Archives mensuelles : octobre 2007

Shanghaï, les putes, le champagne (et le reste)

Vous ne situez pas nécessairement ??. Shanghaï. Cette ville de la côte Est défie la description. Je ne vais pas vous encombrer l’esprit. Installée au bord de la mer de Chine, elle est la ville la plus peuplée du pays, et comptait, en 2006, 2804 habitants pour chaque km2. C’est évidemment la capitale économique de ce pays en pleine explosion. Avec ses 18 millions d’habitants, elle ne représente que 1,5 % de la population chinoise mais déjà 20 % de son PIB. Combien de gratte-ciel ? Les chiffres varient, mais l’estimation tourne autour de 5 000. Il y aurait 20 000 chantiers permanents en ville.

C’est bon, cela. Pour nos industries, et pour notre niveau de vie, c’est même excellent. Les problèmes en suspens n’empêchent pas nos contructeurs automobiles, Areva, EDF, Alstom et compagnie de se battre au couteau contre les Allemands, les Anglais, les Américains et tous ces vautours qui nous gâchent la vie. Des problèmes ? La Chine officielle reconnaît (1) que Shanghaï s’enfonce sous le poids de ses immeubles et parce que l’on a trop pompé dans les nappes phréatiques sur lesquelles elle a été bâtie. Ces phénomènes de déplétion sont connus de tous les spécialistes depuis des décennies. Vous pompez, vous créez du vide, ce vide aspire et détruit. Au passage, l’eau salée toute proche s’infiltre.

La ville, toujours selon des chiffres officiels, bureaucratiques certes, mais officiels, s’est enfoncée d’environ deux mètres en un siècle. Je retape : deux mètres. Et cela continue au rythme d’1,5 cm chaque année. Faut-il vous parler des problèmes d’approvisionnement en eau potable ? Soit, vous l’aurez voulu (2). L’eau, à Shanghaï, n’est plus potable depuis longtemps. L’essentiel des canalisations en fer datent d’une soixantaine d’années, avant l’arrivée d’un certain Mao au pouvoir. Depuis, on n’a fait que bricoler. Quand l’eau arrive – si elle arrive -, elle est chargée de toutes sortes de particules que personne ne songe à analyser. À quoi bon ?

Et au-dessus, dans le pays des hommes ? Le Parti communiste chinois va réunir dans les prochains jours son congrès, événement important s’il en est. Le sort des mingong en dépend. Les mingong sont des vagabonds, ceux qu’on appelait chez nous, jusqu’au 19ème siècle, des chemineaux. Car ils cheminent. Environ 150 millions de déracinés, chassés de leurs campagnes par l’irruption du marché mondialisé, errent d’un bout à l’autre du pays, campant dans la plus petite gare par centaines et milliers (3). Beaucoup travaillent, à n’importe quel prix, sur n’importe quel chantier dégueulasse, à Shanghaï par exemple. Et beaucoup ne travaillent pas. C’est, de loin, le plus grand exode de toute l’histoire humaine. Franchement, est-ce que vous le saviez ?

Préparant leur congrès, les bureaucrates se sont débarrassés en route d’un personnage longtemps tout-puissant à Shanghaï : Chen Liangyu. Membre du bureau politique du parti, il régnait sans aucune entrave, avant d’être emprisonné à la suite de luttes de clans. Les autres ne sont pas meilleurs, ils ont seulement gagné cette partie-là.

Que reproche-t-on à Chen ? Trois fois rien. Il aimait les putes, le champagne, le tennis, la bagnole et l’Opéra. En conséquence de quoi il avait une douzaine de maîtresses et entretenait bien davantage de prostituées, consommant avec elles et d’autres des quantités étonnantes de champagne français. On peut dire qu’avec lui, le BTP a été servi : un court de tennis géant (300 millions de dollars), et un circuit automobile de F1 (1 milliard dollars). Certains lui reprochent tout de même l’affaire de l’Opéra, dont l’ancien bâtiment était situé trop près d’une autoroute. Au lieu de tout détruire avant que de reconstruire, Chen a simplement déplacé le vieil Opéra après qu’il eut été déposé sur des rails, en bloc. On devine que les pots de vin eussent pu être plus importants si l’on avait rasé.

