La lettre volée (un beau casse automobile)

Il y a des jours où l’on a envie d’écrire deux fois. Aujourd’hui, par exemple. Voyons si ces mots vous disent quelque chose : « J’étais à Paris en 18… Après une sombre et orageuse soirée d’automne, je jouissais de la double volupté de la méditation et d’une pipe d’écume de mer, en compagnie de mon ami Dupin, dans sa petite bibliothèque ou cabinet d’étude, rue Dunot, n° 33, au troisième, faubourg Saint-Germain ».

Ce n’est pas un test de culture générale, rassurez-vous. Moi, je ne souhaite qu’une chose pour vous, et c’est que vous ayez reconnu le début de La Lettre volée, d’Edgar Allan Poe, traduite soit dit en passant par Charles Baudelaire. Oui, je vous le souhaite, car il s’agit d’un bref mais véritable chef d’oeuvre du genre.

Par précaution, je résume. Dupin, un détective de la veine d’Holmes, est amené à aider le préfet de police de Paris, un véritable balourd. La preuve immédiate par le texte, où le préfet s’adresse à Dupin :  « Voilà encore une de vos idées bizarres, dit le préfet, qui avait la manie d’appeler bizarres toutes les choses situées au-delà de sa compréhension, et qui vivait ainsi au milieu d’une immense légion de bizarreries. ».

Que cherche le flic ? Une lettre, potentiellement dévastatrice pour le pouvoir. Dupin : « Peut-être est-ce la simplicité même de la chose qui vous induit en erreur ? ». Le préfet : « Quel non-sens nous dites-vous là !  ». Comme on s’en doute un peu, c’est Dupin qui a raison. Il retrouve la lettre volée, qui n’était en réalité nullement cachée. Au contraire, elle se trouvait en évidence sur la table de travail du voleur. Seulement, elle « était fortement salie et chiffonnée. Elle était presque déchirée en deux par le milieu, comme si on avait eu d’abord l’intention de la déchirer entièrement, ainsi qu’on fait d’un objet sans valeur ».

Bien joué Dupin ! Et tentons de lui rendre hommage. Y a-t-il un rapport entre La Lettre volée et l’industrie automobile ? Eh, eh, sait-on jamais ? Je vous rappelle ou vous informe que l’Association des constructeurs automobiles européens (ACEA) vient de demander une aide publique de 40 milliards d’euros, sous la forme de prêts à intérêts réduits (lire ici). Avec en prime cette phrase goûteuse de Christian Streiff, directeur de PSA (et président de l’ACEA) : « Cette mesure donnera un signal important pour rétablir la confiance des consommateurs et des marchés financiers ».

Ce n’est pas tout, non, trois fois non. Le lobby de la bagnole réclame également des subventions pour inciter les possesseurs d’engins à se débarrasser de leurs vieilles voitures pour en acheter des neuves. On atteint droit au sublime avec ces mots figurant dans le communiqué de l’ACEA, en anglais bien entendu : les aides publiques « would provide conditions under which the objectives of the CO2 legislation as currently debated by the European Parliament and the EU member states could become more realistic, enabling manufacturers to achieve the desired results ». C’est une langue si désolante que je me contente de vous en traduire la substance. Des subventions permettraient de rendre plus réalistes les objectifs européens de réduction d’émission de gaz carbonique, en aidant les constructeurs à parvenir aux « résultats désirés ».

Pour le cas où les politiques seraient définitivement sourds, l’ACEA rappelle, tout en finesse, le poids économique de la bagnole. Les millions d’emplois directs, qu’il faut multiplier par près de cinq en y incluant la chaîne – le mot exact – de boulots de toutes sortes qui y sont associés.

Alors ? Au risque d’être une nouvelle fois vulgaire, il appert de ce qui précède que l’industrie automobile tient le système par les couilles. Pardonnez, il faut appeler de la sorte ce qui se déroule sous nos yeux. Et qui est aussi évident – nous y voilà – que La Lettre volée sur la table. L’industrie, arguant de la crise financière, arguant de la crise écologique même, veut faire payer une deuxième fois ses tas de ferraille. Et les deux fois par les mêmes : nous. Bon, moi, je ne paierai qu’une fois, car je n’ai pas de voiture. Mais tous les autres ?

L’affaire est d’une grossièreté exceptionnelle. Profitant du chaos, camouflée derrière le rideau de fumée du krach en cours, la bagnole individuelle entend se relancer. Non pas seulement survivre, mais bel et bien repartir à l’assaut de ce qui résiste encore, notamment dans les pays du Sud. Pas de doute, la manoeuvre est écologique : on jette ce qui roule parfaitement, et qui pèse son poids lourd de matières premières plus précieuses que l’or. Et puis on tape à nouveau dans le stock d’acier, de pétrole, et de souffrance humaine au travail.

