Lula contre les peuples indiens

C’est une vieille histoire qui jamais ne semble s’achever. Celle du « développement », cette idée née voici une soixantaine d’années, à la sortie de l’horrible guerre contre le fascisme. Mélangeant vrais bons sentiments et non moins authentique soif de l’or, une immense machine s’est mise en mouvement, suivant de très près les chars de l’armée américaine de libération.

La puissance de feu des arsenaux industriels étasuniens devait à toute force trouver des débouchés, et les aura finalement trouvés. Nous y sommes encore. Au Brésil, la folie productiviste qui nous a emportés est encore une idée relativement neuve. Luiz Inácio Lula da Silva, autrement dit le président Lula, homme de gauche dans le sens insupportable qu’a pris ce mot, gouverne et rêve d’un pays majeur, entrant dans le club des « très grands » de la planète. Les biocarburants – tirés de la canne à sucre et (un peu) du soja – lui sont un bonheur, car ils transforment le Brésil en une puissance énergétique dans un monde tourneboulé par la crise du pétrole. Entre parenthèses, pour le faire reculer sur ce point stratégique, il faudra se lever de (très) bonne heure.

Autre front, qui obéit aux mêmes lois primaires : l’hydroélectricité. À condition de détruire une à une les rivières du pays – le processus est très avancé -, il est concevable de produire des quantités géantes d’une électricité venue des barrages. Il faut et il suffit de se moquer éperdument de l’avenir et de l’écologie, deux mots si proches qu’ils sont à mes yeux synonymes.

Je ne sais si certains d’entre vous connaissent le rio Xingu. C’est un affluent majeur de l’Amazone, long de près de 1 870 kilomètres, qui lie le cerrado – la savane tropicale – à la grande forêt, avant de rejoindre l’immensité du fleuve. Son territoire n’est guère habité que par des peuples autochtones. On pense qu’ils sont 14 000, répartis en neuf groupes ethniques. Et combien d’animaux et de plantes ?

Dès les années 1980, le groupe d’État Eletronorte avait un bien beau projet de barrages gigantesques sur le cours du Xingu. Mais les Indiens, ces sots qui ne connaissent pas le mot progrès, se mirent en travers, franchement. Une femme menaça en 1989 le grand patron d’Eletronorte, avec un couteau s’il vous plaît. La même année, le chef Paulinho Payakan partit à Washington river son clou aux bureaucrates de la Banque mondiale. Et le « développement » du Xingu s’arrêta là, car on préparait déjà le Sommet de la terre de Rio, en 1992, et sans jeu de mots, il ne fallait plus faire de vagues.

Bien entendu, Eletronorte n’avait pas renoncé, et préparait calmement une nouvelle offensive contre le Xingu. Eh bien, c’est désormais chose faite, grâce à cet excellent ami de l’industrie appelé Lula. Un nouveau plan de barrages géants menace de mort la rivière et ses habitants. Voilà ce qu’a déclaré récemment l’un des Ikpeng – un peuple indien – de la région : « Nous, peuple indigène du Xingu, nous ne voulons pas de ce barrage sur la rivière. Nous voulons les poissons, la faune et la flore, nous voulons une rivière propre, nous voulons l’eau qui nous nourrit et étanche notre soif. Nous ne nous opposons pas au progrès du pays. Nous défendons nos droits à la vie, à notre terre et à notre mode de vie ».

Ce n’est pas tout : du 19 au 23 mai, l’Amazonie accueillera l’un des plus importants rassemblements indiens de son histoire (ici en brésilien). Kayapó et Ikpeng surtout, riverains du Xingu et petits fermiers se retrouveront à Altamira, dans l’Etat du Parà, pour dire non au grand massacre. Mon coeur y sera, vous pouvez m’en croire, et le vôtre aussi, je l’espère.

Pour le mouvement altermondialiste, qui plaide l’idée – je crois – qu’un autre monde est possible, ce serait une occasion unique de dire les choses telles qu’elles sont. Et notamment que Lula est désormais un ennemi déclaré du seul avenir concevable. Mais ne rêvons pas. Empêtré dans d’insurmontables contradictions, grand soutien de « développementistes » aussi acharnés que Hugo Rafael Chávez Frías, président du Venezuela, il ne peut pas se dissocier. Moi si. Je sais que certains d’entre vous ne m’approuveront pas, mais j’ai promis d’écrire ici ce que je pense. Et ce que je pense vraiment, c’est que je déteste ces hommes. Ni plus ni moins.

PS : Après écriture du texte ci-dessus, je découvre dans Le Monde d’avant-hier que Marina Silva, ministre brésilienne de l’Environnement, a démissionné du gouvernement Lula, dont elle demeurait un pilier. Elle n’est plus d’accord avec le saccage de l’Amazonie, la priorité donnée au soja OGM, aux biocarburants, aux…barrages sur les rivières de son pays.

18 réflexions sur « Lula contre les peuples indiens »

  1. Mon coeur sera aussi à Altamira, comme il fut souvent à Serre de la Fare dans notre combat contre les bétonneurs de la Loire et de ses affluents.
    Merci Fabrice d’apporter autant à la réflexion sur tous ces graves sujets !

  2. Le titre est évoquateur.
    On avait des gens solidaires des indiens.
    Maintenant on a des gens ouvertement contre ces sages de la planète.

