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Le Pakistan et la nappe phréatique (Et Attali en prime)

À peine revenu du pays des bois – je vous raconterai, mais plus tard -, voilà que je tombe sur un coup d’État. Où ? Mais là-bas, voyons, du côté des Afghans et des Indiens, quelque part en bas à droite, quand on considère l’Europe comme le centre du monde.

Je veux parler du Pakistan, pour sûr, et de cet excellent allié de l’Occident dans la lutte contre le terrorisme, notre ami à tous Pervez Musharraf. Il est vrai qu’il s’agit d’une pure ganache, d’un militaire professionnel, vif partisan de la violence et de la dictature. Mais avons-nous bien le choix ?

Donc, un général. Qui ne supporte les élections que lorsqu’elles lui sont favorables. Et qui les abolit d’un mouvement de chars au moment qu’elles menacent sa toute-puissance. Un véritable ami, comme on n’en fabrique plus assez. Je n’entrerai pas ici dans le détail quotidien des choses, qui réserve comme de juste son lot de surprises. Je n’y ai pas ma place.

En revanche, regardant la scène d’un peu plus loin, je m’autoriserai à vous livrer quelques éléments qui feraient réfléchir si une telle activité avait encore cours sous nos admirables cieux. Et pour commencer, un souvenir personnel. Au début de 1990, je travaillais pour l’hebdomadaire Politis, né deux ans plus tôt. C’était assez rigolo : rue Villiers-de-l’Isle-Adam, dans l’ancien quartier prolétaire parisien de la place Gambetta, il faisait froid. Mais froid. Nous occupions un ancien atelier dépourvu de chauffage, il fallait disperser de maigres calories dans l’air, grâce à de pauvres bouteilles de butane, et la vérité, c’est qu’on vivait couverts. Comme c’était bien !

En cette superbe préhistoire, le journal s’appuyait, entre autres, sur des pigistes méritants. C’est-à-dire des journalistes capables de travailler sans être sûrs de rien, et surtout pas d’être payés. Parmi eux, l’Allemand Mycle Schneider, qui s’imposait dans ces années disparues comme un bon connaisseur des affaires nucléaires du monde. Un jour de janvier 1990, il est arrivé avec une histoire exclusive. Au moment même où le président Mitterrand débarquait à Islamabad, capitale du Pakistan, pour une visite officielle, Mycle (prononcez Mickael) déballait l’histoire de la bombe pakistanaise.

Je viens de relire ce papier, et il est toujours aussi formidable (Politis, 93, page 50). Mycle racontait par le menu le rôle de la France socialiste dans la possession, par un État que je qualifierai, sans crainte d’être contredit, d’instable, de la bombe nucléaire. N’y insistons pas, ici du moins : cette politique, imbécile autant que criminelle, signe la faillite de l’ère Mitterrand davantage que bien d’autres abandons.

En ce début d’année 1990, Jacques Attali ne prêchait pas encore l’ultralibéralisme, la liberté totale du grand commerce, la fin du principe de précaution et la création de nouvelles cités dispendieuses en énergie. Non, il se contentait de rêvasser, pour le compte de son maître, sur l’endiguement des trois grands fleuves du Bangladesh – partie du Pakistan jusqu’en 1971 – et de refuser l’ancêtre du Vélib, ce grand succès vélocypédique attribué au maire de Paris.

Je m’éloigne ? Certes, mais j’ai bien le droit de rire. Attali, qui n’aime rien tant que se présenter comme un homme bouillonnant d’idées et de projets, perpétuellement en marche vers un avenir qui court encore plus vite, Attali est un humoriste. En octobre 1989, comme le rapporte Courrier International ( n° 887, page 12) l’inventeur argentin Pedro Kanoff obtint un rendez-vous à l’Élysée avec Jacques Attali, noble conseiller du Prince. Kanoff avait imaginé un plan de déplacement urbain qui, trait pour trait, décrivait ce que serait vingt ans plus tard le Vélib.

N’était-ce pas une occasion unique, pour un homme au service grandiloquent de la prospective ? Si. Mais non. Attali éconduisit l’importun au bout de quelques minutes, sur ces mots d’anthologie : « Nous souhaitons changer, mais nous ne sommes pas fous…ce que vous proposez va contre l’industrie de l’automobile et du pétrole. Et nous ne pouvons pas le faire ».

Passons. En 1990, donc, Mycle pointe les écrasantes responsabilités de la France dans la fabrication de la bombe pakistanaise. En 1995, Attali publie un livre, que j’ai lu en son temps, intitulé Économie de l’apocalypse (Fayard). Il y décrit un monde plongé dans le chaos du nucléaire, notamment militaire. J’en retiens cette phrase, aussi amusante qu’elle est foldingue sous la plume d’Attali : « Lorsque le Secrétaire Général de l’ONU m’a demandé de préparer un rapport sur la prolifération et le trafic nucléaires, je ne m’attendais pas à tirer des conclusions aussi terrifiantes ».

