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Le visage monstrueux de l’industrie chimique

Jean-Pierre Tuquoi (Reporterre)

samedi 11 octobre 2014

Dans Un empoisonnement universel, un voyage érudit et serré qui nous mène des champs de bataille de la guerre de 1914 au siège des Nations Unies, Fabrice Nicolino montre sans ambages la face monstrueuse et dévoreuse de vies de l’industrie chimique. Il en instruit le procès, charges accablantes à l’appui.


Un empoisonnement universel : le titre du dernier livre de Fabrice Nicolino ne fait pas dans la dentelle. Il en rajoute et joue sur la peur du lecteur, pense-t-on avant d’en entamer la lecture. Quatre cent quarante-cinq pages après, le scepticisme n’est plus de mise.Et c’est quelque peu sonné que l’on arrive au terme d’un voyage érudit et serré qui nous a transportés des champs de bataille de la guerre de 1914 à ceux de la guerre irako-iranienne des années 1980, de l’usine de Bhopal, en Inde, à celle d’AZF à Toulouse, du siège de Bayer à celui des Nations-Unies.Un constat accablant

Le constat est accablant : en un siècle l’industrie chimique, devenue une machine infernale n’obéissant qu’à ses intérêts propres, a réussi peu à peu à empoisonner la terre et ceux qui l’habitent.

L’auteur fait la part des choses. Il rappelle avec honnêteté que sans l’invention des engrais azotés la production agricole n’aurait pas atteint les niveaux actuels, que le DDT a sauvé des vies humaines au lendemain de la seconde guerre mondiale…

Mais comment oublier l’autre face de l’industrie chimique, sa face noire, monstrueuse et dévoreuse de vies ? C’est celle-là dont Nicolino instruit le procès. Il est accablant.
Les pièces ne manquent pas.

L’auteur en déroule quelques unes solides, argumentées et difficilement contestables : les pesticides, omniprésents, et responsables – en témoignent « des centaines d’études scientifiques » – de la « dégradation des organismes vivants, dont nous sommes » ; des plastiques et autres résidus de médicaments qui ont envahi la terre et les mers ; des perturbateurs endocriniens dont l’homme s’ingénie par ses inventions à allonger la liste mortelle ; de l’eau naturelle qui ne l’est plus vraiment et est devenue un produit industriel…

Qui est responsable ?

Qui incriminer face à un tel bilan ? Des scientifiques, bien sûr, coupables d’avoir vendu leur âme au diable à l’image de Fritz Haber, un Allemand très nationaliste qui a obtenu en 1918 le prix Nobel de chimie pour ses travaux sur l’ammoniac alors qu’il aurait dû être pendu haut et court pour avoir dirigé les recherches sur les gaz de combat utilisés une première fois à Ypres, en Belgique, ensuite dans beaucoup plus de pays qu’on n’image.

Mais les chimistes ne sont pas seuls. L’entreprise d’empoisonnement général décrite par Fabrice Nicolino est inséparable des groupes industriels qui la mènent. Certes l’IG Farben a été démantelée après guerre, coupable de s’être placée au service de l’appareil militaire nazi, mais ses rejetons sont toujours là (Bayer, BASF, Agfa…) à côté des grands noms de la chimie mondiale, Dow Chemical, DuPont, Rhône-Poulenc (rebaptisée Aventis), le britannique ICI et de quelques autres.

Cette industrie qui brasse des milliards de dollars et déverse chaque année quelques trois cents millions de tonnes de produits divers fait la pluie et le beau temps en toute impunité. Elle inonde le monde de substances chimiques sans véritables garde-fous.

D’ailleurs, personne n’est en mesure d’évaluer le nombre de celles-ci. Le CAS (Chemical Abstrats Service), l’organisme chargé d’en tenir la comptabilité, estime leur nombre (en augmentation continue) à 85 millions, dont plusieurs dizaines de millions disponibles à la commercialisation.

La puissance des industriels face au politique

En bon enquêteur, Fabrice Nicolino met en parallèle ce dernier chiffre et celui des trente mille substances chimiques dont l’enregistrement a été – on ne peut plus laborieusement – rendu obligatoire par les autorités européennes au nom de la protection des populations. Ce fut le règlement REACH.