Franchement, si ces salauds obtiennent satisfaction…

PS : je rajoute un mot, vers 13 heures, ce mercredi 8 octobre 2008. En épigraphe de La Lettre volée, Poe place une citation latine :  Nil sapientiae odiosius acumine nimio ( « Rien en fait de sagesse n’est plus détestable que d’excessives subtilités »). Poe l’attribue à Sénèque, mais ces mots n’ont jamais été retrouvés dans les textes de ce dernier. On peut donc penser à une (belle) invention. Une trouvaille qui fait réfléchir, et dont on voit l’intérêt quand il s’agit de décrire et de combattre le monde dans lequel nous sommes condamnés à vivre.

22 réflexions sur « La lettre volée (un beau casse automobile) »

  1. Ok avec F Nicolino
    Le but des marchands de voiture et du gouvernement n’est pas de réduire l’usage de la voiture mais de coller dans l’imaginaire des gens que la voiture dont ils ont envie est une voiture plus écologique et plus chère afin de rester dans la logique production-consommation. La méme chose se joue avec la production d’énergie (plutot que la réduction de consommation). Malheureusement cela ne fait que retarder l’échéance. Je pense la méme chose avec le transport en commun…cela reste du transport. Ce qu’il faut inéluctablement c’est réduire notre dépendance face à la finance et aux grosses industries tout en continuant de vivre bien et cela en hamonie maximale avec la nature y compris sauvage. Si l’on pousse cette logique au bout il ne reste que la décroissance individuelle et collective, la modestie, la coopération, la relocalisation la marche à pied et le réve. Evidemment, dans ce sens, le discours travail, carrière, ambition, domination, accumulation de richesses tombe alors en désuétude et tout ce qu’on nous inculque dès le plus jeune age devient incompréhensible. Aurons nous le temps d’opérer ce changement de civilisation nécessaire? Ben « si ces salauds obtiennent stisfaction », je pense que non.

  2. S’il n’y avait plus de pub, ce serait un grand pas dans la bonne direction. Tant de talent pour une si abominable industrie, celle du mensonge, bref de la propagande. Ils réussissent quand même à faire croire à beaucoup qu’en changeant de voiture ce sera « bon pour la planète », qu’en dépensant leurs sous, ils feront des économies, etc. etc. Au carrefour, demi-tour, direction « aux champs »…

  3. merci de ressortir ce cher Dupin du placard . J’ai le gout de l’épique, alors je garde un excellent souvenir du « manuscrit trouvé dans une bouteille » . mais « la lettre volée », oui, du grand art . Le bouquin repose posé (par mes soins) au hasard dans la chambre « du grand »…on ne sait jamais, il pourrait l’ouvrir .
    comme je te l’ai précisé un jour, Fabrice, je suis née en partie dans le monde de l’automobile . L’odeur du cambouis, les coupes dorées, le sol noir et glissant, je connais, j’ai même aimé la vitesse, cheveux au vent à l’arrière de la harley de mes aînés. c’est un monde fermé sur lui-même où la mécanique est choyée comme une personne . un monde de fétichistes .
    ceux qui défendent l’auto sont « en dehors » de la réalité, il faut en prendre conscience afin de combattre avec force ce lobby . Et evidement, sans subtilité..d’ailleurs, c’est un langage qui n’a pas cour dans le monde automobile .

  4. relevé dans le nouvel obs du 25 septembre, sous la plume Michelin du journaliste Olivier Péretié
    « Pourquoi nier que jamais nos autos n’ont été aussi intelligentes, aussi bien faites, ni aussi belles? […]Tous ces créateurs (les constructeurs auto, note de Raton!)ont compris qu’il faut réinventer les ailes du désir, que les moches disparaissent plus vite que leur ombre et que le plaisir, en automobile, commence au premier regard. Le plaisir…Vous savez, cette sensation d’antan que l’on ressentait en dégustant un bon cognac, en offrant un cigare, en mangeant du vrai chocolat, ou en poussant une pointe à 200 sur une autoroute déserte, comme on le fait encore en Allemagne tous les jours, sans passer pour un criminel »
    Le début du papier est pas mal non plus, dénonçant « une sorte d’auto-phobie rampante, certes très bobo-Paris-centre, mais qui veut mettre l’auto à la souce de tous nos maux et de la planète trop chaude. »

  5. A Bénédicte : en effet, c’est du calCULé, tout ça – et minable, au fond.
    Plus généralement, la crise financière ne sera-t-elle pas l’occasion, pour certains, de nous fourguer encore un peu plus de consommation ?

  6. Pour l’Obs: les constructeurs automobile sont parmi les plus gros annonceurs de ce magazine. d’où l’intérêt de les caresser dans le sens du poil… la déontologie du journaliste, quant à elle, est passée à la poubelle

  7. BARCELONE (AFP) – Le monde du silence n’est plus ce qu’il était: sous l’eau, le brouhaha sonore s’amplifie avec le trafic maritime, les sonars et les explorations sous-marines, un drame pour les cétacés qui n’arrivent plus à s’entendre ni à s’orienter.

