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Ce qui se cache derrière l’Angolagate

Ce fut sans doute, et longtemps, l’un des plus beaux pays de la terre. L’Angola abrite les sources d’un fleuve unique qui va se perdre dans le désert du Kalahari, l’Okavango, dont les rives sont miraculeusement intactes. Pays de forêt dense, de marais, de savanes, de désert, de mangroves, de mer, pays de plaine et de hauts-plateaux, pays immense peuplé de lions, d’éléphants, de zèbres, de gorilles, de chimpanzés, de (rarissimes) rhinocéros noirs, de chiens sauvages, l’Angola demeure, malgré la folie ambiante, un territoire grandiose. Grand comme deux France et demie.

Les humains, souvent victimes et parfois bourreaux, en ont fait la porte de l’enfer. Rien que de très banal ? Presque. Entre 1993 et 2000, un présumé trafic d’armes à destination de ce pays a permis de vendre au pouvoir en place à Luanda, la capitale du pays, 790 millions de dollars d’armes diverses (lire ici). Des chars, des hélicoptères, des pièces d’artillerie, des lance-roquettes, des lance-flammes, des mines et des armements d’infanterie, excusez du peu. En plein milieu d’une guerre civile. De très braves garçons de chez nous, parmi lesquels Jean-Christophe Mitterrand, Jacques Attali, Paul-Loup Sulitzer, Georges Fenech, Charles Pasqua et Jean-Charles Marchiani sont pour quelques mois devant un tribunal parisien. À des titres divers, ils auraient aidé deux marchands et trafiquants d’armes de haute volée – Pierre Falcone et Arcadi Gaydamak – dans leur philanthropique entreprise.

Tous se récrient et parlent qui de complot, qui de grossière erreur. Rions un peu avant de pleurer. Pasqua : « Je ne sais pas comment cette enquête a été lancée mais je constate que tout a été fait pour me mettre en cause dans des affaires où je n’ai rien à voir ». Le glorieux fils Mitterrand se dit de son côté « totalement innocent » et n’aurait rien su de rien, se contentant d’empocher une belle galette en échange de conseils en placement. L’ancien député UMP Georges Fenech dirige depuis le 19 septembre dernier – merci, Sarkozy – la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). Dans le procès de l’Angolagate, il est soupçonné d’avoir touché en 1997 un chèque de 15 000 euros de la société de vente d’armes Brenco International. À cette date, Fenech était juge et même responsable syndical de l’Association professionnelle des magistrats (Apm). Mais si.

Ce qui restera merveilleux, quel que soit le verdict, c’est qu’aucun de ces mis en examen n’a eu envie de gerber quand un marchand d’armes – dont tous savaient qu’il vendait à un pays martyr – leur a proposé une affaire. Pas même cet éternel moraliste de Jacques Attali, grand et noble coeur socialiste. Pas même lui, qui a toujours de si belles choses à dire sur les pays du Sud. Une de ses sociétés a touché 160 000 dollars pour une étude sur le microcrédit en Angola. Au beau milieu d’une guerre civile totale où plus rien ne tenait debout ! Et il a approché Hubert Védrine, alors ministre des Affaires étrangères, pour tenter d’obtenir un cadeau fiscal en faveur de Falcone, personnage central, s’il en est, de l’Angolagate. Oh quelle jolie bande !

Parlons tout de même de la guerre civile. Opposant deux factions issues de la guerre d’indépendance – le Mpla et l’Unita -, elle aura fait, entre 1975 et 2002, au moins 500 000 morts, directes si j’ose écrire. À l’échelle de la France, cela représenterait plus que 3,5 millions de personnes. Inutile de dire que des centaines de milliers de mutilés doivent être ajoutés à ce bilan inouï. Ainsi que des millions de paysans déracinés, s’installant, encore plus vite qu’ailleurs en Afrique, dans les bidonvilles des grandes cités, Luanda en tête. La guerre civile n’a pas seulement dévasté la société humaine, mais clairement et définitivement bouleversé la structure du pays, l’occupation du territoire, l’avenir le plus lointain.

