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Plenel, Finkielkraut, Zemmour et compagnie

La pensée humaine. L’absence de pensée humaine. Je suis en train de lire – rapidement, mais quand même – deux livres insignifiants, qui marquent chacun pourtant, à droite et à gauche, ce qui nous sert de débat intellectuel. Le premier est signé Edwy Plenel, fondateur de Mediapart (Pour les musulmans, La Découverte, 12 euros), homme de gauche s’il en est. Le second est d’Éric Zemmour, héraut de la droite bien connu (Le suicide français, Albin Michel, 22,90 euros).

Je le répète : je les lis, et ne pourrai donc en faire un commentaire complet. Mais en vérité, à quoi bon ? S’inspirant ouvertement d’un article de Zola en 1896 sur fond d’affaire Dreyfus – Pour les Juifs –,  Plenel prend une sorte de défense des musulmans en France. Il plaide pour l’ouverture des esprits et donc la compréhension, les valeurs de la République, et stigmatise les responsabilités occidentales dans l’apparition et la dissémination des idées fondamentalistes chez certains musulmans, dont le djihadisme.

Zemmour entend expliquer la déstructuration de la société française par le triomphe des idées de mai 68 dans l’esprit des élites politiques, économiques et culturelles. Avec une véritable obsession pour l’immigré arabe, qui aurait grandement aidé à dissoudre notre peuple et la grandeur de son Histoire. Il passe en revue nos quarante dernières années communes, de Marchais à Giscard, de Chirac à Bové, de Dallas au football.

Bon, allons droit au but : c’est pathétique. C’est franchouillard. C’est détestable. Quand deux supposés « penseurs » de notre monde se mettent à écrire, ils le font d’emblée dans un cadre devenu dérisoire : la France. Incapables de seulement imaginer plus vaste réflexion – où sont donc passées les visions universalistes ? -, ils ratiocinent sur leurs minuscules personnages, leurs picrocholines querelles, leurs infinitésimales perspectives. Ce n’est certes pas de gaieté de cœur que je vous écris ces mots, mais en tout cas, je les pense.

Est-ce bien étonnant ? Non. Une loi sociale d’airain conduit chaque génération – il y a quand même des exceptions – à penser le présent avec les mots du passé. Sans songer à une exhaustivité impossible, citons les révolutionnaires de 1789, obsédés par l’Antiquité (« Le monde est vide depuis les Romains ; mais leur mémoire le remplit et prophétise le nom de liberté », Saint-Just); ceux de 1917 fascinés par 1789, Thermidor, la Commune; les amis trotskistes d’Edwy Plenel confondant en 1940 la guerre contre le fascisme et l’affrontement entre impérialismes de 1914, etc. Et dans cet et cætera, je m’inclus sans façon. Ma génération politique, celle de l’après-68, a cherché dans de vieilles lunes qui ne brillaient déjà plus – Lénine, Trostki, Guevara, pire parfois – des explications générales du malheur humain.

Oui, c’est une règle. Il est beaucoup plus difficile de saisir quand c’est utile ce qui se passe réellement. Quand c’est utile, c’est-à-dire sur le moment, face aux événements courants. Certains y sont parvenus magnifiquement, comme – on y revient toujours – George Orwell à propos du stalinisme, ou encore Simon Leys au sujet du maoïsme (ici). On notera, au passage, qu’ils ont tous deux été conspués. Maintenant que le stalinisme est dépourvu de sa toute-puissance étatique, maintenant que le maoïsme n’est plus qu’un immense cimetière oublié, comme il est aisé de célébrer ces deux hommes merveilleux ! Quel bonheur de faire semblant qu’on a toujours été d’accord avec eux !

Bref. Sur ce plan-là, la situation est pire que jamais, car la pensée humaine, ou ce qui en fait office, est comme cette poule qui, cherchant à picorer un grain, se heurte sempiternellement au grillage, et n’y parvient pas. Il lui suffirait de faire quelques pa(tte)s sur le côté pour atteindre l’autre bord, et becqueter le maïs, mais elle ne le fait pas. Plenel et Zemmour – Finkielkraut, intéressant personnage, de même – ne le font pas, ni le feront à vue humaine. Leur affaire, c’est leurs petites affaires. Ce qu’ils ont sous le nez, rien d’autre.

Plenel est un cas qui force l’attention. Il est un « ami » de longue date de François Hollande, avec qui il a publié en 2006 un livre d’entretien (Devoirs de vérité, Stock). On ne peut donc pas dire qu’il aura été pris par surprise. Hollande n’a jamais caché son jeu, il a toujours, et en tout cas depuis quinze ans, affirmé et assumé ce que les commentateurs pressés nomment le « social-libéralisme ». Et il se vante d’être l’héritier – Mélenchon aussi, au fait – de Mitterrand. Mais pourquoi diable Plenel ne nous a-t-il pas alerté dès 1981, dès 1983, dès 1984, quand le vieux filou de l’Élysée lançait avec ses petits jeunes sur mesure – Dray et Désir – SOS Racisme ? Franchement, le drame actuel des relations entre Français blancs et Arabes (éventuellement français) ne trouve-t-il pas une partie de son origine dans la faillite historique des socialistes ? Il était concevable en 1981 d’accorder enfin le droit de vote aux étrangers pour les élections locales. Et de lancer un immense plan, sur une ou deux générations, pour faire des banlieues des zones vivables, et au passage, de droit. Mais on aura préféré la politicaillerie coutumière de Mitterrand, Touche pas à mon pote et l’instrumentalisation de Le Pen dès 1983.

Il eût été bon, il eût été glorieux de mener bataille quand c’était essentiel. Au lieu de quoi, Plenel aura préféré concentrer le tir sur sa personne, en dénonçant les écoutes illégales dont il a été la victime et quantité d’autres affaires périphériques, comme celle des Irlandais de Vincennes. Périphériques ne veut pas dire dépourvues de sens. Je veux simplement dire que l’important était bel et bien ailleurs. Ne croyez pas que je déteste Plenel, que j’ai un peu connu. Même pas. Je défends ainsi le travail de Mediapart, qui lui doit tant. Il a ses mérites, qui dépassent de loin, pour moi, les critiques qu’on peut lui faire légitimement. Seulement, non, NON. Ce n’est pas en écrivant quelques dizaines de pages pour rappeler les grands – et bons – principes de la République qu’on peut se mettre à l’abri du ridicule.

Le cas Zemmour est autre. C’est le journaliste politique dans toute la splendeur de sa vision rétrécie. Son livre – j’en suis à la page 131 – est une sorte de catalogue, de zapping des événements les plus courants des années comprises entre 1970 et aujourd’hui. On dirait presque une revue de presse. La méthode est bien connue : on entend démontrer une thèse, et l’on réorganise le fatras, puisant dans quelques millions d’informations possibles, de manière à prouver l’intuition de départ. Je ne crois pas me tromper beaucoup en prévoyant que tout se barre en couilles à cause des féministes, des antiracistes et des droits-de-l’hommistes. Et je n’insiste pas sur ce que j’ai entrevu à la télé – via mon ordinateur -, où Zemmour paraît souhaiter une réhabilitation de l’infâme régime de Vichy.

