La montagne a-t-elle le droit ?

Raymond Faure m’envoie la copie d’un texte du juge Gérard Charollois, qui signe souvent du beau pseudonyme Gérard Condorcet (www.ecologie-radicale.org). Charollois-Condorcet y affirme sans détour : « la montagne a des droits ». Vous lirez, ou non, son texte. Il m’amène en tout cas à penser à cette question fondamentale : qui peut se prévaloir, dans notre monde, d’une vraie protection par le droit ?

Il y a une quinzaine d’années, j’ai essuyé dans les locaux du Canard Enchaîné un coup de vent dont je me souviens encore. Je discutais avec l’un des rédacteurs, et il me racontait une histoire pour lui inconcevable : quelqu’un – je ne sais plus qui – osait défendre le droit des arbres. Il riait si fort de cette imbécillité – à ses yeux – que d’autres journalistes du Canard nous rejoignirent. Et tous commencèrent à rire aussi fort, heureux de pouvoir tomber d’accord sur une telle évidence. Je crois que l’un d’entre eux a dit : « Et pourquoi pas le droit des pierres ? ». J’étais on ne peut plus seul, mais j’ai tout de même relevé le gant. Et me suis fait assommer de quolibets.

Faites l’expérience autour de vous. L’écologie, d’accord, passe encore. Car dans l’esprit commun, il s’agit de changer la moquette dans le salon. Mais la mise en cause de la prééminence absolue de l’homme, jamais ! Pourtant, à l’évidence, le cadre mental est en train de céder. C’est flagrant à propos des animaux (fabrice-nicolino.com). Le propre de l’homme, ce qui le distinguait définitivement de l’autre radical, animal, (re)devient une question.

Nous savons depuis très peu que les sociétés animales connaissent elles aussi la culture, la coopération, la guerre, l’amour. C’est un choc anthropologique tel qu’il faudra un temps long pour qu’il diffuse dans la société entière. Mais le mouvement est lancé, et sa route, même chaotique, est tracée. Nous étions simplement aveugles. Et barbares. Puisque les animaux étaient des machines, nous pouvions les user, les casser, les jeter. Nous ne nous en sommes pas privés, allant jusqu’à menacer de mort nos plus proches cousins, les grands singes.

Quelle folie, vraiment ! Nos sociétés, qui ne parlent que de connaissance, d’intelligence, de connection, se privent au passage de la possibilité de mieux comprendre d’où nous venons, et où nous allons. Mais je le répète : au passage. Car je propose d’aller bien plus loin, et de proclamer le droit des animaux, des plantes, des éléments naturels, dont la montagne, sans qu’ils continuent être corrélés à nos besoins et demandes.

Certes, nous n’y sommes pas. Beaucoup de ceux qui réclament davantage de respect pour la vie et ses formes se sentent obligés d’ajouter un couplet sur l’homme. Il faudrait sauver les forêts parce qu’elles contiennent une pharmacopée stupéfiante. Il faudrait limiter la surpêche, car bientôt les pêcheurs ne pourront plus rien prendre, etc.

Ne croyez pas que je sois indifférent à cette dimension. Je suis plus que sensible à la souffrance des humains, et je serai toujours du côté de ceux qui réclament justice. Mais je vois comme vous à quel point nos pensées sont courtes, dérisoires, égoïstes. Ce qui domine notre temps, évidemment, c’est notre ignorance globale. La vie demeure un mystère complet.

Est-ce si grave ? Oui, parce que l’aventure humaine est en train de transformer ce mystère en un cauchemar planétaire. Comme nous ne comprenons rien, nous nous autorisons tout. Je crois plus sage de commencer à réfléchir ensemble à un droit totalement inédit, à la hauteur enfin des événements réels. Ce droit ne pourra, selon moi, que s’appliquer à toute forme existant sur cette terre, fût-elle minérale. Et devra permettre, enfin, de vrais combats judiciaires où l’on pourra dire le crime. Ce crime majeur, ce crime contre la vie de tous, ce crime contre lequel rien n’est encore possible.

Une révolution ? Oui, bien sûr. Ne croyez pas qu’elle soit impossible. En 1221, dans ce Moyen Âge que tant jugent ténébreux, un avocat a défendu devant le tribunal épiscopal de Genève le droit des anguilles du lac Léman. Accusées de quantité de méfaits, elles furent acquittées et leur droit sur une partie du lac dûment reconnu. Eh oui !

Plus près de nous, combien de temps aura-t-il fallu pour reconnaître aux Noirs, aux Indiens des Amériques, aux femmes même, le droit à une personnalité juridique ? Et que je sache, les enfants, les nouveaux-nés, les trisomiques, les archi-vieillards perdus dans la brume profonde d’Alzheimer ont heureusement les mêmes droits fondamentaux que vous et moi.

