Archives mensuelles : février 2008

Comment faire pour couler un journal ? (1ère partie)

Je vais vous raconter une histoire, en deux parties au moins. Une histoire de journal. En 1988, il y a juste vingt ans, j’ai participé à la création de Politis. Il s’agissait alors, clairement, de lancer un hebdomadaire à gauche de la gauche. Je ne croyais plus, déjà, à ce cadre-là. Mais je mentirais en disant que je voyais clair. J’étais dans le flou, dans le doute complet sur l’état de la pensée critique. Le monde me filait entre les doigts. Sa marche m’épouvantait, mais je ne voyais comment l’infléchir.

Étais-je écologiste ? Sûrement pas dans le sens que je donne aujourd’hui à ce mot. Mais à l’aune de ces années enfuies, nul doute : j’étais un écologiste. J’ai d’ailleurs joué un rôle central dans l’évolution de ce journal en direction de l’écologie. Je ne me vante pas. C’est ainsi. Jean-Paul Besset, qui était alors rédacteur-en-chef de Politis, partageait en grande part mon sentiment. Et Bernard Langlois, bien que plus distant, ne nous était pas hostile.

Résumons. Politis, né en janvier 1988, connut d’emblée crise sur crise, avant de connaître une (relative) embellie à partir de 1989. Des journalistes de valeur – sans épuiser la liste, Jean-Michel Aphatie, Laurent Carpentier, Paul Moreira, Vincent Jacques-Le-Seigneur – sortaient à rythme vif de bons articles, de solides dossiers. Nous étions sur une pente ascendante, mais toujours dans une extrême fragilité. Il fallait de l’argent, il aura toujours fallu de l’argent à ce journal pauvre.

Bernard Langlois, avec qui je suis fâché depuis, pour d’autres raisons, cherchait continûment des sous. Et il en trouvait. Sans lui, ce journal serait mort trente fois. Au début de 1990, profitant de son amitié avec le Premier ministre de l’époque, Michel Rocard, il obtint de Matignon une aide providentielle. De mémoire, voici ce dont je me souviens. Matignon – et Jean-Paul Huchon, qui dirigeait le cabinet de Rocard – avait organisé un complexe montage financier pour sauver Politis. La Macif, coopérative bien connue, alors proche des rocardiens, apporterait cinq millions de francs de l’époque. Le promoteur Pellerin – celui de La Défense, oui ! – 500 000 francs. Et l’entreprise Spie-Batignolles 500 000 francs aussi.

Je pourrais mentir et prétendre que je n’ai rien su. Mais non. Si je n’ai rien connu des détails, j’ai appris les grandes lignes de cet accord plus ou moins secret, et l’ai donc accepté. Politis, journal à gauche de la gauche, s’apprêtait à être sauvé par de francs ennemis. Sur fond d’occultes rapports de forces politiques et même judiciaires.

À ma décharge, je précise un point. Au printemps 1990, tandis que Langlois trouvait les formes de cet accord contre-nature, j’avais dessiné avec Jean-Paul Besset les contours d’un coup d’État. Nous étions convaincus, tous deux, qu’il fallait rompre le cordon qui nous liait à l’extrême-gauche, et nous étranglait au passage. Nous voulions un autre journal. Écologiste. Révolutionnaire, à bien y réfléchir. L’objectif était de changer le titre du journal en septembre 1990, et d’avancer. Je jubilais à l’avance.

Et puis est venu Brioude. Je ne vérifie pas, me fiant à ma mémoire. Dans le courant de mai, un homme m’a appelé depuis cette petite ville d’Auvergne, puis est venu me voir au siège du journal, rue Villiers-de-l’Isle-Adam, près de la place Gambetta, à Paris. Il s’appelait Jean Coudert. C’était inouï. Un laboratoire de solvants industriels, la Speichim, manipulait en pleine ville des produits chimiques parmi les plus dangereux de la planète.

J’y suis allé, à l’invitation de Jean. Je me souviens du directeur de l’usine, qui m’avait invité à déjeuner, et qui pensait, avec toute la naïveté des gens en place, qu’il m’avait convaincu. Eh non ! Le spectre de Bhopal n’était pas loin. Tout un quartier était meurtri. Des gens se disaient malades. Des gens étaient tombés dans leurs jardins. Les témoignages, concordants, impressionnaient. Mais sur place, j’avais aussi appris que la Speichim, responsable du malheur, appartenait à Spie-Batignolles, notre futur propriétaire.