Le pitoyable – je tiens hélas à ce qualificatif – est que Zemmour s’est inventé un monde de pacotille où les idées se baladent toutes seules, dans une complète liberté, sans jamais être soumises à ces champs magnétiques surpuissants que sont le capital et l’existence de féodalités transnationales, les pouvoirs économique et technique, l’organisation de la décision, l’ossature administrative, le rapport de forces social. En somme, Zemmour ne parle que de cette infime fraction de la réalité qu’il pense connaître : la superstructure politique et ses habitants, lesquels ne conduisent à peu près rien. Et roulez jeunesse ! Et ouvrez les talk show, les antennes radio et les colonnes des plus grands journaux.

Ni Zemmour bien sûr, ni Plenel, ni Finkielkraut – à qui il arrive de dire des choses intéressantes – ne s’interrogent une seconde sur l’événement le plus fracassant de leur temps, qui n’est autre que l’approche de frontières indépassables par l’aventure humaine. Misère ! Ils ont la chance insigne – ne sont-ils pas des « intellectuels », reconnus en tout cas ainsi par leur époque ? – de vivre au milieu de tsunamis d’ampleur géologique, et eux se penchent sur un confetti, dont ils commentent l’usure, l’abrasion, les possibilités d’une très hypothétique reconstitution. Le climat crée les conditions d’un chaos mondial, la moitié des animaux sauvages a disparu entre 1970 et aujourd’hui, nous sommes plongés dans la sixième crise d’extinction massive des espèces, les océans s’acidifient et leurs extraordinaires créatures meurent, les sols s’épuisent, l’eau en arrive à manquer dans des zones explosives au plan social et politique, le nucléaire rend envisageable la disparition de toute société organisée, mais l’urgence est donc de blablater encore un peu.

Ce ne serait que risible si les conséquences ne n’annonçaient aussi graves. Car bien sûr, le temps ainsi perdu ne sera pas rattrapé. Pour que des idées nouvelles finissent par s’imposer et forment cette cohérence que l’on appelle à tout bout de champ un paradigme, il faut du temps. Qui se compte en générations. La pensée écologique, même si elle a eu des pionniers méconnus, n’a émergé qu’il y a une quarantaine d’années. Ni Plenel ni Zemmour ne l’ont seulement aperçue. S’ils étaient ce qu’ils pensent être, ils auraient évidemment cherché à comprendre la nature de tels bouleversements. Ils auraient lu. Ils auraient discuté. Ils auraient au moins entrouvert quelques portes. Un Zemmour aurait compris que 68, qui a produit bien des conneries, et tant servi, par la promotion de l’individualisme fou, la cause de l’industrialisation de la vie sur Terre, a également fait émerger des idées franchement nouvelles. Porteuses, oui, d’un avenir qui reste possible, et en tout cas souhaitable. Mais non : encore et toujours cette névrose obsessionnelle des acteurs de seconde zone que furent Giscard, Mitterrand, Chirac, Sarkozy.

Ce temps ne sera pas rattrapé. Quand viendront les vraies épreuves, le peuple français n’aura JAMAIS été préparé à les comprendre, et partant, à les dominer. Et il se vautrera donc fatalement dans des réponse magiques, fantasmagoriques, à une crise qui semblera le déposséder de tout. Le responsable sera donc, d’évidence, l’Étranger, qu’il soit Arabe ou tout autre. Qui écrira jamais qu’aucune barrière ne nous mettra à l’abri, dans un monde où coexistent, dans une vaste marmite du diable, richesses démentes, jeunesses immenses, frustrations sans limites ? Qui le dira ? Plenel et Zemmour sont les deux faces d’une même tragicomédie. Amoureux transis, et définitifs, d’idéologies qu’ils attribuent perpétuellement à d’autres qu’eux-mêmes, ils retomberont toujours sur leurs pattes. Telle est du reste l’une des meilleures définitions du mot idéologie : l’art de retomber sur ses pattes.

Un dernier mot :  j’ai lu il y a quelques semaines un livre paru il y a bien quinze ans (La fin tragique des dinosaures, Walter Alvarez, Pluriel). L’auteur y raconte la façon dont lui et quelques autres ont fait émerger l’explication la plus convaincante de la disparition des dinosaures, voici 65 millions d’années. Une comète – ou une météorite – aurait provoqué une explosion comparable à 100 millions de bombes à hydrogène, manquant de faire disparaître toute forme de vie. Ce qui est passionnant, c’est le chemin – scientifique – de la vérité, qui doit vaincre quantité de périls, principalement venus d’adversaires – tout aussi scientifiques qu’Alvarez – de la théorie de la météorite. On y voit combien il est dur d’avancer. Encore n’est-ce à peu près rien, car en ce qui concerne les dinosaures, les oppositions ne se rencontraient que dans de tout petits cénacles. Or la nécessité où nous sommes de refonder le projet humain se heurte de plein fouet aux vaines croyances d’une très forte majorité des contemporains. De ce point de vue, Plenel et Zemmour ne sont jamais que l’infime symptôme d’une maladie de l’esprit quasiment universelle.

La morale ? Ceux qui cherchent de vraies voies de sortie sont seuls. Et comme il n’est pas question de reculer, il faut encore et toujours avancer. En se serrant, amis de Planète sans visa, d’aussi près qu’il est possible. Comme le font les manchots empereurs pour lutter contre le froid antarctique. Car il fait froid, car le débat n’est pas loin d’être gelé. Conservons donc notre énergie, car nous en aurons besoin.

Le drapeau noir du deuil (la mort de Simon Leys)

Simon Leys est mort et comme écrivait l’autre, tout est dépeuplé. Cette grande personne si chère à mon cœur ne semble avoir aucun rapport avec mes obsessions, qui ne sont finalement qu’une : la crise de la vie sur Terre. Mais comme si souvent, il n’est pas besoin de creuser longtemps pour comprendre à quel point Leys était un allié de première force dans la bataille contre tous les mensonges. Il est donc mort en Australie, où il enseignait, à l’âge un peu jeune de 78 ans (ici).

Avant de vous dire mon sentiment, sachez que je suis loin de chez moi, loin de mes livres et de mes références. Je vous livrerai donc ce que ma mémoire me dicte. Leys – Pierre Rickmans de son nom de naissance – est d’abord, comme certains d’entre vous le savent, un authentique sinologue, grand connaisseur de l’histoire, de la culture, de la langue chinoises. Il aimait, et quand il aimait, il adorait. En 1971 – je crois que je n’avais pas 16 ans -, Leys fait paraître un livre inoubliable, Les habits neufs du président Mao (Champ Libre).

J’étais alors déjà profondément antistalinien, et je le suis resté. Et donc fondamentalement antimaoïste, car ce courant s’inscrit d’évidence, et en droite ligne, dans cette tradition maudite. Je pourrais aisément prétendre que le livre a été à mon chevet d’emblée, mais ce n’est – hélas – pas vrai. Je ne l’ai lu qu’une dizaine d’années plus tard. Leys, seul contre tous, racontait en temps réel les événements connus sous le nom grotesque de Grande Révolution Culturelle Prolétarienne. En deux mots, Mao lance en 1966 un mouvement tourné contre les cadres du parti communiste au pouvoir. S’appuyant sur son fameux Petit livre rouge et sur une jeunesse déchaînée, il lance un vaste mouvement contre le supposé révisionnisme des cadres du parti. Pendant des années, la violence règne en maîtresse, qui fera autour d’un million de morts.

