Anna Karina, les pesticides et moi

Que ceux qui se souviennent d’Anna Karina dans Pierrot le fou lèvent le doigt. Dans ce film de Godard, sorti en 1965, on l’entend répéter, les pieds dans l’eau : « Qu’est-ce que j’peux faire, j’sais pas quoi faire ». Eh ben, au risque de surprendre, Anna Karina, c’est moi. Je ne sais plus quoi faire contre les pesticides. Cela fait bien 25 ans que j’écris sur le sujet, y compris dans des livres solides, mais rien ne bouge.


Ce qui bouge, ce sont les études, qui s’empilent. Celle publiée le 15 mai (1) apporte des informations inédites sur le déclin apparemment fatal des oiseaux communs en Europe. Les signataires – quatre chercheurs principaux – ont étudié en détail le sort de 170 espèces d’oiseaux sur 20 000 sites de 28 pays européens. En tentant de préciser l’impact de quatre « pressions anthropiques », c’est-à-dire provoquées par les activités humaines : changements dans le couvert forestier, changement climatique, urbanisation, intensification agricole.

Bien entendu les causes du massacre des oiseaux sont multiples. Même les chats, si nombreux, y jouent leur rôle, de même que les pales des éoliennes. Mais le très grand responsable, c’est l’usage massif des pesticides et des engrais de synthèse. Grâce à des techniques mathématiques récentes, les scientifiques sont parvenus pour la première fois à hiérarchiser les menaces. Interrogé par Le Monde, Vasilis Dakos, l’un des signataires de ce travail, estime qu’il « permet de révéler des liens de causalité ». Non pas seulement de corrélation, comme bien souvent, mais de causalité. Les insectes sont tués par les pesticides, et les oiseaux insectivores les suivent dans le néant : le bruant ortolan a perdu 93% de ses populations en Europe depuis les années 80.

Une autre publication (2) permet de retrouver un SDHI, le boscalid. L’agrochimie prétend contre l’évidence que les fongicides SDHI – ils s’attaquent aux champignons des récoltes – ne sont pas toxiques au-delà de leur cible (3). En réalité, le Pristine, mixture contenant du boscalid, réduit la durée de vie des abeilles ouvrières. Et des effets létaux ont été observés à des doses inférieures à celles utilisées dans les laboratoires pour obtenir une autorisation de mise sur le marché.

Passons à la grande et enivrante politique française. La rumeur m’est parvenue que Macron, quand il en éprouvera le besoin, pourrait remplacer Élisabeth Borne par l’ancien ministre de l’Agriculture Julien Denormandie. Ce ne serait pas la meilleure nouvelle de l’année. En septembre 2021, Macron, pour une raison restée inconnue, déclare : « Je veux que sur ce sujet des pesticides, la présidence française de l’Union européenne [qui commencera en janvier 2022] porte, et je m’y engage ici, une initiative forte, avec tous les collègues, de sortie accélérée des pesticides ».

Le lendemain, Denormandie, plus au fait, apparemment, des vrais rapports de force, recadre rudement Macron : «Nous sommes dans un marché commun, donc cette question doit être européenne ! Sinon, nous créons juste de la compétition déloyale, sur le dos de notre agriculture et de notre environnement !». Et aussi, mais surtout : « Notre position est toujours la même : pas d’interdiction sans alternative ». Et il n’y a pas d’autre choix. Pour eux.

(1)https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2216573120

(2)https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0269749120366537

(3)J’ai consacré un livre à l’effarant scandale des SDHI : Le crime est presque parfait (LLL)

(4)https://theconversation.com/pesticides-et-abeilles-comment-les-fongicides-sattaquent-a-la-reine-205070

(5)https://pubs.acs.org/doi/pdf/10.1021/acs.est.2c09591

4 réflexions sur « Anna Karina, les pesticides et moi »

  1. Vous n’êtes pas entendu tout simplement parce que tout ce qui n’entre pas dans le cadre exclusif du système capitalisme néolibéral mondialisé est totalement inaudible par nos dirigeants !

    Il faut donc remettre en cause l’architecture générale du système.

    Saisir l’opportunité que le système capitaliste est parvenu à son terme du fait de l’accumulation des contradictions que celui-ci a produit (autrement dit lorsque ce système entre dans l’âge de la sénilité ce qui correspond à son effondrement),
    l’avenir possible se conjugue au pluriel mais sera-t-il pire ou meilleur ?
    §§§§§§

    Le virus libéral : la guerre permanente, l’américanisation du monde.

    La « triade » composée des Etats-Unis, l’Europe et le Japon fait régner la terreur sur le monde entier !
    Mon analyse du capitalisme réellement existant me conduit à une conclusion tout à fait différente de celle présentée officiellement. Ce système – dans sa forme libérale mondialisée – n’est pas viable, au sens que le chaos qu’il engendre, loin d’être « maîtrisable » par les moyens imaginés par les classes dirigeantes du système, ne peut que s’aggraver rapidement et dans des proportions dramatiques.

    L’Union Européenne fonctionne dans les faits comme la région du monde la plus parfaitement « mondialisée » au sens le plus brutal du terme. Comme si elle voulait être plus royaliste que le Roi quitte à se saborder définitivement !
    L’Europe s’est installée dans cette forme extrême pour ne pas dire extrémiste de l’option libérale.
    L’Europe est donc en avance sur le reste du monde dans le grand bond en arrière.
    Le projet européen tel qu’il pousse jusqu’à l’absurde le ralliement à des logiques systématiquement défavorables au succès d’un déploiement économique du continent. On doit alors se poser la question de pourquoi ces options (que Prodi a qualifié à juste titre d’idiotes) ?