Officiellement, au départ en tout cas, le Mpla était un mouvement marxiste, dans la tradition tiers-mondiste des années soixante, et à ce titre longtemps défendu par les soldats cubains envoyés par Castro, qui faisaient face, au sud, aux troupes de l’Unita manipulées, elles, par l’Afrique du Sud raciste de l’apartheid. La « belle » gauche contre la « sale » droite de toujours. Mais au moment où nos héros entrent en scène en compagnie de Falcone et Gaydamak, la roue a tourné plusieurs fois sur elle-même, et l’Angola est devenu un formidable producteur de pétrole, notamment off-shore, au large des côtes. Le Mpla et l’Unita étripent leur peuple pour une seule et unique raison : qui aura l’argent de la rente ? Qui aura les Mercedes, le champagne, les putes, les villas, les comptes numérotés.

En 1993, quand commence l’immonde vente d’armes au régime de Dos Santos – le président angolais -, notre pays est en situation de cohabitation. Mitterrand est à l’Élysée, Balladur à Matignon. Je constate en passant que Pasqua, Marchiani, Fenech sont assurément de droite, tandis qu’Attali et Mitterrand fils penchent en théorie de l’autre côté. Il y a union nationale, figurez-vous, car Elf et Total ont un besoin absolu d’accès aux puits angolais. Elf, avant d’être racheté par Total, aura largement financé la guerre menée par le Mpla, grâce à la vente du pétrole qu’il lui concédait. Citation : «  Les Français ont permis au MPLA de terminer la guerre. Mais ils ont tué le pluralisme politique, attaque William Tonet, directeur de l’hebdomadaire d’opposition Folha 8. Le pays des droits de l’homme a privilégié ses intérêts pétroliers (ici)». Aujourd’hui encore, Total commercialise le tiers des deux millions de barils de pétrole produits en Angola chaque jour. En 2009 devraient commencer les forages d’un gisement fabuleux situé à 150 km des côtes, Pazflor, par des profondeurs d’eau comprises entre 600 et 1200 mètres. Rien ni personne ne fera dévier ce fer de lance, dont nous profitons tous ici, bien au chaud.

L’Angolagate est réellement une histoire cynique comme on en voit peu. Ainsi, en mai 2008, Son Altesse Sérénissime (SAS) Sarkozy a rendu visite au président angolais, déclarant sur place vouloir « tourner la page des malentendus du passé ». Une allusion évidente, même pour le plus corniaud, à cet Angolagate qui menace aussi la nomenklatura en place à Luanda. Car bien sûr, les chefs locaux ont touché. Encore heureux. Le 11 juillet, notre vertueux ministre de la Défense, Hervé Morin (lire ici) a rédigé une lettre très gentille dans laquelle il affirme qu’après un soigneux examen du dossier, il peut garantir qu’il n’y a pas eu de trafic d’armes, car ces fameuses armes ne sont pas passées par le territoire français. Et en ce cas, la France ne peut sérieusement reprocher quoi que ce soit à Falcone, qui a fait son beau travail hors de nos frontières. Non, cela ne sent pas le pétrole. Cela pue. Et pas seulement le pétrole, mais aussi l’uranium. Car l’Angola en recèle de grandes quantités, dont notre champion du nucléaire, Areva, a le plus grand besoin pour ses – nos – centrales. Surtout depuis que le Niger, grand producteur, gronde. Des équipes hautement spécialisées sont sur place. Faisons-leur confiance.

Bon, je suis déjà bien trop long, j’en ai conscience. Dans ce pays maudit par l’histoire récente, et qui est un bijou de la nature, inutile de dire que l’écologie n’a pas voie au chapitre. De grotesques projets financés en partie par l’aide internationale se perdent un à un dans les sables et les méandres du fleuve Okavango. Les corrompus au pouvoir ont autre chose à faire. Du fric. Vite. Aussi vite que coule le pétrole, ce sang noir des pauvres de toujours.

Luanda n’est plus une ville depuis longtemps. La cité des colons portugais, qui aurait pu contenir peut-être 500 000 habitants, en parque 5 millions. Ou 6, nul ne sait. Sur 13 millions vivant dans le pays. Enverrions-nous nos caniches et nos chats angora dans ce pandémonium ? Sûrement pas, nous avons des principes moraux, tout de même.

Deux Angolais sur trois survivent avec moins de deux dollars par jour dans un pays où la vie matérielle est dominée par le grand luxe. Je ne crois pas que vous le sachiez : Luanda, la capitale, est classée la ville plus chère au monde. Au monde, je confirme. Un studio peut se louer 15 000 dollars par mois. Difficile à croire, n’est-ce pas (lire ici) ? L’Angola n’a plus ni industrie ni agriculture, et importe rigoureusement tout par bateaux. Des tomates comme des fleurs coupées, des bagnoles – 5 000 chaque mois – comme des ordinateurs ou même du…pétrole raffiné. Les embouteillages sont là, on s’en doute bien. Sauf pour les innombrables piétons de ce monde qui n’est plus le mien.