Toujours avec moi ? Eh bien, nous voici en 2007, et le Pakistan a encore la bombe. Laquelle risque de tomber demain matin dans les mains de l’ISI, les services secrets militaires pakistanais, qui mangent depuis des lustres dans la même assiette que les preux chevaliers d’Al-Qaïda.

Je lis ces jours-ci un livre d’Éric Laurent, Bush, l’Iran et la bombe (Plon). Si vous êtes pressé, rendez-vous pages 119 et suivantes. On y voit comment le Pakistan de M.Khan – un expert mis au premier plan par Mycle en 1990 – a constamment aidé l’Iran des mollahs à fabriquer la bombe nucléaire. Si demain, et je prie qu’il n’en soit pas ainsi, une guerre a lieu entre les États-Unis – avec la France sarkozyste dans le rôle du caniche ? – et l’Iran, qui osera rappeler les vraies responsabilités du drame ?

Qui mettra en parallèle la prolifération, prélude aux guerres atomiques, et l’absurde promesse de notre président à tous les États du monde de leur vendre notre technologie nucléaire supposément civile ? Peut-on compter sur Jean-Pierre Elkabbach et Patrick Poivre d’Arvor ? Je l’espère bien, au moins autant que vous.

Enfin, un mot sur le Pakistan réel, assez éloigné de l’imagerie journalistique ordinaire. Ce pays est à l’agonie, et pour des raisons qui n’intéressent personne. Cette nation agricole compte 160 millions d’habitants, et elle a perdu ces dernières années sa précieuse autonomie alimentaire. Le Pakistan est désormais contraint d’importer des céréales. Or sa production actuelle est tout ce qu’il y a d’artificiel, car il a dilapidé en quelques décennies ses réserves souterraines d’eau, qui n’ont aucune chance de se renouveler dans des délais compatibles avec l’appétit de ses habitants. Le niveau des nappes phréatiques dans la plaine du Pendjab, décisif en toute hypothèse, baisse de 1 à 2 mètres chaque année depuis au moins vingt ans. Une ville comme Quetta (http://www.irinnews.org), proche de l’Afghanistan des taliban, sera bientôt à sec. Et bientôt, très bientôt, le Pakistan verra sa production céréalière baisser. Il n’y pas l’ombre d’un doute.

Autrement dit, un pays surpeuplé, tenté par l’islamisme radical, va connaître la faim. Et il aura été doté par nos soins d’une arme épouvantable, face à l’Inde, elle-même équipée de missiles nucléaires. Question qui n’appelle pas de réponse : des responsables aussi irresponsables que les nôtres méritent-ils notre confiance ?

Aimez-vous les crachats ?

Encore LUI ? Pas de ma faute. Sarkozy est un cas. Vous savez aussi bien que moi ce qu’il vient de déclarer à New-York, depuis la tribune de l’ONU. Il est prêt en notre nom à vendre du nucléaire à qui aura assez de dollars pour l’obtenir. Tout le monde en aura. Tout le monde, du moins, pourra faire gonfler le chiffre d’affaires d’Areva, dirigée – tiens – par une ancienne collaboratrice de Mitterrand.

Tout le monde. Charles Taylor, s’il était encore au pouvoir au Liberia, y aurait droit. Dans ce pays radieux, du temps où cet excellent Charles régnait sur les ruines, on arrêtait les gens sur les routes, et on les tuait sans autre forme de procès. Pour rire, quoi. Dans la Sierra Leone voisine, chez le grand ami de Taylor Sam Bockarie, on avait inventé un jeu original : « manches longues » ou « manches courtes » ? Il ne fallait pas se tromper. Celui qui disait « manches courtes » se voyait couper le bras à hauteur de l’épaule. Celui qui préférait les manches longues conservait un moignon, jusqu’au coude.

Bien entendu, il serait resté un problème. Comment ces gens-là auraient-ils payé notre bel atome « civil » ? Eh bien pas d’inquiétude pour Areva : Taylor et Bockarie avaient des diamants plein les poches. Et Sarkozy est assez pragmatique pour comprendre qu’on prend ce qu’on trouve. La France éternelle aurait troqué. Et voilà.

Tout le monde. Les satrapes. Les cinglés. Les assassins. Les monstres de Bosch. Les Inquisiteurs. Les ayatollahs. Les djihadistes. Les staliniens. Les hyènes et les chacals. Tout le monde, doté par Son Altesse Sérénissime Sarkozy de réacteurs made in France. Lisez, si vous n’êtes pas en train e vomir, les propos de notre président. Cet homme ignorant et inculte croit ce qu’il dit, cela ne fait aucun doute.

Or donc, pour lui, le nucléaire pour tous, c’est de la croissance « propre », et un moyen sûr de lutter contre le réchauffement climatique. Si. Il le croit. Cet homme crache au visage des martyrs de Tchernobyl. Et au-delà, de tous ceux qui, en France et dans le monde, croient encore pouvoir sauver ce qui reste de vie sur terre. Lui, il s’en fout, car il est heureux. D’être là, à la tribune. Sur la photo. Avec Christian Clavier ou Johnny. Eh, les gars du Grenelle de l’Environnement, pas de regrets ?