Pourquoi diable vous ennuyer avec ces histoires lointaines ? Bah. Rappelez-vous, car cela pourra vous servir un jour, que le camarade Chen avait été nommé à Shanhaï en 1992. Les gratte-ciel de la mégapole, c’est lui. Le « miracle économique » chinois dont tant de pompeux imbéciles vous parlent chaque matin, c’est largement lui. Et le krach écologique qui se prépare là-bas lui devra beaucoup, croyez-moi sur parole. Une phrase à double sens est paraît-il beaucoup utilisé par les habitants de Shangai quand ils évoquent le sort de leur cité martyre. La voici : « Il ne faut jamais oublier que Shanghaï est construite sur de la boue ». Pas mal, non ?

(1) http://www.chinadaily.com

(2) http://mcsinfo

(3) http://www.scienceshumaines.com

Un lobby en direct live (bis repetita)

Patrick Nottret m’a signalé dès le 3 octobre la parution d’une pleine page de pub dans le journal Libération du même jour. Il s’agissait, je cite son courrier, d’une « Lettre ouverte au président de la République », intitulée : « Monsieur le Président, ne cédez pas aux marchands de peur », et signée Orama. Cette publicité ( le mot est écrit en tout petit) demande à Sarko de ne pas geler les OGM. On y lit entre autres que « Ces OGM sont un progrès pour l’environnement », et on trouve des perles du genre : « Face à la pression des groupuscules qui ont choisi la violence pour exprimer leurs idées et à la stratégie du hold-up médiatique développé par ces « marchands de peur », nous tenons à faire entendre notre voix », etc. On y fait également appel aux scientifiques de l’INRA pour cautionner l’innocuité des OGM. Et ça se termine par une référence à la France « pays des Lumières, non à l’obscurantisme, etc. »

Évidemment, explosion de rire garantie. Et j’en remercie l’ami Patrick. Rire est un devoir patriotique, et j’espère bien recevoir un jour la médaille du Mérite. En attendant mon heure de gloire, on me permettra un petit commentaire. Un autre copain, Yves Le Quellec, éternel défenseur du Marais poitevin, m’en donne l’occasion. Il m’envoie de son côté un lien fabuleux, que je vous offre aussitôt en cadeau princier (1).

Vous y verrez comment le lobby de l’agriculture intensive « produit » des articles de presse destinés à présenter ses goûteuses inventions. Le premier s’appelle : « Grenelle de l’Environnement, faites entendre la voix des scopeurs ! ». Vous me direz que c’est énigmatique, et c’est vrai. Mais ce chef d’oeuvre est tout de même signé Orama, ce mystérieux sigle qui achète des pages dans Libération, et ailleurs.

Voyons de plus près. Les scopeurs, je vous l’apprends, sont les industriels de l’agriculture qui ont choisi les céréales, les oléagineux et les protéagineux. Jusque là divisés en plusieurs branches, par exemple l’Association générale des producteurs de blé et autres céréales (AGPB), ils ont décidé d’unir leurs forces. Leur point commun, c’est le syndicat. Le Syndicat : la FNSEA. Gaffe, amis de la nature !

Et cela a donné Orama. Quel drôle de nom, n’est-ce pas ? Je vous ai parlé il y a quelques jours de Moma, voici Orama. N’oubliez jamais que des gens sont payés pour trouver ce genre de mots. Orama, donc, c’est de la haute philosophie betteravière. « Le mot ORAMA signifie en grec ancien  » ce que l’on voit « . Cet élément est souligné dans le logo d’ORAMA, où le A central renversé symbolise un œil ouvert et, par conséquent, l’ambition de l’Union de faire preuve de la plus grande lucidité dans ses analyses et dans son action ». Tout est rigoureusement sic (2), tiré de documents officiels d’Orama, l’oeil qui voit tout.