De quoi s’agit-il ? Pour une partie de l’intelligentsia française de l’époque – Sartre bien sûr, mais aussi les July, Geismar, Glucksmann, Benny Lévy-Pierre Victor, Alain Badiou, Alain Lipietz, Olivier Rolin, Philippe Sollers, Roland Castro, tant d’autres -, cette « révolution » était populaire, libératrice, déterminante. Elle annonçait au monde ébahi que l’histoire n’était pas terminée et ne finirait jamais. Elle annonçait le règne de la liberté perpétuelle. Mais tout n’était qu’épouvantable mensonge, manipulation, manœuvres bureaucratiques menées de main de maître par ce vieux salopard de Mao, qui entendait avant tout garder le pouvoir.

Maintenant que tout est su, on ne peut plus lire tout à fait Les habits neufs du président Mao comme le grand chef-d’œuvre qu’il est pourtant. En temps réel, je me répète, Leys disait toute la vérité sur la dictature maoïste. Et en bonne logique, il fut descendu par le journal Le Monde, qui lui accorda dix lignes misérables sous la signature du misérable maolâtre Alain Bouc, qui devait se déshonorer ensuite comme correspondant à Pékin. Leys fut traité – par d’autres – d’agent de la CIA, car bien entendu, qui d’autre qu’un agent stipendié aurait pu écrire de telles horreurs sur un si beau pays ? À la même époque, nos grands intellectuels encensaient la reine de la fantasmagorie, l’Italienne Maria-Antonietta Macciocchi. Quelques mois avant Leys, elle avait publié un livre de 570 pages,  De la Chine (Le Seuil), tout à la gloire dégoulinante des assassins.

Au cours d’une mémorable émission Apostrophes de mai 1983 présentée comme les autres par Bernard Pivot, on entendit  Leys dire à propos de cette faussaire, présente sur le plateau, et comme indignée par l’attaque : « Je pense… que les idiots disent des idioties, c’est comme les pommiers produisent des pommes, c’est dans la nature, c’est normal. Le problème c’est qu’il y ait des lecteurs pour les prendre au sérieux et là évidemment se trouve le problème qui mériterait d’être analysé. Prenons le cas de Madame Macciocchi par exemple — je n’ai rien contre Madame Macciocchi personnellement, je n’ai jamais eu le plaisir de faire sa connaissance — quand je parle de Madame Macciocchi, je parle d’une certaine idée de la Chine, je parle de son œuvre, pas de sa personne. Son ouvrage De la Chine, c’est … ce qu’on peut dire de plus charitable, c’est que c’est d’une stupidité totale, parce que si on ne l’accusait pas d’être stupide, il faudrait dire que c’est une escroquerie. »

Je ne vois, dans mes souvenirs personnels, qu’un exemple se rapprochant du travail de désintoxication grandiose de Leys sur la Chine. C’est celui de George Orwell, dénonçant en 1938, après son passage dans les colonnes du Poum espagnol, l’emprise stalinienne sur la révolution en cours. Et ses crimes atroces (In Hommage à la Catalogne). Est-ce étonnant ? Orwell était l’un des grands personnages du Panthéon de Leys. Plutôt mourir que mentir. Ou du moins, plutôt être seul à jamais. Mais le Leys que j’ai tant aimé était aussi un formidable critique littéraire, et pour dire le vrai, le meilleur, à mes yeux en tout cas. Ses chroniques, ses textes et fulgurances, son alacrité, son humour, sa sensibilité ont changé mon regard sur la chose écrite.

Il aimait aussi la mer – comme moi, je le confesse, mais bien davantage que moi – et avait publié une splendide anthologie de textes français sur ce sujet inépuisable, de Rabelais à Hugo, d’Alexandre Dumas à Loti (La Mer dans la littérature française, Plon) ». J’ai les deux tomes chez moi, je les vois dans ma tête en ce moment précis. Leys avait également traduit un livre formidable et resté méconnu, Deux années sur le gaillard d’avant (Richard Henry Dana, Payot), récit autobiographique d’un marin à bord d’un cap-hornier. Et bien sûr, écrit Les Naufragés du « Batavia » (Arléa), époustouflant récit d’un fait-divers authentique, suivi d’un texte autobiographique – Prosper – dans lequel Leys raconte sa vie, à l’extrême fin des années Cinquante, à bord du dernier grand voilier de pêche breton (j’espère que je ne me trompe pas).

Faut-il insister ? Je ne le crois pas. Encore un mot, toutefois, à propos du Magazine Littéraire. En 2006, dans l’une de ses chroniques mensuelles, Leys s’attaque à une sommité de la sinologie. Mais ne vaudrait-il pas mieux écrire Sommité de la Sinologie ? La victime, François Jullien, est une vedette incontestée de la nomenklatura intellectuelle française, ce qui n’en fait pas nécessairement une andouille. Au reste, et je m’empresse de le préciser, je n’ai pas lu les innombrables textes et livres de Jullien. Mais j’ai lu Leys, l’étrillant donc dans le Magazine Littéraire. Comme à son habitude, Il y montait au combat sans aucun égard pour la position dominante de Jullien, écrivant notamment (et qu’on me pardonne la longueur de la citation) que la pensée de Jullien

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« est bien analysée par Jean-François Billeter dans son Contre François Jullien (éd. Allia). Billeter est philosophe comme Jullien mais, à la différence de ce dernier, il connaît la Chine et sait écrire le français (je me demande d’ailleurs dans quelle mesure ce n’est pas l’opacité du jargon de Jullien qui lui a assuré le plus clair de son autorité). Avec courtoisie mais rigueur, Billeter montre que la Chine dont parle Jullien est une construction abstraite présentant peu de relations avec la mouvante réalité culturelle et historique de la civilisation chinoise. Jullien glane ses matériaux un peu partout dans les textes chinois (quelquefois il se contente de les piller dans les travaux de ses collègues), puis il les utilise hors contexte, de façon anachronique?; assemblant ces éléments disparates en un vaste collage, il intitule « pensée chinoise » ce qui n’est en fait que de la pensée-Jullien.

Je ne pense pas que l’erreur de Jullien ait été (comme le croit Billeter) d’avoir pris pour point de départ « l’altérité » de la Chine. Celle-ci, loin d’être un mythe, est une réalité savoureuse, capable d’inspirer ce désir passionné de connaissance dont parlait Needham. Non, le fond du problème, c’est que la Chine ne l’intéresse pas?: pour lui, elle ne présente nulle valeur intrinsèque?; il s’en sert comme d’une « commodité théorique » pour considérer du dehors notre processus intellectuel. Mais comme Billeter le remarque avec pertinence, « on ne saurait revenir sur soi sans avoir commencé par se porter ailleurs ».

Intéressante coïncidence?: en décembre dernier, Le Monde a publié un entretien dans lequel Jullien commentait « L’Énigme de la puissance chinoise ». Il expliquait que « le lettré chinois n’est jamais devenu un intellectuel critique », et Tian’anmen ne saurait donc avoir de lendemain. Mais exactement le jour même où paraissaient ces propos, deux cent cinquante mille Chinois bravant les contrôles policiers manifestaient à Hongkong pour exiger la démocratie. Apparemment donc, au moins un quart de million de Chinois seraient déjà las de servir de « commodité théorique » à la pensée-Jullien ».

Fin de la citation————————–

Je n’ai pas lu Jullien, mais j’ai toute confiance en Leys. Il n’est pas exclu que j’aie tort, mais comme je ne l’ai encore jamais pris en défaut, je dois dire que je ne changerai pas d’avis de sitôt. Par curiosité, je suis allé voir la page Wikipédia de Jullien (ici). C’est furieusement drôle, car on y oublie de citer, parmi les critiques du Maître, celle de Leys, se concentrant sur celle de Billeter, moins connu et sans doute plus facile à conchier. Donc, pas un mot sur Leys. Mais un flot inouï de louanges, tels qu’on finit par soupçonner de l’autocongratulation. Jullien est-il l’auteur d’une partie au moins de ce panégyrique ? J’en jurerais.

