Archives mensuelles : septembre 2007

Patrick et le logo AB (fable)

L’autre jour, jeudi je crois, cette courte discussion dans une salle d’attente. L’homme – il n’a pas eu le temps de me donner son nom – est maraîcher. Il est à la tête de 240 hectares dans le Vexin et vend au marché de Rungis. Quoi ? Essentiellement des pommes de terre. Je papote et compatis, car je sais que la saison a été très rude pour de nombreux paysans. À cause de l’humidité notamment, le mildiou a attaqué comme jamais ces dernières années. Je compatis. Et lui : « Ah, croyez-moi, si on n’avait pas traité, il n’y aurait pas eu de pommes de terre, cette année ! ».

Je tends l’oreille, évidemment. Et je lui fais préciser. Cette année, 22 traitements sur ses patates. Contre 11 habituellement.

Ailleurs, bien plus au sud, non loin d’un certain Larzac. Une vallée, au milieu de laquelle coule une rivière. Et quelle ! Je la connais par là-haut, lorsqu’elle érode le vieux granite. Et plus bas, quand elle entaille les schistes. Et même au-delà, quand ses gorges ouvrent en deux le calcaire. C’est une petite déesse, je la vénère comme telle. Qu’elle bondisse, crépite ou somnole, elle est me surprend et me surprendra toujours. L’amour n’a aucun compte à rendre.

Patrick est mon ami, et il s’est installé près de cette beauté. Il est paysan, entre autres. Et bio. Après une courte carrière de professeur à Paris, il a rejoint cette campagne au début des années 70, sur fond d’utopie. Il a des pommiers – son jus ! – et a longtemps cultivé quelques arpents de fraise. Une galère, une incroyable galère dans cette région aux pluies capricieuses. Il vient de renoncer au logo AB, cette garantie administrative qu’un produit agricole est bien biologique. Ainsi qu’au label Écocert, du nom de cette structure de contrôle, qui envoie à vos frais, chaque année, des inspecteurs chargés de regarder vos factures et vos champs. Pour assurer que vous ne trichez pas. Pour rassurer, donc.

Patrick en a eu marre. Lui, le tout petit, paie autant qu’un gros. Payer, payer autant, quand le revenu est si faible déjà, pour faire plaisir à une poignée d’urbains, nous. Il en a eu marre. Je n’ai pas su quoi lui dire.

Dans la vallée, le long de ma rivière, un village éteint. La moitié des maisons de la rue principale restent fermées même en été, on se sent oppressé. Le maire est un partisan de De Villiers, un universitaire qui ne vit pas là. Il n’a aucune idée, pas la moindre, de ce que pourrait devenir cette petite communauté humaine. Il ne lui reste qu’une clientèle, qu’il faut bien satisfaire. Alors, il signe. Des permis de construire, à tout va. Pour des jeunes qui dédaignent les vieilles maisons, désormais inadaptées il est vrai. Le maire vend les alluvions millénaires de la rivière, seule source de richesse locale depuis la nuit des temps. Sur la route – quel crève-coeur ! -, les lotissements hideux succèdent aux pavillons atroces. Les rares terres fertiles de la région sont sacrifiées au néant.

Ce maire et ses amis auront tout fait, depuis trente ans, pour décourager les valeureux comme mon ami Patrick. Les idées, l’énergie, le grain de folie de ceux qu’on appelle encore, parfois, les néos, ont été balayés par ces imbéciles. Oui, ce sont des imbéciles. Des gens recroquevillés à jamais dans leur coquille de retraités de l’âme. Oh comme je plains Patrick, certains jours !

Il y a deux ou trois ans, il a dû mener une bataille homérique contre la mairie pour acheter un bout de terrain agricole, avec accès à l’eau de la rivière. Pardi ! D’autres voulaient construire au même endroit. Oui, parfois je le plains. Mais pas quand je vais là-bas. Pas quand, après avoir marché vingt minutes sous les châtaigniers, et lentement descendu, j’arrive au bord de la rivière. Il n’y a personne. Si, sur un roc, invisible dans son brin de mousse, un nid de rougequeue noir. Les petits réclament. La mère s’épuise à leur emplir le bec. Je ne vois pas le père.

