Une réponse à Fabrice Nicolino (par Jean-Paul Besset)

La lettre qui suit m’a été adressée le 1er septembre à la suite d’un texte paru le 24 août 2008 sur ce blog (ici). J’y attaquais un homme qui demeure un ami, Jean-Paul Besset, devenu « bras doit » de Nicolas Hulot, et qui se présente aux prochaines élections européennes de 2009 en compagnie de Dany Cohn-Bendit, José Bové et probablement des Verts et des militants associatifs. Je publie sans problème le courrier de Jean-Paul, auquel je réponds dans la foulée (dans un article séparé), car je le crois nécessaire. Voici.

Fabrice,

Contrairement aux affidés des chapelles nombrilistes, je n’ai que peu de goût pour les déchirures ivres d’outrances et de sentences, surtout quand elles s’appliquent aux gens que je respecte pour leurs parcours et leurs convictions, et que j’aime pour ce qu’ils sont, même s’ils ne sont pas moi. Non, décidément, je n’aime pas du tout l’odeur des croisades et du sang dont parfois des plumes alertes se laissent aller à tracer le chemin.

Il y a manifestement désaccord entre nous, Fabrice, et ce n’est pas la fin du monde. Identifions-le calmement si tu veux bien, comme une différence plutôt que de l’ériger en frontière du bien et du mal.

Le désaccord tient à la chose « politique » et, comme nous le savons tous les deux, il ne date pas d’aujourd’hui.

Tu considères « cette petite activité des humains que l’on appelle la politique » comme une déviation catastrophique. Pourquoi ? Parce que la politique, ses stupres et ses lucres, détournerait les peuples de la prise de conscience et, pardi, de la révolte. C’est un point de vue que les grands nihilistes de l’histoire ont brillamment exprimé du fond douillet de leur cabinet.

Je pense exactement le contraire: malgré les faiblesses et les ridicules qui s’attachent à toute entreprise humaine, l’action politique constitue la meilleure forme que la civilisation a su mettre en oeuvre pour s’arracher collectivement aux diktats du malheur. Qu’elle produise parfois des monstres et qu’elle conduise souvent à des impasses, je te le concède aisément mais, à ma connaissance, on n’a pas mieux en magasin: elle demeure une voie incontournable de cheminement et de décision démocratique.

C’est un chemin inconfortable, difficile, instable, qui s’applique à une réalité non rectiligne, faite d’aspérités, et qui, de surcroît, se parcourt avec des gens réellement existant, donc imparfaits. C’est à ce fil du rasoir auquel, petits pas après petits pas, je me consacre depuis quelques temps, auprès de Hulot, des associations, des négociateurs du Grenelle de l’environnement, et maintenant auprès des promoteurs d’un rassemblement des écologistes pour les élections européennes, espérant que celui-ci produira un sursaut bénéfique dans les consciences. On peut s’en gausser et trouver que ça manque de panache révolutionnaire mais j’ai la « naïveté » de croire que ces récentes actions – éminemment politiques même si elles sont non affiliées -, dont je ne suis qu’un modeste artisan, ont permis quelque peu de faire bouger les lignes au sein de la société. Et qu’il est temps de traduire politiquement cette avancée, de l’introduire électoralement dans le champ des rapports de force idéologiques et sociaux.

Car vois-tu Fabrice, je suis comme toi obsédé par la menace d’effondrement qui pèse sur notre communauté humaine. Alors je cherche, avec d’autres, avec des milliers d’autres qui se retroussent les manches et qui vont au cambouis (je sais que tu en connais plusieurs et que tu ne les méprises pas), à ouvrir des pistes, à créer des issues, à rassembler des énergies. Je ne suis sûr de rien, peut-être tout cela est-il vain, mais, en conscience, je ne peux me résoudre à seulement vitupérer l’époque, à dénoncer sans combattre.

Sinon quoi ? Attendre avec gourmandise le chaos final ? Déconsidérer systématiquement toute démarche transitoire, réformiste, au nom du grand tout qui n’aura jamais lieu ? Espérer la révolte massive qui balaiera miraculeusement le vieux monde ? Et, pour patienter et s’occuper un peu, trier les bons des méchants, dresser la liste des traîtres et des renégats ?