Où veux-je en venir ? Nulle part. Je suis seulement heureux de dire combien je dois à cet être hors du commun. Dans l’un de ses livres, L’humeur, l’honneur, l’horreur : Essais sur la culture et la politique chinoises (Robert Laffont, 1991), Leys glisse un article – Une excursion en Haute Platitude – consacré à notre inaltérable Bernard-Henri Lévy. Critiquant un essai dérisoire de BHL, Impressions d’Asie, Leys écrit des mots dont la saveur m’enchante encore, près d’un quart de siècle plus tard :

« Dans son aimable insignifiance, l’essai de M. Lévy semble confirmer l’observation d’Henri Michaux : Les philosophes d’une nation de garçons-coiffeurs sont plus profondément garçons-coiffeurs que philosophes (…) Comme tout le monde s’en doute maintenant, l’Asie n’existe pas. C’était une invention de XIXe siècle eurocentrique et colonial. M. Lévy qui est fort intelligent et a beaucoup voyagé, aurait quand même pu s’en apercevoir ».

Puis : « On se demande parfois [si BHL] n’aurait pas eu avantage à rester cloîtré dans une cabine hermétiquement close et capitonnée, car, au contact des réalités de la rue, sa prose a fâcheusement tendance à enfler, et, comme un ballon gonflé d’air chaud, elle s’élève bientôt jusqu’à la zone des Hautes Platitudes… région dont elle ne redescendra plus, sauf pour quelques rafraîchissantes plongées dans un brouillard de volapük…
Pour que des Impressions d’Asie de M. Lévy puissent vraiment intéresser, au départ, il faudrait d’abord que M. Lévy fût. Et sitôt qu’il aura remédié à cette carence ontologique, il nous captivera, même avec des
Impressions de Pontoise ».

Voilà le Leys que je chéris. Voilà le Leys que je n’oublierai jamais.

Les (grands) mots de mon père

Quand j’étais petit, mon père vivait encore. Je devais être bien petit, car mon vieux à moi est mort quand j’avais huit ans. Il s’appelait Bernard, et il était ouvrier. Un estampeur, qui ramenait sa paie dans une enveloppe, chaque mois, à ma mère, qui en sortait quelques billets à la gloire de Bonaparte. Valeur nominale : 10 000 francs. Anciens, comme on se doute. La paie était pauvre, et nous étions pauvres, d’autant qu’il fallait élever cinq gosses paumés dans un coin de la banlieue parisienne. Nous. Notez qu’après sa mort, ce fut incomparablement pire, car passer de la pauvreté à la misère n’est pas une aventure humaine recommandable.

Bernard était donc ouvrier. Ouvrier communiste à l’ancienne, c’est-à-dire stalinien. Il ne servirait à rien d’oublier cette complète tragédie. Mon père, que j’ai tant aimé, et que je chéris encore, croyait à la mystification stalinienne. Il pensait bel et bien qu’une société meilleure était née à Petrograd en 1917. La lamentable (auto)biographie du chef stalinien Maurice Thorez, Fils du peuple trônait sur un buffet. L’horreur est que mon père était un brave. Un bon, un excellent homme. En fait, et sans discussion, un authentique communiste.

Je ne sais comment il a fait pour me transmettre tant, mais il a réussi. On peut parler d’un exploit, car il travaillait 60 heures par semaine dans un atelier, au milieu du fracas des machines et de la poussière de métal. 60 heures signifiaient 10 heures par jour, samedi compris. Et comme il lui fallait prendre un bus jusqu’aux portes de Paris, puis un métro, béret sur la tête et sac en bandoulière, chargé d’une gamelle, il était pour ainsi dire absent.

Le dimanche, après quelques embrassades avec nous, les gamins, il dormait. Pardi ! il fallait comme de juste reconstituer la force de travail. On le sait, en tout cas je le sais, l’Histoire est écrite par les vainqueurs, et mon père était un vaincu de la lutte sociale. Jacques Prévert parle dans l’un de ses textes de « ceux qui soufflent vides les bouteilles que d’autres boiront pleines ». Indiscutablement, mon père soufflait, et souffrait. Nul ne dira jamais vraiment qui a bâti ce pays. La seule certitude, c’est que les petits marquis et roquets qui règnent sur le monde ne font jamais que profiter du résultat.

Allons, séchons nos larmes. Mon père m’aura donné sans le savoir l’essentiel. Je me souviens comme si c’était hier de l’une ses sentences. Oui, il lui arrivait d’énoncer de fortes propositions, qui paraissaient s’emparer du réel. Et celle-là était du genre définitif. Mon père : « La victoire du socialisme est inéluctable ». Vous avez bien lu. Je pouvais avoir sept ans, en tout cas pas plus, car ensuite, mon vieux a été hospitalisé. Parlait-il à son vieux copain Gégène Liéveau ? Commentait-il une nouvelle du journal ? Il va de soi qu’il ne s’adressait pas à moi; il est de même évident que je n’ai rien compris à ce charabia. Le socialisme ? Inéluctable ? J’avais sept ans, amis lecteurs ! Mais j’ai été marqué à vie. Mon père devait avoir le ton. On devait sentir la chair de poule entourant ses paroles.

Mais que voulait-il dire ? Répétant le catéchisme stalinien, il exprimait un sentiment partagé par des millions de personnes de la France de 1960 : l’Histoire avait un sens, et un sens unique, dont le signe principal était le Progrès. J’ai mis une majuscule, car elle s’impose. Le Progrès était une marche en avant en effet inéluctable. Les ennemis des pauvres pouvaient certes entraver cette chevauchée fantastique, la retarder, mais certainement pas l’arrêter.

Un certain marxisme d’école primaire racontait une fable ayant les apparences du vrai. Les hommes de la préhistoire avaient fini par créer une forme stable, la féodalité. La bourgeoisie des villes, gagnant en force et en confiance, avait abattu l’Ancien Régime et établi un état social supérieur après 1789, qui s’appelait le capitalisme. C’était le tour de la classe ouvrière, car « les prolétaires n’ont rien à perdre que leurs chaînes », ainsi que l’avait écrit Marx, et son règne serait celui de la réconciliation générale par la disparition organisée des classes. L’ouvrier était le progrès en action, en personne.

C’était funeste. C’était inepte. J’y ai cru moi-même, contre tant d’évidences. La croyance n’a jamais besoin que d’elle-même. Au fait, est-ce que cela a disparu ? En partie, en partie seulement. Il reste dans un grand nombre d’esprits l’idée d’un mouvement au fond linéaire des sociétés humaines, figé dans un mot de nature magique, le « progressisme ». Si on n’est pas progressiste, alors on est réactionnaire. Il faut accepter cet ordre immuable, qui désigne d’un côté les artisans de tous les changements, dans la politique, la science, les lois, et de l’autre les pauvres cloches qui se montrent réfractaires au neuf. D’un côté les valeureux, de l’autre les peureux. À ma gauche, les généreux, à ma droite, les parcimonieux. Il me paraît que cette vision idéologique est plus marquée dans la tradition de gauche que dans le fatras qui sert de référence aux droites.