La bataille en faveur de la vie, pour tous et partout, ne fait que commencer, et elle sera rude. Vous en serez ?

33 réflexions sur « La montagne a-t-elle le droit ? »

  1. présente bien-sûr ! les nouveaux-nés, les vieillards et les trisomiques ont les mêmes droits , oui…en théorie . Parce que malheureusement dans la vie courante, ça reste encore à prouver ! Nous vivons dans un monde où ce qui n’est pas considéré comme rentable est inutile , pour connaitre de près les difficultés des personnes agées, des handicapés, mais aussi des enfants habitués à suivre les parents au pas de course dans les magasins, et nourris au blédina jusqu’à leurs trois ans pour soulager des femmes et des hommes bien malheureux d’être parents ! A chaque naissance d’un de mes enfants, il s’est toujours trouver une bonne âme pour me conseiller d’avorter pour mon bien-être personnel, alors que j’annonçais ma joie !
    mais assez d’humanisme, je rejoins complètement cette pensée amérindienne : les rochers sont les os de la terre, les arbres en sont les veines dans lesquelles coule son sang, et le vent en est le souffle . Et je puis vous garantir que les arbres parlent .

  2. Suite du précédent, pardon pour la rature!
    L’être humain est un animal, omnivore:
    sans les protéines animales, notre cerveau ne se serait jamais développé et nous ramperions toujours…c’est donc une abberation idéologique; respectons la vie, la nature, nos origines, soyons annimistes à la manière des vieux chamans(lisez Dersou Ouzala, une merveille): respectons la vie et la nature en perturbant le moins possible le cours des choses.Le merveilleux de la vie, c’est cette recherche perpetuelle d’un équilibre précaire.

  3. Ben c’est pas gagné, cette révolution !
    Va falloir commencer par éduquer Isabelle Giordano…
    (je fais allusion au commentaire que j’ai laissé sur l’article de Fabrice du 21 Janvier : « Pêchez-les tous… ).

  4. Ces droits des autres règnes existent en quelque sorte chez des peuples « indigènes » – vous corrigerez le terme par vous-mêmes – (animisme, esprits, etc.).

    Ce sont des limitations qui les ont empêchés de faire des ravages comme nous mêmes l’avons fait.
    Castoriadis disait : « nous vivons une époque d’illimitation dans tous les domaines ».

  5. Bon, et alors, ils ont changé au Canard Enchaîné ou il pensent toujours pareil ??
    je ressens la nature comme vous Fabrice, bien sûr que j’en serai !
    Il y a du boulot pour que certains retrouvent ces sensations , voilà ce que j’ai vu hier soir : alors que j’attendais mes enfants à l’arrêt du bus scolaire : plein de mamans dans des voitures faisaient des créneaux compliqués pour se garer devant chez le boulanger(alors qu’il y a un parking de l’autre côté de la rue), elles envoyaient leurs enfants chercher le pain,tout en laissant leur moteur tourner.Il y en a même une qui a fait un saut de 30 mètres avec son auto pour se garer à nouveau , et à envoyé son enfant chercher ses clopes.
    Ceci dans une commune de 3600 habitants.
    il me tarde que l’essence soit inabordable pour les voir marcher un peu…..vous croyez qu’elles savent encore ?!

  6. Pour Marie Line,

    Bonjour,

    même si on arrive à un prix de 2€ par litre il y aura toujours ce genre de comportement malheureusement. On déplore tous les jours des comportements de ce style.
    Je vais régulièrement en Suède, je suis admiratif, les villes sont propres, la nature est préservée.
    Lorsqu’un arbre est coupé, ils en replantent 2….

    Bref plein de signes montrant que la France est complétement dépassée.

  7. Je trouve étonnant que vous ayez choisi si fermement le « côté de la vie » et que vous mangiez de la viande et/ou du poisson. Moi qui culpabilise toujours un peu lorsque je mange des produits laitiers (je ne pourrai pas me passer de fromage) mais qui ai banni toute chair animale de mon alimentation, je pensais que quelqu’un comme vous aurait fait de même…

    Juste un peu étonné… surtout qu’on vit très très bien sans viande.