Quand vous entendrez parler ces prochains jours du procès parisien, douillet, de l’Angolagate, ayez je vous en prie une pensée pour le peuple angolais, victime de satrapes et d’immenses salauds à leur service. Juste un instant, juste une pensée pour ces gosses qui vendent leur cul et leur âme dans les rues défoncées de Luanda, dont les hôtels de luxe accueillirent Attali, Mitterrand, Pasqua et consorts. Une seconde, une vraie pensée pour eux.

En mai 2008, le vice- ministre angolais de l’Urbanisme et de l’Environnement, Mota Liz, a affirmé que 500 000 hectares de terres agricoles pouvaient être « mobilisées » pour la production de biocarburants. En juillet 2008, le premier ministre, Fernando da Piedade Dias dos Santos, a confirmé que le gouvernement angolais souhaitait « promouvoir l’attribution rationnelle de terres pour les projets de biocarburants ». Nous n’avons encore rien vu.

Vie et trépas d’un vieux dinosaure (sur l’UICN)

Je sens bien qu’on ne me croira pas, mais au fond, qu’importe : je ne cherche pas à me fâcher avec l’UICN. L’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) est un machin de plus, qui n’est pas le pire. En 1945, à la sortie de la guerre mortelle contre le fascisme, tout le monde y allait de son utopie universaliste. On sait la chanson de cette époque-là, qui avait déjà tourné la tête après 1918 : plus jamais ça. Plus de guerre, plus de massacre, plus d’affrontements meurtriers entre peuples frères.

L’Europe, qu’on confondait alors avec le monde, méritait mieux que cela. Il fallait donc des institutions, meilleures que cette SDN (Société des nations) qui avait si lamentablement échoué à entraver Hitler et ses plans criminels. D’où l’ONU, la FAO, l’accord dit de Bretton Woods, la Banque mondiale – appelée alors Banque internationale pour la reconstruction et le développement – et l’UICN. Entre autres.

Créée en 1948 à Fontainebleau – cocorico -, l’UICN rassemble 83 États, 114 agences gouvernementales, au moins 800 ONG et davantage que 10 000 experts et scientifiques du monde entier. Bon, osons le mot : c’est une formidable bureaucratie. Qui, comme telle, encombre le tableau et prend bien plus de place qu’elle ne le mérite. En France, le comité national est présidé par un homme que je connais et que j’estime, François Letourneux, ancien haut fonctionnaire au ministère de l’Écologie, ancien directeur du Conservatoire du Littoral.

Je me rends compte à l’instant, alors que j’ai discuté bien plus d’une fois avec lui, que j’ignore quelles sont ses opinions politiques partisanes. Preuve, si besoin en était, que je m’en fous. En tout cas, le réseau mondial UICN est réuni à Barcelone ces jours-ci, pour un congrès de plus dans la litanie des rendez-vous absurdes en défense de la biodiversité.

Celui-là bat tous les records, et c’est normal, car la situation n’a jamais été pire. Peut-être avez-vous lu quelques titres dans la presse qui vous convient (un aperçu ici). Je refuse de vous noyer sous les chiffres. Disons simplement, pour ce qui concerne les mammifères – nous en sommes, savez-vous ? -, qu’un sur quatre est menacé d’extinction. Peut-être même, car on ignore bien des choses, 36 % au total.

Jamais depuis 65 millions d’années – autant que nous pouvons le savoir – la vie n’a été à ce point menacée sur terre. Et jamais – je l’espère du moins – nous n’aurons entendu autant de baratin sur un sujet aussi grave. À Barcelone, au congrès de l’UICN, entre autres imbécillités – voyez comme je sais me tenir -, on aura entendu évoquer la naissance d’un indice Dow Jones de la biodiversité. Je ne ricane pas à cause du krach en cours, qui donne fatalement de curieuses couleurs à cette trouvaille calamiteuse, non. Mais parce que mettre la nature, sur quoi tout repose, au rang de l’économie, mère de toutes les tragédies, c’est comme annoncer qu’on a renoncé à lutter. C’est comme servir de guide aux braconniers pour tuer les dernières merveilles du monde.