    La seule réponse raisonnable qu’on puisse donner à cette question est que ce choix a été fait par le grand capital dominant parce que c’était le moyen – le seul possible – pour lui de briser la force sociale que les travailleurs européens (classes ouvrières en premier lieu) avaient acquis au terme de deux siècles de luttes.

    Cet avenir est présenté dans le cadre de prétendus « scénarios », qui en fait se résument à l’alternative « le monde selon Davos » (c’est à dire l’approfondissement de la mondialisation libérale, assurant le leadership plus ou moins exclusif des Etats Unis) ou le « chaos ».

    Il ne s’agit là que d’un faux contraste, car dans la réalité c’est la poursuite du « projet de Davos » qui engendre le chaos (les réactions « populistes » aux échecs sociaux, le terrorisme etc.). Il ne s’agit donc en fait que d’un seul scénario : la poursuite du projet libéral garanti par celle du leadership des Etats Unis et la gestion du chaos par la militarisation de la mondialisation.
    Une véritable nouvelle « guerre de cent ans » entre le « Nord » (tant qu’il demeurera impérialiste) et le « Sud ».

    La guerre actuelle de l’OTAN donc des Etats-Unis contre la Russie n’est que le prélude à d’autres affrontements sous des prétextes fallacieux, à l’image des précédentes comme la guerre contre l’IRAQ et tant d’autres.

    L’OTAN est destiné à remplacer l’ONU et à devenir de surcroit un instrument non plus de paix mais de guerre pour servir l’hégémonisme Américain, au même titre que le FMI, l’OMC et tous ces organismes de suprématie mondiale sensés dire le droit et faire le bien derrière lesquels se cache en fait les Etats-Unis qui y règnent en maître absolu et pour leurs seuls intérêts hégémoniques.

    L’Europe caniche des Etats-Unis mais à l’intérieur de celle-ci la France se distingue des autres caniches en faisant encore davantage pour plaire au maître de Washington (nous nous sommes mis sous embargo nous-mêmes par rapport à la Russie – propagande mensongère sur le conflit Russo-Ukrainien – Nous sommes en guerre contre la Russie – absence de toute critique ou condamnation des Etats-Unis dans leurs actes odieux – libéralisme à marche forcée – répression féroce – atteinte aux libertés – casse des services publics – négation de la casse climatique et massacre de la biodiversité – gouvernance par état d’urgence ou d’exception – aucun déterminisme avec toutes les crises et pandémies qui nous frappent – c’est le plaidoyer en faveur de « l’innocence » des responsables – l’alignement forcé…d’où les conséquences désastreuses pour le peuple, notre pays et la planète) !

    Je vous suggère de lire SAMIR AMIN dont j’ai tiré la casi totalité de mon propos. (Juillet 2023)
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    1. Bonjour,

      Nous sommes radicalement en désaccord, car votre pensée se déploie dans un cadre forclos. Selon moi. Vous oubliez que ce n’est pas seulement le capitalisme qui est en cause. Toutes les tentatives autres ont également – ou davantage – détruit les écosystèmes. À commencer par les divers stalinismes de la planète. La véritable question – toujours selon moi – est l’industrialisation du monde, qui a commencé à déferler à partir du 17ème et surtout du 18ème siècle. Là est la grande bifurcation humaine. Il faut repenser un monde dans lequel il y aura moins à distribuer, surtout au Nord. Une telle révolution mentale est incompatible avec votre vision. Selon moi.
      Bonne journée,
      Fabrice Nicolino

  2. Cher Fabrice, je suis atterrée aussi… La campagne de denigration de la BIo est telle que j’entends de plus en plus de gens dire que le bio, c’est bidon.
    Ah! Ils sont très malins et prêts à tout ces fabricants de produits toxiques. Après avoir obtenu l’autorisation de 0,9% de pesticides dans la Bio, voilà qu’ils véhiculent l’info que la bio n’est pas bio et même Elise Lucet s’y met.
    Pour les ignorants, il n’y a pas donc pas de différences entre un melon bio et un melon qui a subi plus de 10 pulvérisations de produits dits phytosanitaires.
    Je vis de très près toute l’horreur de la production des fameux melons de Calvisson, avec environ 10 hectares cultivés le long de ce village du Gard. C’est un cauchemar cette odeur nauséabonde qui surgit sans prévenir, à la nuit ou au petit matin et enveloppe tout le village (car ils traitent la nuit!). Les symptômes ressentis: les yeux, le nez et la gorge qui piquent, des maux de tête et une fatigue anormale. J’ai assisté trois jours après un épandage costaud, à une hécatombe de Cigales…
    J’ai vu qu’ une étude vient de sortir au sujet de l’augmentation du cancer qui a doublé en trente ans en France. Dans les causes, je n’ai pas vu les pesticides? Comment ne pas faire le lien entre le déclin des espèces, et nous en faisons partie, et ces pratiques agricoles délétères qui perdurent depuis… plus d’un demi-siècle…
    Et ce qui est fou, c’est que ça n’intéresse pas les gens de savoir.
    En deux ans de Covid, j’ai perdu une dizaine d’amis du cancer (entre 56 et 72 ans), et personne du Covid!

    Merci pour tes articles, ta plume excellente et tes coups de gueule.

  3. Recherchez Dave Goulson. J’en conseille la lecture, voir les vidéos. En plus des vieux combattants comme Fabrice que je salue bien bas au passage.

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