Il n’y a personne. Si, elle. La rivière, le flot. Je vais plonger sous peu, croyez-moi sur parole. Sous peu. D’ailleurs.

PS en date du 22 octobre 2007 : Je dois rectifier quelque chose, car depuis que j’ai écrit ce papier, j’ai revu mon ami Patrick, qui m’a fait remarquer une erreur. Elle m’est totalement imputable et vous prie de m’en excuser. Patrick ne s’est pas plaint de devoir payer les contrôles de la même façon qu’un gros producteur. Le prix des contrôles, dans l’agriculture bio, est fonction des surfaces. Donc, je me suis trompé. En revanche, Patrick en a bel et bien marre. Parce que, me dit-il, on oblige les paysans bio à payer comme s’ils polluaient. Or, à la différence de tant d’autres, ils ne polluent pas. En outre, les contrôles se font sur papier exclusivement. Un malhonnête pourrait aisément passer au travers des mailles en oubliant de parler d’autres champs, cultivés intensivement. Enfin, Patrick continue à rêver – comme moi – d’un rapport social différent. D’un contrôle mutuel et réciproque, à l’intérieur d’une communauté où dominerait le respect des hommes et des territoires. Où le logo ne serait pas un sésame des bureaux. Comme il voit juste !

Désert solitaire (du samedi)

C’est samedi. Les nuages continuent à s’entortiller au-dessus de l’endroit où j’habite, cela sent la pluie. Sent. Elle ne viendra probablement pas. Ce rendez-vous sur le net a quinze jours à peine, mais je vous ai déjà adressé quantité de missives, dont la plupart n’étaient pas réjouissantes. Je n’y peux rien. Je n’y veux rien.

Ne croyez pas qu’un écologiste comme moi dédaigne la vie et ses innombrables attraits. C’est tout le contraire. Si je tente, à mon échelle moléculaire, de modifier si peu que ce soit le cours des choses, c’est bien parce que j’aime profondément l’existence, les rencontres, les enfants, la nature. Oh oui !

Je ne vais pas vous infliger un long monologue. Je viens de rouvrir un livre que j’adore, écrit en 1968 par Ed Abbey. Il s’appelle Désert solitaire (Petite bibliothèque Payot, si vous cherchez). Je vous parlerai un autre jour d’Abbey, pour qui j’ai comme une tendresse de frangin. Aujourd’hui, je me contenterai de vous offrir deux extraits de son bouquin. Attention, c’est non seulement un cadeau, mais aussi un travail. Je recopie à la main, et si vous trouvez la moindre faute, n’hésitez pas. Engueulez-moi.

L’EAU. L’air est tellement sec, ici, que j’ai beaucoup de mal à me raser le matin. Quand j’attrape le rasoir, l’eau et le savon sont déjà secs sur mon visage : l’aridité. C’est la saison la plus sèche d’un pays sec. Les après-midi de juillet et d’août, nous avons quelquefois des averses orageuses mais, une heure après, la surface du désert est de nouveau sèche comme un os.

Il pleut rarement. Les livres de géographie indiquent, pour cette partie de l’Utah, des précipitations annuelles de cinq à neuf pouces, mais il ne s’agit là que d’une moyenne statistique. Pas beaucoup, c’est sûr. Et, en fait, les chutes de pluie et de neige varient largement d’une année à l’autre et d’un endroit à l’autre, même dans la région des Arches. Quand le nuage éclate au-dessus du Jardin du Diable, le soleil brille sur ma ramada. Et, où qu’il pleuve dans ce pays de rocher nu, l’écoulement est rapide du haut des falaises et des dômes, par les canyons, vers le Colorado.