Tu as choisi la voie de la vigilance critique et tu l’exerces avec force. Tes deux derniers ouvrages sur les pesticides et les agro carburants sont d’une formidable utilité publique. Nous avons besoin de gens comme toi, de leur intelligence de la vie, de leur sensibilité aux autres, de leur talent acide. Il faut écrire des livres, ouvrir des blogs, mener la bataille intellectuelle. Sans doute l’action politique est-elle moins flamboyante et plus perturbante, avec ses compromis face à la complexité des choses, en prise aux heurts du réel. Mais est-ce seulement avec le Verbe que l’on « renversera la table » ?

Fabrice, je te le dis très amicalement: de la vigilance critique à la posture de l’imprécateur, il n’y a qu’un pas qu’il me serait insupportable de te voir franchir. Même si tu nous malmènes, ta place est parmi nous, dans le corps à corps avec la société, pas au tribunal dans le rôle autoproclamé du procureur.

Jean-Paul Besset

Deux remarques subsidiaires qui devraient t’alerter: primo, ta charge contre Daniel Cohn-Bendit est injuste, comment peut-on exécuter qui que ce soit avec cette phrase stupéfiante: « les preuves en sont si massives que je ne les cherche pas ». Secundo, le sous-entendu sur la bonne soupe des cantines bruxelloises vers laquelle se précipiteraient les (potentiels) élus écolos est indigne de toi.

3 réflexions sur « Une réponse à Fabrice Nicolino (par Jean-Paul Besset) »

  1. Bonjour à tous.

    Permettez-moi, respectueusement, quelques commentaires.

    « On n’a pas mieux en magasin : elle demeure une voie incontournable de cheminement et de décision démocratique ». Pour moi, il est là, le problème. Il faut imaginer, organiser et mettre en oeuvre autre chose.

    La politique et ceux qui choisissent cette voie ne m’inspirent plus aucune confiance. Ne vous demandez pas si j’ai raison ou si j’ai tort. Demandez-vous plutôt pourquoi et comment j’en suis arrivée là. Et je ne pense pas trop m’avancer en disant que je ne suis sûrement pas la seule.

    Je vote, péniblement, pour le moins pire. Et j’aimerais pourtant qu’on me demande mon avis (directement et non pas au travers d’élus représentant une majorité) plus souvent et sur des questions précises et concrètes : les OGM, les agrocarburants, le nucléaire… etc. Peut-être les « politiques » estiment-ils que je n’ai pas les connaissances suffisantes pour comprendre ces sujets.

    Je constate cependant que les « politiques » sont incapables d’anticiper alors que je pense qu’avec un peu de bon sens, bon nombre de catastrophes humaines et écologiques (pourquoi séparer les deux ?) étaient prévisibles. Je crois aussi que les consciences populaires sont bien éveillées mais qu’elles attendent que leurs dirigeants démontrent que leurs consciences le sont aussi.

    Pour moi, ceux qui vont « au cambouis », ce ne sont pas les « politiques », ce sont ceux qui manifestent en Amérique du Sud contre les projets de barrages, qui luttent contre un projet impopulaire d’agrandissement d’aéroport, qui se bagarrent pour que le projet pharaonique d’un Las Vegas espagnol ne voie jamais le jour, qui mettent leur vie en danger pour lutter contre des trafics illégaux fort bien organisés. Ce sont ceux aussi qui parlent de ces dossiers, qui informent, qui relayent, qui rallient.

    J’attends la naissance d’un véritable contre-pouvoir. Sans compromis. D’ailleurs que signifie concrètement ce mot ? Est-il question, par exemple, de « sponsors » (on peut aussi les appeler « partenariats ») comme avec EDF ou L’Oréal qui « soutiennent » (influencent ?) les actions de la Fondation Hulot ? Dans ces conditions, comment voulez-vous que j’aie confiance ?

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