À Barcelone, et j’arrête là, car la nausée me vient, on aura vu aussi Veolia Environnement devenir partenaire du Comité français de l’UICN. L’ancienne Générale des Eaux est une transnationale des métiers dits de l’environnement, qui gagne de l’argent, beaucoup d’argent, en prouvant chaque matin que l’eau est un bien privé, en tout cas privatisable. À ma connaissance, l’ancien patron de la Société Générale – celle qui nous réserve tant de belles surprises -, Daniel Bouton, fait toujours partie de son Conseil d’administration.

Qu’est-ce qui cloche avec l’UICN ? Mais la liberté, bien sûr, la démocratie, la vie, le changement, le coup de torchon ! L’UICN est l’héritière d’une tradition aujourd’hui plus désuète que le drapeau à fleur de lys : celle des sociétés savantes. Pendant un bon gros siècle, à partir du milieu du XIXème siècle, des professeurs dignes entre tous, certains admirables et d’autres pontifiants, ont monopolisé le discours public sur la nature et sa protection. La société les ennuyait, en laquelle ils ne voyaient qu’aveuglement et ignorance. lls régnaient. Sur un monde immobile à jamais. Sur une terre qu’ils seraient seuls à parcourir. À jamais.

La crise écologique brutale où nous sommes plongés rend ridicule toute l’institution. Laquelle, ayant grossi, a besoin de toujours plus d’argent qui lui est donné par ceux-là mêmes qui organisent la destruction ou l’autorisent : l’industrie et les États. C’est pourquoi l’UICN est à mes yeux définitivement incapable de parler de la nature et de la biodiversité en notre nom commun. À la suivre, nous pérorerons encore jusqu’au moment où nous serons seuls dans la cage, face à quelques arthropodes.

Nous sommes les contemporains d’une crise jamais vue depuis des dizaines, peut-être des centaines de millions d’années, et il faudrait suivre le chemin indiqué par les vieilles barbes du temps jadis ? Je sais que ce n’est pas agréable à lire, et je redis mon estime pour Letourneux, non pour des raisons diplomatiques. Je le sais sincère. Mais il est temps de faire la sociologie, l’histoire et même l’ethnographie des associations dites de protection de la nature. Il est temps d’être rebelle, il est temps de dynamiter, ce n’est plus l’heure des falbalas. Le moment est venu d’agir, ce qui n’a strictement rien à voir.

La lettre volée (un beau casse automobile)

Il y a des jours où l’on a envie d’écrire deux fois. Aujourd’hui, par exemple. Voyons si ces mots vous disent quelque chose : « J’étais à Paris en 18… Après une sombre et orageuse soirée d’automne, je jouissais de la double volupté de la méditation et d’une pipe d’écume de mer, en compagnie de mon ami Dupin, dans sa petite bibliothèque ou cabinet d’étude, rue Dunot, n° 33, au troisième, faubourg Saint-Germain ».

Ce n’est pas un test de culture générale, rassurez-vous. Moi, je ne souhaite qu’une chose pour vous, et c’est que vous ayez reconnu le début de La Lettre volée, d’Edgar Allan Poe, traduite soit dit en passant par Charles Baudelaire. Oui, je vous le souhaite, car il s’agit d’un bref mais véritable chef d’oeuvre du genre.

Par précaution, je résume. Dupin, un détective de la veine d’Holmes, est amené à aider le préfet de police de Paris, un véritable balourd. La preuve immédiate par le texte, où le préfet s’adresse à Dupin :  « Voilà encore une de vos idées bizarres, dit le préfet, qui avait la manie d’appeler bizarres toutes les choses situées au-delà de sa compréhension, et qui vivait ainsi au milieu d’une immense légion de bizarreries. ».

Que cherche le flic ? Une lettre, potentiellement dévastatrice pour le pouvoir. Dupin : « Peut-être est-ce la simplicité même de la chose qui vous induit en erreur ? ». Le préfet : « Quel non-sens nous dites-vous là !  ». Comme on s’en doute un peu, c’est Dupin qui a raison. Il retrouve la lettre volée, qui n’était en réalité nullement cachée. Au contraire, elle se trouvait en évidence sur la table de travail du voleur. Seulement, elle « était fortement salie et chiffonnée. Elle était presque déchirée en deux par le milieu, comme si on avait eu d’abord l’intention de la déchirer entièrement, ainsi qu’on fait d’un objet sans valeur ».