Et comme je suis sûr qu’il y a parmi vous de sérieux clients pour une séance de masochisme appliqué, permettez-moi de vous offrir un extrait de l’article susmentionné, Faites entendre la voix des scopeurs. Voilà : « À côté d’orientations raisonnables, les rapports des groupes de travail du Grenelle de l’Environnement publiés la semaine dernière font également état d’orientations à caractère fortement idéologique. La presse le met bien en évidence. C’est vrai en particulier en ce qui concerne les pollutions diffuses et les utilisations de produits phytosanitaires. En conséquence, la phase des consultations régionales et par Internet du «Grenelle» étant ouverte, il est nécessaire que soit entendue la voix des praticiens que sont les exploitants spécialisés dans les cultures arables. Face au langage le plus souvent radical des organisations écologistes quant aux pollutions diffuses et à l’utilisation des produits phytosanitaires, les scopeurs sont tous en mesure de rappeler quelles sont les réalités, quelle capacité à évoluer ils ont déjà montré et comment de nouveaux progrès peuvent être accomplis en la matière (…) Il faut redire que les exploitants ne cultivent plus les bordures de cours d’eau, les laissant en herbe sur 5 mètres de large, et que, mises bout à bout, ces bandes enherbées représentent la distance de la terre à la lune ».

Si vous avez lu jusqu’ici, convenez que cela valait la peine. De la terre à la lune ! Jules Verne était un grand ami d’Orama, vous ne le saviez pas ? Permettez un ultime ajout. Le journal Libération devait rendre compte hier de mon livre La faim, la bagnole, le blé et nous (Une dénonciation des biocarburants). Puis a repoussé à ce matin. L’article prévu, riquiqui déjà, est devenu un gros entrefilet. Bon, ce n’est ni la première ni la dernière fois que cela arrive et, croyez-le ou non, je m’en fous.

C’est comme ça. Mais je note que Proléa (3), qui regroupe les grands industriels des oléagineux, est au coeur d’Orama, qui a payé la pub dont je vous parlais au début. Or, Proléa, c’est le lobby des biocarburants. J’arrête là ce qui deviendrait vite un syllogisme foutraque. Non, non, et non, je n’imagine aucun lien direct entre tout cela. Pour une raison simple : il n’y en a pas. Mais je crois tout aussi certain que dans le monde de l’économie réelle, et la presse en fait partie, un petit livre rebelle indiffère le plus souvent. Et embête éventuellement. Tandis qu’une pleine page de publicité, payée cash, remplit de joie ceux qui acceptent de la passer.

(1) http://www.agpb.com

(2) http://64.233.183.104

(3) http://www.prolea.com

Nos cormorans et leurs grizzlis

Le grizzli est un animal qui me fout spontanément la trouille, et il n’y en a pas beaucoup. Mais lui, oui. Je n’ai pas vu le documentaire de Werner Herzog sur cet autre animal appelé Timothy Treadwell, Grizzli man. Mais je me souviens bien de la mort de Treadwell, il y a quatre ans tout juste.

Je vous résume en deux mots. Treadwell était un passionné du sauvage comme il en est peu. Chaque année depuis des lustres, il partait camper dans le wild, en plein Alaska. Au milieu des ours, qu’il connaissait tous un par un, et qu’il avait d’ailleurs dotés d’un nom. La dernière fois, en octobre 2003, il y avait emmené sa copine. Et ce fut la dernière fois. On retrouva plus tard les morceaux des tourtereaux dans l’estomac de deux ours, un grand et un petit. L’histoire ne dit pas s’il s’agissait de vieux copains de Treadwell ou de vagabonds de passage.