Futur, car rien n’était conclu. Malgré les pressions de Matignon, Spie et Pellerin n’avaient aucune envie de payer pour un journal de sans-culottes. Je suis rentré à Paris avec un article sous le bras, qui incendiait – le jeu de mots est involontaire – Spie. Et je suis allé voir l’ami Jean-Paul. Besset avait la pipe au bec, comme à chaque moment du jour, et il m’a répondu quelque chose comme : « Eh ben, comme ça, on verra bien si on est indépendants de nos actionnaires ! ». Et je suis allé voir Bernard Langlois, qui en avait déjà tant vu. Il n’a pas hésité davantage. L’affaire était vraie. L’affaire était grave. Elle serait donc dans Politis.

Elle a paru, sur quatre pages bien serrées, sous ce titre que je vous laisse découvrir : Brioude, une bombe au coeur de la ville ? C’était une bombe, le mot était bien trouvé. Au bout du compte, pour Jean Coudert et les habitants du quartier nord de Brioude, cet article changea la donne, dans le bon sens. Mais pour nous, à Politis, ce fut une catastrophe.

Le dossier sur Brioude parut fin juin, et nous partîmes en vacances le coeur léger, espérant je vous le rappelle le lancement d’un nouveau journal en septembre. Mais Spie envoya tout promener, et comme dans un château de cartes, Pellerin et la Macif suivirent le mouvement. Dépôt de bilan. Besset, moi et au total la moitié de l’équipe s’égaillèrent aux quatre vents. Il n’y aurait pas de journal écologiste en France cette année-là.

Que voulions-nous faire ? Nous ne le saurons jamais. Mais il existe une trace, datant de l’année suivante, 1991. Besset et moi avions écrit le « projet Apache », qui ne vit jamais le jour, faute d’argent, et peut-être de détermination. J’aimerais vous livrer trois extraits de sa présentation défunte, car j’ai toutes les raisons de les juger éclairants. Voici :

« Nous vivons dans cette vérité cachée et pourtant évidente, oubliée aussitôt que connue : le mode d’organisation de nos sociétés, étendu par la force et la corruption à l’ensemble de la planète, ne mène nulle part où nous ayons envie d’aller ».

« Le catalogue est déprimant : de la baleine à l’éléphant, de l’eau de nos sources à celle des fonds marins, du choléra au sida, du Bengladesh martyr au Pérou qui s’engloutit, et jusqu’à l’Afrique, berceau de l’humanité devenu son linceul, nous semblons perdre jusqu’au sens premier des mots, jusqu’au respect élémentaire du vivant. Et c’est pourtant la glose, le futile, le spectacle, le dérisoire, le vide qui dominent ce que nous refusons d’appeler l’information ».

« Notre journal considère l’homme. Nous parlerons donc de l’homme réel : c’est dire qu’il faudra changer la perspective, c’est assurer d’emblée que Paris ne sera pas le centre de l’univers. Car le grand personnage de notre histoire est un parfait inconnu : c’est un paysan. Cet homme trime, se repose quelques heures sous un toit de chaume et meurt quarante ans avant nous. Et s’il n’est plus paysan, c’est qu’il campe sous un toit de tôle ondulée aux confins de la ville et de l’opulence : il n’aura jamais l’électricité ni l’eau courante, jamais un médecin n’atteindra le chevet de son enfant malade. Notre journal criera pour cet homme-là et pour tous ceux qui refusent de le voir. Il criera aussi fort, aussi loin, aussi longtemps qu’il le pourra. L’homme dont nous souhaitons parler a besoin d’air, d’eau, de nourriture, de ses frères animaux, de liberté. Notre journal montrera pourquoi on lui refuse tout cela, et à qui profitent les crimes contre l’humanité perpétrés chaque jour. Notre journal part à l’aventure sans amis, mais il les trouvera, car aussi paradoxal que cela semble, il est empli d’espoir ».