Quelquefois, il pleut et cette pluie ne parvient même pas à humecter le désert – l’eau qui tombe s’évapore à mi-chemin du nuage et de la terre . On voit alors des rideaux de pluie bleue qui se balancent, hors d’atteinte, dans le ciel tandis que les choses vivantes dépérissent en bas, par manque d’eau. Le supplice de Tantale, l’espoir sans accomplissement. Et les nuages se dispersent et se dissipent dans le néant.

(…) S’il reste assez longtemps dans le désert, l’homme, comme d’autres animaux, peut apprendre l’odeur de l’eau. Peut apprendre, du moins, l’odeur des choses associées à l’eau – l’odeur unique, par exemple, et réconfortante du peuplier de Fremont qui est, au pays des canyons, l’arbre de vie. Dans ces vastes étendues désertes de rocher nu, que d’anciens feux ont fait virer à l’auburn, au chamois et au rouge, aucune vision n’est plus agréable à l’oeil et plus satisfaisante pour le coeur que le vert acide et translucide (or brillant en automne) de cet arbre vénérable. Il signifie de l’eau, et pas seulement de l’eau, mais aussi de l’ombre, dans un pays où il est presque aussi important quelquefois de s’abriter du soleil que d’avoir de l’eau.

Voilà pour aujourd’hui samedi. Je vous souhaite de songer au désert et à l’eau. Aux peupliers qui bientôt perdront leurs feuilles. Aux oiseaux qui ne sont pas encore partis pour l’Afrique, et qui ajoutent un gramme ou deux de graisse sous leur plumage, pour tenter une nouvelle fois l’impossible. Au blaireau, qui vient de découvrir un magnifique lombric. Au loup, à ce loup-ci, qui vient de franchir enfin le Rhône à la nage, et qui sera demain soir sur l’Aubrac, au bord de la Rimeize. À la nuit, au vent, à la récolte de pommes qui ne saurait tarder.

Maurice Tubiana et le sac de Jérusalem

J’ai entre les mains un livre grandiose, et je regrette de ne pas pouvoir vous le prêter. Je le tiens d’un ami breton que je salue au passage, Jean-Yves Morel. Son titre : le cas des nitrates. Son éditeur : l’Institut scientifique de l’environnement. Il s’agit en fait de actes d’un colloque qui s’est tenu les 13 et 14 novembre 2000 dans l’un des plus beaux palais de la République : le Sénat.

Ce colloque est l’oeuvre d’un lobby très puissant qui tente, depuis des années, de faire sauter un verrou ennuyeux. L’Europe exige en effet, par la loi, que les eaux de captage qui servent à « fabriquer » de l’eau potable ne dépassent jamais la barre fatidique des 50 mg de nitrates par litre. Pour l’agriculture industrielle, c’est mission presque impossible. Il faut sans cesse ruser.

Au Sénat, ces 13 et 14 novembre, il y a du beau linge dans les salons. L’affaire a été montée par des lobbyistes professionnels, mais l’Académie de médecine est fortement représentée, jusqu’au Comité scientifique du colloque. Maurice Tubiana, qui deviendra le président honoraire de l’Académie de médecine, en est. Ainsi que l’ineffable Christian Cabrol. D’autres interviennent ès qualités, comme André Rico ou un certain Étienne Fournier.

L’affaire est pliée au départ, car tous sont convaincus, et le disent, que les nitrates ne représentent aucun risque sanitaire. Pour avoir (presque) tout lu, je puis vous dire que c’est insupportable. Tout le monde pense pareil ! Sauf madame Brigitte Pignatelli, chercheuse au Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). On ne sait le pourquoi de sa présence – une menue erreur, au contraire un calcul ? -, mais elle est peu à peu stupéfaite par ce qu’elle entend.