Bien joué Dupin ! Et tentons de lui rendre hommage. Y a-t-il un rapport entre La Lettre volée et l’industrie automobile ? Eh, eh, sait-on jamais ? Je vous rappelle ou vous informe que l’Association des constructeurs automobiles européens (ACEA) vient de demander une aide publique de 40 milliards d’euros, sous la forme de prêts à intérêts réduits (lire ici). Avec en prime cette phrase goûteuse de Christian Streiff, directeur de PSA (et président de l’ACEA) : « Cette mesure donnera un signal important pour rétablir la confiance des consommateurs et des marchés financiers ».

Ce n’est pas tout, non, trois fois non. Le lobby de la bagnole réclame également des subventions pour inciter les possesseurs d’engins à se débarrasser de leurs vieilles voitures pour en acheter des neuves. On atteint droit au sublime avec ces mots figurant dans le communiqué de l’ACEA, en anglais bien entendu : les aides publiques « would provide conditions under which the objectives of the CO2 legislation as currently debated by the European Parliament and the EU member states could become more realistic, enabling manufacturers to achieve the desired results ». C’est une langue si désolante que je me contente de vous en traduire la substance. Des subventions permettraient de rendre plus réalistes les objectifs européens de réduction d’émission de gaz carbonique, en aidant les constructeurs à parvenir aux « résultats désirés ».

Pour le cas où les politiques seraient définitivement sourds, l’ACEA rappelle, tout en finesse, le poids économique de la bagnole. Les millions d’emplois directs, qu’il faut multiplier par près de cinq en y incluant la chaîne – le mot exact – de boulots de toutes sortes qui y sont associés.

Alors ? Au risque d’être une nouvelle fois vulgaire, il appert de ce qui précède que l’industrie automobile tient le système par les couilles. Pardonnez, il faut appeler de la sorte ce qui se déroule sous nos yeux. Et qui est aussi évident – nous y voilà – que La Lettre volée sur la table. L’industrie, arguant de la crise financière, arguant de la crise écologique même, veut faire payer une deuxième fois ses tas de ferraille. Et les deux fois par les mêmes : nous. Bon, moi, je ne paierai qu’une fois, car je n’ai pas de voiture. Mais tous les autres ?

L’affaire est d’une grossièreté exceptionnelle. Profitant du chaos, camouflée derrière le rideau de fumée du krach en cours, la bagnole individuelle entend se relancer. Non pas seulement survivre, mais bel et bien repartir à l’assaut de ce qui résiste encore, notamment dans les pays du Sud. Pas de doute, la manoeuvre est écologique : on jette ce qui roule parfaitement, et qui pèse son poids lourd de matières premières plus précieuses que l’or. Et puis on tape à nouveau dans le stock d’acier, de pétrole, et de souffrance humaine au travail.

Franchement, si ces salauds obtiennent satisfaction…

PS : je rajoute un mot, vers 13 heures, ce mercredi 8 octobre 2008. En épigraphe de La Lettre volée, Poe place une citation latine :  Nil sapientiae odiosius acumine nimio ( « Rien en fait de sagesse n’est plus détestable que d’excessives subtilités »). Poe l’attribue à Sénèque, mais ces mots n’ont jamais été retrouvés dans les textes de ce dernier. On peut donc penser à une (belle) invention. Une trouvaille qui fait réfléchir, et dont on voit l’intérêt quand il s’agit de décrire et de combattre le monde dans lequel nous sommes condamnés à vivre.

Soleil noir suivi d’une éclaircie (sur les biocarburants)

Névrose et psychose, les deux pour le même prix. La crise financière actuelle est au passage une honte pour l’esprit humain. Nous ne sommes plus très loin d’un appel au Sauveur suprême. À celui qui rachètera, au moins ravaudera notre bas de laine. À celui qui permettra à l’infernale machine de repartir et d’accélérer encore la fin de tout ce qui compte vraiment.

Complices ? Certes. Tous ? Évidemment, bien que nous ne soyons pas placés, et de loin, au même point. Il faudrait trouver des moyens inédits de marquer notre refus, et je crois que nous sommes quelques uns à réellement chercher une voie. Nous verrons la suite.