Par ailleurs, ce matin, je suis en deuil. André Gorz, et Dorine son épouse chérie, se sont donné la mort. Je les comprends sans peine. Gorz ne pouvait vivre sans elle. Elle était malade. Ils sont donc partis ensemble. Comme je comprends ! Mais Gorz était par ailleurs un puissant intellectuel. Raffiné, pénétrant, écologiste de surcroît. Je reparlerai de lui. En attendant, je le pleure.

Es lebe Deutschland (Vive l’Allemagne) !

Un deuxième petit papier ce dimanche. Notre excellent ami Sarkozy est allé en Allemagne, il y a quelques jours, pour convaincre Angela Merkel de ne pas renoncer au nucléaire à l’horizon 2020, comme c’est entendu là-bas. Je l’ai écrit ici, quel pied de nez insolent au Grenelle de l’environnement ! Je n’y reviens pas.

En revanche, cet ajout concernant la politique allemande réelle, qui ne semble pas consommer autant de colifichets que la nôtre. Lisez, si vous avez un peu de temps, ce document (en français) passionnant (1). Cela date de quelques mois, mais il n’y a aucun doute : nous sommes loin des miasmes élyséens. Il s’agit d’un résumé de la politique énergétique menée en Allemagne. Que d’idées, que d’audace (relative) !

Deuxième info, récente elle, car elle date de fin juillet (2). L’ambassade allemande à Paris annonce que Merkel travaille sur un vaste plan, qui sera annoncé cet automne. Il concerne également l’énergie et vise, de manière cohérente, à diminuer la consommation et à multiplier l’offre d’énergies renouvelables. Là-encore, c’est diablement intéressant.

Je peux me tromper, ce ne serait pas la première fois, mais je crois que Son Altesse Sérénissime Nicolas Sarkozy risque d’avoir fait chou blanc à Berlin. Et tandis qu’il amuse (mal) la galerie avec ses moulinets, d’autres, avec qui je partage pourtant si peu, agissent. Et dans le bon sens. Misère, où vais-je ainsi ?

(1) http://eole.over-blog.net

(2) http://www.lessourcesdelinfo.info

De l’art du go (contre un certain Grenelle)

Est-ce seulement une indifférence abyssale ? Ou bien du mépris ? Je ne sais. Le fait est que Sarkozy se moque de nous avec un grand aplomb. En visite en Allemagne le 10 septembre, il a insisté auprès de la chancelière Merkel pour qu’elle relance un programme électronucléaire.

Vous le savez sans doute, les Allemands, après des décennies de mobilisation, ont décidé un plan de sortie du nucléaire d’ici 2020. Contesté, certes, mais officiel. Sarkozy arrive, bardé de fiches concoctées par Areva et EDF, et puis fait son show. Comment mieux dire merde au mouvement associatif ?

Car enfin, quelle idée se fait-il des centaines de milliers de citoyens allemands qui ont oeuvré, souvent au-delà des catégories politiques classiques, pour que leur pays renonce à l’atome ? Je crains qu’elle ne soit guère différente de celle qu’il a des associations françaises, et du si fameux Grenelle.

Je ne vais pas faire le fat, mais j’aime prodondément le go. Ce jeu plurimillénaire est guerrier, ou mieux encore stratégique. Deux adversaires se font face, qui occupent peu à peu le go-ban avec des pierres – ou pions – noirs et blancs. Le go-ban est un damier de 361 intersections. Pour gagner, ce qui ne m’arrive pas chaque matin, il faut considérer l’ensemble du jeu. Les pierres dessinent des territoires, mais bien souvent, un coup majeur transforme une scène en son opposé. Un territoire virtuellement conquis devient une prison. L’illumination d’un instant découvre un paysage neuf.

Le Grenelle de l’environnement est une partie de go. Et les associations, attirées sur un terrain où elles s’enlisent, courent le risque évident de ne pas être comprises par la société. Or si Sarkozy est un tacticien redoutable, il demeure à mes yeux un mauvais stratège. Au go, cela ne pardonne pas. Certes, il est capable de faire des prisonniers, d’enfoncer un coin chez ceux d’en face, et d’effrayer le voisin. On peut le croire vainqueur déjà alors qu’il peut encore perdre, y compris la face.

Je suggère à mes amis écologistes de sortir dans la clarté et la dignité des commissions du Grenelle. Il se confirme, jour après jour, qu’elles ne sont là que pour enfumer renards et blaireaux. Les quelques mesures qui pourraient en sortir – et qui en sortiront peut-être – sont d’ores et déjà illisibles, incompréhensibles à tout autre que l’expert. Par mimétisme, le mouvement réinvente celui qui sait et comprend mieux que les autres. L’homme des bureaux. Des ministères. Celui des dossiers ficelés. Je réaffirme que le peuple a le droit et le besoin de comprendre les enjeux. Une réforme du Conseil économique et social, la réduction de la vitesse automobile – on parle de 10 km/h -, une amélioration de la « gouvernance écologique », tout cela sent la farce.