Ces gens, supporte-t-elle pendant deux jours, jurent que les nitrates n’ont aucun effet néfaste sur les hommes. Le colloque aurait-il pour but d’influencer qui de droit pour faire disparaitre cette affreuse norme de 50 mg par litre d’eau ? Pignatelli est en tout cas secouée comme un prunier par ces nobles personnalités. Le compte-rendu, dont on peut être sûr qu’il est édulcoré, témoigne d’une violence verbale peu ordinaire. Pignatelli se bat avec courage, seule contre tous. Et finit par lâcher : « Je suis très étonnée de l’affirmation absolue sur l’innoccuité des nitrates ».

Bon, abrégeons. L’Institut de l’environnement, organisateur, a été créé notamment par deux géants de l’agriculture industrielle bretonne, Gourvennec et Doux. Le professeur Étienne Fournier a défendu l’amiante jusqu’à l’avant-veille de son interdiction définitive en France, ce qui lui a valu une plainte pour publication et diffusion de fausses nouvelles, classée sans suite il est vrai. Bien le bonjour, tout de même, aux dizaines de milliers de morts ! Le professeur André Rico est l’auteur d’une phrase immortelle, prononcée ailleurs : « Ce n’est pas à nous de prendre des décisions par rapport à ceux qui vont naître ; les générations futures se démerderont comme tout le monde« . »

Même Emmanuel Grenier a droit à son exposé en séance ! Dans un colloque « scientifique » sur les nitrates. Qui est-il ? Présenté comme rédacteur en chef de la revue Fusion, ce qui ne mange pas de pain, il apartient en fait à une structure imaginée aux États-Unis par un certain Lyndon LaRouche. Je ne peux tout raconter. Cette nébuleuse défend de façon militante la chimie, le nucléaire – dans la revue Fusion, aujourd’hui défunte – et sa petite maison d’édition en France, Alcuin, a publié des livres d’une rare violence anti-écologiste. Dont un livre de désinformation grossière sur le trou de la couche d’ozone.

Tel est, preux lecteurs, l’aréopage réuni en 2000 pour défendre, sous la haute autorité morale de Maurice Tubiana, les nitrates. Et venons-en à l’actualité. Si vous n’avez pas eu les oreilles remplies par le flot radio et télé hier, c’est que vous êtes au fond de la forêt équatoriale africaine. Tant mieux pour vous. Un rapport conjoint des Académies de médecine et des sciences, épaulées par des membres du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), vient d’annoncer que le cancer était au fond une affaire privée.

Ce rapport pointe la responsabilité écrasante de l’alcool et surtout du tabac dans la survenue des cancers. Rassurez-vous, je ne vais pas vous infliger une contre-expertise. D’autres le feront, infiniment mieux que je ne saurais. Je note que, selon les auteurs, l’environnement au sens large, c’est-à-dire l’alimentation, les pollutions de l’air et de l’eau notamment, ne concourreraient qu’à hauteur de 0,5 % dans les causes du cancer. Quant aux expositions profesionnelles à des cancérigènes, elles ne provoqueraient que 4 % des cancers chez l’homme et 0,5 % chez les femmes.

Parmi les deux responsables de ce rapport, Maurice Tubiana. L’Académie de Médecine n’en est pas à son premier rapport disons baroque. Je n’en dresse pas la liste exhaustive, je n’ai pas la place, et vous n’auriez pas la patience. En 1996, l’Académie publie un rapport sur l’amiante dont une résolution de l’Assemblée nationale estime qu’il a « minimisé les risques et conforté les thèses su lobby de l’amiante ». L’Académie de M. Tubiana s’est, de même, montrée plus qu’indulgente avec les OGM, tandis que sa cousine des Sciences estimait, en 1994, que la dioxine ne posait pratiquement pas de problème de santé publique, ouvrant la voie à l’incinération industrielle des déchets en France.

Un dernier exemple, pour la route. L’Académie de médecine a toujours tenu pour négligeables les faibles doses de radiation nucléaire, empêchant de fait la prise de mesures de protection en France après les retombées de Tchernobyl. Eh oui, si cela ne pèse de rien, à quoi bon affoler les populations ? Imparable. Hélas, c’est faux. L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), on ne peut plus officiel, a publié voici 18 mois des études spectaculaires qui démontrent que, tout au contraire, de très faibles expositions peuvent avoir un effet sérieux sur les organismes vivants. Dont nous sommes, ou bien m’aurait-on aussi caché cela ?

