Le temps, c’est long, surtout vers la fin

Le propos, parfois critique, revient souvent dans les commentaires. Que faire ? Comment faire ? Par quel moyen parvenir à des actions porteuses d’espoir et d’avenir ? Je suis, comme vous l’imaginez, très sensible à de telles interrogations, et je tâcherai de répondre comme je le peux d’ici quelque temps. Notez que je l’ai déjà fait ici, depuis les débuts de Planète sans visa, en août 2007. Mais, bien entendu, vous n’êtes heureusement pas tenu de lire ces innombrables papiers jetés comme autant de bouteilles à la mer.

J’y viendrai sous peu. Mais je souhaite aujourd’hui revenir sur un point clé, qui est très peu abordé. Celui du temps. Celui des temps. Car il y en a plusieurs. Ne vous étonnez pas de retrouver ici des parties d’un texte écrit en octobre 2007. Il serait bête de réécrire ce que je pense toujours dans les mêmes termes. Donc, les temps. L’une des plus grandes difficultés  tient à l’entrechoquement. Au moins trois temps se télescopent, sans que nous puissions y faire grand-chose. Parlons d’abord du nôtre. Notre temps d’individus se déploie sur un territoire microscopique. Une vie est un spasme, je ne vous apprends rien. Toute l’intelligence supposée de notre espèce ne peut rien contre cette dimension-là. Ce que nous voulons vivre doit l’être dans un temps imparti. Comble de tout : pour des raisons mystérieuses, tout indique que nous sommes incapables de nous projeter dans un futur lointain. S’il est encore assez simple de songer au sort de nos enfants, il devient difficile, incertain, impossible souvent, d’évoquer celui de nos petits-enfants. Quant au reste… Il existe certes de grandes différences d’un individu à l’autre, mais la même barrière clôt notre univers mental. Disons qu’elle est chez certains un peu plus éloignée des yeux.

Le temps écologique est une (relative) nouveauté. Bien entendu, les écosystèmes, leur évolution, leurs crises, leur disparition même ont toujours existé. Mais nous sommes les contemporains d’une nouveauté radicale : devenue agent géologique en quelques décennies – tout au plus, si l’on y tient, deux siècles -, l’humanité agit sur ce temps immensément long, étiré jusqu’aux portes de l’univers. Le temps écologique, longtemps immobile – à l’échelle humaine -, s’est mis en mouvement, d’une manière angoissante. Nul n’est plus sûr de rien. Ni du climat. Ni de la survie des requins. Ni de celle des forêts. Ni de la qualité d’une eau saisie au creux de la main, dans le lit d’un ruisseau.

Reste la question de la perception de ces incontestables révolutions. Pouvons-nous comprendre ? Oui, sommes-nous bien capables de saisir la nature de tels événements ? La question est, et demeurera ouverte. Mais il me faut de toute façon évoquer un troisième temps, celui des idées. Dans une société humaine, le mouvement des idées a son rythme. Assez déconcertant, il faut le reconnaître. Nous pensons le monde avec des conceptions perpétuellement décalées. La bonne image est celle de ces étoiles qui continuent d’éclairer le ciel, malgré leur mort certaine.

Le monarchisme – en tant que projet politique – a survécu un siècle à la décapitation de Louis Capet, pauvre roi pathétique. Le marxisme incarnait l’espoir dans la France révoltée de 1968, lors qu’il tirait en fait son ultime révérence. Les exemples sont innombrables d’un décalage entre le réel existant et ses représentations. D’un certain point de vue, le discours public actuel est une folie certaine. Tous les responsables, je dis bien tous, ne rêvent au fond que d’une chose : que la croissance déferle une nouvelle fois et inonde notre société vieillissante. Que donc la destruction s’accélère encore. Faut-il leur pardonner au motif qu’ils ne savent pas ce qu’ils font ? Je vous laisse répondre.

Quoi qu’il en soit, la quasi-totalité de ceux qui parlent ignorent l’existence de la crise écologique, qui est également ontologique. Leurs références sont ailleurs, dans un monde à jamais englouti, comme disparu en mer. Je me permets un court rapprochement, qui ne vaut pas comparaison. Ce qu’on a appelé le mouvement ouvrier, entreprise de civilisation admirable, a émergé à partir de 1830 en France. La surexploitation des ouvriers et l’étonnant essor économique donnaient à penser, comme vous pouvez imaginer.