La guerre de position que mène Sarkozy est déjà perdue pour nous. Car il s’agit fondamentalement d’un leurre. Les grands de la cour l’ont d’ailleurs compris, savez-vous ? EDF ne siège pas au Grenelle, ni Areva. l’UIPP, l’industrie des pesticides, pas davantage. Ces vraies puissances savent où est le vrai pouvoir. Dans la coulisse. Dans l’antichambre. Dans le couloir, c’est-à-dire, en anglais , le lobby.

Il faut rompre et placer aussitôt, comme au go, la pièce maîtresse qui peut tout changer. Selon moi, il faut exiger, ensemble, l’organisation d’un référendum sur les OGM. Pas de moratoire ! Comme le disait fort justement l’autre jour le président du WWF Daniel Richard, la défense du moratoire ressemble étrangement à une acceptation différée.

Non, pas de moratoire. Mais un référendum. Si Sarkozy l’accepte, donnant la parole au peuple de notre pays, nous mènerons de conserve la plus belle campagne publique de l’histoire récente. Et nous gagnerons. Et la place de l’écologie chez nous en sera changée à jamais.

Car sous le parapluie d’une telle victoire, des millions d’enthousiastes se lanceraient à l’assaut de milliers de Bastille. Ce serait fête. Et populaire, croyez-moi. Et pour le cas où Sarkozy refuserait, il lui faudrait en assumer seul les conséquences. Je pense qu’il ne serait pas si difficile de lui faire porter le mistigri d’un échec historique sur le terrain de l’écologie.

Pour ma part, je suis prêt à crier : atari ! à Sarkozy et à sa petite équipe de bluffeurs. Atari, au go, signifie : attention, je m’apprête à vous mettre en échec. Ce coup est important, décisif peut-être. Oui, atari !

L’infernal retour de Tchernobyl

Une fantastique bagarre de l’ombre se mène en Biélorussie pour masquer les véritables conséquences de la catastrophe de Tchernobyl, qui sont effarantes. Le professeur Bandajesky, un scientifique de premier plan, est en train de mourir dans un camp, d’autres ne peuvent plus travailler. L’enjeu est énorme pour le lobby nucléaire mondial, qui tente, comme celui du tabac jadis, de gagner du temps. Dire la vérité serait en fait compromettre l’atome

Soyons solennel : l’histoire qui suit (1) sort vraiment de l’ordinaire, et l’on recommandera de la lire avec l’attention qu’elle mérite. D’autant qu’il y a urgence : Youri Bandajevsky est sans doute en train de mourir dans le camp où la mafia au pouvoir à Minsk (Biélorussie) l’a jeté pour huit ans, en 2001. Qui est-il ? Un formidable médecin, né en 1957, spécialiste de premier plan d’anatomo-pathologie. En 1990, alors qu’il n’a que 33 ans, il prend la direction du tout nouvel Institut de médecine de Gomel.

C’est un choix courageux, pour ne pas dire héroïque : Gomel est au coeur de la zone contaminée par Tchernobyl. Bandajevsky y commence un travail de fond sur les effets sanitaires de la catastrophe, et découvre très vite des choses stupéfiantes. En faisant passer des électrocardiogrammes à ses propres étudiants, il constate chez eux de nombreux problèmes, trop nombreux pour être le fait du hasard. Plus tard, en autopsiant près de 300 personnes à la morgue de Gomel, il entrevoit une piste essentielle : leurs reins, leurs coeurs contiennent des concentrations très singulières de césium 137 (Cs137), l’un des principaux radionucléides dispersés par Tchernobyl. Tout se passe comme si l’incorporation du césium était différenciée selon les organes concernés.

La femme de Bandajevsky, Galina, qui est pédiatre, entre en scène. Elle et son mari, aidés de quelques étudiants, se mettent à sillonner la Biélorussie pour ausculter le plus grand nombre possible d’enfants. Si le césium fait de tels ravages chez les adultes, pensent-ils, il doit en faire davantage encore chez les gosses, dont le poids est moindre et le métabolisme plus rapide. En quelques années, ils examinent des milliers d’enfants biélorusses, trouvant chez la plupart d’entre eux des concentrations de Cs137 supérieures à 50 becquerels par kilo de poids corporel, un seuil au-delà duquel apparaissent les maladies. D’ailleurs, beaucoup présentent de sérieuses pathologies cardiaques, dont d’inquiétantes arythmies.

En croisant ces résultats cliniques et le niveau de contamination de ces mêmes enfants, l’équipe de Bandajevsky réalise qu’il existe un lien flagrant entre concentration de Cs137 et malformations cardiaques. Au-delà de 70 becquerels de césium par kilo chez les gosses, à peine 10% d’entre eux conservent un coeur normal. De nouvelles études confirment les premières découvertes. Au total, 70% des enfants vus par les époux Bandajevsky autour de Gomel souffrent de pathologies cardiaques.

