Excusez-moi pour ce titre, car je me sens soudainement incapable de répondre à la question posée. Plus exactement, je me rends compte qu’il me faudrait davantage de temps et d’arguments pour vous en offrir une qui soit satisfaisante.
Mais vous allez comprendre. Je découvre ce samedi matin un entretien ahurissant que Dominique Voynet, figure publique des Verts, a accordé au journal d’entreprise de McDonald’s. Voici un extrait : « Enfin, la complétude de la démarche environnementale de McDonald’s, tant sur les chantiers menés que sur les acteurs impliqués (siège, franchisés, salariés et fournisseurs), rend possible et souhaitable le dialogue avec les citoyens. Elle donne aussi aux équipes une sérénité, une crédibilité et une cohérence de posture lorsqu’elles parleront d’environnement aux clients. Les difficultés que ceux-ci rencontrent dans leur vie quotidienne pour « mieux faire » sont déjà éprouvées par McDonald’s. Beaucoup d’actions donneront l’exemple et permettront à chacun d’intérioriser les bonnes pratiques qu’il pourrait adopter. Pour toutes ces raisons, je pense que McDonald’s est désormais légitime pour parler d’environnement à ses clients ».
Premier constat, secondaire : Madame Voynet a un usage audacieux du français. Deuxième constat, McDo est « légitime pour parler d’environnement à ses clients ». C’est si burlesque que la première réaction d’un esprit ordinaire est fatalement d’hurler de rire.
Et c’est ce que j’ai fait. Je vous jure que je l’ai fait, même si vous n’étiez pas là pour le voir. Et puis, m’étant calmé, et considérant que madame Voynet parlait sérieusement, au premier degré, j’ai remis mon costume de penseur amateur. Pourquoi, oui pourquoi ?
La réponse n’est pas simple, mais il faut bien commencer par un bout. MacDo n’est pas seulement le symbole de la malbouffe, il est la malbouffe. Il incarne mieux que quiconque le cauchemar agroindustriel qui tue les agricultures et les paysans. Voici le modèle : un gros industriel impose ses prix à une chaîne descendante de producteurs, lesquels utilisent tous les ingrédients connus, qui s’appellent tracteurs John Deere, engrais, pesticides.
Bien entendu, il faut tout envisager, jusqu’à l’amont de l’affaire. Les Big Mac que des millions d’humains ingurgitent chaque jour, à Pékin, Moscou, Delhi, Lagos, Mexico, etc., ne viennent pas, aux dernières nouvelles, de la lune. Derrière la viande, des millions de bovins qui dévastent d’immenses territoires, comme au Brésil par exemple. Le modèle alimentaire véhiculé par MacDo n’est pas seulement suicidaire, il tue. Des espaces, des espèces, une partie de l’avenir.
Faut-il, auprès de vous en tout cas, insister sur les effets sanitaires de l’industrialisation de la bouffe ? Je crois, et je suis même sûr, que vous avez déjà lu des arcticles sur l’épidémie mondiale d’obésité. Laquelle condamne des sociétés entières aux maladies cardiovasculaires et au diabète. Mais bien entendu, MacDo est « légitime pour parler d’environnement à ses clients ».
Avant de vous livrer un commentaire plus personnel encore, sachez que le journal de MacDo offre deux entretiens pour le prix d’un. Outre madame Voynet, la noble entreprise a recueilli le point de vue de Pierre Radanne, ancien patron de l’Ademe par la grâce de Voynet; quand elle était ministre de l’Environnement, après 1997.
Radanne ! Que vient faire ce bon connaisseur des questions énergétiques dans cette galère ? C’est à lui qu’il faut le demander, pas à moi. Mais assurément, il a accepté de servir de caution et d’argument publicitaire à la transnationale d’origine américaine. Dont acte, comme on dit.
Et revenons à Voynet. Un premier scoop dérisoire : elle déteste Bové, héraut du démontage du MacDo de Millau en 1999. Elle le déteste vraiment, je le sais. Comme je sais, ô combien, à quel point Bové l’exècre. Bien entendu, dans un monde moins cinglé que le nôtre, cela resterait anecdotique. Mais qui sait ? Les gens dont l’esprit s’envole dès que crépitent les appareils photographiques, ces gens-là vivent dans un monde imaginaire, rempli de minuscules histoires et de dérisoires disputes. Qui sait ? Le conflit méconnu Voynet-Bové a peut-être joué son rôle dans le soutien affirmé de la première à l’empire de la bouffe dégoulinante.
Bien entendu, ce n’est pas suffisant pour comprendre. Mon hypothèse générale est simple : je crois que madame Voynet est devenue, au fil des ans, une politicienne tout ce qu’il y a de banal. Le long compagnonnage avec les socialistes l’a mené à l’ordinaire du compromis, lequel porte en politique un autre nom : l’abandon.
Je ne sais pas si madame Voynet a été un jour une écologiste, mais il est certain qu’elle ne l’est plus. Voyez, je viens de répondre, spontanément, à la question de départ. Non, elle n’est pas écologiste, elle est sénateur (de Seine Saint-Denis). Et s’apprête à tenter sa chance, au printemps 2008, aux municipales de Montreuil. Je ne veux pas vous user les nerfs, mais j’ai quelques lumières sur le sujet. Et je puis vous dire – mais j’y reviendrai sans doute – que son parachutage à Montreuil a fait l’objet, voici au moins six ans, d’un deal avec Jean-Pierre Brard, l’ancien faucon stalinien de la ville, et toujours maire. Un deal, oui, supervisé de près par le parti socialiste, qui entend conquérir l’un des ultimes bastions communistes, le conseil général de la Seine Saint-Denis.
Compliqué ? Surtout pathétique. La planète perd un à un ses équilibres essentiels, et celle qui se présente et se voudrait le grand personnage de l’écologie en France, prépare son fauteuil de maire. Oh, quel spectacle !