Trente mille face à des dizaines de millions : le ratio témoigne de la puissance écrasante des industriels face au politique. Comment résister à des firmes qui connaissent toutes les ficelles de la communication et du lobbying à New-York comme à Bruxelles, capables d’acheter et d’enrôler dans leur combat douteux des armées de scientifiques réputés intègres et des responsables politiques attachés, prétendent-ils, au bien commun ?

Comment s’opposer à des groupes de pression ayant leur entrée dans toutes les capitales ? Comment faire reculer une industrie à l’habileté diabolique lorsqu’il s’agit d’épouser l’air du temps et de se peindre en vert ?

Les premiers effets de notre empoisonnement ?

En dépit de toutes les catastrophes passées, l’opinion publique ne se montre pas bien sévère à l’égard de l’industrie chimique. Elle l’est moins qu’avec le nucléaire. Cette indulgence a-t-elle à voir avec l’augmentation continue de l’espérance de vie dans le monde dont le lobby de la chimie s’approprie pour partie la paternité ? Probablement.

Pourtant, observe Fabrice Nicolino, le tableau n’est pas aussi rose qu’il y parait. Si l’on prend en compte l’espérance de vie en bonne santé (ou sans incapacité, selon la terminologie de Bruxelles) force est de constater que la courbe est orientée à la baisse.

« Si la baisse est pour l’heure limitée, le signal est net », note Fabrice Nicolino. Les premiers effets de notre empoisonnement ?


Un empoisonnement universel. Comment les produits chimiques ont envahi la planète, de Fabrice Nicolino, Ed. LLL. Les liens qui libèrent, 444 pages, 23 euros.


Source : Jean-Pierre Tuquoi pour Reporterre


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Bronner au si joli temps du choléra

Je dois dire que j’en ai bien ri, avant d’éprouver des sentiments très divers, dont l’ahurissement est l’un des moindres. Il se trouve que le personnage principal de l’histoire racontée plus bas par le journaliste du Monde Stéphane Foucart était opposé – c’est le mot juste – à moi dans une récente émission de France Inter (http://www.franceinter.fr/emission-service-public-le-principe-de-precaution-peut-il-etre-pris-avec-precaution). Gerald Bronner est sociologue. J’imagine qu’il a lu tous les livres sur le phénomène de la rumeur, et le rôle décisif du « désir de croire » dans la propagation des fausses nouvelles. Mais lisez donc ce texte de Foucart, qui vient de sortir.

Le chlore au temps du choléra

Un survivant du tremblement de terre boit de l'eau d'un puits à Port-au-Prince, le 30 octobre 2010.

Les écologistes ont encore frappé. Leur dangereux « précautionnisme » fait de terribles ravages, jusque dans la manière dont les autorités gèrent des crises sanitaires graves, comme l’épidémie de choléra qui a frappé Haïti fin 2010. Dans l’île caribéenne, déjà meurtrie par le séisme de l’été précédent, on aurait, semble-t-il, laissé des Haïtiens mourir en masse pour cause d’aversion irrationnelle pour les « produits chimiques ». Voilà ce que l’on peut déduire de l’anecdote rapportée par le sociologue Gérald Bronner (université Paris-Diderot), dans un entretien accordé à L’Opinion et publié fin septembre : les autorités chargées de la gestion du choléra en Haïti auraient retardé l’utilisation d’un désinfectant aussi banal que l’eau de Javel pour préserver, au péril des populations, la rivière charriant l’agent pathogène – le vibrion cholérique.

L’histoire, brièvement rapportée dans le quotidien libéral, est consignée dans le dernier livre de M. Bronner (La Planète des hommes. Réenchanter le risque, PUF, 156 p., 13 euros), l’un des plus fervents et médiatiques pourfendeurs du mouvement environnementaliste et du principe de précaution. « Parmi les forces de l’ONU venues prêter main-forte [après le séisme], il se trouvait des Népalais, écrit le sociologue. Le choléra n’existe pas en Haïti, en revanche il perdure au Népal. Certains des habitants de ce pays sont des porteurs sains, et il s’en trouvait parmi les troupes qui apportaient leur aide. Bientôt les eaux courantes furent contaminées, et les premiers cas mortels apparurent. »