C’est terrifiant sur le plan sanitaire – personne ne soupçonnait des effets pareils -, et c’est explosif sur le plan politique. La Biélorussie, qui a consacré pendant des années jusqu’à 20% de son budget aux conséquences de Tchernobyl, n’a plus qu’une idée en tête : nier les problèmes, en tout cas relativiser. C’est que deux millions de personnes, dont 500 000 enfants vivent dans des zones contaminées : il faudrait, à suivre Bandajevsky, au moins évacuer les femmes enceintes et les plus jeunes enfants, et donner à tous les autres le moyen de se protéger contre la contamination, notamment celle des aliments.

Contrairement à Hiroshima et Nagasaki, où la réaction thermonucléaire s’était produite dans l’atmosphère, l’explosion de Tchernobyl a contaminé le sol en y déversant des centaines de tonnes de particules radioactives. Lesquelles se retrouvent perpétuellement dans les récoltes avant de passer dans les produits alimentaires. C’est l’horreur, une horreur sans fin. Ayant bien d’autres chats à fouetter, la mafia biélorusse veut au contraire, à toute force, clamer qu’on peut vivre sur des terres contaminées, et qu’on peut même y renvoyer des personnes déplacées au moment de la catastrophe.

En 1998, le professeur et son épouse sont face à leurs responsabilités : parler, publier leurs résultats, et donc défier le redoutable régime postsoviétique d’Alexandre Loukachenko; ou bien se taire. Galina rapportera plus tard 24 heures d’une discussion exténuante avec Youri. Elle a peur pour sa famille, pour ses enfants, tente de le convaincre de biaiser, de composer.  » Et lui m’a répondu : « Alors tu n’es pas un médecin. Et si tu n’es pas un médecin, tu peux mettre ton diplôme sur la table, et sortir balayer la cour »  » (2).

Les résultats sont publiés, et comme si cela ne suffisait pas, Youri, qui est membre d’une commission chargée de contrôler les fonds publics destinés à Tchernobyl, découvre une magouille gigantesque. Sur les 17 milliards de roubles affectés en 1998 à l’Institut de recherche sur les radiations, seul 1,1 milliard a été utilisé pour des études utiles. Le reste ? Gaspillé, ou pire. Il est menacé, reçoit des lettres anonymes, mais continue à alerter l’opinion. Dans une de ses dernières interventions publiques, il déclare :  » Si on n’entreprend pas des mesures permettant d’éviter la pénétration des radionucléides dans l’organisme des adultes et des enfants, l’extinction menace la population d’ici quelques générations « . Vous avez bien lu : extinction.

Le 13 juillet 1999, il est arrêté, et jeté en prison pour six mois. Ce qu’on lui reproche ? D’avoir touché des pots de vin ! Il perd vingt kilos, vieillit, aux yeux de ses amis, de dix ans en quelques semaines. Le 27 décembre 1999, il est libéré dans l’attente d’un procès, et se remet aussitôt au travail. Mais le 18 juin 2001, une chambre militaire – ce qui interdit tout appel – le condamne à huit ans de camp à régime sévère et à la confiscation de tous ses biens. Evidemment, son successeur à l’Institut de Gomel met fin aux travaux en cours sur le césium. Bandajevsky s’enfonce dans la nuit, qui risque de lui être fatale (voir encadré sur la campagne pour sa libération).

Mais l’affaire Bandajevsky, si elle terrible, n’est pas unique. Le pouvoir biélorusse, en effet, est parvenu en quelques années à museler ou contrôler toute recherche authentique sur les véritables effets de Tchernobyl. Après avoir chassé sa propre ministre de la Santé, le docteur Dobrychewkaïa, il est parvenu à fermer un autre institut scientifique, celui du professeur Okeanov, spécialiste des cancers, et à occulter les travaux des professeurs Demidtchik et Goncharova.

Le cas du professeur Vassili Nesterenko est plus frappant encore. Héros de Tchernobyl, où il a été irradié au moment de l’explosion, il s’est constamment heurté depuis aux autorités en place. Bientôt menacé d’internement, puis de procès en corruption – comme Bandajevsky -, il poursuit néanmoins un travail de terrain qui prouve l’extraordinaire contamination de la chaîne alimentaire. On lui confisque finalement ses appareils de mesure, et victime d’un infarctus, il perd la direction de son institut. Va-t-il céder ? Non. Grâce notamment à une fondation irlandaise, il crée un institut indépendant, Belrad, et repart au combat. En 2000, il parvient même à mettre au point un produit à base de pectine de pomme, très efficace pour l’élimination du césium dans les tissus humains.