    Il se passe la même chose chez nous.
    La destruction des dernières zones humides s’accélèrent pour les mêmes raisons
    Lutter ici c’est aider les iniens.
    En amont de la résreve d’eau potable de la ville de Rennes les prairies de bas fond sont grillées au round up par des cochonnier qui rachètent tout le foncier.
    Sur Iffendic Maur de Bretagne même spectacle affligeant le tout avec la complicité des services de l’état.
    Nous sommes tous des indiens.
    Prenez vos bottes allez sur le terrain, déposez aux enquêtes publiques.

  3. Lorsqu’on parcourt la liste des dirigeants mondiaux, on ne peut être qu’éffaré par la faiblesse de leur vision et leur manque de courage politique. Combien de pantins contre un seul Gandhi ? Combien de cliques dirigeantes nauséabondes contre une gouvernance intelligente et portée vers le bien universel et durable ? Pas une tête ne dépasse. Elle sont toutes courbées dans le caniveau des intérêts particuliers. Jusqu’où serons-nous capables de supporter la puanteur qui s’en dégage ? Jusqu’à quand la planète qui nous héberge, tolérera-t-elle les parasites que nous sommes devenus ?

  4. Perso, pour comprendre le pourquoi du comment de ce developpement (dans son explication, disons, historique, culturelle, ideologique), et ce pourquoi l’expansionism s’avere si contagieux , et bien ca m’a beaucoup aide de lire le livre (interview) de Russell Banks:
    http://www.amazon.fr/Am%C3%A9rique-notre-histoire-Russell-Banks/dp/2742762892?tag=miro01-21
    Voila pour la mise en perspective (bon nombre d’americains que j’ai connu pensent qu’elle est surrevaluee, la perspective, ainsi que la connaissance de l’histoire – ou le passe, ou la conscience tout court).

  5. Si Fabrice,
    on est, je suis d’accord avec toi; mon coeur y est, mon coeur y sera. Il saigne presque autant que les arbres et les animaux mutilés de la selva. Mais que faire?

  6. Ok Canlou ! Je change mes vieilles bottes ,trop usées ,qui prennent l’eau de partout , pour d’autres et je continue .Vivent les « lentilles » d’eau…trèfle…Dactylorhyza…Epipactis…Liparis de Loesel…Locustelle Tachetée…Rousserolles…et autres « associations ». Histoire pour « vrai » écolo : voyant ses pieds mouillés ,il se Caltha des Marais !.

  7. même si mon corps est incapable d’ubiquité, mon coeur l’est par millier
    et il sera avec tous les défenseurs de la vie, donc à altamira !

  8. les indiens Kogis qui vivent repliés dans les hautes vallées du massif de la Sierra Nevada de Santa Marta en Colombie questionnent « les grands frères occidentaux » avec une délicieuse mais cruelle ironie:
    « Quand considérerez-vous que vous avez atteint le progrès? »

  9. Pour répondre à la question ci-dessus, il faudrait interroger Sa Petitesse qui n’arrête pas de dire que « la France doit rattraper son retard »…

  10. “Quand considérerez-vous que vous avez atteint le progrès?”
    Première question quand on écrit un sous-programme en informatique : « jusqu’à quand ? »
    Je ne me rappelle pas le détail -mais la réflexion, oui- d’indiens d’Amérique du sud, coincés en voiture dans le tunnel sous Fourvières, entre des camions chargés de voitures, dans les deux sens :
    « Qu’est-ce que vous faites avec les voitures ? »

  11. a Stan ..mais c’était trop tard : il regarda sous ses chevilles enflées : de vrais pieds de veau ! enfin je ne te le souhaite pas !

    Lula est un enemi déclaré , certes . Etre depuis si longtemps les poubelles des pays du nord (pour ne parler que de l’amérique du sud , revoir le reportage : quand l’or noir mine la santé , un détail dans la masse)), et trouver enfin une mane sans précédent …pour copier le nord…qui va droit dans le mur . Nos pays ont ligoter le sud qui se débat entre le pire et le moins pire . la france va même jusqu’à fabriquer les fameuses « machettes  » , dont certaines ont servi à massacrer des tutsi .
    nous leur avons fourni leurs armes, leurs dettes , nos graines à nous pour nourrir nos animaux que nous leurs revendons , leurs jougs colonialistes .
    Poser sa pierre dans l’hémisphère sud relève d’un acte d’héroïsme le plus souvent puni de mort . je salue ces altermondialistes là.

  12. Stan a Bénédicte. Luci Tapahonso a écrit: le peuple Navajo aime tant les histoires que chaque fois qu’un groupe se réunit, le dialogue, semble-t-il, se transforme finalement en un partage de récits, de souvenirs, de rires et de taquineries. Y participer, c’est une façon particulière de se manifester une affection et une estime mutuelle.

  13. N’est doutons pas pour les amérindiens du Nord aussi le combat est le même, Pour les innus de la forêt boréales comme pour la fédération de l’Est (Ab’naki)nous sommes les gardiens de la Terre-mère. La lutte de ceux de l’Amazone vous permettra de survivre, c’est pour cela qu’il faut l’appuyer.

  14. Editions Thélès
    conte
    chant initiatique en hommage aux indiens kogis

    Tisserand du Soleil
    Kathy Dauthuille

    « Homme de lumière et de vent, Silhouette dressée face aux abîmes, Maître des lieux au regard vaste, Ta veine de force Traverse tes blanches oscillations de coton Et agite tes longues mèches…

    PRIX : 12,90 €
    AJOUTER AU PANIER

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