Ma foi, il me semble qu’il n’y a pas à rougir. (À suivre)

En défense de Sarkozy (bis repetita)

Je vous l’avoue, je pensais que mon article précédent sur Sarkozy passerait comme lettre à la poste. Tel n’est pas le cas, il s’en faut de loin. J’ai passé une bonne heure à réfléchir au sujet, avant de m’endormir hier, et me sens ce matin comme contraint d’y revenir. J’ajoute que j’ai lu, sur la même question, l’édito de Jean Daniel dans le Nouvel Obs, l’article des directeurs de la rédaction de l’hebdo, Guillaume Malaurie et Michel Labro, une chronique d’Alain Duhamel dans Libération, un commentaire de Louis-Marie Horeau dans Le Canard Enchaîné, et le long papier de Philippe Val dans Charlie-Hebdo.

Bon, je ne vais pas commenter les commentateurs. Un mot pour regretter l’extraordinaire mais habituel corporatisme qui relie tous les prosateurs, à des concentrations très diverses, il est vrai. L’énoncé le plus triste est selon moi celui de Labro et Malaurie. Mais baste.

Je le répète : à mes yeux du moins, le territoire de la vie privée est sacré. L’État, la presse, quiconque ne peuvent y pénétrer qu’en cas de crime, et après usage de mille précautions. C’est le fondement d’une civilisation. L’homme a le droit de parcourir comme il l’entend ce territoire qui lui est concédé. À ses risques et périls, certes, et en acceptant la responsabilité qui accompagne toute aventure. Et la vie en est une.

Je vous prie de m’en excuser à l’avance, mais je vais me montrer solennel. Une certaine classe intellectuelle française, qui domine largement le débat public, a constamment admis le compagnonnage avec le totalitarisme. Je ne parle pas là, évidemment, du fascisme. Mais du stalinisme. La France des journaux et des universités s’est montrée tragiquement incapable d’affronter la question stalinienne pendant le temps où elle a été posée. Aucun rapport ? Je crois que si.

Entre le tout début des années 20 et le milieu des années 70, soit cinquante ans, le cauchemar soviétique puis l’enfer maoïste ont trouvé chez nous des défenseurs acharnés, et un peuple de sourds-muets. Malgré Ciliga, Serge, Souvarine, Kravtchenko, Rousset, Chalamov, Leys. Les choses ont commencé – commencé – à changer à partir de L’Archipel du Goulag, en 1974.

Je ne dresserai pas la liste de tous ceux qui, aujourd’hui encore, exercent le pouvoir symbolique en France, après avoir soutenu le pire. Ce serait trop impressionnant. Un seul exemple : la place absurde, insupportable même, de Sartre, dans notre Panthéon national. Celui que tant associent à l’idée de liberté a défendu jusqu’au délire Joseph Staline, Fidel Castro, Mao. Dans cet ordre saisissant, qui signifie globalement des dizaines de millions de victimes totalement innocentes.

Et je ne parle pas des staliniens français directement engagés dans le soutien à la dictature. De ces grands démocrates d’aujourd’hui qui applaudissaient en 1979 l’entrée de l’Armée rouge en Afghanistan ou la répression bureaucratique contre Solidarité dans la Pologne de décembre 1981. À votre avis, si l’Union soviétique existait encore, quelle serait aujourd’hui leur position ?

Si j’évoque ce que personne ne souhaite plus regarder en face, c’est que le stalinisme a été le poison le plus violent – mortel – de l’histoire de la pensée humaine. Le fascisme était le fascisme, qui entendait réaliser son programme abject, et qui y est largement parvenu. Le stalinisme, au contraire, a détourné un à un le sens des mots les plus nobles de la civilisation des hommes. Le stalinisme, dans le temps où il asservissait, massacrait, torturait, clamait son amour inconditionnel des peuples et de la fraternité.

Même si je devais rester le seul – ce ne sera pas le cas -, je ne cesserai, jusqu’à ma fin, d’entretenir le souvenir des morts de la Kolyma et des assassinés de la Lubianka. Je n’oublierai jamais. Je ne pardonnerai jamais. Jamais. Mais, encore une fois, quel rapport avec notre pauvre Sarkozy ?

Le voici, selon moi bien entendu. La société totalitaire pénètre, s’octroie en permanence le droit de pénétrer la vie et l’esprit de ses membres. L’un des pires crimes, y compris dans le parti communiste français des années cinquante du siècle passé, était de cacher quoi que ce soit à la grande organisation. Le mariage même – tiens – était une affaire politique. L’oeil voyait tout. Et le knout n’était jamais bien loin.