Ces impitoyables manoeuvres politico-mafieuses pourraient paraître lointaines, et presque exotiques. Mais ce serait oublier que Tchernobyl est un enjeu mondial pour le lobby nucléaire. Qui tient le  » bilan  » de la catastrophe tient probablement entre ses mains l’avenir de cette industrie de la mort. Michel Fernex, professeur émérite de la faculté de médecine de Bâle, qui suit la totalité de ce dossier avec une énergie et une vigilance admirables :  » Si les conséquences sanitaires de Tchernobyl étaient connues, elles mettraient fin au programme de développement nucléaire mondial « . Est-ce la véritable enjeu des drames à répétitions qui frappent la Biélorussie ? Le même Fernex a mis au jour (voir encadré) l’intolérable  sujétion de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à ce lobby essentiel qu’est l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA). Où sont passés les résultats de la conférence de 1995 ?

Bien plus près de nous, EDF, Areva, Cogema ont lancé en 1996 en Biélorussie le projet Ethos (voir encadré). S’agit-il, comme l’affirment ses promoteurs, d’aider les populations locales ? En partie, sans doute. Mais ces travaux, qui portent sur la radioprotection, visent in fine à  » prouver  » qu’on peut vivre durablement sur des terres contaminées par l’atome. Une démarche qui ne peut que satisfaire au plus haut point le pouvoir biélorusse. Faut-il parler de complicité objective ?

Au début de 2001, l’institut Belrad de Nesterenko s’est vu retirer la gestion de cinq centres de contrôle radiologique dans la région de Stolyn. Précisément sur le territoire où travaillent  » nos  » experts. Et ce n’est pas l’effet du hasard : dans un courrier adressé à Nesterenko, le président du très officiel organismes Com Tchernobyl lui annonce que ces cinq centres seront transférés à un autre institut conformément à la proposition des scientifiques français, dans le cadre du projet Ethos-2. Certes, les responsables d’Ethos ont immédiatement parlé de malentendu, et multiplient depuis les contacts avec Nesterenko.

Mais au nom de quelles valeurs des scientifiques d’un pays démocratique parviennent-ils à travailler dans un pays où la liberté de recherche – et la liberté tout court – est à ce point bafouée ? Comment osent-ils travailler sur la  » fertilisation raisonnée de la pomme de terre  » sans dire un mot sur le sort de Bandajevsky, qui a prouvé que 70% des enfants par lui examinés souffraients de problèmes cardiaques ? Oui, au nom de quelles valeurs ? Celles de l’atome ?

(1) Cet article doit beaucoup aux informations rassemblées par la Crii-rad, notamment dans son excellent bulletin Trait d’Union n°22

(2) Propos tirés d’un film du réalisateur Wladimir Tchertkoff

DEUXIÈME ARTICLE

Il faut sauver Bandajevsky !

Condamné à huit ans de camp – un vrai goulag -, le professeur est en train de mourir.

L’association Crii-Rad (471 avenue Victor Hugo, 26000 Valence. Tél : 04 75 41 82 50, www.criirad.com) a lancé en France une vaste campagne de soutien au professeur Bandajevsky, que Politis soutient bien entendu. Il s’agit tout à la fois d’exiger sa libération et de récolter des fonds pour que sa femme puisse continuer ses travaux.

Les dernières nouvelles concernant Youri Bandajevsky sont dramatiques. Le réalisateur Wladimir Tchertkoff, qui a pu parler au téléphone, il y a quelques jours, avec l’épouse de Youri, Galina, témoigne :  » Galina ne s’est pas encore reprise du sentiment opprimant que la dernière rencontre lui a laissé.  Elle voit que cet homme jeune et dynamique est en train de s’éteindre. « Il est difficile de transmettre avec des mots, m’a-t-elle dit, comment il est changé en si peu de temps. C’est un homme malade. Il est très faible, il n’a plus aucune énergie. A la fin de la conversation de 2 heures il était tout en sueur et avait besoin de se coucher, car les forces lui manquaient.

Le mal de tête est constant; la douleur au coeur est une habitude; l’appétit l’a complètement abandonné, il se force à manger et en réalité ne mange presque pas. La dépression ne le quitte pas. Il a tout le temps peur de l’assassin qui dort dans sa cellule et le surveille. » (…) Galina continue à ne pas comprendre ce qui le mine à ce point. Elle lui a demandé : « Que veux-tu transmettre à tes amis étrangers ? ». Il a répondu :  « Qu’ils obtiennent une expertise médicale indépendante de mon état de santé. Je suis médecin, je connais notre monde, les nôtres ne diront que ce qu’on leur dira de dire. » Et elle :  « Mais les laissera-t-on venir t’examiner? ». Lui :  « Je ne sais pas… » « .

On peut écrire directement un mot de soutien à Youri Bandajevsky, UI. Kalvarijskaya, 36. Boîte postale 3521, 220600 Belarus, Minsk (avec copie à la Crii-Rad), ou une lettre à M. Sergio Vieira de Mello, Haut commissaire aux Droits de l’Homme, palais Wilson, Office des Nations Unies, 1211, Genève 10, Suisse (avec copie à la Crii-Rad). Ou encore participer directement au fonds de solidarité avec Bandajevsky, ouvert par la Crii-Rad, qui a fabriqué pour l’occasion des tee-shirts demandant la libération du scientifique.

TROISIÈME ARTICLE

 Ethos est-il éthique ?