Est-ce bien le problème ? Je n’aime pas les sauvages pour qu’ils viennent me taper sur l’épaule. J’aime les sauvages parce qu’ils ne sont pas civilisés, pardi ! Parce qu’ils m’inquiètent et me troublent, parce qu’ils ne respectent pas la règle, parce qu’ils échappent au monde, le nôtre tout au moins. C’est bien pourquoi j’aime tant le grizzli, mais à distance. Il y a quinze ans, j’ai passé deux ou trois heures en compagnie de Jean-Jacques Camarra, à Pau. Ce grand spécialiste de l’ours m’avait alors raconté l’un de ses voyages en Alaska. Il se faisait déposer par un hélico, avec un kayak et quelques bricoles, et puis restait seul au milieu d’un monde magique et angoissant.

Un jour, il avait rencontré un grizzli menaçant. Si menaçant que l’ours, levé sur ses pattes arrière, l’avait chargé, à très vive allure. Les grizzlis sont des athlètes complets, savez-vous ? Camarra, ce jour-là, eut le bon réflexe. Il disposait d’une bombe sous pression contenant un mélange à base de poivre – je crois -, utilisée justement dans ce genre de circonstances. Il ne faut pas hésiter, et ne pas viser de travers. Et appuyer bien avant que l’ours ne soit sur vous, car alors, c’est trop tard. Bref, Camarra s’en était sorti, puisqu’il me racontait l’histoire des années plus tard.

Et voilà que je lis (1) une nouvelle qui me scie. D’après des associations écologistes, le Sierra Club du Canada et l’IFAW, le grizzli serait menacé d’extinction, lui aussi. Il aurait disparu des vastes Prairies qu’il a parcouru pendant des centaines de siècles. Et son sort resterait incertain dans ses ultimes refuges du Grand dehors. La faute, disent les ONG, à l’État fédéral canadien, incapable de prendre des mesures de protection efficaces.

Au même moment, je prends connaissance d’un document du Ministère de l’Écologie, celui de M.Borloo, oui. Il s’agit d’une circulaire datée du 27 septembre 2007, et elle est adressée aux préfets. Son objet est singulier, et le voici : « Mise en oeuvre du plan de gestion du grand cormoran pour la campagne d’hivernage 2007/2008. Cadrage technique national en ce qui concerne le volume maximal de prélèvements possibles par département et les conditions techniques par département ». Ce n’est pas du John Fante, oh non !

De quoi s’agit-il ? D’un vaste plan étatique d’abattage d’un oiseau maudit entre tous, le Grand cormoran. Disons-le franchement, c’est étourdissant. Je n’entre pas ici dans la discussion sur les ravages – réels – que le Grand cormoran, dont les effectifs ont augmenté, provoque dans les étangs de pisciculture.

Non, laissons cela de côté. Le document du ministère a un ton inimitable pour parler de la mort, qui me donne des frissons. C’est le coup de fusil bureaucratique, froid, méticuleux, totalement indifférent. Ainsi, l’Ain aura-t-il le droit d’abattre 4100 cormorans l’an prochain, après en avoir flingué 3600 l’an passé. Ainsi, département après département, pour respecter les « quotas de prélèvements autorisés ». L’imagination euphémique des auteurs de ce texte me semble sans limite. Tuer, mais sans jamais le dire. Tuer, mais sans jamais oser le dire.

Je crois, mais je ne suis sûr de rien, qu’il y a un lien caché, mais réel, entre leurs grizzlis et nos cormorans. Et c’est l’État. Nous avons en réalité abdiqué. Pour le meilleur et souvent le pire, nous avons regardé l’animal en face, tout au long de notre tumultueuse histoire d’humains. Et puis, il y a une poussière d’années, tout a basculé. Désormais, nous déléguons à des services spécialisés la « gestion » de nos relations à cet Autre radical. L’animal était situé dans un rapport vivant, charnel, réel avec les hommes. Il est devenu une chose, un problème, une statistique.

Comment sortir de cette complète folie, car c’en est une ? Je n’en sais trop rien, hélas. Je crois que la terrible érosion de la biodiversité sur terre tient là l’une de ses causes profondes. En attendant mieux, parlons, parlons, parlons.