  8. Nous serons, nous sommes,tous là pour Restaurer la vie sur terre, défendre les droits de la vie minérale, végétale et animale dans tous ces recoins. Rien n’est anodin. Chaque jour est capital.
    Entendu ce matin les auteurs d’un livre « la belle histoire des langues », parler non seulement du langage humain, mais aussi du langage animal, et du ridicule des hommes à croire à se penser en haut de la pyramide de la complexité de la communication…

  9. @ Valérie, merci pour tes références toujours très enrichissantes .
    @Sandro minimo, personnellement j’ai essayé d’être végétarienne, car j’ai une vive affection pour les animaux, malheureusement je ne synthétise pas le fer , résultat : une big one anémie , ajouté à un déreglement thyroïdien, ça n’a pas été top ! Par ailleurs, il est déconseillé pour les enfants d’être végétariens à 100% à cause de vitamines nécessaires à la croissance présentes uniquement dans des produits animaliers . J’en ai conclu que nous sommes omnivores . je suis donc carnivore occasionellement , en prenant soin de consommer des animaux élevés en plein air dans un environnement entièrement bio (ce qui change complétement leurs qualités de vie). Respecter la nature, c’est aussi respecter la sienne . Le loup, le chien sont carnivores..mais si on peut être végétariens, ce qui est le cas d’amis, bien .

  10. C’est clair que si le végétarisme vous cause des problèmes de santé, il n’y a pas de discussion. Et puis de toute façon le problème est surtout la surconsommation de viande, les gens qui mangent de la viande tous les jours. C’est totalement inutile et malsain.

    Mais j’avoue être toujours assez étonné que quelqu’un d’aussi radical comme Fabrice Nicolino n’ait pas fait ce choix. Aujourd’hui la consommation de viande est responsable de bien plus de défrichage et de gaspillage que les biocarburants, même si la viande finit dans nos ventres et non dans nos moteurs, ce qui est plus légitime. Mais tout de même.

    Un nouveau post sur mon blog aujourd’hui au sujet de la crise économique mondiale:

    L’économie mondialisée doit détruire la planète
    http://sandrominimo.blog.tdg.ch/

  11. @ sandrominimo : interessant votre blog . sur la consommation de viande vous avez parfaitement raison . le tout est d’être dans une juste mesure .

  12. Je crois que nous sommes omnivores et que nous avons besoin de viande. L’approche est peut etre de dire qu’il faut tuer et preparer soi meme l’animal pour acquerir le droit de le manger. Je vous promet que la vision que l’on a de la viande en devient différente 🙂
    Pour le droit des arbres et des pierres peut etre qu’il sera possible lorsque l’humanité prenant conscience de sa puissance, abandonnera sa brutalité

  13. Je viens de regarder un DVD : film que je n’avais pas vu, j’en avais un peu peur. Mais ce que j’ai vu est mille fois pire que ce que j’imaginais… je ne sais pas si quelque chose a changé depuis le film, mais on se demande où est l’espoir que le capitalisme se raisonne en effet. c’est allé bien trop loin et je désespère des hommes. le poisson, la viande, l’agro-alimentaire… sont des armes de destruction massives.

  14. Quel DVD? Pirate des Caraïbes II?

    @Bebert le vert : Non, c’est une fausse idée de penser que nous avons tous BESOIN de viande. On s’en passe très bien. Moi je n’en mange plus depuis 8 ans, et je suis en parfaite santé.

  15. euh, pardon! Il s’agit du Cauchemar de darwin?
    Au passage, je viens d’aller voir votre blog, ça boxe par là aussi 😉

  16. Intéressante réflexion.
    Tiens ça me fait penser que l’on a appris récemment que les OGM tuaient les vers de terre. –  » Les vers de terre, on s’en fout » nous expliquait à la télévision un producteur d’OGM tellement déçu par la suspension de la culture de maïs BT qu’il menaçait d’en importer d’Italie au mépris de la loi, de ses voisins immédiats et de la santé de ses concitoyens.
    Erreur, grave erreur, ami du profit à court terme et de l’agriculture scélérate, le ver de terre est indispensable à ta survie et à celle de nombreux d’autres êtres vivants sur cette planète : Le tube digestif du vers de terre est muni d’un organe spécial liant entre elles les micelles de matière organique aux micelles d’argiles, format ainsi cette merveille naturelle nommée « complexe argilo humique » que les plantes apprécient tant.
    D’un point de vue chimique, ces deux types de matières ne devraient normalement pas se lier entre elles car les micelles d’humus et d’argiles sont toutes deux électronégatives, et se repoussent donc naturellement. Pourtant certaines communautés d’organismes vivants du sol sont capables de produire de tels complexes en liant les argiles et les humus.
    On trouve ces complexes dans les agrégats constitutifs du sol où ils jouent un rôle écologique et agronomique majeur. Ils sont essentiellement d’origine biogénique (créés par le vivant) expliquent la stabilité (résistance au vent et à la pluie par exemple) et la productivité exceptionnelle des sols riches en humus et en matière organique. Ils protègent très efficacement les sols qui en contiennent des pluies ou l’excès d’humidité. Cléopatre elle-même interdisait l’exportation des vers de terre hors d’Egypte, les grecs anciens le respectaient pour ses bienfaits sur les culture et Darwin a écrit sur eux des lignes admirables dans son ultime ouvrage.Alors, « le ver de terre on s’en fout »? Nenni, la communauté des anneaux bosse jour et nuit sous terre, et sans gagner plus.
    Des fois on se demande s’il ne vaudrait mieux pas bouffer (préventivement) les gens qui nous empoisonnent avant que les vers de terre ne s’occupent définitivement d’eux.