Les entreprises françaises du nucléaire sont-elles complices du gouvernement biélorusse ?

Romain Chazel, administrateur de la Crii-Rad, revient d’un colloque sur  » La réhabilitation radiologique et le développement durable des territoires contaminés en Biélorussie  » organisé à Paris par les responsables d’Ethos, en présence de Vladimir Tsalko, président du Com.Tchernobyl, l’oganisme officiel biéolorusse chargé des conséquences de l’explosion de 1986.

 » Je m’y suis présenté avec mon tee-shirt demandant la libération de Bandajevsky, et j’ai indiqué que la Crii-Rad refusait que de l’argent public soit donné aux industriels du nucléaire pour mener un pseudo travail de réparation des territoires contaminés alors que des scientifiques indépendants comme le professeur Nesterenko, qui mène un réel travail sanitaire en direction des enfants, ne sont pas financés. A quoi sert Ethos ?  »

Né en 1996, le projet Ethos regroupe notamment tous les grands du nucléaire français : EDF, Cogema (du groupe Areva), le CEA et même l’organisme d’expertise public IRSN, rassemblés dans une modeste association à but non lucratif – loi 1901 -, le Centre d’étude sur l’évaluation de la protection dans le domaine nucléaire (CEPN). D’autres institutions françaises, dont l’Institut d’agronomie de Paris-Grignon ou l’université de Compiègne, se sont joints à Ethos, dont le but proclamé est de  » réhabiliter les conditions de vie dans les territoires contaminés par l’accident de Tchernobyl « . Pour l’essentiel, il s’agit d’aider les populations locales à intégrer dans leurs gestes quotidiens – activités agricoles, préparation des repas, hygiène de vie – une culture radiologique qui leur permette de diminuer les risques de contamination. Tout ne serait donc qu’éthique.

Mais la Crii-Rad se pose des questions plus fâcheuses.  » Ne s’agit-il pas, demande Romain Chazel, d’uns stratégie visant à occuper le terrain en produisant des études qui minorent le risque plutôt que de laisser le champ libre à des chercheurs réellement indépendants, comme Nesterenko et Bandajevsky ? Avec le projet Ethos, c’est exactement comme si on confiait des études sur les effets de l’amiante aux industriels qui ont exposé des travailleurs à ce produit pendant des dizaines d’années ! La protection sanitaire des populations victimes du nucléaire ne peut pas être confiée aux industriels. Ni autour de Tchernobyl, ni en France.  »

Le professeur Michel Fernex, pour sa part, était présent au séminaire d’Ethos, tenu à Stolyn, en Biélorussie, les 15 et 16 novembre 2001.  » Ethos, rapporte-t-il, avait préparé des beaux tableaux sur papier glacé, et des projections informatisées, dont certaines concernaient des hypothèses sur le césium 137 très contestées. En revanche, les travaux qu’une pédiatre tenait en mains pour les commenter n’ont pu eux être projetés, car ils n’étaient pas informatisés. Et que montraient-ils ? Que le nombre d’hospitalisations des enfants ne cesse de monter. En 1986 et 1987, il y en avait environ 150 par an pour 1000 enfants. On est passé à 500 pour 1 000 en 1990, et l’on a atteint 1200 hospitalisations par an pour 1 000 enfants en 2 000.  »

Une catastrophe ? Oui, mais Ethos préfère se demander comment améliorer la production agricole grâce à des semences adaptées ou à des engrais de qualité. Pour quelques centaines d’heureux élus. Un choix éthique, sans doute.

QUATRIÈME ARTICLE
Quand l’OMS se couche devant l’AIEA

A quoi sert l’agence de l’ONU ? A protéger la santé des peuples du monde, ou à faire plaisir au lobby nucléaire ?

L’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA), est un pur lobby de l’atome, créé en 1957. Organisation autonome, elle est pourtant liée à l’ONU par un accord spécial qui lui accorde une légitimité considérable. Or, l’AIEA est, par ses statuts même, chargée de la promotion dans le monde de l’énergie nucléaire.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS), créée en 1948, est elle une véritable institution de l’ONU. Chargée d’amener  » tous les peuples au niveau de santé le plus élevé possible « , elle est théoriquement le grand protecteur des peuples de la planète.  » Mais un accord qui date de 1959, explique le professeur Michel Fernex, lie les deux institutions et permet de cacher des informations essentielles sur les risques que fait courir l’industrie nucléaire.  »

Fantasme ? Hélas, non. L’accord de 1959, resté des plus discret, prévoit que l’OMS et l’AIEA s’engagent à la confidentialité sur des sujets pouvant intéresser les deux parties. Depuis l’explosion de 1986, l’AIEA n’a cessé de manipuler les informations sur la gravité de Tchernobyl, niant parfois jusqu’à l’évidence. Mais le plus grave est sans doute la censure inouïe des actes d’une conférence internationale de l’OMS, tenue à Genève en 1995. Les  » travaux  » de l’AIEA y sont massivement contestés par d’excellents chercheurs : on apprend entre autres que neuf millions de personnes (!) ont été directement touchées par la radioactivité, que l’eau potable de 30 millions d’Ukrainiens est contaminée, qu’on assiste à une véritable explosion de quantité de maladies, dont certaines jadis fort rares.