Moi, je plaide pour la liberté. Et pour la bagarre définitive contre la domination et l’exploitation. Seulement, je ne céderai jamais sur la liberté. Ceux qui se montrent incapables de distinguer entre l’atteinte intolérable à la liberté de Sarkozy et tout le reste, ceux-là ne distinguent pas, à mon avis du moins, l’essentiel et le second. L’essentiel, c’est le principe des frontières, des frontières infranchissables. Où l’on rejoint d’ailleurs celui des limites, cher à tout écologiste sincère. Car c’est d’ailleurs, pardonnez l’incise, parce que les hommes refusent toute limite que la crise écologique paraît aujourd’hui sans issue.

Donc, un principe. Et par ailleurs une attaque au pénal de Sarkozy contre Le Nouvel Observateur, que je me refuse à envisager ici. Justement parce que cette affaire n’est pas du tout de même nature. Je terminerai par ce que je considère comme une évidence : notre monde malade a besoin des forces morales contenues dans la défense des droits de Sarkozy, que tant détestent.

C’est aussi parce qu’il est insupportable que nous devons à ce point le défendre. Voler au secours de sa soeur en danger, ou de son fils, ou de son ami le plus cher, ou de son double politique, est-ce si difficile ? Il y a un lien dialectique évident entre la vie privée de Sarkozy et la défense des libertés en général, de la presse en particulier. Et le voici : celui qui juge insupportable l’intrusion par voie de SMS dans la vie de qui que ce soit a toutes chances de critiquer les procès faits à la liberté d’information. Je ne suis pas certain, en revanche, que ceux qui trouvent normal qu’on flique l’intime d’une personne deviennent jamais de vrais combattants de la liberté. Mais je peux me tromper.

En défense de Sarkozy (l’affaire du SMS)

Le journal Le Nouvel Observateur se moque de la crise écologique d’une façon étonnante, comme je l’a déjà écrit ici (fabrice-nicolino.com). Ce qui n’est pas loin d’être une infamie intellectuelle et morale. Qui l’est, d’ailleurs, à quoi bon hésiter ? Ce journal, qui serait celui des intellectuels de gauche – et des grosses bagnoles, et des grands voyages, et des statues du commandeur -, regarde ailleurs tandis que tout s’embrase. Ailleurs, c’est-à-dire nulle part. Ailleurs, c’est-à-dire dans le tréfonds privé d’une personne humaine.

Le SMS. Oui, le fameux SMS qu’aurait envoyé Sarkozy à Cécilia quelques jours avant de convoler avec Carla. Pour ceux qui seraient encore ignorants, Le Nouvel Observateur a publié une minuscule info prétendant que notre président a proposé à son ancienne épouse de revenir à la maison. Et donc de rompre avec la future. On me suit ?

Je trouve cela lamentable de bout en bout. Mais avant de vous dire deux mots du journaliste Airy Routier, signataire de ce scoop, je voudrais rappeler cette évidence : même Sarkozy a droit à sa part d’intimité. Même lui. Même mon pire ennemi, ce qu’il n’est d’ailleurs pas. Un SMS, jusqu’à plus ample informé, c’est une correspondance privée. Je rapporte cela de discussions avec d’autres, car pour ma part, je n’en ai jamais envoyé. Une correspondance privée.

Un message émis dans la sphère intime peut avoir de multiples sens, dont certains échappent même à son auteur. Il peut être vrai, faux, il peut signifier le contraire de ce qu’il dit, il peut mentir comme un arracheur de dents, il peut gémir, se contorsionner, pleurer, exulter, crier si fort que les murs de Jéricho s’effondreraient.

On peut, on doit bien entendu critiquer durement Sarkozy, y compris sur les éléments de vie familiale qu’il met en scène à des fins politiques. Et il y a à faire. Mais regarder derrière son épaule, épier ce qu’il a envie de dire, même si c’est délirant, à tel(lle) ou tel(le) de ses proches ? Jamais ! Le Nouvel Observateur a franchi une ligne imaginaire, qui sépare la liberté de la totalité. D’un côté des marges, des coins et recoins, des caches où pleurer, baiser et déconner à tout va. De l’autre, une vision morbide où l’homme a des comptes à rendre sur tous les aspects de son comportement. Devant un tribunal grotesque, le pire qui soit : celui de la foule.

Non. Non ! Je respecte pour ma part la vie privée de Nicolas Sarkozy. Mais en ce cas, que dire de monsieur Routier, journaliste au Nouvel Obs, où siègent tant de donneurs de leçons, où trône une seigneurie appelée Jean Daniel, entre deux publicités clinquantes pour la destruction du monde ? Oui, que dire ?