C’est ensuite que les choses se gâtent. « Il y avait une solution simple pour éviter l’hécatombe : traiter les eaux avec de l’eau de Javel, poursuit l’auteur. C’était sans compter la ronde des atermoiements précautionnistes. Fallait-il le faire, compte tenu de la mauvaise réputation de l’eau de Javel ? Cette hypothèse fut évoquée, des comités se réunirent pour délibérer sur les dangers supposés de cette utilisation… En l’occurrence, il fallut attendre 5 000 morts et un article de la revue Science qui tirait la sonnette d’alarme, pour qu’on en revienne à des considérations sensées. On purifia les eaux avec de l’eau de Javel et l’épidémie s’interrompit. »

UNE COMPLÈTE AFFABULATION

L’accusation est d’une gravité inouïe et justifierait amplement des poursuites pénales contre les membres de ces « comités ». D’ailleurs, ces fameux cénacles émanaient-ils des autorités locales ? De l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ? Et quel est cet article de Science, qui parvint à éteindre cette folie ? L’histoire ne le dit pas. Et elle ne le dira jamais, car elle est une complète affabulation.

Certes, l’épidémie est bel et bien partie d’un camp de casques bleus népalais, après la vidange de leurs latrines dans l’Artibonite, le fleuve qui traverse l’île. Mais rien n’étaye le scénario d’un atermoiement criminel dans l’utilisation de produits chlorés pour juguler l’épidémie. Sollicitée par Le Monde, la meilleure source possible sur le sujet – l’équipe d’épidémiologistes qui a identifié l’origine de la contamination – confirme le caractère fantasmagorique de l’édifiante histoire.

De plus, les documents de l’OMS et de l’Unicef montrent que l’une des mesures mises en œuvre dès le départ de l’épidémie a précisément été l’utilisation et la distribution de divers produits chlorés. Nul atermoiement, nul « précautionnisme mortifère », selon l’expression de M. Bronner. Interrogé, le sociologue reconnaît l’erreur et, beau joueur, remercie Le Monde de l’avoir portée à sa connaissance.

Quant à sa source… Il s’agit, dit-il, du chimiste Bernard Meunier, vice-président de l’Académie des sciences. De fait, on retrouve cette fable en avril 2013, sous sa signature, dans la revue de l’Association française pour l’information scientifique (AFIS). Avec, en prime, quelques détails croustillants. « Principe de précaution oblige, de nombreux responsables, entourés de bouteilles d’eau importées, ont voulu protéger les populations haïtiennes (…) des dangers de l’eau de Javel et des produits chlorés », écrit-il. Les Khmers verts sirotaient donc leur eau minérale, pendant que périssaient des milliers d’Haïtiens…

Contacté par Le Monde, M. Meunier n’a pu produire aucune source étayant ces affirmations. Mais, bardée de la caution du grand chimiste, l’histoire a surgi dans Valeurs actuelles, Le Figaro, sur des sites Web tenus par la filière des pesticides, et… le dernier livre de Gérald Bronner.

«LE BIAIS DE CONFIRMATION»

L’histoire pourrait ne valoir qu’un haussement d’épaules ou un rectificatif. Elle mérite, au contraire, toute notre attention. Car elle illustre la force du « biais de confirmation » – cette tendance à croire sélectivement tout ce qui confirme nos convictions et nos préjugés – dont sont fréquemment victimes des personnalités du monde académique, dès qu’il s’agit d’environnement. De telles légendes, qui faussent et empoisonnent les débats sur la place de l’homme dans la nature, se forgent souvent dans le chaudron de la blogosphère, circulent sur la Toile, et il suffit qu’une autorité scientifique les reprenne à son compte pour qu’elles deviennent une forme de vérité. Sur le climat, sur les liens entre santé et environnement, sur l’agriculture, des fables de cette sorte sont légion, parfois mobilisées dans les plus hauts lieux de savoir.

Nul n’est à l’abri. Pour s’en convaincre, il suffit de se souvenir que Gérald Bronner lui-même avait fait du « biais de confirmation » l’un des sujets de son précédent ouvrage (La Démocratie des crédules, PUF, 2013), qui décortiquait et moquait la crédulité des foules et des médias devant l’offre informationnelle pléthorique du Net. Mais il n’est, après tout, pas interdit à un sociologue de devenir son propre sujet d’étude.

