Quelle plaisante démocratie que la nôtre ! Avant de vous parler de la fabuleuse histoire du sous-marin sourd et aveugle, je me dois de mettre en perspective quelques données. Cela sera meilleur, du moins je l’espère. Patience, donc. Notre armée a une histoire que (presque) personne ne connaît vraiment, mais qui laisse songeur. Avant la Seconde Guerre mondiale, la structure dite de La Cagoule l’avait infiltrée au point que Léon Blum, quand il fut président du Conseil en 1936, disait craindre un putsch fasciste, comme en Espagne au même moment. Une partie notable de ses officiers se couchèrent avec délectation devant la racaille nazie. De Gaulle fait exception. Beaucoup de badernes, ainsi, détestaient l’Angleterre et lui préféraient le petit caporal Adolf Hitler.
Après guerre, cette noble institution a mené en notre nom des guerres coloniales atroces, du Vietnam à l’Algérie, en passant par Madagascar en 1947, torture de masse incluse. Elle a donné naissance à un groupe armé fasciste arrivé aux portes du pouvoir – l’OAS, qui tenta d’assassiner De Gaulle -, s’est ensuite rabibochée avec les factieux sur fond de trouille en mai 68, au point d’accorder une amnistie on ne peut plus généreuse à des tueurs. Au début des années 70, elle a traqué les Comités de soldats gauchistes, créés à la suite de la Révolution des oeillets au Portugal, qui lui faisaient tant peur. Elle a coulé, comme on le sait, le Rainbow Warrior de Greenpeace, en 1985, tuant au passage le photographe Fernando Pereira.
Et cela n’est que la pointe émergée d’un iceberg que nous ne verrons pas de sitôt. Quels ont été les liens avec les Américains sur fond de guerre froide ? Quel sort a été fait aux structures secrètes nées autour de l’Otan, quand De Gaulle décida de sortir de cette organisation atlantiste ? La liste est longue. Deux considérations me paraissent essentielles. Un, les militaires ne sont pas la nation. Très majoritairement, ils votent pour la droite ou l’extrême-droite, comme l’attestent de nombreuses études. Deux, aucune autorité politique n’est en mesure de les surveiller. Ils se cooptent, ils se rétrogradent, ils font des risettes au ministre de passage. Ne jamais oublier : un(e) ministre de la Défense n’est rien. Voyez le cas Hervé Morin, éleveur de chevaux, traître à la cause Bayrou, et qui n’avait jamais entendu parler d’armes nucléaires avant que d’être propulsé par Sarkozy 14 rue Saint-Dominique, au siège du ministère.
Et maintenant, l’affaire. Le 6 février dernier, l’agence de presse AFP annonce une nouvelle fracassante : « Le sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) le Triomphant a heurté un objet immergé ». Un porte-parole de la Marine précise qu’il s’agit probablement d’un container perdu en mer, entre deux eaux. Selon lui, un sous-marin nucléaire serait comme aveugle. Rassurant. Le fait est, en tout cas, que Le Triomphant – tu parles d’un nom ! – est bel et bien rentré ce jour-là à sa base de L’Île Longue (Brest), tout amoché à l’avant. Voici le bref communiqué publié à ce moment par notre glorieuse Marine : « Pendant son retour de patrouille, le SNLE Le Triomphant a heurté, en plongée, un objet immergé (probablement un conteneur). Le dôme sonar, situé à l’avant, a été endommagé. Cet incident n’a provoqué aucun blessé dans l’équipage et n’a mis en cause la sécurité nucléaire à aucun moment. La permanence de la mission de dissuasion nucléaire reste assurée. Le sous-marin est rentré par ses propres moyens à L’Ile Longue, escorté, comme il est d’usage dans les phases de départ et de retour, par une frégate ».
Parfait. Nos armes nucléaires stratégiques seraient à la merci d’un container rempli par exemple de jouets en plastique made in China. Parfait. Sauf que le 16 janvier, dix jours plus tard, le quotidien britannique The Sun mange le morceau (ici). Unthinkable ! comme l’annonce le titre. Incroyable ! S’appuyant sur des sources militaires, le quotidien révèle que le 3 ou 4 février, «notre » Triomphant et le HMS Vanguard, sous-marin nucléaire anglais, se sont violemment heurtés alors qu’ils étaient tous deux en plongée dans l’Atlantique.
la Triomphant – hourra pour nos couleurs – a pu rentrer seul au port, mais le HMS Vanguard a dû été raccompagné par des remorqueurs jusqu’à sa base écossaise de Faslane. Deux joyaux technologiques, dotés des sonars les plus puissants qui se puissent concevoir, ne sont pas parvenus à se voir. Hum. Hum, car n’oublions pas que Le Triomphant transporte 16 missiles pouvant emporter 96 ogives nucléaires. Et le Vanguard un peu moins, mais tout de même.
Avons-nous échappé à une terrible catastrophe écologique ? L’hypothèse n’est pas folle.Les sources anglaises affirment que la pollution par le plutonium des armes aurait pu être massive en cas d’atteinte aux ogives. Les 250 hommes d’équipage – pensons-y – auraient pu périr d’une bien pénible manière et des tapis de bombes nucléaires auraient pu attendre au fond de l’Atlantique que l’océan ne les désagrège et relâche dans les eaux ses innombrables et mortels radionucléides. Je ne suis expert en rien, et ne peux ajouter quoi que ce soit sur l’éventuelle explosion des missiles à la suite de la collision. Les « experts » jurent que c’est impossible. Mais qui sont les experts ? Et qui les paie ?
Revenons-en à notre Marine. Elle est belle, hein ? Il est absolument certain que Le Triomphant a aussitôt su ce qui s’était produit. Mais nos autorités ont donc préféré le mensonge le plus grossier qui fût à leur disposition. C’est instructif. Et c’est loin d’être une première (ici). L’armée fait ce qu’elle veut, quand elle veut, comme elle veut. Et aucun responsable politique ne fait même semblant de s’en inquiéter. Si vous voulez ricaner, allez voir ces deux vidéos où l’on voit Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy, en 2007, se gaufrer en beauté sur le nombre de sous-marins nucléaires d’attaque de la France (ici et ici).
Alors ? Alors pensez avec moi que les militaires utilisent chaque jour des ports habités par des centaines de milliers de personnes pour faire entrer et sortir leurs joujoux nucléaires. Pour ne prendre que le cas de Cherbourg et Toulon, les arsenaux où l’on travaille sur les réacteurs nucléaires sont au cœur des agglomérations. Quelles sont les conditions de sécurité ? Quels sont les plans d’évacuation – absurdes, par définition, compte-tenu de la proximité entre la ville et l’atome – des populations civiles ? Vous compléterez les questions tout à loisir.
Je pense que nous tomberons d’accord sur un point. Quelle plaisante démocratie que la nôtre !