Banquer pour ça ? Mettre ses picaillons sur ces comptes-là ? Faire confiance à la BNP-Paribas, à la Société Générale, au Crédit Agricole ? Bien entendu, vous faites ce que vous voulez de votre argent. Mais il me semble préférable de savoir deux ou trois choses qui peuvent faire la différence. L’association écologiste Les Amis de la Terre – s’ils continuent sur cette même route droite, gaffe ! je vais adhérer – vient de publier l’édition 2008/2009 de son guide intitulé « Environnement : comment choisir ma banque ? » (lire ici).
Je vous avoue que je n’avais pas vu passer la première livraison, celle de 2007. Quelle erreur funeste ! Car franchement, ce travail permet de visualiser simplement ce que nous savons tous : le fric est le moteur de la destruction du monde. À ce jeu terrible, trois banques méritent le pompon que leurs décernent les Amis de la Terre. Il s’agit de celles déjà citées plus haut. Mais voyons donc de plus près le travail.
Au risque de vous souffler par ma clairvoyance, je rappelle qu’une banque, c’est un circuit. À Paris ou Chinon, des petits messieurs encravatés, des filles propres sur elles derrière un bureau. Ils tendent les mains et prennent des nôtres des billets, valeur fictive certes, mais agissante ô combien. L’argent récolté file à la vitesse de l’électron à 5 000, 10 000, 15 000 km, où il se reproduira à l’abri du regard. La progéniture, pardon, fait penser à celle de Frankenstein.
Prenons des exemples, ceux évoqués par le document écologiste. Il y en a beaucoup, comme par exemple ce cauchemar documenté depuis des années, connu sous le nom de Grasberg, la plus grande mine d’or au monde. Elle se trouve dans la partie occidentale de la Nouvelle-Guinée, annexée par l’Indonésie, à près de 4 000 m d’altitude. Inutile de détailler plus avant le désastre écologique que l’exploitation entraîne : chaque année, la mine produit autour de 700 000 tonnes de déchets. L’armée veille au grain et à l’occasion tape sur les Papous, seuls vrais habitants des lieux. Ou les tue, selon. Nos trois fleurons de la banque française financent. Joli.
Les Amis de la Terre donnent des détails sur la centrale nucléaire de Belene, en Bulgarie. BNP-Paribas a prêté 250 millions d’euros pour ce projet en 2007. Vieille lubie datant de vingt ans, Belene est basée sur une technologie russe qui pourrait bien se révéler un tantinet dépassée. Et un tremblement de terre s’est produit à 12 km du chantier en 1977. Pas une petite secousse, mais une vraie catastrophe tuant 120 personnes. Alertée, BNP avait promis d’arrêter son concours, puis s’est ravisée. Encore bravo.
En Russie, c’est tout aussi magnifique. Les charmants personnages qui tiennent Moscou veulent exploiter des gisements pétroliers et gaziers géants au large de l’île de Sakhaline, dans la mer d’Okhotsk, Far East du grand pays. D’importantes données ont été purement et simplement truandées, mais qu’importe ? Les ultimes populations de baleines grises occidentales du monde sont menacées de mort au passage ? Bah. La Société Générale a filé un milliard de dollars au gentil Gazprom, né sur les ruines staliniennes, devenu le plus grand exportateur de gaz mondial. La BNP a suivi le mouvement.
Et les autres banques françaises ? Le classement des Amis de la Terre place la Banque Postale, la Banque Populaire, la Caisse d’Épargne et le Crédit Mutuel-CIC dans une zone grise où l’impact négatif des investissements serait de « faible à modéré », malgré la malfaisance évidente de Natixis, filiale de la Caisse d’Épargne et de la Banque populaire. Les seuls à être (justement) félicités sont la Nef et le Crédit Coopératif. Où je ne suis pas.
Pour ce qui me concerne, j’ai longtemps eu un compte à la BNP. Au temps où cette banque était nationale, ce qui ne changeait d’ailleurs rien. Et puis je l’ai quittée, précisément parce qu’elle investissait dans le massacre de la vie sur terre. Et je suis allé à La Poste, pour la raison qu’elle était le havre tout relatif des pauvres et des immigrés. Je n’avais jamais, alors, entendu parler du Crédit coopératif, dont je sais aujourd’hui qu’il est une exception dans l’univers si particulier de la banque (lire ici). Et la Nef, qu’on appelait encore Nouvelle économie fraternelle, avait l’affreuse réputation d’être une secte.
Je vous le dis, je l’ai cru. Sans savoir, sans réfléchir, répandant autour de moi cette rumeur épouvantable. Eh bien, j’avais sacrément tort. Vers 1994, j’ai appris qu’Olivier Mugler cherchait de l’argent. Sans être un ami, Olivier est davantage qu’une relation. Disons un bon copain. Et il s’ennuyait alors, affreusement, tiens, à La Poste. Après avoir fait de sérieuses études d’agronomie. Olivier était et demeure un écologiste concret, pragmatique, et songeait ouvrir une grande surface bio à Paris. Sans avoir le moindre sou, hélas. En 1994, aucun magasin de ce type n’existait dans la région parisienne. Pas un.
Olivier a fait ses comptes et calculé qu’il lui faudrait emprunter 700 000 francs de l’époque. Était-ce beaucoup ? Même alors, non, ce n’était rien. Le projet était sérieux, charpenté, et je crois me souvenir qu’Olivier avait quelques garanties. Et si je me trompe sur des détails, qu’on me pardonne, car l’essentiel est ailleurs. Après avoir fait le tour de la place, et constaté que les banques financent sans problème la mort des baleines, mais pas la nourriture qu’il faut aux humains, Olivier a failli abandonner. Et puis, s’est tourné vers la Nef, qui lui a ouvert son petit porte-monnaie. Canal Bio (quai de la Loire, métro Jaurès) est né en 1995 me semble-t-il, et a aussitôt triomphé. Non pas réussi, mais triomphé. Grâce à cette vilaine secte connue sous le nom de Nef (lire ici).
Moi, je suis toujours à La Poste, que les financiers veulent faire entrer en Bourse vers 2011. Mais à cette date, et depuis des années à coup certain, j’aurai abandonné le navire. À une coque qui prend l’eau de cette manière, on est en droit de préférer un vrai navire prêt à affronter les tempêtes qu’on entrevoit au loin, et qui approchent si vite. Qu’on me pardonne ce pauvre jeu de mots, mais une nef ferait très bien l’affaire.