi Fraisse. Dans un
    contexte de manifestations contre les crimes policiers qui réunissent
    lycéen-ne-s, écologistes et habitant-e-s de cités, voici leur analyse,
    mise en affiche et en tract.

    OÙ À LIRE ICI: http://jefklak.org/?p=1308

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