 Stéphane Foucart
Journaliste au Monde

Encore quelques rendez-vous médiatiques

La suite des aventures de mon livre, Un empoisonnement universel (comment les produits chimiques ont envahi la planète), paru aux éditions Les liens qui libèrent (LLL)

Je suis passé ce matin sur RMC, interrogé par Jean-Jacques Bourdin  : c.bfmtv.com/emission/pollution-chimique-en-france-les-cas-de-cancers-annuels-ont-augmente-de-110-percent-en-30-ans-838457.html

Stéphane Foucart, du journal Le Monde, a publié  la critique qui suit : critique-foucart.pdf

Un entretien dans le quotidien Sud-Ouest :  http://www.sudouest.fr/2014/09/28/l-esperance-de-vie-une-mythologie-nationale-1685782-706.php

chimie1.pdf

chimie2.pdf

Sur TV5 :  https://www.youtube.com/watch?v=erlTnH_Pl0o&feature=youtu.be

Sur France-Inter, une troisième émission, après CO2 mon amour et La tête au carré : http://www.franceinter.fr/emission-service-public-le-principe-de-precaution-peut-il-etre-pris-avec-precaution

Pour ceux qui pourraient lire la revue Nature et Progrès (http://www.natureetprogres.org/revue_nature_progres/revue_nature_et_progres.html), une critique de Nelly Pégeault, qui m’a rempli de joie.

Ces si braves gens d’Alerte Environnement

Donc, ainsi que je vous en rebats les oreilles et les yeux, je viens de publier Un empoisonnement universel (comment les produits chimiques ont envahi la planète), aux éditions Les liens qui libèrent (LLL). Le livre n’est qu’une vaste mise en accusation de l’industrie chimique, qu’aucune autorité n’est plus en mesure de seulement contrôler. Ivre d’elle-même, tourneboulée par sa toute-puissance, elle « invente » entre 20 000 et 30 000 substances nouvelles chaque jour. Chaque.

Mon livre est tout de même embêtant, car il est sérieux, documenté, et j’ose l’écrire, à peu près indiscutable. D’où la stratégie suivie vaillamment par l’industrie chimique, qui n’est pas née de la dernière pluie. C’est celle de l’étouffement. Ne rien dire, ne surtout rien dire qui pourrait amener de nouveaux lecteurs vers mon travail. Je me suis laissé dire – mais je dois reconnaître qu’une source unique n’est pas suffisante – que le silence était coordonné, organisé, conscient. Et j’ajouterai : lucide. Car en effet, dans cette histoire, il n’y a que des coups à prendre. Dans diverses virées médiatiques, ces derniers jours, j’ai dit ce que je pense sérieusement : pourquoi pas un débat entre le prix Nobel de chimie Jean-Marie Lehn, et moi ? J’en serais ravi, et l’on verrait bien ce qu’il y a à voir et à comprendre. M.Lehn, quand vous voulez.

Autre dimension, anecdotique à la vérité, mais plaisante. Un groupe d’amis fervents de l’industrie chimique – ceux d’Alerte Environnement – est épinglé dans mon livre, sous la forme simple d’un encadré, car ces amis-là ne méritent pas davantage. Ils disposent d’un site internet qui serait – conditionnel de rigueur – fréquenté : http://alerte-environnement.fr/. Qui sont-ils ? Vous lirez plus bas – cadeau – les quelques pages que je leur consacre dans mon livre, ainsi que le chapitre que René Monzat leur a accordé dans son livre Enquêtes sur la droite extrême. Je crois que vous en conviendrez, cela vaut la peine de savoir. Très présents dans nombre de structures, ils conduisent des personnes aussi estimables que Stéphane Lhomme, de l’Observatoire du nucléaire, à dialoguer sans cesse, via des listes de discussions sur le net, avec un Emmanuel Grenier, lui assurant ainsi, à terme, une légitimité à laquelle il n’a évidemment aucun droit.

Pour l’heure, ces excellentes personnes larouchistes se taisent, en accord avec leurs soutiens les plus chers de l’industrie chimique. On verra demain. On verra s’ils parlent de mon livre ou pas. Dans les deux cas, ce sera instructif. D’ordinaire, ils dégainent plus vite que leur ombre. Un dernier mot : j’ai toujours besoin de vous. Le bouche-à-oreille peut changer le destin d’un livre. Si vous me faites l’honneur d’en parler autour de vous, il y a toutes chances pour qu’un succès se transforme en triomphe. À l’avance, merci, et souvenez-vous qu’un mot peut faire basculer un être.