Eh, où diable veux-je en venir ? Simplement à un livre qui me fait beaucoup réfléchir. Je serais vous, je me le procurerais vaille que vaille. Il s’agit de L’événement Anthropocène (par Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, Seuil, 310 pages, 18 euros). Bonneuil, historien et chercheur au CNRS, a lancé depuis peu une collection appelée Anthropocène, au Seuil, dont trois titres, dont celui cité, sont disponibles. Je vous le dis en confidence, cet espace éditorial est plein de promesses.

Au fait, qu’est donc l’Anthropocène ?  Une nouvelle ère géologique, celle créée par l’Homme, et qui fait suite à l’Holocène, qui aura duré 11 500 ans seulement. Pour ceux qui l’ignorent – il n’y a pas de honte -, l’Holocène continue de nos jours, officiellement du moins. Mais au cours d’un colloque tenu en 2 000 à Cuernavaca, au Mexique, un certain Paul Crutzen se lève. C’est un grand chimiste de l’atmosphère – il est prix Nobel 1995 pour ses travaux sur la couche d’ozone -, et il entend dire son mot au sujet des bouleversements constatés sur Terre, à commencer par ces changements massifs provoqués par les activités humaines. Et selon lui, pas de doute : nous avons changé d’échelle de temps, car en effet, l’espèce humaine est devenue un agent physique de force géologique. Nous sommes dans l’ère Anthropocène. Du grec anthropos, qui signifie être humain (1).

La question du vocabulaire est ici décisive, qui ouvre sur la pure et simple métaphysique. Pour ma part, je n’ai pas de doute, car la dégradation des écosystèmes est d’une dimension telle qu’on ne peut lui accoler que l’adjectif  géologique. Il ne me reste plus qu’à relier ce si vaste phénomène à l’existence de mon si cher défunt Bernard, ouvrier de la banlieue parisienne. Vous allez voir comme c’est simple.

Dans la pensée progressiste-vulgate dont j’ai parlé plus haut, les Lumières coïncident avec la révolution industrielle, qui elle-même a libéré d’extraordinaires forces productives. Lesquelles ont permis de distribuer aux peuples d’Occident d’immenses quantités de biens matériels et de stabiliser ainsi une forme politique que les marxistes d’antan appelaient la  « démocratie bourgeoise ». Malgré les critiques faites à cette forme-là, au fond, les gauches et les droites, depuis deux siècles, s’accordent sur un jugement global : il y a progrès. Inégalement réparti, selon le sentiment de la gauche. Perpétuellement menacé par la recherche de l’égalité, selon la droite. Mais l’essentiel, bis repetita, est ici : il y a progrès.

Moi, cela fait sans mentir des décennies que je me demande ceci : que serait donc un progrès qui conduirait à un tel désastre général ? Dans une revue nommée L’Événement européen, en 1992 je crois,  j’avais osé un néologisme, euphonique qui plus est. C’est-à-dire un mot à la fois nouveau, très significatif et agréable au son. Et ce mot, c’était : regrès, qui s’est aussitôt perdu dans la brume infinie de notre langue. Regrès était bien sûr l’envers de progrès, tout en suggérant l’idée d’un regret, immense à mon sens.

J’ai en effet le regret désolé, désespéré sur les bords, de ce qui n’a pas été. Dans le livre de Bonneuil et Fressoz, on trouve une intuition que j’ai déjà eue, mais que les deux auteurs développent avec bonheur : ce n’était pas fatal. L’Histoire, telle qu’elle s’est déroulée, n’avait rien d’inévitable. Au moment de la si Grande Accélération entraînée par la machine à vapeur, deux visions de l’avenir ont cohabité, et même s’il ne  reste rien de celle qui a été écrasée, cela ne change pas le fait lui-même. En deux mots, il y a eu affrontement, certes confus, entre les industrialistes, qui ont gagné, et les autres, qu’on peut appeler les Romantiques.

Chez ces derniers, chez un Charles Fourier – que la gauche officielle présente avec dédain comme « socialiste pré-marxiste », chez les briseurs de machines luddites du Royaume-Uni, on osa pendant des décennies mettre en question l’industrialisation du monde, l’individualisme dans lequel nous sommes affreusement plongés, le droit de propriété au fondement du capitalisme transnational. Qui ne comprend qu’une voie et une seule aura été suivie, éradiquant toutes les autres routes possibles, se condamne à la prison perpétuelle d’une critique marginale du monde réel.

Moi, je le proclame : rien n’est tout à fait perdu. La destruction du monde vivant est un phénomène très avancé, mais l’Histoire n’est pas terminée, et nous devons lutter pour la bifurcation. Ce grand mouvement tournant qui renouera, au moins par la pensée, avec nos glorieux ancêtres enterrés vifs dans la cendre des hauts-fourneaux. Notez qu’on peut le dire autrement : il y a un peu plus de vingt ans, j’ai eu la chance de rencontrer André Pochon, paysan des Côtes d’Armor devenu célèbre dans les cercles écologistes. Dédé est un être d’exception, mais je n’entreprendrai pas ici son portrait. Sachez qu’il distinguait avec clarté le « bon » et le « mauvais » progrès.

On peut y voir de la naïveté. J’y ai vu souvent de la naïveté, mais cette distinction est restée dans mon esprit. Je ne la formulerais pas de la sorte, car il n’est qu’un « progrès réellement existant », et c’est la monstruosité qui continue de déferler sur une planète à bout de réserves. De la même manière que le mot communisme, si cher au cœur de mon si cher Bernard, ne saurait être sauvé de sa réalité totalitaire, celui de progrès doit être abandonné, à jamais, de façon à ouvrir une porte sur un avenir concevable.

Pour terminer sur mon vieux père, qui est né en cette fatidique année 1914, j’entends encore le son de sa voix. « La victoire du socialisme est inéluctable ! » Eh non, vieux père, rien ne l’est, car la liberté des hommes, malgré la réduction de son espace et donc de ses possibilités, existe encore. Il convient, car il le faut le plus vite qu’il sera possible, d’enterrer les idées mortes.

(1) Pour être juste, le mot apparaît dans un livre du journaliste Andrew Revkinen en 1992, Global Warming : Understanding the Forecast.

Pascal Bruckner, le nouvel étalon dont nous avions besoin

Pour Nadine

L’époque bousculée qui est la nôtre a besoin de nouveaux instruments de mesure. On se souvient sans doute que le mètre a été défini la première fois le 26 mars 1791, par notre Académie des sciences alors révolutionnaire. Les contemporains ne s’en doutaient pas, mais cette mesure-là accompagnerait, faciliterait la marche en avant de l’industrialisation du monde. Car le règne de l’économie, qui est le nôtre, avait grand besoin de calcul et d’apparente objectivité. On a vu le résultat, on le voit changer chaque jour, et dans la direction qu’on connaît, celle de la destruction radicale des formes de la vie.

Bref. À chaque époque ses besoins. La révolution intellectuelle et morale que nous sommes quelques-uns à souhaiter ardemment, cette révolution a elle aussi besoin d’instruments. Et celui qui permettrait de connaître le niveau de sottise d’un discours aiderait sans doute à éclairer le difficultueux chemin que nous avons décidé en conscience de suivre. Oui, à franchement parler, la grande imbécillité mérite ses héros, ses généraux, ses médailles. En ce domaine très concurrentiel, il convient d’être prudent, car les places sont disputées, et les honneurs par force limités. Pour ce qui me concerne, je me dois de signaler à l’attention publique l’extraordinaire figure de Pascal Bruckner, qui écrase toutes les autres, au point de faire douter de l’intérêt d’une compétition.

