Vive le pape ! À bas tous les autres

Je suis un mécréant définitif. Pas baptisé. Profondément ignorant de l’histoire du christianisme. Je ne sais à peu près rien de la Bible, des Évangiles, des Apôtres. Et pourtant. Et pourtant.

J’ai travaillé pendant une vingtaine d’années pour le groupe de presse catholique Bayard, et dans ce cadre, j’ai signé des chroniques pendant dix ans dans le quotidien La Croix. Il me semblait, mais j’ai eu tort, que l’Église catholique pourrait devenir ce que j’appelais en mon for intérieur, un « accélérateur de conscience ». Je pensais, et je pense toujours qu’il faut unir toutes les forces disponibles pour faire face à la terrifiante crise écologique en cours.

J’ai rencontré, grâce au magazine Terre Sauvage, pour lequel je travaillais aussi, le prêtre catholique Dominique Lang. Et je l’ai aimé, par-delà nos si grandes différences. J’ai ensuite imaginé, créé et dirigé une très belle revue dont je reste fier : Les cahiers de Saint-Lambert. Pourquoi Saint-Lambert ? Parce que les Assomptionnistes, ordre auquel appartenait Dominique, venaient de s’installer au monastère de Saint-Lambert-des-Bois, dans la Vallée de Chevreuse. Moi, j’imaginais autour de ce lieu deux vastes initiatives. D’abord une restauration écologique exemplaire des 30 hectares entourant les bâtiments. Ensuite, la création d’un territoire de discussion planétaire, à la manière de la communauté italienne de Sant’Egidio, qui accueille l’espace d’une trêve des ennemis apparemment définitifs, comme par exemple les Palestiniens et les Israéliens. À Saint-Lambert, nous aurions parlé, bien sûr, des innombrables conflits écologiques du monde.

Si vous avez jeté un œil sur le PDF des Cahiers, plus haut, vous avez vu que Dominique était le directeur, et moi le rédacteur-en-chef. Olivier Duron apportait son grand talent graphique. Nous étions trois, sans local, sans budget, payés avec des cacahuètes. Mais la revue était éditée par Bayard. Du moins, je pensais qu’elle l’était. Elle était soutenue pour de vrai par Didier Robiliard, l’un des directeurs de Bayard, qui garde mon estime intacte. Mais elle était sabotée par le grand patron, le journaliste très connu dans les milieux de la presse, Bruno Frappat.

Obsédé comme j’étais déjà par la crise écologique, et comme j’étais officiellement conseiller éditorial de Bayard, j’ai tenté de convaincre Frappat. Ô combien ! Il est vrai que nous avions eu des démêlés sérieux et drôlatiques que je ne peux raconter ici – cela nous éloignerait -, mais je pensais qu’il comprendrait. Nous déjeunions de temps en temps ensemble, et j’y allais de mes inlassables coups de scie. Un jour, au cours d’un repas, il me lâcha une phrase mémorable pour moi : « Je vois bien qu’il s’agit de sauver la Créature [l’homme] et la Création [la nature] ».

Cela me convenait, et à la suite, je ne cessai de lui rappeler ces mots. Je le croyais acquis. Il ne l’était pas. Je crois qu’il se méfiait. Je crois qu’il me voyait comme un trublion ou pis. Je ne sais pas grand-chose. Mais je m’engueulai – une fois de plus – avec lui le jour où je vis qu’il avait bataillé et obtenu – il était le chef – que le logo de Bayard ne figure pas sur la couverture des Cahiers. La revue ne méritait pas l’imprimatur. C’était pleinement ridicule, car Didier Robiliard la finançait, certes avec trois bouts de ficelle. La revue était publiée par Bayard, mais chut ! il ne fallait pas le montrer.

Je crois pouvoir écrire qu’elle fut un succès. Avec des moyens dérisoires, elle obtint vite autour de 2000 abonnés, et avec un investissement raisonnable – ridicule pour Bayard -, je gage qu’elle aurait atteint rapidement son point d’équilibre. Mais Frappat préféra sa mort. Inutile de dire que j’ai repensé à clairvoyance lorsqu’en 2015, le pape François eut publié Laudato Si. Une merveilleuse Encyclique, quatre ans après le sabotage des Cahiers de Saint-Lambert.