(1) http://www.ifaw.org

Nuit de Chine, nuit câline ?

En Chine, c’est la nuit. Désolé, mais je ne suis pas porteur de bonnes nouvelles. Si je vous envoie ce mot, c’est parce que je viens d’apprendre une étrange affaire. À Pékin, le gouvernement en place s’avise que le barrage des Trois-Gorges est peut-être une mauvaise idée.

Avant de commenter cette audacieuse pensée, permettez-moi de rappeler quelques faits. Le barrage chinois des Trois-Gorges est le plus grand ouvrage hydroélectrique de l’histoire humaine. Installé sur le fleuve Yangzi – Le Fleuve bleu -, haut de 185 mètres, il forme à l’amont un lac de retenue de 600 kilomètres de long. Près de deux millions de personnes ont été déplacées, car leurs villages ont été détruits. Il est officiellement terminé depuis mai 2006. Coût officiel : 25 milliards de dollars. Mais dans les coulisses, on parle de 50 à 75 milliards de dollars réellement dépensés.

Nous sommes clairement dans un au-delà du délire humain. Et seule une dictature encore vaillante, comme celle qui règne là-bas, pouvait venir à bout d’un tel projet. Lequel a permis au passage, ce qui n’est pas loin d’être son seul mérite, de faire émerger en Chine une contestation écologiste. On s’en serait bien passé.

Pourquoi y revenir ? Parce que monsieur Wang Xiaofeng, le directeur des Trois-Gorges, a pour la première fois dit une partie de la vérité au cours d’un séminaire, et que ses propos ont été rapportés. Selon lui, et je le cite scrupuleusement : « Nous ne pouvons sacrifier notre environnement contre des perspectives de prospérité à court terme ». Et d’ajouter aussitôt ce que je sais – moi l’ignorant- depuis une quinzaine d’années : ce grand désastre va entraîner une pollution massive, une érosion massive, une raréfaction massive des ressources en eau, une raréfaction massive des (rares) terres arables du pays.

Inutile de perdre du temps en compagnie de ce Tartuffe. Maintenant que le barrage est fait, et que les paysans ont été sacrifiés, comme il est plaisant de reconnaître l’évidence ! Tartuffe, bien sûr, et criminel, évidemment. Mais je ne veux pas nous laisser sur cette affreuse nouvelle. La lutte contre le barrage, je vous le disais, a fait éclore un véritable mouvement. Il existe en Chine des centaines, peut-être des milliers d’ONG plus ou moins écologistes. Et la bureaucratie chinoise elle-même, du moins une part d’elle, est terrifiée. Le mot n’est pas trop fort : terrifiée par le monstre qu’elle a fait naître.

Je vous suggère, si vous lisez un peu l’anglais, d’aller visiter le site Internet du Centre pour l’assistance légale aux victimes de la pollution (1). Ses animateurs, Chinois vivant en Chine, jouent à cache-cache avec la police et l’État. Mais cela vaut la peine. J’essaierai de vous indiquer plus tard d’autres adresses du même genre. Savez-vous que des valeureux, dans ce pays prêt à tout sacrifier au fric et à la bagnole, tentent d’y sauver les derniers tigres ?

Un dernier point, et je vous laisse, car ce 3 octobre sort chez Fayard mon livre intitulé : La faim, la bagnole, le blé et nous (une dénonciation des biocarburants). Cela crée quelques obligations. Une dernière chose : qui a fourni à la Chine une grosse partie des turbines géantes du barrage des Trois-Gorges ? Qui ? Cocorico ! C’est nous. Nous, Alstom Hydro Power, géant français et transnational installé à Grenoble. J’ai trouvé une adresse presque miraculeuse (2) où l’on raconte les efforts héroïques de ces bâtisseurs pour satisfaire leurs clients chinois. On a le droit de pouffer, car c’est à peu près tout ce qui nous reste.