Mais il aura fallu au moins soixante ans pour que surgissent de cet univers en explosion des syndicats dignes de ce nom, des mutuelles, des bourses du travail. Et plus d’un siècle pour que notre premier gouvernement de gauche, celui de Blum, décrète les congés payés et la semaine de 40 heures. Les idées commandent une certaine lenteur, qu’on appelle maturation. Elles diffusent d’une génération à l’autre, en hésitant, en trébuchant, en reculant parfois. Ne voyez-vous que la première vague de critique écologiste, après 1968, a échoué sur l’estran, avant de refluer ? Ma conclusion sera limpide : le temps, c’est long, surtout pour celui qui n’en a pas.

18 réflexions sur « Le temps, c’est long, surtout vers la fin »

  1. Effectivement, le temps est d’autant plus long quand les années sont comptées, comme c’est le cas actuellement. Combattre les périls actuels : pollutions, cancers, maladies, fractura sociale, totalitarisme, pertes de ressources, dérèglement climatique… nécessite que la révolution écologique s’accompagne d’un développement de la solidarité, indispensable pour que les citoyens puissent lutter efficacement et contrôler leurs dirigeants.

  2. Il est aussi indispensable de ne pas devenir des « écotartuffes » tels certains présents au grenelle de l’environnement sans verser pour autant dans un intégrisme qui conduirait aux mêmes dérives que les dictatures marxistes ou religieuses.
    PS Sur de nombreux points (réécriture d’une doctrine selon les besoins de l’élite du moment au détriment de la population qui doit subir des directives de plus en plus contraignantes) le stalinisme ressemble beaucoup plus à une dictature religieuse qu’au fascisme ou au nazisme.

  3. Le temps, c’était plus long…avant.

    Les idées empruntent les autoroutes de l’information tout comme les virus prennent l’avion, maintenant. Elles peuvent diffuser très vite et captiver un auditoire international en quelques semaines.

    Bizarrement, nous baignons tous dans cette soupe d’information, de sciences et de techniques qui nous donne l’impression de tout comprendre, de tout pouvoir critiquer avec ce terrible bon sens, de denier toute légitimité à tout expert présenté comme tel, d’oublier toute humilité face au savoir.

    J’ai l’impression d’une effrayante cacophonie mondiale. Le silence, comme le Dodo, a disparu sans combattre.

  4. Vu hier, des insectes suceurs de sève et allumeurs de rêve :
    http://plus7.arte.tv/fr/1697660,CmC=2967580.html . On retrouve Yves Paccalet . J’y ai découvert pour la première fois des paroles d’insectes !
    Vous saviez que les insectes chantaient parfois comme des animaux des abysses pour appeler leurs belles ? Qu’ils jouaient de la corne de brume pour chasser les intrus ? Que les femelles protègent et élèvent leurs petits puis meurent à leurs premiers envols ? Qu’ils pouvaient être aussi minuscules que miraculeusement beaux ?

    C’est cela notre drame, nous n’aurons jamais l’idée de regarder à temps, ensemble, l’infinie beauté de ce monde , de sentir nos coeurs vibrer à l’unisson . Nous serons redevenus poussières d’étoile bien avant . Saint Exupery disait que s’aimer, ce n’est pas se regarder l’un l’autre, mais c’est regarder dans la même direction . Tragédie et poésie de l’homme : ignorance .

    @ Jo le bug ,cette cacophonie est voulue .

  5. Fort heureusement, la plupart des problèmes urgents peuvent être rapidement résolu, à l’échelle de quelques générations. Même le réchauffement climatique pour lequel, m^me s’il ne fera pas moins chaud dans un siècle, on peut espérer que l’homme se sera adapté à moyen terme, et que nos arrières petits-enfants n’en souffriront pas.
    Donc il y a urgence, mais s’il y a échec, tout espoir n’est pas perdu…
    Le seul problème vraiment durable est l’érosion de la biodiversité, car là c’est à l’échelle du million d’année qu’elle se reconstitura, et à l’échelle humaine, c’est bigrement long…

  6. et oui yoda, le prob, c’est réussir stopper enfin, cette rétractation de l’univers  » forêt amazonienne » , univers certes fini mais immensément riche et encore inconnu, en un bigbang que j’appelerai ici, nuggets et giant . C’est comment sauver les éléments acides, vieux de 40 millions d’années, de la fournaise mac do, et ce, envers et contre notre bêtise .