Le bilan que je tire de ces événements est clair : l’Église catholique ne bouge pas, ce qui interroge en profondeur sur ce qu’elle est. Elle ne défend aucunement la Création, pourtant censée avoir été créée par Dieu. Quand j’ai lancé le mouvement des Coquelicots, en 2018, je suis allé voir l’évêque de Troyes, Marc Stenger, pour lui demander de signer L’appel à l’interdiction des pesticides, que j’avais rédigé. Et il accepta ! Stenger était connu comme le plus ouvert des prélats à ces questions. Mais il refusa de s’engager plus avant au motif, spécieux selon moi, qu’il lui fallait ménager ses ouailles.

Tel n’est pas le cas du pape François. Je vous invite à lire un texte tout récent qu’il a consacré à la crise climatique, Laudate Deum. Lisez ! C’est le point de vue d’un homme lucide. Lisez : « Je considère qu’il est impératif d’insister sur le fait que chercher seulement un remède technique à chaque problème environnemental qui surgit, c’est isoler des choses qui sont entrelacées dans la réalité, et c’est se cacher les vraies et plus profondes questions du système mondial…Nous courons le risque de rester enfermés dans la logique du colmatage, du bricolage, du raboutage au fil de fer, alors qu’un processus de détérioration que nous continuons à alimenter se déroule par-dessous. Supposer que tout problème futur pourra être résolu par de nouvelles interventions techniques est un pragmatisme homicide ».

Lisez : « Finissons-en une bonne fois avec les moqueries irresponsables qui présentent ce sujet comme étant uniquement environnemental, “vert”, romantique, souvent ridiculisé par des intérêts économiques. Acceptons enfin qu’il s’agit d’un problème humain et social aux multiples aspects. C’est pourquoi le soutien de tous est nécessaire ».

Mais lisez aussi : « Je suis obligé d’apporter ces précisions, qui peuvent sembler évidentes, à cause de certaines opinions méprisantes et déraisonnables que je rencontre même au sein de l’Église catholique ». Ce pape-là est seul, face à une institution immobile, et même hostile. J’ai bien fait d’être un mécréant.

7 réflexions sur « Vive le pape ! À bas tous les autres »

  1. Magnifique. Où l’on apprend que ce pape écrit (presque) aussi bien que Fabrice Nicolino ! Quels enragés ces deux là ! ;-))
    Merci pour cette mise au jour. J’avais depuis longtemps « Laudato si » sur ma table de nuit (à cause de toi !), je vais tenter de lire « Laudate Deum », tu vas faire de moi un éxégète, ce n’était pas prévu !
    Comme toi, mécréant, mais… origines siciliennes obligent (branche très pratiquante), baptisé et…presque confirmé : il s’en est fallu de peu, l’aumonier du lycée était un ingénieur agronome, une sorte de soixante-huitard qui rassemblait sous son égide une grande partie de la jeunesse du coin (camp ski de fond, camp vélo dans le Vercors, pèlerinage sur les grandes étendues de sable camarguaises des Saintes Maries de la mer…) mais j’ai déserté avant le contrat de la « Confirmation » !

    Pour le reste, je le dis souvent autour de moi : ce pape est bien plus radical sur le plan de l’écologie que la plupart des amis gauchistes qui nous entourent ! (ne ma faites pas parler de la droite, c’est absolument inutile… vous connaissez Castoriadis et son expression « La montée de l’insignifiance »… pour rester poli…).

    Content aussi d’apprendre que tu aurais pu contribuer à la création d’une sorte de Sant’Egidio à la française sans le sabotage que tu as bien décrit. Comme on aurait besoin d’un Sant’Egidio : le monde s’effrite alors même qu’il devrait se mobiliser de toutes ses forces et main dans la main. Les guerres éclatent, la folie gagne, on perd du temps précieux, vital, des moyens précieux, vitaux… comment faire ? Plus d’un demi siècle qu’on clame dans le désert. J’avoue que par moment je n’en peux plus. C’est la première fois qu’imaginer ce qui se passe tous les jours en Palestine et en Israël me cause un réel malaise physique à chaque fois. Je ne supporte plus ces bombardements inouïs, abjectes, qui massacrent tous les jours des centaines de civils innocents… après le carnage tellement indécent du Hamas.
    On a besoin de Gandhi, de Mandella, on a des Ciotti et des Macron, des Poutine et des Netanyahou, des Biden et des Trump, des Bolsonaro et des Meloni… que la liste est longue…. vous pouvez vous « amuser » à la prolonger, on en ferait presque une chanson : « des Darmanin et des Béchu, des Wauquier et des Erdogan (rien que de se voir associé à Erdogan ici pourrait lui créer une érection en se rêvant lui aussi une destinée qui le sorte des petits pois du Puy en Velay…)… etc.. etc…