  17. @ patrick notret, bien vu ! Pour compléter votre proposvoici cette petite video de Jean Druon, scientifique qui a démissionné de l’I.N.R.A pour cause de manque de transparence sur la mort de la biodiversité des sols et ses conséquences, dont la désertification . C’est clair, court et simple, comme votre propos / http://www.dailymotion.com/video/x1ds9p_alerte . Le film s’appelle « alerte à babylone jean druon ogm environement nature sols « 

  18. @bénédicte
    J’avais vu ce petit film et il est remarquable tant il est concis, percutant, et donne vraiment à réfléchir; ce qu’on appelle de la belle synthèse qui parle à tout le monde, simplement, sans appel.

  19. Des montagnes, au fleuve : un bel article du RISAL au sujet du Brésil, dont il a déjà été question ici : « Le jeûne d’un évêque du Nordeste, de l’État de Bahia, cherche à attirer l’attention sur un des chantiers qui auront les plus grands impacts environnementaux et sociaux dans le Brésil de Lula. »
    http://risal.collectifs.net/spip.php?article2386

  20. Oui, merci pour la petite vidéo. En effet, à quand l’effet (ou plutôt : les effets) de seuil ? Pour beaucoup, on voit bien qu’on est encore comme dans le film de Kassovitz, « La Haine » : on tombe du haut de plusieurs étages mais, tant qu’on n’a pas heurté le sol, « tout va bien »…

  21. @ Valérie, merci pour ce bon article . j’avais suivi l’actualité concernant ce fleuve et les actions de Luiz cappio, c’est un très bon descriptif de la situation .
    @ Bruno,le moment que j’ai préféré et que je trouve le plus interessant dans « la haine » , c’est celui où ils se retrouvent sur un toit de Paris et essaye tour à tour, pour jouer, d’éteindre la Tour Eiffel , puis, devant leurs impuissances , ils quittent le lieu, déçus, tandis que la Tour s’éteind dans leurs dos . Il ne faut jamais perdre espoir !

  22. A Bénédicte : oui, tu as raison, c’est un beau moment d’un film qui m’avait beaucoup touché, ayant enseigné pendant quelques années dans un quartier dit sensible.
    A part ça, je signale, dans le dernier n° de « Politis », un article d’Hélène Crié-Wiesner intitulé « Le droit des 4×4 à la nature », aux Etats-Unis…

  23. A Bénédicte : j’ai reconnu en fait l’excellent Claude Bourguignon, ancien de l’INRA, sur la vidéo. Il existe encore, heureusement des gens comme lui. Il semble d’ailleurs que les langues se délient de temps en temps chez les anciens de l’INRA. tel Pierre Rainelli, économiste et ancien directeur de recherche à l’INRA, qui déclare :
    « (…) Par leur filiation chiraquienne, les agriculteurs ont été habitués à être entendus. Et il ne fait guère de doute qu’ils s’estiment trahis aujourd’hui par l’activation de la clause de sauvegarde. Pour eux l’urgence, c’est la productivité. Pourtant avec 22.000 hectares de champs de maïs OGM, on peut estimer à quelques centaines seulement les agriculteurs concernés. Mais c’est qu’au delà de ces derniers, les semenciers, les organisations agricoles, le secteur coopératif sont impliqués dans les OGM – en amont et en aval. On pourrait parler d’un complexe agro-industriel comme du complexe militaro-industriel… L’achat des semences et des produits phytosanitaires place, en outre, les producteurs en état de dépendance.
    Peut être qu’au lieu de voir son avenir sur les marchés internationaux, de chercher à concurrencer l’Argentine ou les Etats Unis, l’agriculture française pourrait chercher un nouveau souffle dans les produits bio. Il faut trouver des raisonnements plus économiques et plus prospectifs.»
    On ne peut guère mieux dire. Cependant les chercheurs en activité peuvent avoir de gros soucis s’ils se prononcent contre les OGM.
    Si vous ne connaissez pas les ennuis que rencontre Christian Vélot, ce chercheur et
    maitre de conferences, je vous encourage vivement àà regarder ses explications sur : http://sciencescitoyennes.org/spip.php?rubrique117
    Et, évidemment, à le soutenir.Cela nous éloigne sans doute du propos fort pertinent de Fabrice Nicolino sur les droit des animaux. Mais pourquoi donc ce garçon va t-il s’engueuler avec des gens qui travaillent pour un journal dont le titre ( le canard enchaîné) indique déjà qu’ils affichent un goût certain pour l’entravement des palmipèdes?

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