Qui est Pascal Bruckner ? Un homme très ignorant, bien sûr, mais cette distinction répandue ne suffirait pas à le récompenser. Non, Bruckner est un philosophe. Au sens où M. Bernard-Henri Lévy est un philosophe.  Et donc un immense philosophe, puisqu’il a écrit des livres salués dans Le Nouvel Observateur, gazette qui tient Marcela Iacub, éphémère compagne de M. Strauss-Kahn, pour un puissant génie de la littérature. Parmi ses livres, je ne peux résister à saluer son chef-d’œuvre immortel, Le Sanglot de l’homme blanc. Tiers-Monde, culpabilité, haine de soi, paru en 1983. Bruckner y pourfend le tiers-mondisme, qui n’aurait été qu’une vaste entreprise de complaisance à soi et d’auto-culpabilisation. Voyons. La distance abyssale entre le Nord et le Sud n’aurait donc servi que de narcissisme aggravé à la génération militante des années 60. Comme c’est excellement vu.

Que n’a été M. Bruckner ? Nouveau philosophe après 1977 – pardieu, le totalitarisme est une vilaine chose -, il a lutté avec ses petits bras contre la faim dans le monde – à ACF -, pour un plan de paix – audace ! – au Proche-Orient, contre les soldats de M. Milosevic au cours des guerres dans l’ancienne Yougoslavie. Voyez-vous, on est démocrate ou on ne l’est pas. M. Bruckner, n’écoutant que son grand courage, défend la guerre américaine en Irak – 2003 -, avant de découvrir en 2004 la triste impréparation de l’armée étasunienne. Pas assez de drones, peut-être ? Que lui reste-t-il à tenter ? Sarkozy ? Allons pour Sarkozy, que M. Bruckner soutiendra au deuxième tour de l’élection présidentielle de 2007, avant de laisser dire que le bondissant président l’avait notablement déçu.

Quel pharaonique défi peut espérer encore un tel géant ? L’écologie ? Ben oui, l’écologie, et ces méchants personnages qui veulent punir l’Occident de jouir sans état d’âme de ses richesses matérielles. Ce qui donne en 2011 un nouveau livre exaltant,  Le fanatisme de l’Apocalypse (Grasset, 20 euros). J’y ai consacré alors un article de Charlie Hebdo, dont j’extrais ceci : « Bruckner, comme d’autres plaisantins avant lui, n’a à peu près rien lu sur le sujet qu’il traite. La dislocation des grands écosystèmes, les crises de l’eau, de la biodiversité, des sols, des océans, le dérèglement climatique, il s’en tape. Il n’est pas au courant. « Après tout, note-t-il tout en finesse, le climat de la Riviera en Bretagne, des vignes au bord de la Tamise, des palmiers en Suède, qui s’en plaindrait ? ». Pas lui. Le pilier du café du Commerce veut continuer à profiter de la vie sans qu’on l’emmerde, car « voitures, portables, écrans, vêtements sont à tous égards non des gadgets, mais des agrandissements de nous-mêmes ». Face à ces merveilles, les écologistes n’ont qu’un but : « Mettre le voile noir du deuil sur toutes les joies humaines [l’italique est dans le texte d’origine, pas seulement dans Charlie] ». Pourquoi ? Mais parce qu’ils sont fanatiques, sectaires et même avares. Avares, c’est nouveau, ça vient de sortir. Oh, mais quels vilains ! ».

Or voilà qu’il récidive, misant sans doute sur l’irrésistible – parfois – comique de répétition. Dans  Libération de ce matin, M. Bruckner, qui cherche en vain une idée, a décidé de se répéter. Vous verrez plus bas ce que cela donne, inutile d’être trop cruel. Le tout est d’une telle suffisance, appuyée comme il se doit par une connerie sans limites apparentes, que l’on est contraint d’annoncer la fin du concours. M. Bruckner est le roi absolu, il n’y a rien à discuter. Notez avec moi qu’il aurait au moins pu se renseigner, et lire quelques textes. On a vu dans le passé des philosophes s’enquérir des informations débattues ailleurs. Mais M.Bruckner, qui est visiblement mauvais joueur, a décidé de ridiculiser tous ses concurrents, en s’abstenant simplement de documenter ses si formidables accusations. Pensez ! il veut la couronne à lui tout seul, et il l’aura, et il l’a. Les écologistes sont une secte. Parce que. Et M.Bruckner est une buse. Parce que.

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La tribune de Libération (6 septembre 2013)

Ecologie, le nouveau catéchisme de l’austérité

Par PASCAL BRUCKNER Philosophe

Le 27 juillet 2012, la très sérieuse revue Nature publie un article alarmant rédigé par 22 chercheurs selon lequel les écosystèmes de la planète pourraient connaître un effondrement total d’ici à 2100[Libération a consacré un Evénement à cette étude, le 10 août 2012, ndlr]. La pression démographique, la perte de la biodiversité, le taux d’extinction des espèces, l’augmentation des émissions de CO2 rendent très probable un basculement de nos conditions d’existence au cours du siècle à venir. Et nos scientifiques de préconiser une réduction drastique de la population ainsi qu’un alignement du niveau de vie des plus riches sur les plus pauvres.

Comment y parvenir, ils ne le précisent pas ? Comment persuader les nations sous-développées de le rester et les pays prospères de renoncer à l’abondance ? Quelle élite dictatoriale se montrera capable d’imposer ses volontés à 7 milliards d’êtres humains ? Tout est dit dans cet article, par ailleurs très contesté : le changement climatique est avant tout une arme pour punir le genre humain et l’amener à faire pénitence. Le réchauffement est un fait. Faut-il en faire une foi, une religion, un chantage exercé sur les vivants ? Une chose est de nous alerter sur un danger réel, une autre de le présenter sous la forme d’un chaos imminent qui devrait éclipser tous les autres. Or, pour les sociétés humaines, il existe au moins quatre calamités majeures : la pauvreté, la faim, la maladie, le crime de masse.

Qui décrète que l’augmentation des températures surpasse ces quatre fléaux en importance et en intensité ? Pourquoi ne pas souligner qu’elle présente aussi un certain nombre d’avantages ? On sait que la culture de la vigne prospère dans le sud de l’Angleterre grâce à de meilleures conditions atmosphériques, que les Inuits du Groenland se réjouissent de cet ensoleillement supplémentaire qui leur permet de cultiver fruits et légumes et ramène dans leurs eaux territoriales des phoques dont ils consomment la viande et vendent les peaux ; il semble aussi que la population d’ours polaires ne diminue pas au pôle Nord, notamment au Nunavut, en dépit de la fonte des glaces. Combien de pays de l’hémisphère Nord soumis au froid seraient heureux d’un adoucissement de leurs conditions de vie, d’hivers moins longs, d’étés plus cléments ?