Je veux vous signaler ce matin deux faits. L’un brille de tous ses feux noirs. La FAO – agence de l’ONU pour l’alimentation et l’agriculture – vient de mettre en garde contre les biocarburants. Ce qui devrait être une bonne nouvelle n’en est pas une à mes yeux (lire ici). D’abord, la FAO l’a déjà fait, et plusieurs fois. Que ne hurle-t-elle cette fois ?

Elle ne hurle pas parce qu’elle est au fond d’accord. Créée en 1945, la FAO est l’un des bras articulés de l’agriculture industrielle. Elle a accompagné, quand elle n’a pas provoqué, la ruine de l’agriculture réelle, paysanne et populaire, vivrière, celle qui nourrit les peuples et structure leur esprit. Ses innombrables bureaucrates, ses innombrables technocrates empilent depuis soixante ans les rapports qui disent que tout va de mieux en mieux. Ils ont applaudi aux pesticides, aux OGM, à l’irrigation, aux grands barrages, à l’aquaculture intensive, à la surpêche.

Si ce n’était à ce point triste, il faudrait au moins en sourire. Car l’objectif de la FAO, perpétuellement mis en avant, est celui-ci : « Aider à construire un monde libéré de la faim ». Quant à sa devise latine, inscrite sur nombre de documents, elle proclame fièrement : Fiat panis ! On la traduit généralement par Qu’il y ait du pain pour tous !

Il n’y en a pas, tristes sires. Selon vos propres chiffres, ceux qui souffrent de la faim sont passés en quelques mois de 854 millions à 925. Voilà ce que j’appelle un bilan de faillite. Une telle institution devrait, pour cause, être dissoute. Mais elle prospère, sur les ruines du monde réel, qui n’a jamais rien eu à voir avec le Dow Jones ou le Cac 40.

Il faut bien dire quelque chose, néanmoins. D’où ce communiqué évoqué plus haut, où la FAO concède, par la voix de son inamovible directeur Jacques Diouf, que l’irruption des biocarburants a été « l’un des facteurs de la hausse des prix agricoles et de la crise alimentaire mondiale ». Ajoutant même que « les modifications de l’affectation des terres et la déforestation, représentent une grave menace pour la qualité des sols, la biodiversité, et les émissions de gaz à effet de serre ».

La simple logique voudrait donc que la FAO se lève contre cette criminelle industrie, mais ce serait la révolte contre les maîtres, et on ne la verra pas de sitôt. Diouf affirme donc, et en l’occurrence il a raison – pour les corrompus du Sud -, que les biocarburants représentent des « opportunités ».  Pouah !

Par bonheur, il est une bonne nouvelle. Pour la première fois, le mouvement associatif se lance dans une action claire et coordonnée. Je veux citer tous les héros du jour, qui ne sont pas seulement français, comme on va voir. Outre les Amis de la Terre – je m’incline, vous êtes les meilleurs -, le CCFD (Comité catholique contre la faim et pour le développement), Oxfam France – Agir ici; l’Institut Dayakologi (il aide les Dayaks d’Indonésie), Synergie paysanne (syndicat agricole du Bénin), FASE (Fédération d’organisations pour l’assistance sociale et l’éducation, brésilienne), le CINEP  et l’ASCOBA, deux associations colombiennes.

J’imagine que vous avez compris. Le Nord et le Sud ensemble contre le crime. C’est beau, c’est poignant, et je vous invite à visiter (merci, Bernard) le site Internet de la campagne internationale qui vient d’être lancée (ici). Enfin ! un chat y est appelé un chat. Enfin ! on y réclame par pétition – cliquez, pour une fois, cliquez – la fin des subventions aux biocarburants et un changement de fond de la politique européenne.

Où sont les autres associations françaises ? Où est le WWF ? Greenpeace ? La Fondation Hulot ? France Nature Environnement ? Probablement en train de préparer l’anniversaire du Grenelle de l’Environnement. Déjà un an ! Rappelez-vous : tout sourire, nos belles ONG nous annonçaient, en compagnie de Borloo et Kosciusko-Morizet, que nous vivions une « révolution écologique ». Je ne blague pas. Eux, si. Mais ils ne me font pas rire.

Recette pour se faire des ennemis (téléphonée)

Je crois devoir vous dire cette vérité pénible : je hais le téléphone portable. Je reconnais de suite que je n’ai aucun mérite, car c’est instinctif. J’essaie vaille que vaille de ne pas détester du même enthousiasme leurs possesseurs, car ils sont, car vous êtes bien trop nombreux pour cela. Je ne fais pas le poids.