    Envie de pleurer même si cela ne sert à rien, je pleure
    Pendant des millions d’années, le monde sous-marin n’était troublé que par le bruit des vagues et le chant des baleines.

    Mais depuis une centaine d’années, l’homme s’est introduit dans cet espace acoustique harmonieux avec ses bateaux à moteur, ses forages, ses sonars militaires et ses sondages sismiques de recherche pétrolière.

    Ce vacarme est « assourdissant » pour les animaux sous-marins, souligne Michel André, directeur du Laboratoire d’Applications Bioacoustiques (LAB) de l’Université Polytechnique de Catalogne (UPC).

    « Aujourd’hui, il n’y a aucun endroit au monde qui ne soit pas pollué par ces sources sonores artificielles dans la mer », affirme cet ingénieur et biologiste français, qui participe au Congrès mondial pour la nature de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) à Barcelone.

    L’oreille humaine ne perçoit qu’à peine 10% des sons…la suite sur yahoo

  8. Après des crises financières monstrueuse, des pays (argentine, turquie) ont développé des économlies parallèles. Aux Etats-unis aussi, des communautés frappent leur monnaie, vivent des ressources et compétences locale. Si seulement ces phénomènes pouvaient donner des idées pour que les initiatives ici et là s’organisent et s’émancipent de la finance telle que le moribond capitalisme tente encore de perpétrer…
    http://raffa.grandmenage.info/post/2008/10/06/GMTV-L-argent

  9. A l’attention de vous toutes et de vous tous, et à l’attention de Bénédicte, voilà un petit poème, j’espère qu’il vous fera du bien ?

    Etre au sommet.

    Sous les auspices d’une journée ensoleilée
    Parcourant des chemins sublimés
    Par l’immensité d’une nature sauvegardée,
    Je respire
    Les parfums d’une forêt en été
    Où vont se mêler sous un ciel azuré
    La chorale des grillons
    Et le bêlement d’une chèvre ou d’un mouton.

    Au moindre bruit bondissant
    Un cerf attentif et vigilant
    N’est il pas le maître de ces terres ?
    Où l’appel d’un veau vers sa mère,
    Vient à peine troubler
    Les pensées d’un promeneur,
    Qui dans son fort intérieur,
    Voyant ces animaux et toutes ces fleurs,
    Est comblé par tant de bonheurs…

    Enfin arrivé au sommet de la montagne
    Il faut être fou, pour ne pas s’émouvoir
    Ne pas percevoir, toutes ces petites choses,
    Comme le murmure, d’un oiseau virtuose,
    Et de temps à autre
    Apercevoir, sur ces pentes boisées,
    Au milieu d’un nature embaumée,
    Une biche, un peu intimidée
    Par le venue d’une Fée aux rires enjoués.

    Poème en vers « libres », par moi… Eté 2004…

    Montagnes des Vosges, vues magnifiques, air pur, animaux sauvages et de la ferme, gnomes, fées, lutins, Féerie de la forêt et des sous-bois !…
    Rêves de liberté et d’harmonie !!!…

    Une utopie tout ça ?!… Qui sait, peut-être qu’un jour !!…

  10. j’ai passé – un mauvais – diner avec un flic à la retraite ex parisien et borné, va donc lui lire ce poème…y’a vraiment deux mondes.

  11. eh bien! quand la gente Féminine s’y met…ça donne!. Faut dire qu’ils y en a qui cumulent tout!. M’ouais..c’est pas une nouvelle!.

  12. @ stan , comment ça y en a qui cumule tout ? Tu crois que Stéphanie a mangé du poulet aux hormones ? sinon, sans rire et même très sérieusement, aimes-tu le fromage ?
    @ nicolas, joli !merci !

  13. @ marcel, en tout cas ça marche non ? Son altesse serenissime vient de promettre 400 millions d’euros pour « la voiture propre » encore un euphémisme, encore un fait du prince…

  14. ils ont gagné non? j’ai vu notre bon président parler ce soir pour dire qu’il donne du pognon pour la recherche de la voiture propre… électrique en fait… mais le nucléaire c’est clean… et sinon « un allumé du bocal » ( dixit notre bon président) a osé hurler à quelques mètres de notre bon président lors de sa ballade au salon de l’auto: « la voiture tue… » et vlan trois gorilles sur sa face pour qu’il se taise… mais « heureusement qu’il n’y en a pas beaucoup des comme celui là! » ( dixit notre bon président)… bon je sais que c’est pas clair comme post mais faut juste savoir que les constructeurs ont gagné! mais quelqu’un avait il encore un doute??

  15. A Bénédicte. Pour tenir salon sur l’auto-mobile du cumul, je sous-entendais la « jante » Masculine. Ceux qui roulent à coté quoi!. Bien sûr que non…pour Stéphanie. Bien sûr que oui…pour le fromage!.

  16. Tant pis pour « ceux qui roulent à côté », mais il se pourrait qu’ils connaissent malgré tout des lendemains qui « déjantent »!

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