Ainsi, nous dit la nouvelle vulgate, nous subirions un accroissement spectaculaire des catastrophes naturelles depuis dix ans. N’est-ce pas plutôt notre sensibilité aux perturbations climatiques qui s’est exacerbée dans la mesure où elles sont devenues plus meurtrières et coûteuses en raison de la densité de population dans les zones touchées ? Nous expliquer que le réchauffement est aussi incontestable que la loi de la chute des corps ou la rotondité de la Terre est un autre sophisme : c’est confondre un principe avec un phénomène historique. Si le nombre de climato-sceptiques augmente dans nos pays, c’est que les «réchauffistes» ont usé et abusé de l’argument d’autorité qui interdisait toute nuance. Le climat est devenu pour certains depuis vingt ans la causalité dominante, comme l’économie était la détermination en dernière instance dans le marxisme : même dogmatisme dans un cas comme dans l’autre. Il devient alors la clé qui ouvre toutes les portes. Qu’est-ce qui n’est pas réchauffement à cet égard ? La pluie est réchauffement, la sécheresse aussi, ainsi que le vent, les cyclones, les tremblements de terre, même les précipitations neigeuses, même le gel selon une merveilleuse acrobatie logique utilisée par Al Gore : plus il fait froid, plus il fait chaud ! Et comme les médecins chez Molière s’écriaient au moindre symptôme : «Le poumon, vous dis-je !», au moindre dérèglement, nous nous écrions : «Le réchauffement !»

C’est que les relations de l’homme avec la nature sont pensées sur le modèle du client insolvable et de son banquier : la dette est immense, il faut rembourser sous peine de sanctions terribles appelées incendies, ouragans, inondations. Au Moyen Age on interprétait les cataclysmes naturels comme un châtiment de Dieu ; désormais on les impute à l’orgueil de la créature humaine coupable de démesure. A l’omnipotence supposée de l’homme transcrite dans le terme d’«anthropocène» répondrait la résistance farouche de la planète martyrisée qui se venge. En mourant, elle nous entraîne dans son agonie et en profite pour nous administrer une bonne leçon. Des politologues patentés nous expliquent que les guerres du XXIe siècle seront toutes climatiques et nous préparent un âge du fer. On ne savait pas celles du siècle précédent si douces. Qui veut effrayer veut dominer.

Mais les écologistes, en battant le tambour bruyant de la panique, sont devenus malgré eux les meilleurs adversaires de leur thèse. Leurs vaticinations apocalyptiques nuisent à la cause qu’ils défendent. Car de deux choses l’une : ou bien le réchauffement se poursuit, quoique nous fassions, par simple inertie thermique pendant un siècle et nous sommes fichus. Dès lors à quoi bon s’inquiéter, modifier nos habitudes ? Ou bien la menace n’est pas celle annoncée, des solutions existent et ce serait le travail d’une écologie intelligente de les explorer.

Parler comme le prince Charles de la Terre comme d’«un malade en phase terminale»et avertir l’humanité d’«un possible suicide à grande échelle», ce n’est pas seulement user d’une rhétorique outrancière, c’est confondre l’avertissement et le souhait. Car le soupçon nous vient que ces grands prophètes de la fin du monde – on pourrait y inclure lord Stern, Al Gore, James Hansen, Nicolas Hulot, sir Martin Rees – veulent moins nous protéger que nous châtier. «La fête industrielle est finie», avertissait le philosophe allemand Hans Jonas, phrase reprise littéralement par l’ancien député vert Yves Cochet. Le climat devient l’instrument de notre expiation. Le véritable enjeu du réchauffement, ce «fait polémique» pour parler comme Bachelard, c’est donc le changement des modes de vie : il s’agit de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 80 % d’ici à 2050, en diminuant la consommation d’énergie, au besoin par la contrainte, la pénalisation des contrevenants. Aux fins de réaliser cet objectif, le bon peuple est prié d’adopter «la sobriété heureuse» comme le dit le catéchisme en cours, c’est-à-dire d’accepter le dénuement avec enthousiasme, de convertir la détresse matérielle en joie spirituelle.

Il faut accoutumer les Français à la rareté, convaincre les fortunés qu’ils doivent s’appauvrir et les pauvres qu’ils sont encore trop riches et doivent un peu plus se serrer la ceinture. Les partis verts sont ainsi les vecteurs idéologiques d’une nouvelle austérité dictée non plus par les marchés financiers mais par la santé de la planète. Et cette austérité s’applique encore plus aux pays du Sud à qui l’on démontre, dans une belle phraséologie néocoloniale, qu’il est trop tard pour accéder au progrès et sortir de leur condition. L’arme climatique vise donc à entériner l’injustice globale et à interdire aux nations démunies d’émerger de la misère. Alors même que seule une croissance accélérée permettrait à ces dernières de résister aux conséquences néfastes de l’élévation des températures, de mieux se prémunir contre les tsunamis, les raz-de-marée, les séismes.

Au nom de la dette carbone, notre nouveau péché originel, on plaide chez nous contre toute avancée : on récuse le charbon mais aussi le gaz naturel, le pétrole, le nucléaire, le train à grande vitesse, les OGM, les nanotechnologies, les aéroports, les énergies fossiles. Seules les éoliennes et les panneaux solaires trouvent grâce aux yeux de nos puristes, et encore, alors même qu’ils sont et resteront désespérément insuffisants pour couvrir nos besoins ! Il est dramatique qu’un gouvernement de gauche, en principe progressiste, se laisse dicter sa conduite, en matière d’environnement, par un groupuscule rétrograde qui vit dans la mystique de la décroissance et représente à peine 2,5 % de l’électorat. Et l’on comprend l’exaspération de très nombreux cadres et militants socialistes vis-à-vis de leurs alliés verts. Le refus français d’explorer les réserves de gaz de schiste n’est pas seulement une décision économiquement contestable, c’est une insulte lancée aux générations futures que l’on prive d’une source d’énergie précieuse et peut-être abondante.

Si la France avait suivi le principe de précaution dès les années 50, elle n’aurait jamais eu d’industrie aéronautique ou agroalimentaire, jamais de complexe atomique ou chimique, n’aurait jamais édifié d’autoroutes, jamais promu le TGV, le Concorde, et serait restée une nation arriérée. Qu’il faille s’acheminer vers une économie décarbonée, un développement compatible avec le respect de l’environnement, tout le monde est d’accord là-dessus ; qu’au nom de notre mère la Terre, il faille embrasser la régression volontaire, idolâtrer la privation, sombrer dans la religion de l’effroi, suspecter toute innovation technologique relève de l’obscurantisme pur et simple. Ce n’est pas le souci de la planète qui domine alors, c’est la haine de l’humanité dissimulée sous le culte de la Nature. Oui à l’écologie de raison, non à la Secte verte.

Dernier ouvrage paru : «le Fanatisme de l’Apocalypse. Sauver la Terre, punir l’Homme», Grasset, 2011

Le crime, le climat, la Chine et Fred Singer (avec AJOUT)

Un grand lecteur de Planète sans visa, devenu un ami bien réel, m’envoie une information presque incroyable : l’Académie chinoise des sciences vient de donner sa reconnaissance officielle à Fred Singer, grand maître planétaire de la désinformation. Mais avant que de commenter, regardez avec moi cette publication en chinois d’un rapport américain publié en 2009, Climate Change Reconsidered.

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Difficile d’exagérer l’importance de l’Académie des sciences sise à Pékin (ici). Elle emploie 50 000 personnes et le groupe qui édite la revue Nature (ici) la classe au 12ème rang des 100 institutions scientifiques, en se basant sur les articles publiés dans la presse mondiale spécialisée. Harvard est la première, Yale est 18ème, Oxford 14ème. De même qu’au plan économique, la Chine devient – est déjà – un géant de la science. Et le sera toujours plus. Faut-il préciser que publier un document de 1200 pages venant des États-Unis a forcément une signification politique ? Les États totalitaires, même lorsqu’ils semblent ne plus l’être, ont toujours accordé une grande importance aux signes. Car ce sont des signaux.