Je ne l’ai jamais rencontré. Peut-être est-il sympathique, même si j’en doute. Je me souviens, la liste n’est pas exhaustive, de trois faits d’armes – publics, eux – de ce journaliste. Dans l’interminable feuilleton Elf, au cours duquel s’engloutit Le Floch-Prigent, il prit souvent le contre-pied de la juge Éva Joly. Il estimait, ce qui est son droit, que madame Joly abaissait la loi au nom de la lutte contre la corruption. On peut avoir un autre point de vue, ce qui est mon cas. On peut penser que Routier, en prenant si souvent le parti de personnages aussi vertueux que Roland Dumas, faisait aussi des choix moraux. Ce qui est mon cas.

Autre histoire digne d’intérêt. Au début de 2001, Routier a signé chez Grasset un livre d’entretiens avec le président gabonais Omar Bongo, Blanc comme nègre. Bongo. L’ancien espion français d’avant l’indépendance, devenu maître chez lui pour l’éternité relative de sa vie. Bongo. Elf. La Françafrique. L’assassinat de Robert Luong, amant de madame, le 2 octobre 1979, en France. Bongo. Et Routier. La morale en actes.

Enfin, la bagnole, cette saloperie de bagnole. En mars 2007, Airy Routier a publié chez Albin Michel le livre La France sans permis, se prévalant en quatrième de couverture de son titre de rédacteur-en-chef au Nouvel Obs. Quel bel ouvrage ! Routier, délinquant automobile – c’est public -, y raconte comment il a peu à peu perdu la totalité des points de son permis de conduire. Un autre aurait attendu pour pouvoir reprendre le volant, mais pas lui. Pas Airy Routier ! Il continue donc, défiant les radars de l’Inquisition, et le raconte dans ce livre qui est une ode aux beaufs d’ici et d’ailleurs.

La sécurité routère n’est en effet que le masque de l’hydre fiscale bien connue des poujadistes. Citations : « Taxer les automobilistes, quoi de plus tentant pour un Etat en mal de recettes ? ». « C’est, pour le ministère des finances, une affaire en or ». « Il apparaît clairement que l’argument de la sécurité routière n’est plus qu’un maquillage visant à justifier et à masquer la levée d’un impôt nouveau auprès des seuls automobilistes ». C’est beau, non ?

Le professeur Claude Got, pourfendeur de la bêtise humaine, a consacré de longs développements sur le Net (www.securite-routiere.org) à cette « oeuvre », qu’il place aussi haut, dans l’échelle de la manipulation, que le livre de Thierry Meyssan sur le 11 septembre 2001 (L’Effroyable imposture). Juste une citation : « Airy Routier est un menteur, nous verrons que son livre contient des dizaines d’erreurs factuelles, ou d’affirmations sans preuves, subtiles ou grossières ».

Et alors ? Rien d’autre que de l’information, vérifiée. J’ai voulu montrer que le journaliste Airy Routier se dispense de règles simples, qui rendent pourtant la vie entre humains moins difficile. Héros certain de la décadence morale dans laquelle nous sommes tous, bon gré mal gré, plongés, il continuera de parader, cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Et ce SMS, alors ? Est-il vrai, est-il faux ? Il pue, si vous voulez mon avis.

Le Sénat et les fossoyeurs (sur les OGM)

Je ne cherche pas à distribuer bons et mauvais points au mouvement écologiste. Je l’ai déjà dit et le répète : j’en suis. Mais parce que j’en suis, j’ai le devoir de dire ce que je pense. Et advienne que pourra : ce mouvement est gravement malade.

J’en veux pour preuve, parmi hélas bien d’autres, la pantalonnade autour des OGM (www.liberation.fr). Préféreriez-vous le mot bouffonnerie ? Pendant dix ans, les écologistes de France ont combattu cette énième invention de l’agriculture industrielle. En 2006 encore, Greenpeace, par exemple distribuait massivement un badge démarqué du fameux « Non au nucléaire ». Son titre en était limpide : « OGM, j’en veux pas ». Les faucheurs volontaires, de leur côté, tentaient d’enrayer la machine, en prenant de vrais risques, au moins financiers.