Bref, L’Académie sait se tromper. Et d’ailleurs avec une constance qui force l’intérêt et mène droit aux interrogations. Mais je ne veux pas insinuer ce que je ne pense pas. Je suis bien certain que Maurice Tubiana est sincère. Il croit, il croit, il croit. Et aucun journaliste de la presse en place, sauf grave erreur de ma part, ne s’avise d’explorer ce terrain dangereux.

Il n’est pas le seul à croire, au reste. D’autres ont cru que la ligne Maginot nous sauverait de la barbarie. Ou que le biologiste stalinien Lyssenko avait inventé une science « prolétarienne ». Parmi eux, de futurs prix Nobel, mais oui ! Ou encore, il y a seulement trente ans, que Superphénix ferait de la France l’Arabie Saoudite de l’Europe. Je vais vous dire quelque chose qui ne me rajeunit pas. Depuis l’épouvantable sac de Jérusalem, en 1099, les Croisés me foutent la trouille. Et il y en a beaucoup.

De l’art du go (contre un certain Grenelle)

Est-ce seulement une indifférence abyssale ? Ou bien du mépris ? Je ne sais. Le fait est que Sarkozy se moque de nous avec un grand aplomb. En visite en Allemagne le 10 septembre, il a insisté auprès de la chancelière Merkel pour qu’elle relance un programme électronucléaire.

Vous le savez sans doute, les Allemands, après des décennies de mobilisation, ont décidé un plan de sortie du nucléaire d’ici 2020. Contesté, certes, mais officiel. Sarkozy arrive, bardé de fiches concoctées par Areva et EDF, et puis fait son show. Comment mieux dire merde au mouvement associatif ?

Car enfin, quelle idée se fait-il des centaines de milliers de citoyens allemands qui ont oeuvré, souvent au-delà des catégories politiques classiques, pour que leur pays renonce à l’atome ? Je crains qu’elle ne soit guère différente de celle qu’il a des associations françaises, et du si fameux Grenelle.

Je ne vais pas faire le fat, mais j’aime prodondément le go. Ce jeu plurimillénaire est guerrier, ou mieux encore stratégique. Deux adversaires se font face, qui occupent peu à peu le go-ban avec des pierres – ou pions – noirs et blancs. Le go-ban est un damier de 361 intersections. Pour gagner, ce qui ne m’arrive pas chaque matin, il faut considérer l’ensemble du jeu. Les pierres dessinent des territoires, mais bien souvent, un coup majeur transforme une scène en son opposé. Un territoire virtuellement conquis devient une prison. L’illumination d’un instant découvre un paysage neuf.

Le Grenelle de l’environnement est une partie de go. Et les associations, attirées sur un terrain où elles s’enlisent, courent le risque évident de ne pas être comprises par la société. Or si Sarkozy est un tacticien redoutable, il demeure à mes yeux un mauvais stratège. Au go, cela ne pardonne pas. Certes, il est capable de faire des prisonniers, d’enfoncer un coin chez ceux d’en face, et d’effrayer le voisin. On peut le croire vainqueur déjà alors qu’il peut encore perdre, y compris la face.

Je suggère à mes amis écologistes de sortir dans la clarté et la dignité des commissions du Grenelle. Il se confirme, jour après jour, qu’elles ne sont là que pour enfumer renards et blaireaux. Les quelques mesures qui pourraient en sortir – et qui en sortiront peut-être – sont d’ores et déjà illisibles, incompréhensibles à tout autre que l’expert. Par mimétisme, le mouvement réinvente celui qui sait et comprend mieux que les autres. L’homme des bureaux. Des ministères. Celui des dossiers ficelés. Je réaffirme que le peuple a le droit et le besoin de comprendre les enjeux. Une réforme du Conseil économique et social, la réduction de la vitesse automobile – on parle de 10 km/h -, une amélioration de la « gouvernance écologique », tout cela sent la farce.