  2. merci Fabrice et merci François
    paragraphe 57 du texte papal: « Je considère qu’il est impératif d’insister sur le fait que « chercher seulement un remède technique à chaque problème environnemental qui surgit, c’est isoler des choses qui sont entrelacées dans la réalité, et c’est se cacher les vraies et plus profondes questions du système mondial. » »
    Voilà une homme qui ne se contente pas de croire ( CF la bibliographie de cette exhortation apostolique ») , et qui , il me semble, ne nous présente pas un dogme mais le fruit d’un travail de lecture ; si seulement nos politiques pouvaient faire de même…

  3. C’est toujours un grand plaisir de lire tes articles, Fabrice, mais aussi les commentaires des lecteurs qui se sont petit a petit rassembles autour de toi ! Un vrai bol d’air frais, antidote feroce, autant de l’ecologie technophile « de gauche » (de Elon Musk a l’ecole des Mines en passant par Bill Gates et Melenchon) que de l’ecologie misanthrope « de droite » (Schmidheiny-Lafarge-Maurice Strong-David Attenborough, etc.). J’espere que tu as raison sur ce pape, mais quoi qu’il en soit il n’est pas mauvais de lire (et de faire savoir) avec une intention et une volonte, qui exprime non seulement une empathie mais meme une direction… Si c’etait bien la direction, ca ne peut qu’encourager, et si ca ne l’etait pas… il n’y a rien a perdre de toute maniere !

  4. Bonjour Fabrice, et merci pour m’avoir rappeler ton parcours de journaliste. Catholique, ancien abonné aux cahiers de St Lambert, militant du mouvement des coquelicots je comprends ton ressentiment à l’égard de la hiérarchie catholique, en effet, majoritairement indifférente à la prise de position du pape François pour la sauvegarde de notre maison commune et de notre mode de vie destructeur. La réalité, c’est que comme toutes les autres , l’église est profondément divisé, est aujourd’hui sans aucune influence sur notre monde dirigé, tu le sais par la finance internationale. Pour simplifier ces questions complexes, nous assistons à des croyances et des idéologies qui n’ont pas grand chose à voir avec l’évangile. Un exemple, la spéculation ne pose pas de problèmes à la plupart de mes amis cathos, qui parlent sans arrêt de morale sexuelle. Ce qui est sur, c’est que nous sommes perdus dans nos contradictions et que nous ne savons pas comment nous en sortir. Continues ton juste combat, Dieu reconnaitra les siens. Michel

  5. Bonjour,
    Je n’ai jamais entendu parler des cahiers de Saint-Lambert. Il ne figurait pas sur les panneaux d’affichage, ni sur les tables d’entrée d’église. Existait-il une censure qui ne se disait pas ? De l’église ? De la presse ? Je regrette, car je lis beaucoup. (Bizarrement, le magazine Silence, n’est pas très connu non plus dans les milieux écolos, et lorsque je le distribue, les gensjeans semblent découvrir). Et je partage votre opinion sur la position de l’église , qui pour moi devrait être la première à parler d’écologie (catholique, la protestante parle davantage d’écologie ai-je découvert) : merci père Bergoglio de le faire, vous êtes bien seul, mais vous m’avez réconciliée un peu avec elle. Mes parents étaient écolo-militants, chrétiens et croyants, il y a bien longtemps déjà, et très grands lecteurs (pas de la Croix, très controversée dans ma famille, mais du Nouvel Alsacien) et d’autres revues spécialisées d’origine allemande, ou française. Je m’en vais demander à mon oncle, fidèle abonné de la Croix depuis 1/2 siècle, s’il connaît les cahiers de Saint-Lambert. (j’ai lu les pages du supplément « le laboureur » de la Croix sur Gallica).
    (K)assandre

  6. Suite Extrait du supplément « le laboureur » du 18-9-1897 « Les réactions qui se produisent sur les feuilles ont lieu de la même manière sur les fruits, le carbone se combine avec l’bydrogène et il se forme des hydrates de carbone, c’est-à-dire de la fécule, de l’amidon, du sucre, des gommes, du glucose, de la dextrine, du tanin, des acides, etc.
    Ce sont toutes ces choses qui, combinées à leur tour avec les engrais potassiques et
    phosphoriques, composent la chair, le jus, en un mot, la matière des fruits. »
    https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2174999/f4.item

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