Archives mensuelles : septembre 2010

Le 7 septembre, évidemment (la retraite en marchant)

Un mot. Tous ensemble. Envoyer les malfaisants dans les cordes. Refuser leur loi. Refuser Woerth. Refuser la Légion d’honneur. Refuser le fric. Refuser le sort fait aux prolos qui ont fait l’abominable richesse matérielle de ce pays, celle-là même sur laquelle s’égaille ce gouvernement corrompu. Manifester, bien sûr, malgré les réserves colossales qui sont les miennes. Les syndicats ne pensent pas une seconde à la crise écologique, ce qui est tragique (lire ici). Mais Sarkozy ne pense qu’à lui. Mardi, donc, sans hésitation.

35 cancers du rein et 3 héros (plus une héroïne)

Rien qu’un échange téléphonique, hier au soir, avec un type épatant, Christian Micaud. On ne le verra pas de sitôt au 20 heures de Lolo Ferrari, pas davantage chez Pujadas. C’est un syndicaliste à la retraite – ça sert, la retraite, tas de salauds -, un cégétiste. Malgré le poids des staliniens dans la CGT, j’ai toujours aimé ce syndicat, du moins certains de ses membres, car il n’a pas tout à fait oublié que la société est divisée en classes sociales. Archaïque, hein ?

Christian a pris sa retraite en 2 002 d’une boîte infernale installée à Commentry, dans l’Allier. Une usine spécialisée dans la nutrition animale, leader mondial de la fabrication de vitamines A et E et d’un additif alimentaire appelé méthionine. L’entreprise a longtemps été la propriété de Rhône-Poulenc, qui fut une société nationale. En théorie aux mains de la nation. Nationale. Fume. Arrivé en 1985 là-bas, Christian est entré quelques années plus tard au Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de la taule. Ce truc peut être une coquille vide ou bien, entre les mains de valeureux, devenir un outil de préservation de la santé. Selon. Avec des types comme Christian et ses copains, il n’y avait pas de risque que les prolos ferment leurs gueules.

Rendons hommage à un autre héros tranquille, Gérard Barrat. Un médecin du travail qui serait porté en triomphe si le monde était une vraie société. Barrat n’aura jamais reculé. Dès 1984, il commence à demander des études toxicologiques sur la molécule C5, qui entre dans la fabrication de la vitamine A.  Il la soupçonne dès ce moment d’être toxique. Il a raison. Mais il est seul. En 1994, un premier cancer du rein est diagnostiqué. Un. Bon. Un autre entre la fin de 1995 et le début de 1996. Un troisième en 1997. Deux autres en 1999. En 2003, on en est à 10.

Je ne peux raconter ici une histoire qui mériterait un livre, un film, une œuvre. Au fil des ans, la maudite usine de Commentry quitte le giron de Rhône-Poulenc, est reprise par Aventis, achetée par un fonds de pension anglais avec boîte postale en Belgique, CVC capital Partners. En janvier 2006, elle tombe finalement dans les mains du groupe chinois BlueStar, filiale du Groupe ChemChina (China National Chemical Corp.). Un condensé de mondialisation. Barrat, en se battant avec le CHSCT et Christian, a certainement sauvé des dizaines de vies. Car bien que traînant affreusement les pieds, l’ancienne direction a bien été obligée de prendre quelques élémentaires mesures de protection.

Le tournant a peut-être eu lieu lorsqu’un troisième héros est entré en scène. Vous trouvez qu’il y en a trop dans cette histoire ? Il n’y en aura jamais assez, pour sûr. Un jour, mon si cher Henri Pézerat, mort l’an passé (ici), débarque à Commentry. Josette, Josette Roudaire, qui connaît Christian, lui a parlé d’un directeur de recherches du CNRS, proche du peuple, et toxicologue de surcroît. Henri, bien sûr, qui d’autre ? Mais voilà que j’ai parlé de Josette, qui mérite à elle seule un article. Qui est elle-même une héroïne de la bagarre contre l’amiante. Oh, je reviendrai sur son cas admirable. En attendant, je l’embrasse. Josette d’Amisol, je t’embrasse.

Bref. Henri débarque à Commentry, sympathise avec Christian, ce qui n’est pas difficile. Un chercheur et un technicien cégétiste, sur un strict plan d’égalité : voilà comment je vois la vie. Un jour que Christian raccompagne Henri à la gare, alors que ce dernier est devenu l’expert – bénévole, évidemment – du CHSCT , les deux hommes boivent un verre. Henri à Christian : « Écoute, Christian, il faut que tu crées une association. Ce qui se passe ici est trop grave ». Christian : « Mais pas de problème, Henri. Je marche avec toi ». Et il marche, court et nous venge tous en lançant avec ses potes l’Association des malades de la chimie (AMC). Une radicale nouveauté en France, où la chimie demeure intouchable.

Alors commence une formidable bagarre judiciaire, appuyée sur l’avocat des victimes de l’amiante, Jean-Paul Teissonnière. Les premiers cas de cancers du rein ont été reconnus maladies professionnelles en 2003, après des années de dur combat. Mais ce que tente Teissonnière est d’un tout autre calibre. Il veut que soit reconnue la « faute inexcusable » de l’employeur, qui signifierait entre autres que le patron savait, et devait donc prendre des mesures. En 2007, la victoire est acquise, puis confirmée définitivement en 2009. C’est la toute première fois qu’une telle faute criminelle est établie dans le domaine si glauque de la chimie industrielle.

Est-ce fini ? Vous plaisantez. Christian, macabre comptable de la destinée des siens, m’a dit hier que 35 cas de cancers du rein ont été recensés parmi les travailleurs de cette saloperie de boîte. Je précise à toutes fins utiles que ce cancer est tout de même rare dans la population générale. Et que cet incroyable chiffre explose bien sûr toutes les probabilités imaginables. Condamné au cancer, parce que le patron veut gagner du fric. Le C5, cela n’étonnera personne, permettait une diminution notable des coûts de fabrication de la vitamine A destinée aux animaux. La racaille, la voilà.