En attendant, l’encadré sur Alerte Environnement paru dans mon livre, suivi du chapitre que consacre Monzat aux larouchistes en 1992. À vous lire, chers amis.

DANS MON LIVRE :

Ces étranges amis de Jacques Cheminade

Il peut sembler exagéré d’aborder ce dossier, mais le petit groupe des larouchistes français joue un rôle important, bien que discret, dans la défense et illustration de l’industrie chimique mondiale. On ne parle d’eux qu’à vois basse, on craint leurs réactions, on suppute leurs moyens, qui semblent grands en effet. Mais qui sont-ils ?

L’industrie peut compter en France sur un singulier lobby, sorte de glu qui porte plusieurs noms, ce n’est pas simple à décrire. Le labyrinthe est volontaire, et disons qu’il faut bien tenir en main un fil d’Ariane. On commencera par deux sites internet, très lus, y compris par des naïfs, qui paraissent n’y voir que du feu. Par ordre d’apparition, Alerte Environnement et Agriculture et Environnement.

Le jeudi 5 avril 2007, un billet prévient de la naissance d’un « tout nouveau blog, Alerte Environnement ». Nous sommes sur le site « La Recherche du bonheur », tenu par Emmanuel Grenier, l’un des personnages principaux de cette sulfureuse histoire. Grenier feint l’heureuse surprise, notant : « Tenu par une journaliste indépendante, Gwen Le Gac, ce blog expose avec un certain courage et beaucoup de pertinence les mensonges écolos du moment ». La fable précise que la « journaliste indépendante » se serait entourée d’agriculteurs de terrain. On trouve sur ce site des attaques ad hominem innombrables, qui n’ont qu’un seul but : disqualifier et au moins rendre suspects les écologistes combatifs, les scientifiques critiques, en particulier ceux qui s’attaquent aux intérêts de l’industrie chimique.

Les Larouchistes d’Alerte Environnement
Cicolella serait ainsi un grand « manipulateur ». Jean-Paul Jaud, auteur d’un documentaire choc sur les pesticides – « Nos enfants nous accuseront » – serait un « fanatique », et son film de « propagande ». François Veillerette a droit à des dizaines d’articles aux limites du délire, mettant en cause son intégrité, son intelligence, ses « mensonges ». Nadine Lauverjat n’est pas épargnée, de même que Marie-Monique Robin, Gilles-Éric Séralini, Corinne Lepage, Christian Vélot, Philippe Desbrosses, Dominique Belpomme, tant d’autres, dont l’auteur de ce livre. Les « enquêtes », souvent longues et remplies de détails, peuvent faire penser à un travail policier, aussi imprécis et trompeur que le sont de nombreuses fiches conservées dans les ordinateurs du ministère de l’Intérieur.

Impossible de savoir qui travaille à coup sûr pour Alerte Environnement, mais il s’agit d’un réseau. Sur le deuxième site, Agriculture et Environnement,
le leitmotiv est voisin : défense véhémente, militante, outrée des pesticides, des OGM, du « progrès technologique », attaques en piqué contre tout ce qui critique la chimie industrielle. Dans ce contexte, et comme sur Alerte Environnement, le DDT, interdit en France depuis 1972, est l’objet d’une réhabilitation constante.

Pour comprendre, il faut remonter à une structure apparue au début des années 70. L’essayiste René Monzat y a consacré un chapitre dans un livre publié en 1992 (Enquêtes sur la droite extrême, le Monde éditions). En voici le début : « Le Parti ouvrier européen, POE, est apparu, entre 1974 et 1975, simultanément dans une dizaine de pays européens, éditant en autant de langues des journaux techniquement soignés, maquettés de façon identique. La ligne ? Extrême-gauche : “Nous ferons ce que Karl Marx, Rosa Luxembourg et Lénine auraient fait aujourd’hui”. Les militants du POE distribuent leurs tracts durant les manifestations syndicales, du part communiste et de l’extrême-gauche ». On notera que ce POE-là évoque les bienfaits de la fusion thermonucléaire, nullement incompatible, il est vrai, avec le soutien aux vieux staliniens.