Et puis, tout a basculé. On a commencé à parler de coexistence. D’une loi qui permettrait de manger sans OGM. Mais qui laisserait ces derniers exister, donc se développer. De compromis, en somme. Je n’ai rien contre les compromis, mais je déteste qu’on se fiche de moi. Or, jusqu’à plus ample informé, la coexistence dans les champs entre OGM et le reste demeure impossible. Toute culture de plein champ condamne au passage l’agriculture biologique par contamination du pollen. Oui, ou non ?

Je ne sais pas dans le détail l’histoire de cette régression, mais il est clair que le Grenelle de l’Environnement, ce truc politicien, aura joué un grand rôle. J’ai beaucoup écrit cet automne, ici même, à propos de cette débâcle. Je vous laisse les références de deux articles, auxquels je n’ai rien à changer (fabrice-nicolino.com) (fabrice-nicolino.com). Je serais intéressé d’entendre certains porte-parole autoproclamés de l’écologie rappeler, en public, ce qu’ils osaient alors dire devant les caméras. Oui, mais ils ne le feront pas. Leur temps, calqué sur celui de la machine universelle, est celui de la télévision et d’Internet. Celui de Winston Smith, ce héros d’Orwell qu’on ne présente plus. Ce qui a été n’a jamais été. Sauf cas d’extrême nécessité.

Le mouvement écologiste, par ses représentants du moins, a abandonné la lutte contre les OGM. Sans le dire publiquement, mais d’une façon absolument certaine. Avec une naïveté que je juge confondante, il a cru obtenir à froid, hors toute pression de la société, un arrangement favorable avec le maître (provisoire) des lieux, Sarkozy. Dépourvus de la moindre légitimité vraie, les négociateurs du Grenelle – Greenpeace, FNE, Fondation Hulot, WWF, etc. – ont rendu technique et tactique ce qui devait rester un engagement identitaire de tous.

La lutte contre les OGM, gagnante ou perdante, signifie avant toute chose que nous refusons ce que devient la vie sur terre. C’est un point de repère au milieu d’un horizon qui fuit, une borne frontière. De quel DROIT les dirigeants d’associations ont-ils bradé ce trésor commun ? Car ils l’ont bradé, qui ne le voit ? « Nos » experts, aussi experts, c’est-à-dire aussi insupportables que ceux d’en face, ont cru qu’ils allaient apprendre aux vieux singes de la politique ancienne à faire des grimaces. C’est raté.

Inutile de commenter le projet de loi concocté par le Sénat sur le sujet. D’abord, parce qu’il n’a rien de définitif. En tout cas, la gérontocratie UMP a plombé comme à la foire la baudruche d’octobre 2007, contraignant ceux qui nous parlaient de victoire historique de l’écologie à enregistrer « l’enterrement du Grenelle » (www.lemonde.fr). Sans gloire, vraiment.

Dans le même temps, on apprenait que la bio est, pour 77 % des Français, une voie d’avenir face aux problèmes écologiques. Et que 84 % d’entre eux souhaitent qu’elle se développe (sondage du cinquième baromètre de l’Agence Bio). Dans le même temps, on apprenait qu’un insecte résistait, pour la première fois, au coton OGM qui devait pourtant l’éliminer (www.lemonde.fr). Il faudra donc, j’imagine, trouver un deuxième OGM pour aider le premier, défaillant. Dans le même temps, on apprenait que le plan Banlieues serait financé à hauteur de 500 millions d’euros – pour commencer ? – par des budgets alloués au…Grenelle de l’Environnement. Comment mieux dire que tout est faux, que tout est com’ et simulacre ?

Je vois, je comprends, je suis convaincu que le mouvement écologiste tenait en mains, avec les OGM, un dossier extraordinaire. Une arme politique d’une dimension sans pareil. Rappelons tout de même qu’une forte majorité des Français expriment depuis dix ans leur opposition aux OGM, dans tous les sondages d’opinion ! Le désastre en cours devrait nous conduire tous à l’examen de conscience. Pourquoi ? Par qui ? Jusqu’où ? Et par-dessus tout : comment en sortir ? Le pire de tout serait que l’omertà sur l’état réel de nos forces se maintienne encore. C’est possible, ce n’est pas certain.

Faut-il avoir la foi du charbonnier ?