Je crois que je pourrais écrire un livre sur tout ce qui me déplaît dans cet objet et ses si étonnants usages. Mais baste, quand je serai mort, peut-être. Il me faut néanmoins vous signaler le sort fait à la fameuse étude Interphone, commencée en 2000 dans treize pays. Censée faire le point sur les problèmes de santé publique éventuellement créés par le téléphone portatif, elle a été menée auprès de 14 000 personnes s’il vous plaît, ce qui en fait, et de loin, la plus importante jamais réalisée.

Est-elle achevée ? Oui. Depuis 2006. Mais enfin, sa publication est sans cesse retardée pour quelque raison ridicule. Il n’y a plus aucun doute qu’il y a anguille sous roche. Laquelle ? Je n’en sais strictement rien, mais un signe parmi d’autres ne trompe pas : les industriels s’agitent dans les coulisses, d’après tous les semblants d’information qui me parviennent. Peut-être vous souvenez-vous qu’en juin, une vingtaine de médecins avaient lancé un appel à la prudence (lire ici), aussitôt conspués par l’Académie de médecine (ici), dont chacun sait aujourd’hui – devrait savoir – ce qu’il convient d’en penser.

Il est probable, hautement probable, que l’étude Interphone est préoccupante pour l’industrie du téléphone portable. Mais aussi, n’oublions pas ce qui reste l’essentiel, pour la santé des utilisateurs, parmi lesquels de nombreux enfants. Tenez, des scientifiques importants ont tenu devant le Congrès américain des propos que je me dois de vous rapporter. David Carpenter, spécialiste de santé publique et professeur de santé environnementale . « On ne doit pas rééditer ce que nous avons connu à propos de la cigarette et du cancer du poumon, où notre nation a pinaillé sur chaque détail d’information avant d’avertir le public ». Ronald Herberman de l’université de Pittsburgh : « À la lumière des 70 ans que cela nous a pris pour retirer le plomb des peintures et des 50 ans qu’il a fallu pour établir de façon convaincante le lien entre la cigarette et le cancer du poumon, j’affirme qu’on ferait bien de tirer les leçons du passé pour mieux interpréter les signes de risques potentiels. Il y a dans le monde 3 milliards d’usagers réguliers de téléphones cellulaires. Nous avons besoin d’un message de précaution ». Je ne souhaite pas entrer plus avant dans le débat sur la dangerosité du portable, et me contenterai d’un simple commentaire : il faut être tout de même assez nigaudon – pardon à tous – pour ne pas se poser de questions a priori.

Car tout de même, toutes ces ondes nouvelles, créées ex nihilo, pour satisfaire de curieux besoins, traversent en permanence des tissus vivants. Les radios, ordinateurs, téléphones, micro-ondes, et quantité d’autres objets émettent bel et bien quelque chose qui nous traverse. Oui ou non ? Je n’entends pas vous dire qu’il faut renoncer à tout, mais la marge de précaution me semble tout simplement géante. Or, à chaque innovation bien emballée par l’industrie du mensonge – la publicité -, la machine repart en ayant tout oublié du raté précédent.

Je pense bien entendu à cette phrase attribuée – elle est en tout cas dans sa manière – à Napoléon : « On avance et puis on voit ». Voilà bien l’étendard qui réunit l’époque entière. En avant ! Produisons ! Consommons ! Détruisons ! En avant, comme avant, comme toujours ! Hélas, hélas, je crois que nous touchons là une tension qui est en chacun de nous. Et qui ne disparaîtra pas. C’est celle, probablement, qui a conduit les humains hors de ce qui ne s’appelait pas encore l’Afrique, pour une conquête de tous les espaces disponibles sur terre.

Oui, je crois que nous touchons du doigt une partie essentielle de notre humanité. Autant dire que je l’accepte. Plutôt, que j’accepte l’existence de ce qui ne saurait disparaître. Mais ! Mais ! Nous pouvons, nous devons élever des digues. Nous pouvons, à l’intérieur de nous-mêmes, mieux connaître les défauts de nos pauvres cuirasses. Nous pouvons combattre, nous pouvons réduire, nous pouvons gagner, même si jamais la victoire ne sera définitive. Le premier pas serait de nommer. Oui, commençons donc par nommer ce qui nous pousse vers le désastre.