La guerre de position que mène Sarkozy est déjà perdue pour nous. Car il s’agit fondamentalement d’un leurre. Les grands de la cour l’ont d’ailleurs compris, savez-vous ? EDF ne siège pas au Grenelle, ni Areva. l’UIPP, l’industrie des pesticides, pas davantage. Ces vraies puissances savent où est le vrai pouvoir. Dans la coulisse. Dans l’antichambre. Dans le couloir, c’est-à-dire, en anglais , le lobby.

Il faut rompre et placer aussitôt, comme au go, la pièce maîtresse qui peut tout changer. Selon moi, il faut exiger, ensemble, l’organisation d’un référendum sur les OGM. Pas de moratoire ! Comme le disait fort justement l’autre jour le président du WWF Daniel Richard, la défense du moratoire ressemble étrangement à une acceptation différée.

Non, pas de moratoire. Mais un référendum. Si Sarkozy l’accepte, donnant la parole au peuple de notre pays, nous mènerons de conserve la plus belle campagne publique de l’histoire récente. Et nous gagnerons. Et la place de l’écologie chez nous en sera changée à jamais.

Car sous le parapluie d’une telle victoire, des millions d’enthousiastes se lanceraient à l’assaut de milliers de Bastille. Ce serait fête. Et populaire, croyez-moi. Et pour le cas où Sarkozy refuserait, il lui faudrait en assumer seul les conséquences. Je pense qu’il ne serait pas si difficile de lui faire porter le mistigri d’un échec historique sur le terrain de l’écologie.

Pour ma part, je suis prêt à crier : atari ! à Sarkozy et à sa petite équipe de bluffeurs. Atari, au go, signifie : attention, je m’apprête à vous mettre en échec. Ce coup est important, décisif peut-être. Oui, atari !

Relâche

Vous m’excusez, n’est-ce pas ? Ce 12 septembre, je vais à la capitale, où j’ai tant de choses à régler que je ne rentrerai chez moi que vers 22 heures. Comment voulez-vous que j’écrive quelque chose si tard et que quiconque soit encore là, ensuite, pour le lire ?

Comme je suis gêné malgré tout, car on prend des habitudes, je vous laisse un petit cadeau, royal en vérité. Le naturaliste américain Aldo Leopold, mort depuis des lustres, a parcouru l’Amérique sauvage des débuts du XXème siècle comme aucun autre. Je le tiens, et je ne suis pas le seul, pour un géant de la littérature de la vie. Il est l’auteur d’un chef d’oeuvre, A Sand County Almanac, and Sketches Here and There, traduit en français (chez Aubier, 1995) sous le titre : Almanach d’un comté des sables. Je ne l’ai pas relu depuis si longtemps que les odeurs inouïes qu’il contient se sont un peu éloignées. Mais je me souviens et me souviendrai toute ma vie de la descente d’Aldo dans le delta du Colorado en canoë, quand existait encore un delta.

Je n’ai pas grand-chose dans ma besace, pardonnez, mais je vous offre ces quelques mots de Leopold, en espérant qu’ils vous aideront à traverser sans encombre ce 12 septembre 2007 à Paris, France. “Voilà que j’entends un faible aboiement dans les nuages. On croirait un chien au loin. C’est étrange comme le monde tend l’oreille à ce bruit, et reste songeur. Bientôt il s’amplifie : les oies ! Invisibles, mais elles se rapprochent. Le troupeau émerge des nuages bas. C’est une bannière dépenaillée d’oiseaux, montant et descendant, s’écartant, se rapprochant, avançant tout de même, sous le vent qui lutte amoureusement avec chaque aile vanneuse. Quand le troupeau n’est plus qu’une tache tout là-haut, j’entends sonner le clairon des funérailles de l’été.”