L’un des ingénieurs d’Alstom rapporte ceci : « Le diamètre externe de la roue des Trois-Gorges est 23 % plus grand que tout ce que nous avions fabriqué jusqu’à présent. Son diamètre est de 10,6 mètres pour une hauteur de 5 mètres ». Et ils l’ont tout de même fabriquée. Et nous conserverons donc, avant l’effondrement général, le niveau de vie matériel que nous envie la terre entière. À commencer par les Chinois.

(1) http://www.clapv.org

(2) http://www.infrastructures.com

Quand Diabrotica débarque (tous aux abris)

Jacques Baillon, j’espère bien que tu me lis ! Car ce papier que je suis en train d’écrire, c’est ta faute. Jacques est un naturaliste de la région d’Orléans, auteur en 1990 du livre Nos derniers loups, consacré à l’histoire naturelle de ces animaux dans sa région. Je l’ai dans ma bibliothèque, et j’en ai lu l’essentiel il y a une dizaine d’années. Ce que j’appelle un bon livre.

Et à part cela, Jacques m’envoie hier une information qui m’a aussitôt fait sursauter. La voici, dans un bref résumé. Il y a quelques jours, on découvre dans un champ de La Motte-Servolex (Savoie) une chrysomèle du maïs. Diabrotica virgifera virgifera, de son petit nom scientifique, est un coléoptère originaire d’Amérique centrale, devenu ensuite le principal ravageur du maïs en Amérique du Nord. Et il a été signalé pour la première fois chez nous, en Europe, en 1992. En Serbie. Probablement apporté là-bas dans les soutes d’avions militaires américains. D’où cette rumeur persistante : certains services étasuniens auraient délibérément répandu la chrysomèle pour mieux faire passer les OGM. Car Monsanto a, il faut le préciser, mis au point un maïs génétiquement modifié, le MON 863, qui résiste aux attaques du coléoptère.

Je n’ai aucun avis sur la question, car je n’ai pas regardé de près. Et je préfère donc en revenir à l’info du départ, transmise par l’ami Jacques. En Savoie, découvrant la chrysomèle, les autorités appliquent le plan. Et pulvérisent toute la région, dans un rayon de 10 km. Par avion. Réaction presque immédiate : « France Nature Environnement et la Fédération Rhône Alpes de Protection de la Nature dénoncent ces pulvérisations aériennes pratiquées sans information, qui exposent la population locale à un insecticide dangereux et posent un grave problème de santé publique. Par ailleurs les producteurs biologiques de la zone n’ont pas eu la possibilité d’envisager avec les services administratifs concernés des solutions alternatives ».

Roulez jeunesse, passez muscade. Ce que j’en pense ? Voilà une énième poussée bureaucratique, indifférente, automatique. L’administration applique, comme elle a toujours fait. Ce qui me fascine, c’est que cette histoire me rappelle toute l’histoire. Celle des pesticides en France, que j’ai racontée avec François Veillerette dans notre livre Pesticides, révélations sur un scandale français (Fayard). Les mêmes, ou leurs fils, ou leurs petits-fils, ont constamment pulvérisé, sans jamais rien régler. Contre le doryphore, le mildiou, le pou de San José. Pour le plus grand profit de l’industrie, amorale comme on sait, et dont le but unique et perpétuel est de vendre.

Vous allez m’excuser, mais je reviens sur notre livre. Il contient de quoi alimenter vingt procès. Il est empli de vraies révélations sur le système qui a permis l’empoisonnement universel aux pesticides que nous connaissons. Il cite des organismes prestigieux, des noms impeccables, il dénonce à haute voix. Et ? Et rien. Nul n’a osé mettre l’affaire sur la place publique. Aucune des personnes, parfois très en vue, citées et bien souvent vilipendées, n’a osé nous attaquer. Ce n’est certes pas la preuve que nous avons raison sur tout, en tout. En aucune façon. Mais c’est le signal on ne peut plus clair que ces braves gens sont sur la défensive. Qu’ils ont peur. J’aimerais croire qu’ils ont peur de nous. D’un sursaut qui tarde à venir. Vous me comprenez ?