  7. excellent. a propos de penser le long terme, le philosophe et poète sioux John Trudell nous rapelle -en musique – que « nous SOMMES la 7eme génération » (de Crazy Horse)
    En plein dans le mille de qu’écrit Fabrice : si vous avez un peu de temps devant vous, et du parler rosbif dans vos bagages, lire l’excellent « the clock of the long now » de stewart Brand, qui expose le conflit généré par l’entrechoc aphasique (carambolage!) de ces différentes chronos. Brand en voit quatre 1) l’horloge du business (très speed), celle de la culture (lezidees.., un peu moins speed), celle de la gouvernance (qui traine qui traine) et celle de la vie, de l’univers (qui ronfle, tel un yanomami dans son hamac a midi _ de ma part, ce n’est pas une blague raciste, croyez-moi, mais le symptôme d’une profonde jalousie)
    Bon, je retourne a ma musik, car elle m’attend (Bref Hiatus dans mon comportement néo-agricole, un producteur de disques m’ayant mis la main dessus et me sortant de 10 ans de torpeur pour que je refasse des accords d’apprenti et que je m’égosille sur scène).
    Et devinez de quoi elles parlent, ces petites chansonnettes d’indécrottable kepon imbécile ?

  8. @Benedicte :
    Tu penses qu’une puissante volonté maléfique est à même d’orienter la volonté de tous ?

    Je préciser, à la relecture de mon commentaire du 08/12, même topic, que je considère ce blog comme une source incontournable d’informations. Encore une fois, merci Fabrice ! Dans cette cacophonie, ça fait du bien 🙂

  9. @jo , et pourtant, ce serait tellement commode de clamer :  » va de retro Satanas ! » . Non, simplement,le domaine de l’information ressemble à une énorme grande surface, faite d’affirmations suivies de démentis immédiats, d’inepties sur-réalistes . et nous polémiquons sans fin et sans intérêt sur cela . Et pendant ce temps, fait de duels et de guerres à notre niveau, celui de la connerie poussée à son extrême , les sbires emportent la princesse …ou s’enrichissent .

  10. Vous avez sans doute raison de considérer, que l’évolution demande du temps, et vous avez encore plus raison d’aborder, l’absence et l’incapacité de nous projeter dans le futur, c’est un peu finalement normal et légitime quand une société vie dans une atmosphère « carpe diem » ou le présent, pesant, issue du passé, alimentent certaines inquiétudes, donnant naissance à une remise en question du fonctionnement même de cette société, bousculant du même coup la perspective d’un modèle qui ce veut sans doute être, en fin de vie.

    Un modèle en appel un autre, cela demandera certainement du temps, mais surtout une réelle volonté d’aller de l’avant car nous sommes Tous autant concernés que responsables et je pense que cette difficile période peut effectivement être un mal pour un bien, l’arbitrage de l’écosystème planétaire impose de faire des choix, la dégradation des équilibres, ne demandera pas l’avis aux idées des humains de faire émerger dans le temps, les actions qui s’imposent, est-il urgent d’attendre ? non.

    Après il est certain que la question de cette fameuse, croissance/décroissance, est aussi au coeur du débat, cela parait forcément une évidence, deux idéologies économiques ce confrontant, c’est même peut être très bien, cela pourrait déboucher, en prenant le meilleur de ces 2 là, sur une nouvelle voie, mais dans l’immédiat on en reste encore à conseiller aux citoyens de se rendre éco-responsable, ce qui est une bonne chose en soi, alors qu’avant tout c’est un problème de production industrielle, comme vous le démontrez dans votre livre « Bidoche » et temps que ces derniers n’auront pas compris qu’il faut que eux aussi s’adaptent, rien ne changera.

    Même si je garde espoir pour qu’un changement intervienne rapidement, j’ai bien peur que le facteur temps soit déjà largement dépassé et qu’il précède du fameux temps, de la facture.

    Je dirais en terminant : « tant pis pour ceux qui sont trop « vieux » »

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