Au service de la désinformation

Qui est Fred Singer, le grand inspirateur, nullement caché d’ailleurs, du gros rapport  Climate Change Reconsidered ? Né en 1924, il va avoir 89 ans. Physicien reconnu, il a travaillé à de hauts niveaux de responsabilité dans l’industrie spatiale américaine, avant de bifurquer et de mettre son nom et son énergie au service des industries les plus criminelles qui soient. Par exemple celle du tabac : Singer n’hésitera pas à mettre en cause les liens pourtant évidents entre tabagisme passif et cancer. À la tête du Science and Environmental Policy Project (ici), une petite structure créée en 1990, il va systématiquement aider l’industrie transnationale à faire face aux scandales à répétition, que cela concerne les CFC, l’amiante, les pesticides, le dérèglement climatique.

Tel un Claude Allègre à la puissance 10 ou 100, Singer s’impose, depuis une quinzaine d’années, comme le grand négateur du changement climatique d’origine humaine. il n’a de cesse de discréditer le Giec (en anglais IPCC), ce Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, au point d’avoir lancé un Nongovernmental International Panel on Climate Change (NIPCC), pour s’en moquer bien sûr. Je ne peux que vous renvoyer, sur le sujet, à deux livres dont j’ai déjà parlé ici, Les marchands de doute (Naomi Oreskes et Erik Conway, Le Pommier) et tout récemment La fabrique du mensonge (Stéphane Foucart, Denoël).

Pourquoi diable un homme aussi proche de la mort que Fred Singer use-t-il ses derniers jours de la sorte ? Poser la question, c’est visiter une fois encore le pays du mal, dont la diversité des habitants paraît à peu près sans limite. Comment la tête d’un Singer est-elle organisée ? Comment un homme peut-il défendre de tels intérêts et pour quelle obscure raison ? Voyez, je ne crois pas que l’argent qu’il retire de ses opérations, bien réel, soit l’explication principale. Quoi qu’il en soit, et parce que je tiens la lutte contre le dérèglement climatique pour la mère de toutes les batailles humaines, Fred Singer est à mes yeux un grand criminel.

L’Académie à la botte des bureaucrates

Seulement, quand une institution aussi prestigieuse que l’Académie chinoise des sciences apporte son crédit à une telle entreprise, on retombe sur terre, où la politique reprend ses droits. Il va de soi qu’une décision aussi lourde de sens n’a pu être prise que par la tête même du parti communiste chinois. Au reste, sans en faire mystère, l’Académie dépend étroitement du Conseil des affaires de l’État, lui-même aux ordres du Premier ministre. Il faut donc apprécier cette publication pour ce qu’elle est : un crachat envoyé pleine face à ceux qui tentent de faire face à la crise écologique.

On sait qu’il existe des tensions entre bureaucrates chinois. Dès 1994, quand l’agronome Lester Brown avait publié son formidable essai nommé Who Will Feed China ? (Qui nourrira la Chine ?), il était clair qu’une partie de l’appareil d’État avait pris conscience de l’impasse du modèle économique choisi. En mars 2005, le ministre de l’Environnement de l’époque, Pan Yue, avait donné au journal allemand Der Spiegel un entretien si extraordinaire qu’il n’a, à ma connaissance, pas été repris dans la presse française (ici). Vous pensez bien que lorsque Le Nouvel Observateur, Le Point ou L’Express font des dossiers de 80 pages sur la Chine, il faut surtout ne pas effaroucher l’annonceur publicitaire. Lequel veut vendre des montres de luxe, des bagnoles haut de gamme et des parfums, et ne surtout jamais entendre parler d’un Pan Yue.

Car que disait donc ce dernier ? Eh bien, que le « miracle économique » serait bientôt terminé. Citation : « Ce miracle finira bientôt parce que l’environnement ne peut plus suivre. Les pluies acides tombent sur un tiers du territoire, la moitié de l’eau de nos sept plus grands fleuves est totalement inutilisable, alors qu’un quart de nos citoyens n’a pas accès à l’eau potable. Le tiers de la population des villes respire un air pollué, et moins de 20% des déchets urbains sont traités de manière soutenable sur le plan environnemental. Pour finir, cinq des dix villes les plus polluées au monde sont chinoises ».

Où placer les guirlandes ?

Oui, les conflits à l’intérieur de la bureaucratie chinoise existent. Mais l’affaire Singer, ainsi que je propose de l’appeler, montre que ce sont toujours les mêmes qui gagnent. Et s’ils gagnent, c’est parce que ce pays fou est contraint d’avancer vers le grand krach écologique. Arrêter le porte-containers sans but ni gouvernail reviendrait à disloquer le pays, entraînant des troubles aux dimensions inimaginables. Le principe d’une machine infernale, c’est que personne n’est en mesure de la désactiver. Encore faut-il placer autour de l’engin quelques menues guirlandes et boules de Noël multicolores. Encore faut-il organiser méthodiquement le déni de la catastrophe en marche.

C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre la publication des 1200 pages de l’officine Singer. S’il n’y a pas de réchauffement climatique, alors il n’y a aucune raison pour que la Chine réduise ses formidables émissions de gaz à effet de serre. Il n’y a aucune raison pour que la Chine arrête de siphonner, dans un délire de croissance, les forêts d’Asie et d’Afrique et des Amériques. Aucune raison pour arrêter le pillage du pétrole et du gaz, et des terres, dans un saisissant remakemutatis mutandis -, de l’aventure coloniale de l’Occident.

182 espèces d’oiseaux, 47 de reptiles

Au moment où je vous écris, je pense au Mozambique, l’un des plus beaux, l’un des plus pauvres pays de la planète. Une équipe de scientifiques vient de passer trois semaines dans le parc national Gorongosa, sûrement l’une des zones les moins massacrées de notre monde. Ils y ont recensé 182 espèces d’oiseaux, 54 de mammifères, 47 de reptiles, 33 de grenouilles, 100 de fourmis, etc. Et parmi elles, un certain nombre d’espèces inconnues, je ne sais combien au juste (ici). Dans le même temps, comme le rapporte Courrier International (ici) les forêts de Mozambique sont pillées dans l’impunité la plus totale, et dans des proportions qu’on ne peut qualifier que de bibliques. Au premier chef par les Chinois, qui savent comment convaincre les politiciens locaux. Pardi.

Destruction, tel est le maître-mot de notre univers. Mais dans le même temps, et pour la raison que la vérité est insupportable, il faut nier, dénier, camoufler, désinformer, manipuler. De ce point de vue, aucun autre pays n’a davantage besoin du mensonge que la Chine. Mais que notre honneur national ne souffre pas trop : nous ne sommes pas loin derrière. Oh non.

AJOUT IMPORTANT LE 16 JUIN 2013 :

Grâce à un lecteur de Planète sans visa – Michel G., un grand merci -, il me faut apporter ici une précision essentielle. L’affaire du rapport chinois est plus complexe que ce que j’avais pensé. Car l’Académie chinoise des sciences (ici, en anglais) conteste avoir jamais donné son imprimatur au texte. À ce stade, il s’agirait donc d’un montage d’une grossièreté inouïe de Fred Singer et de ses nombreux amis. Notons qu’il y a aussi – et au moins – une autre hypothèse : que des factions se fassent la guerre à l’intérieur de l’Académie. Qu’un clan l’ait d’abord emporté, aussitôt victime d’une contre-attaque. Dans tous les cas, cela ne fait donc que commencer. La suite au prochain épisode.