Un peu d’histoire pour commencer. L’église anglicane règne largement sur l’Angleterre. Contrairement à ce qu’on a pu voir chez nous, le schisme d’avec les catholiques ne s’est pas fait autour de querelles théologiques. Plus simplement, plus humainement peut-être, la rupture fut politique. En 1531, Henri VIII envoya promener le pape de Rome, qui lui avait refusé le divorce.

Ainsi, une église. Avec des évêques. Deux d’entre eux, celui de Londres – Richard Chartres – et celui de Liverpool – James Jones – méritent mes applaudissements enthousiastes. Ces deux personnalités anglicanes viennent en effet de suggérer à leurs fidèles un jeûne de carême sans précédent. Pour les mécréants – j’en suis -, cette précision : le carême est une période de 40 jours qui précède Pâques, sans compter les dimanches.

Donc jeûner, pour attendre la résurrection du Christ. Certains se contentent de diminuer la consommation de chocolat, mais d’autres maintiennent la tradition. Chartres et Jones, pour leur part, innovent en demandant un « jeûne carbone ». Il s’agit de diminuer concrètement l’émission personnelle de gaz carbonique. « Par exemple, explique James Jones, le premier jour, les gens peuvent retirer une ampoule électrique d’une lampe. Chaque fois qu’ils voudront allumer la lumière et que ça ne marchera pas, ils se rappelleront pourquoi ils font ce jeûne – pour aider les pauvres du monde. À la fin du jeûne, ils pourront la remplacer par une ampoule à basse consommation ».

D’autres gestes sont, d’après les évêques, de bon aloi : renoncer aux sacs plastique, oublier un jour ou deux le lave-vaisselle, isoler un chauffe-eau, etc. Vous aurez remarqué que Jones parle d’aider les pauvres du monde. En effet, nos évêques sont liés à une fondation humanitaire, Tearfund (www.tearfund.org).

Que penser de cette initiative ? Je sais nombre d’écologistes dont le poil se hérisse dès qu’on prononce le mot de religion. Pas moi. Je n’oublie strictement rien du passé. Rien du martyre des cathares, rien des horribles guerres de religion. Pour m’en tenir à la France. Au-delà, les questions de la prévention du sida, de la contraception, de l’avortement restent ouvertes. Et mieux vaut, ici du moins, ne pas considérer le dossier infernal du Rwanda.

Reste que je trouve l’attitude des évêques anglicans épatante. Je n’ai pas le temps de développer mon point de vue, mais il est organisé autour de trois arguments principaux. Un, les hommes sont les hommes. La formule est éculée, pour la raison qu’elle a beaucoup servi. Pardi ! Dans les temps qui nous sont concédés par la marche effrénée à l’abîme, l’humanité sera cette humanité-là. J’ai trop cru, dans ma jeunesse, à l’idée folle de l’homme nouveau, pour ne pas me montrer prudent avec les coupeurs de têtes. Puis, certains des plus belles personnes que j’ai croisées dans ma vie étaient de grands croyants. Cela m’a fait penser. D’autant que les massacres du passé ont tout autant été le fait d’athées convaincus. Ou de polythéistes acharnés.

Deux, il y a dans la foi un socle. Au rebours de l’individualisme dévorant de nos sociétés, la religion est transcendance. Je ne crois pas en Dieu, mais il me paraît évident que notre planète a besoin de buts plus nobles et plus élevés que la consommation déchaînée. Si l’horizon reste le téléphone portable et la prochaine bagnole, alors, oui, tout est perdu. La seule voie qui me semble aujourd’hui praticable, c’est celle de l’esprit. Et pour le dire plus nettement encore, celle de la spiritualité.

Trois, je cherche, et je ne suis pas le seul, des accélérateurs de la prise de conscience. Il ne peut plus s’agir de convaincre un à un ceux qui s’interrogent déjà. Il faut faire basculer des pans entiers de la population. Du jour ou l’église catholique dirait nettement l’importance de défendre ensemble la Création – ce que je traduis par planète -, des centaines de millions d’humains en seraient encouragés au changement personnel. Et cela vaut pour les musulmans, les juifs et tous autres.

La question est essentielle, et ne devrait pas être abordée aussi rapidement que je le fais. Mais en même temps, un blog est un blog. Je ne doute pas que certains seront en désaccord total. Cela me semble inévitable. Au moins, faites-moi cette grâce : je ne prétends pas avoir raison. Je suis juste certain que la discussion peut nous aider à avancer ensemble. Par-delà nos différences. Bonne journée !