Olof Palme était-il un « archidémon » ?
Brutalement et sans explication, le POE évolue vers la droite. Une droite folklorique, qui prend position, à nouveau, pour la fusion thermonucléaire et la « guerre des étoiles », programme d’armement spatial défendu par le président américain nouvellement élu – à la fin 1980 -, Ronald Reagan. Le délire n’est pas loin. Aldo Moro, le chef politique italien tué par les Brigades rouges, est un agent de Rockefeller, Kissinger prépare un coup d’État communiste, le Premier ministre suédois Olof Palme – qui finira assassiné – est « un archidémon », Michel Foucault, la direction du quotidien Libération, André Gorz sont des agents de la CIA.

Monzat, s’appuyant sur des sources solides – il n’a d’ailleurs pas été poursuivi -, pense que les zigzags ont un sens. Le POE serait proche des services de renseignements militaires américains, en guerre permanente contre la CIA, organisme civil. Tout viendrait d’une personnalité hors-normes, bien connue aux Etats-Unis, Lyndon LaRouche. En France, les larouchistes, sont réunis de longue date autour de Jacques Cheminade – qui se présentera aux élections présidentielles de 1995 et 2012 -, et forment une nébuleuse qui ne cesse d’effacer ses traces. Dans les années 80 et 90, les larouchistes français ont dirigé à Paris l’Institut Schiller et les éditions Alcuin, publiant des livres très anti-écologistes, dont l’un sur la couche d’ozone (Ozone, un trou pour rien, 1992).
La revue Fusion attire davantage le regard, car elle sera publiée pendant près d’un quart de siècle, entre 1982 et 2006. On ne s’étonnera pas de son obsession pour la fusion thermonucléaire, l’un des rares points fixes de cette histoire mouvante. Ouvrons le premier numéro disponible, soit le 47. Le rédacteur-en-chef n’est autre qu’Emmanuel Grenier, celui qui prétendait découvrir en 2007 l’existence du blog « Alerte Environnement ». Pendant 24 années, cette revue sera portée à bout de bras par quatre personnes : Jacques Cheminade, Emmanuel Grenier, Gil Rivière-Weckstein ; et aux Etats-Unis Lyndon LaRouche, leur maître.

Les étonnantes amitiés de la revue Fusion
De quoi parle Fusion ? De l’intérêt des phosphates, des bienfaits des nitrates, de l’inexistence d’un réchauffement climatique provoqué par les activités humaines. Mais c’est dans le nucléaire que Fusion s’est le mieux illustré. Dans un éditorial du numéro 67 (septembre octobre 1997), Grenier écrit : « Le nucléaire n’est donc pas un “mal nécessaire”, comme le pensent la majorité des Français qui y sont favorables. C’est un “bien indispensable”, qui marque une étape de l’histoire de l’humanité ».  Dans le numéro 65, on trouve une tribune « libre » d’un certain André Maïsseu, ingénieur à la Cogema (Compagnie générale des matières atomiques) – ancien nom d’Areva -, fondateur du « syndicat » Wonuc, ou  Conseil Mondial des Travailleurs du Nucléaire.
Dans le numéro 72 (1998), l’ancien responsable du CEA Jacques Pradel, ancien président de la Société Française de Radioprotection, évoque la radioactivité naturelle, bien plus élevée dans les profondeurs de la terre que dans les quelques centrales en surface. Dans ce même numéro, deux ingénieurs de premier plan de Framatome – fondu dans Areva – envisagent la fabrication d’un nouveau réacteur, qui pourrait incinérer le plutonium militaire russe. Dans le numéro 74  (1999), le chef du département « Fusion contrôlée » au CEA, Jérôme Pamela, fait le point sur le projet stratégique Iter. Du pain bénit pour les larouchistes, qui tiennent l’opération pour un chef-d’œuvre.