 » Les gens de l’AIEA présents à Genève étaient furieux, rapporte Michel Fernex, et ont obtenus que les actes de Genève, qui devaient être publiés quelques mois plus tard, soient purement et simplement censurés. C’est comme si la conférence n’avait pas eu lieu ! L’année suivante, en avril 1996, l’AIEA a tenu sa propre conférence, qui rassemblait des invités triés sur le volet. Des intervenants y ont affirmé, à la tribune, que le silence devait être imposé aux médias en cas d’accident, car leurs articles « alarmistes » étaient la cause de presque tous les maux obervés à Tchernobyl !  »

Fou ? Vrai. Après avoir créé de toutes pièces, pour les besoins de sa cause, le terme de radiophobie, censé expliquer par la psychologie une grande partie des pathologies autour de Tchernobyl, l’AIEA se rabat à cette occasion sur le terme de  » stress environnemental « . C’est un tour de passe-passe parfait ou presque : quoi de plus banal, dans nos sociétés surmenées, que le stress. Celui de Tchernobyl est seulement un peu plus fort…

CINQUIÈME ARTICLE
26 avril 1986, 1h23

Tchernobyl ! L’accident du réacteur n°4 de cette centrale soviétique située en Ukraine se produit le 26 avril 1986, à 1h23 du matin. Le lendemain, on évacue la ville nouvelle et atomique de Pripiat. La Biélorussie, qui ne compte pourtant aucune centrale nucléaire sur son territoire, est la plus gravement touchée des républiques de l’URSS. 70% des 50 millions de radionucléides dispersés par l’explosion – qui émet au total 100 fois plus de radiations que Hiroshima et Nagasaki réunis – se déposent sur le territoire biélorusse.

L’Union soviétique de Gorbatchev enverra sur place, au total, environ 800 000 liquidateurs, chargés de contenir la furie du réacteur, dont 50 000 combattent sur le toit de la centrale, au plus près du monstre. Ils ont en moyenne 33 ans, et le suivi de leur situation médicale, d’emblée problématique dans un pays totalitaire, devient impossible après la chute de l’Union soviétique.

Tchernobyl, combien de morts ? 30, comme l’a prétendu pendant quinze ans le noyau dur du lobby nucléaire mondial ? Le Comité scientifique sur les effets des radiations nucléaires de l’ONU (UNSCEAR), scandaleux prolongement, aux Nations Unies des thèses de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), n’hésite pas à conclure, en 2000, qu’il   » n’y a pas de risque accru de leucémie en relation avec l’accident pour ce groupe de personnes (les liquidateurs, NDLR). Cette même conclusion globale s’applique pour tous les autres cancers, y compris ceux de la thyroïde. Cependant, on ne peut formellement exclure, même si cette éventualité est improbable, le risque d’apparition ultérieure de certains cancers dus à l’irradiation, pour lesquels les temps de latence peuvent être de plusieurs dizaines d’années « . Au même moment, d’autres estimations des gouvernements de Russie et d’Ukraine estiment que 10% des liquidateurs – soit autour de 80 000 ! – sont d’ores et déjà invalides. 30 morts ? Certaines estimations évoquent carrément 40 000 décès, et même 560 000 à l’arrivée, d’ici une trentaine d’années.

Qui croire ? En tout cas pas le lobby : tous les colloques, toutes les conférences organisés par les partisans de l’atome nient pratiquement les effets gravissimes de Tchernobyl. Les contributions des scientifiques locaux, au contact de la mort et de la maladie quotidiennes sont systématiquement écartées ou presque. Le lobby ne peut certes l’emporter tout à fait, mais il gagne un temps précieux, qui permet de diluer les affreuses nouvelles réelles. Ainsi les cancers de la thyroïde chez les enfants sont-ils contestés pendant de longues années, avant d’être reconnus du bout des lèvres, et de façon souvent ignoble : en 1996, au cours d’une mémorable conférence de désinformation de l’AIEA, l’un de ses délégués déclare en tribune que, de toute façon, le cancer de la thyroïde est un  » bon  » cancer, car il se soigne. Heureuses mères d’enfants malades !

Voilà ce que les amis de l’atome n’ont jamais vu ni ne verront jamais :  » J’ai peur de vivre sur cette terre. On m’a donné un dosimètre, mais à quoi bon ? Je lave le linge, chez moi. Il est si blanc, mais le dosimètre sonne. Je prépare un gâteau, il sonne. Je fais le lit, il sonne. A quoi bon l’avoir ? Je donne à manger aux enfants et je pleure. « Maman, pourquoi pleures-tu ? » (1) »

(1) In La Supllication, de Svetlana Alexievitch. Jean-Claude Lattès.
Publié dans le numéro 729 de Politis, en décembre 2002