La fine fleur de la nucléocratie française n’aura cessé d’intervenir dans un journal créé par Jacques Cheminade, sans qu’aucune explication ait jamais été demandée. On notera les mots d’Emmanuel Grenier au moment de l’arrêt de sa revue : « S’il serait exagéré de dire que « Lauvergeon m’a tuer », pour reprendre une inscription célèbre, il est certain que les bonnes relations que Fusion entretenait avec Framatome ont immédiatement cessé lorsque Mme Lauvergeon a pris en main AREVA, réunissant en ses mains tous les pouvoirs en matière de communication ». Rappelons qu’Anne Lauvergeon, ancienne « sherpa » de François Mitterrand, a été nommée à la tête d’Areva en 1999.

Emmanuel Grenier est sur tous les fronts
Que sont-ils devenus ? Bien que dissimulant leur passé, les larouchistes sont toujours en activité. Emmanuel Grenier est de tous les forums sur internet, où il ferraille par exemple avec le créateur de l’Observatoire du nucléaire Stéphane Lhomme, ce qui lui donne, année après année, une légitimité accrue. Il se présente de la sorte : « Je suis journaliste scientifique, spécialisé en santé, environnement et énergie. De formation initiale ingénieur électronicien j’ai passé dix ans dans une ONG internationale l’Institut Schiller [la place-forte larouchiste précitée NDA] où je suis devenu journaliste. J’ai été ensuite pendant dix ans le rédacteur en chef de la revue scientifique Fusion. (…) En 2003, j’ai animé le débat organisé par l’Académie de médecine dans le cadre du grand débat national sur l’énergie ».

Un débat, organisé par l’Académie de médecine ? Cela n’a rien d’anecdotique, car Grenier a réussi d’autres beaux coups de même espèce, sans jamais évoquer Cheminade ou LaRouche. Il a été ainsi l’une des chevilles ouvrières de l’« Institut de l’Environnement », créé en 1999 pour réhabiliter les nitrates. À l’initiative d’amis de la nature comme le Pôle européen de plasturgie ou des fleurons de l’agro-industrie bretonne, comme Doux, Gourvennec ou Bernard Salaison. Cet « Institut » a même organisé au Sénat un colloque – les 13 et 14 novembre 2000 – placé sous le parrainage du ministère de l’Éducation. On trouve dans les Actes la signature de sénateurs, du cancérologue Maurice Tubiana et du cardiologue Christian Cabrol, de quelques scientifiques actifs dans le lourd dossier de l’amiante. Tous sont de grands contempteurs de l’écologie. Parmi les contributeurs, Emmanuel Grenier, qui signe une intervention mêlant dans un vaste fouillis l’interdiction du DDT, le plomb, la couche d’ozone, l’arrêt de Superphénix.

Emmanuel Grenier n’a rien d’un proscrit : il est depuis des années le trésorier d’une association ayant pignon sur rue, l’Association des journalistes de l’Environnement (AJE). Et il est surtout, cela n’étonnera pas, un pilier du site « Alerte Environnement », tout comme son vieil ami Gil Rivière-Weckstein dirige le site jumeau Agriculture et Environnement.

À l’abri des associations de journalistes
Ainsi que Grenier, Rivière-Weckstein omet de parler de son appartenance larouchiste. On peut comprendre. Sur le site d’ « Agriculture et Environnement », la vie de Rivière-Weckstein est vaporeuse à souhait, passant du Danemark à la France et d’articles sans objet à des recherches imprécises. Sa grande réussite est de faire croire qu’il est l’auteur sérieux de deux livres, l’un en défense des pesticides tueurs d’abeilles et le second contre l’agriculture bio. Il n’est en tout cas plus un marginal et son implication dans l’Association française des journalistes agricoles (AFJA) le rend même fréquentable.

Certains ne s’en laissent pas conter aussi facilement. Pour le biologiste Jacques Testart, Rivière-Weckstein est « un lobbyiste authentique rémunéré par l’industrie pour contre-attaquer systématiquement toute critique de l’agriculture productiviste ». De son côté, la sénatrice Marie Blandin, qui en vu d’autres, écrit : « Sur tous les thèmes, [Agriculture et Environnement] attaque violemment ceux qui mettent en doute l’agriculture intensive et évoquent le réchauffement climatique. On y trouve des calomnies, des diffamations sur le professeur Belpomme, Greenpeace, Nicolas Hulot, le WWF ou l’association Kokopelli. Souvent des attaques sordides ».
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Le chapitre du livre de Monzat, qui date de 1992 :